La femme au parfum : Réflexion sur l'acte juste
Marc 14:3-6 1 , Corinthiens 13
Culte du 3 juin 2006
Prédication de pasteur Florence Taubmann
( Marc 14,3-6 ; 1 Corinthiens 13 )
Culte à l'Oratoire du Louvre,
par la pasteure Florence Taubman
En général toutes nos Eglises ont un service diaconal. Et si elles ne l’ont pas, toutes elles se préoccupent, plus ou moins directement, de questions d’entraide.
Et par les grands froids de ces temps derniers, tous nous avons vu, directement, dans la rue, la nécessité de l’entraide. La nécessité de l’aide. La nécessité de l’assistance.
Nous avons vu des gens dehors, dormant dans la rue, nous avons vu des tentes distribuées par Médecins du monde.
Nous avons compté …pas loin de 15 000 sans-abris dans notre ville.
Et nous nous sommes interrogés, peut-être, sur ce que nous pouvons faire personnellement, ou ensemble en communauté.
Quand l’appel de la réalité est si fort, quand la misère est si étendue, il est difficile de ne pas y répondre. Et il est difficile d’y répondre.
Je veux dire par là que notre seul bon cœur n’y suffit pas. Et en même temps notre cœur est ému. Notre cœur d’homme. Notre cœur de chrétien.
Nous ne pouvons pas nous rassurer sur les seules structures ou actions sociales qui existent.
Concrètement, en voyant quelqu’un dormir par terre devant son immeuble par - 6
on se dit qu’heureusement le SAMU social ou les Restos du cœur font des maraudes toutes la nuit pour nourrir les gens ou même les emmener en foyer.
Mais quand même …cela nous interroge nous-mêmes. Nous avons forcément en tête Jésus soignant les gens, accueillant les uns consolant les autres, nourrissant la foule, nous demandant d’aimer notre prochain sans nous donner de limite ni de guide à l’expression de cet amour.
Et nous nous demandons, à la fois réalistes et émus de compassion : que faire ? quel regard porter sur l’autre et sa misère ? quelle attitude adopter ?
Quel est l’acte juste ?
En me posant cette question de l’acte juste, je suis retombée l’autre jour sur des notes prises à l’écoute d’un ancien collègue, le Pasteur Roger Bosiger, commentant ce texte de l’évangile de Marc. Voici les trois grandes lignes de sa réflexion :
« Elle tenait un vase d’albâtre qui renfermait un parfum de nard pur de grand prix ; elle brisa le vase et répandit le parfum sur la tête de Jésus.»
La femme, réellement ou symboliquement, donne tout ce qu’elle a. Non seulement elle verse le contenu du vase, parfum de grand prix, mais elle brise le contenant, qui donc ne pourra plus resservir.
On se situe là dans la radicalité biblique et évangélique, celle qu’on trouve par exemple dans l’histoire d’Elie et de la veuve de Sarepta dans 1Rois 17, où celle-ci est invitée à donner son dernier pain, ou encore dans l’histoire de la pauvre veuve du Temple de Jérusalem, qui en donnant quelques piécettes, donne « ce qu’elle a pour vivre. »(Marc 12,41-44).
Dans la Bible, ce don total est présenté comme une expression de foi mais aussi de sagesse.
Dans l’Ecclésiaste au ch 11 on peut lire :
« Jette ton pain à la surface des eaux, car avec le temps tu le retrouveras, donne une part à sept et même à huit, car tu ne sais pas quel malheur peut arriver sur cette terre »
A contrario le refus de donner est présenté comme folie : qu’on songe au riche insensé qui refuse de partager avec le pauvre Lazare, (Luc 6,19-31), ou encore à l’histoire étrange d’Hananias et Saphira dans le Livre des Actes.(5,1-11)
Ils meurent de n’avoir pas su donner sans mesure.
Au niveau de notre question sur l’acte juste, comment pouvons-nous l’entendre ?
Pour donner de manière juste faut-il tout donner ?
La radicalité est-elle quantitative ? Est-elle qualitative ?
Que signifie imiter Jésus-Christ ? Le suivre ? Etre son disciple ?
Dans un très beau texte qui parle du don spirituel, Bernard de Clairvaux, au 12ème siècle, utilise l’image du canal et du bassin pour proposer une juste mesure :
« Dans la vie spirituelle, frères, gardons-nous d’une part de donner ce que nous avons reçu pour nous, et d’autre part de garder pour nous ce que nous avons reçu pour le donner. Tu confisques à ton profit le bien de ton prochain si, par exemple, tu es non seulement rempli de vertus mais encore doué de science et d’éloquence , et que par paresse, ou par excès de discrétion et d’humilité, tu enfermes dans un silence inutile, et plus encore coupable, une parole dont les autres pourraient tirer grand profit. Au contraire, tu dissipes ce qui te revient, et tu le perds, si avant d’être toi-même comblé totalement, tu te dépêches de répandre ce dont tu n’es qu’à moitié rempli.
De la sorte, la sagesse consiste pour toi à jouer le rôle d’un bassin et non pas d’un canal. Un canal rend presque immédiatement ce qu’il reçoit, un bassin au contraire attend d’être rempli pour alors communiquer sans dommage ce dont il surabonde. »
Avec sagesse imite le Seigneur : De sa plénitude nous avons tout reçu. Apprends, toi aussi, à ne répandre que ce dont tu es rempli. Ne prétends pas être plus généreux que Dieu. Si tu n’as pas d’égard pour toi-même, pour qui d’autre saurais-tu te montrer bon ?
Si l’on applique l’image de Bernard de Clairvaux à la femme qui verse le parfum sur la tête de Jésus, ce parfum de grand prix peut représenter le surplus qu’elle a reçu pour le redonner. Et le vase brisé peut symboliser Jésus lui-même, qui va vivre cette brisure dans son propre corps.
Réfléchir à l’acte juste nous conduit donc à nous demander ce que nous avons reçu pour nous-mêmes, et ce que nous avons reçu pour autrui.
Et ce qui est valable pour la vie spirituelle est sans doute également valable pour la vie matérielle.
Qu’avons-nous reçu pour nous-mêmes, pour notre vie ? Qu’avons-nous reçu pour autrui ?
Je vous propose un petit temps de réflexion silencieuse…..
L’acte de la femme est accompli au moment juste.
Quelques-un exprimèrent entre eux leur indignation :« A quoi bon perdre ce parfum. On aurait pu vendre plus de trois cents deniers et les donner aux pauvres. Mais Jésus dit : Laissez-la. Pourquoi lui faites-vous de la peine ? Elle a fait une bonne action à mon égard ; car vous avez toujours les pauvres avec vous, et vous pouvez leur faire du bien quand vous le voulez, mais moi, vous ne m’avez pas toujours. Elle a fait ce qu’elle a pu ; elle a d’avance embaumé mon corps pour la sépulture. »
On est là dans un débat bien connu entre l’utile et l’inutile, l’urgent et l’essentiel ?
C’est le débat entre Marthe l’active et Marie la contemplative. C’est aussi, d’une certaine manière, le débat qui préside à l’institution des diacres dans le livre des Actes au ch 6, où les apôtres désirant garder leur énergie pour l’enseignement de la Parole, chargent les diacres ou « serviteurs » du service des tables.
Pourtant l’acte juste ne relève pas seulement du domaine de l’action. L’acte juste relève aussi de la prière, de la méditation.
L’acte juste répond aussi bien à la nécessité de « l’immédiat » qu’à l’écho de « l’éternel » dans nos vies. Et nous savons que quand ce second aspect est absent, nous tombons facilement dans un activisme parfois contre-productif.
Dans notre histoire biblique, ce qui donne sens à l’action de la femme, ce n’est certes pas son caractère utile. Mais c’est son entrée en résonance avec la mort proche de Jésus.
Elle fait exactement la seule chose qu’elle puisse faire à ce moment-là.
Il n’y a rien d’autre à faire.
De même, ce qui donne un sens chrétien à nos actes, ce qui peut leur donner cette justesse que nous espérons, c’est d’être accompli dans cette extrême simplicité, cette certitude tranquille du cœur qui donne la joie la plus profonde.
Il s’agit de la simplicité et de la joie du règne de Dieu.
Et dans certains gestes de notre vie quotidienne, à travers certains actes, certaines paroles, certains regards …il nous est donné les vivre, cette joie et cette simplicité du règne de Dieu.
Mais quand nous sommes appelés à les vivre, alors il faut dire oui. Il n’y a rien de plus urgent ni rien de plus essentiel.
Mais si ce n’est pas le moment, il faut aussi savoir attendre, sous peine de sacrifier l’essentiel à l’urgent.
Un texte du Pasteur Alain Houziaux nous invite à savoir vivre cette attente :
Si tu ne sais quel doit être ton chemin,
Attends, car la semence germe et croît sans qu’on sache comment.
Attends que s’impose à toi le chemin où tu supporteras d’être sous le regard de
Dieu et de tes frères sans avoir rien à dissimuler.
Attends qu’un chemin de justice et d’amour s’impose à toi comme une évidence à laquelle tu ne peux que consentir si tu ne veux pas trahir ce qu’il y a de plus vrai en toi. Et demande que te soit donnée la voie de la simplicité, celle où tu n’auras pas à tricher avec tes faiblesses, celle où le pardon de Dieu et de tes frères sera ton pain nécessaire pour chaque jour.
Tu seras alors sans abri.
Tu seras toi-même comme un abri contre le vent.
L’acte de la femme est un acte rayonnant.
« En vérité, je vous le dis, partout où on annoncera l’évangile, dans le monde entier, on racontera ce que cette femme a fait et on se souviendra d’elle.»
Non seulement l’odeur du parfum s’est répandue dans la maison et alentour, mais cette fragrance peut être lue comme un symbole de la « Bonne Nouvelle » qui va se répandre dans le monde entier. Et donc la femme qui a accompli ce geste, fait partie intégrante de l’Evangile. Son geste a quelque chose d’inaugural.
Ceci nous fait réaliser deux choses :
- aucun acte n’est dérisoire, quand cet acte est juste. Un simple geste, un regard, une attention aussi minimes soient-ils sont porteurs de Bonne Nouvelle. Je crois que c’est important de se le dire, car souvent nous pouvons penser que c’est si peu de choses que nous sommes tentés de nous en abstenir.
- Cet acte juste, appelé à rayonner, c’est un acte habité par l’amour de celui qui le commet. En ce sens il s’agit autant de justice que de justesse. Il ne peut y avoir d’acte juste sans amour, c’est-à-dire concrètement sans respect, sans compassion, sans un cœur qui bat.
C’est ce que dit très fortement l’apôtre Paul dans 1 Corinthiens 13 :
« Et quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais même mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas l’amour, cela ne me sert de rien. »
En écho, voici quelques lignes de L’imitation de Jésus-Christ, texte du 15ème siècle :
« Sans la charité, l’action extérieure ne vaut rien ; au contraire, une action faite par charité, fût-elle la plus petite et la plus inaperçue, se transforme toute en fruits.
Quel peut alors être le rayonnement de l’acte juste?
Dieu seul le sait, car l’Evangile nous invite à une certaine discrétion sur nos actions bonnes. Mais quand même, que leur rayonnement soit plus spirituel que médiatique n’enlève rien à la réalité de ce rayonnement.
D’une part je crois personnellement à la contagion du bien, à l’encouragement fraternels, à la transmission de petits et grands exemples de génération en génération.
D’autre part nos actes justes sont nourris par notre confiance en un Dieu qui nous aime, et nos efforts pour être fidèles à sa Parole et ses commandements.
Et donc c’est à lui qu’ils renvoient, en même temps qu’à Jésus notre inspirateur.
Chacun de nos actes, dès lors qu’il est habité par l’amour parle la langue de Dieu.
Chacun de nos actes, dès lors qu’il est habité par l’amour, fait rayonner la présence de Dieu. Et si c’est pour un seul être, c’est pour le monde.
Et si, comme l’acte de la femme de l’évangile, il peut sembler inutile sur un plan strictement matériel, cette inutilité n’est que le voile de la grâce de Dieu. Amen !
Lecture de la Bible
Marc 14,3-6
Comme Jésus était à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, une femme entra, pendant qu’il se trouvait à table. Elle tenait un vase d’albâtre, qui renfermait un parfum de nard pur de grand prix; et, ayant rompu le vase, elle répandit le parfum sur la tête de Jésus. 4 Quelques-uns exprimèrent entre eux leur indignation: A quoi bon perdre ce parfum? 5 On aurait pu le vendre plus de trois cents deniers, et les donner aux pauvres. Et ils s’irritaient contre cette femme. 6 Mais Jésus dit: Laissez-la. Pourquoi lui faites-vous de la peine? Elle a fait une bonne action à mon égard;
1 Corinthiens 13
Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas l’amour, je suis un airain qui résonne, ou une cymbale qui retentit. 2 Et quand j’aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j’aurais même toute la foi jusqu’à transporter des montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. 3 Et quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais même mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas l’amour, cela ne me sert à rien. 4 L’amour est patient, il est plein de bonté; l’amour n’est point envieux; l’amour ne se vante point, il ne s’enfle point d’orgueil, 5 il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche point sont intérêt, il ne s’irrite point, il ne soupçonne point le mal, 6 il ne se réjouit point de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité; 7 il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout. 8 L’amour ne périt jamais. Les prophéties seront abolies, les langues cesseront, la connaissance sera abolie. 9 Car nous connaissons en partie, et nous prophétisons en partie, 10 mais quand ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel sera aboli. 11 Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant; lorsque je suis devenu homme, j’ai mis de côté ce qui était de l’enfant. 12 Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière obscure, mais alors nous verrons face à face; aujourd’hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j’ai été connu. 13 Maintenant donc ces trois choses demeurent: la foi, l’espérance, l’amour; mais la plus grande de ces choses, c’est l’amour.