Quelle est notre patrie ?
Esaïe 2:2-5 , Hébreux 11:13-16
Culte du 5 février 2012
Prédication de pasteur James Woody
( Esaïe 2:2-5 ; Hébreux 11:13-16 )
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Culte du dimanche 5 février 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, quelle est donc notre patrie ? A quelle patrie appartient celui qui vient d’être baptisé ? Il n’est qu’à regarder notre communauté ce matin pour constater que notre patrie est largement transnationale : nous sommes français, nous sommes anglais, suisses, malgaches, vietnamiens, coréens, roumains… Nos origines sont germanique, américaine, ivoirienne, algérienne, italienne... Nous ne pouvons que convenir que notre communauté dépasse largement les frontières nationales. A vrai dire, nous sommes toutes et tous des étrangers dans ce lieu et à ce titre véritablement paroissiens, le paroissien étant de la maison d’à côté, para-oikos. Et, pourtant, nous nous sentons ici chez nous. C’est peut être pour cette raison que nous sommes de ceux qui se reconnaissent dans les mots de Kennedy en 1963 « Ich bin ein Berliner ». Nous sommes de ceux qui se reconnaissent dans les mots de Jean-Marie Colombani dans son éditorial du 13 septembre 2001 « Nous sommes tous américains ». Et nous pourrions allonger la liste de nos affiliations qui sont autant de patries dont nous nous sentons légitimement citoyens.
A cela s’ajoutent d’autres patries, la « legio patria nostra », la patrie intérieure évoquée par Saint-Exupéry dans sa lettre à un otage. Et d’autres patries, encore, qui tissent des fraternités d’ordre symbolique. Et puis il y a cette vision d’Esaïe : un pèlerinage universel vers la colline de Sion où s’élève la maison de l’Eternel, père d’une multitude, patrie de tous les habitants de la Terre, que l’épître aux Hébreux évoque aussi en termes de cité préparée par Dieu. C’est cette cité que je vous propose d’explorer ce matin. Notre observation nous permettra tout d’abord de repousser 3 caractéristiques qu’elle ne possède pas en dépit des idées reçues. Après quoi, nous essaierons d’en dire l’essence.
La vision d’Esaïe pourrait nous faire penser qu’il y a, au-dessus de toutes les patries, une patrie qui surplombe l’ensemble, une patrie divine qui fusionne l’ensemble des peuples et des nations en une seule entité, en une seule patrie qui se substitue à toutes les autres. Et parce que cette patrie recèle en son cœur la colline de Sion où se situe la maison de l’Eternel, nous pourrions être tentés de voir en l’Eglise le lieu où l’ensemble de l’humanité devient un peuple unique. Mais l’Eglise, même dans une vision large, c’est-à-dire le christianisme dans son ensemble, n’est pas le tout de Dieu. Le christianisme serait bien prétentieux de vouloir s’identifier intégralement à la patrie de Dieu. Certes, il est arrivé par le passé qu’il soit dit que l’Eglise était l’épouse du Christ, Christ étant Dieu qui se manifeste parmi les hommes. Mais nous ne pouvons pas lire dans cette vision d’Esaïe une description de l’Eglise célébrant ses noces avec le Christ, sauf à faire du Christ un polygame. L’Eglise participe à ce cortège universel, au même titre qu’Israël et au même titre que d’autres communautés humaines, religieuses ou non. Les nations et les peuples décris par le prophète forment l’ensemble de l’humanité, sans être unifiés sous une bannière unique, et sans être accueillis par un hôte unique qui serait l’Eglise, rassemblant en son sein les populations autrefois dispersées sous diverses dénominations. Pas plus que l’Eternel n’a espéré qu’Israël s’étende sur toute la surface du globe, l’Eternel n’espère nullement que l’Eglise soit la patrie unique de monde. La cité de Dieu pourrait être qualifiée d’Eglise à la condition qu’il soit question de l’Eglise invisible, que Dieu seul connaît, et qui dépasse largement les frontières institutionnelles.
La cité de Dieu n’arrive pas toute seule
La cité de Dieu n’est donc pas réduite à l’Eglise visible. Elle n’arrive pas non plus toute seule. Certes, la vision du livre de l’Apocalypse (Ap 21) d’une cité nouvelle qui descend du ciel pourrait laisser entendre que cette patrie divine dépend de Dieu et de Dieu seulement, qu’elle arrivera quand elle arrivera et que nous n’y pouvons rien. Ce serait oublier un peu vite que cette vision de l’Apocalypse arrive après de nombreux chapitres de batailles contre tout ce qui opprime l’humanité. Comment imaginer qu’Esaïe ait une vision un peu naïve d’une paix universelle décrétée par Dieu, une paix qui s’impose d’elle-même et rassemble tout le monde, comme par enchantement, dans une même patrie ? L’épître aux Hébreux parle d’une cité que Dieu prépare. Mais pense-t-on vraiment que la préparation prend du temps dans l’atelier divin et que la cité arrivera une fois que Dieu l’aura achevée et qu’il pourra la présenter à la face du monde ? En réalité, c’est plutôt l’inverse, comme l’indique le prophète Esaïe : c’est la décision des êtres humains de se rendre à Jérusalem et d’y trouver là ce qui forgera la paix entre tous qui fait advenir la paix. Ce n’est pas la décision de Dieu qui fait advenir la paix : c’est la décision des hommes qui rend inutile les armes qui pourront alors être transformées en outils agricoles. La cité de Dieu ne vient pas toute seule selon le seul bon désir de Dieu. Elle est le résultat de l’action concertée des hommes.
La cité de Dieu n’est pas au ciel
Troisième aspect qui ne caractérise pas la cité de Dieu : l’idée selon laquelle elle serait au ciel. Certes, la description de Jérusalem située sur la montagne de Dieu elle-même au-dessus des montagnes et des collines fait penser à une Jérusalem dans les cieux et, finalement inaccessible sinon dans les rêves. L’auteur de l’épître aux Hébreux nous dit, pourtant, que les grandes figures bibliques l’ont vue, cette cité, qu’ils l’ont saluée de loin. Elle n’est donc ni une cité matérielle (puisqu’Abraham, l’un d’eux, était justement sur le futur emplacement du temple lorsqu’il a failli sacrifier son fils) ni une cité vaporeuse située dans quelque espace sans quoi, depuis le temps qu’on explore l’univers en tout sens, avec des moyens techniques autrement plus performants que les yeux des patriarches, nous l’aurions fixée sur des images qui circuleraient allégrement sur Internet. Elle n’est pas dans les cieux au sens d’un au-delà de la vie biologique sans quoi les patriarches n’auraient pu la saluer de leur vivant. La patrie céleste, élevée au-dessus de tout ce que nous connaissons, ne désigne donc pas un lieu ou un temps. Elle n’est pas plus au ciel que l’Eternel sinon comme l’image d’une patrie qui nous élève de nos contingences matérielles, une patrie qui ne reste pas confinées à nos capacités tellement limitées que nous matérialisons par des frontières de toutes sortes.
Notre patrie
Maintenant que nous avons nettoyé notre regard de ces clichés qui nous éloignent du message biblique, nous pouvons observer ce qui constitue cette patrie, quelle en est sa constitution. Tout d’abord c’est une patrie qui préserve les particularismes, qui maintient les identités en termes de peuples et de nations. Les patries à caractère politique, les patries symboliques auxquelles nous adhérons subsistent. Il n’y a pas de globalisation au sens d’une entité qui engloberait tout. Sur le plan religieux, il n’y a pas de projet d’une religion unique comme il n’y a pas, sur le plan politique, de perspective d’un Etat unique. Il y a, en revanche, ce que nous pourrions appeler une communauté de destin qui transcende les appétits individuels. Nous avons, chez Esaïe, un manifeste en faveur d’un rapprochement des peuples qui pourront se fédérer autour de choix commun qui deviendront alors des universaux.
Cette communauté de destin s’exprime, sous la plume d’Esaïe, par cette topographie un peu particulière de Jérusalem, qui n’a rien de commun avec la topographie de la ville que nous connaissons. Dire que la maison de l’Eternel est au sommet des montagnes, dans la langue hébraïque, c’est dire qu’elle est à la tête des montagnes, qu’elle est en est le principe, le fondement à partir duquel tout s’organise. Dire que la maison de l’Eternel est le fondement des montagnes (où se déroulent habituellement les révélations) et qu’elle est élevée au dessus des collines (où les hommes bibliques organisent habituellement leurs célébrations), c’est affirmer que cette patrie est le lieu où les aspects fondamentaux de la vie sont reconnus par tous. Quand Umberto Eco, toujours un peu facétieux, s’interrogeait sur les universaux, on aurait pu s’attendre à ce qu’il évoque la liberté, la démocratie, l’égalité entre hommes et femmes. Pour sa part il avançait que c’est manger et boire. J’ajouterai dormir.
Quand ces besoin fondamentaux sont reconnus et pris en charge, tout le reste en découle. Quand tout le monde peut manger à sa faim, c’est qu’il n’y a plus les hommes qui prennent la part des femmes. Quand on peut boire sans s’empoisonner c’est qu’on a démocratisé l’accès à l’eau. Quand on peut dormir sans mourir de froid ou de chaleur, c’est aussi qu’on a cessé d’exploiter des hommes que l’on fait mourir à la tâche. La patrie de Dieu s’édifie chaque fois que le monde se rapproche des objectifs du millénaire pour le développement établis par l’ONU qui sont une transcription des besoins fondamentaux de chaque être humain.
Dans la perspective d’Esaïe, en s’orientant communément vers la Torah qui sort de cette Jérusalem mythique, les peuples manifestent le désir de s’ouvrir à de nouveaux dialogues pour doter le monde d’institutions qui seront capables de satisfaire l’intérêt général en préservant les différences et la singularité des culture. C’est bien cela le sens de la Torah, qui n’est pas un cadre légal de nature religieuse qui s’impose à tout un chacun, qui ne se réduit pas aux cinq premiers livres de notre actuelle Bible. Ce n’est pas un arsenal législatif ou une liste de valeurs que l’on voudrait universels. Torah vient du verbe YaRaH qui signifie « instruire », c’est-à-dire donner une structure interne, donner une colonne vertébrale. Se rendre vers Jérusalem, symboliquement le lieu d’où sort cette colonne vertébrale qui nous permet de nous tenir debout, c’est s’orienter vers une société qui structure notre humanité, qui la construit en la dotant d’une structure commune, adoptée par toutes et tous dans le dialogue, ayant à l’esprit le mot du pasteur Martin Luther King : si nous ne vivons pas ensemble comme des frères, nous allons mourir ensemble comme des imbéciles.
Cette démarche rapportée par Esaïe propose une nouvelle citoyenneté qui reconnaît à l’Homme la capacité de faire des choix concertés qui transcendent les classes, les religions, les nationalismes, les cultures, et les peurs de l’avenir également. Cela revient à ouvrir la voie d’un nouvel humanisme où l’homme agit au nom de ce qui lui permet de dépasser sa condition ou, pour le dire avec les mots d’Augustin, justement dans son ouvrage La cité de Dieu, ouvrir le chemin où l’amour de Dieu prime sur l’amour de soi. Un chemin où nous sommes animés par le bien commun, par cette Torah qui appelle l’homme à la liberté et à la solidarité en hissant par-dessus tout la prise en compte des besoins fondamentaux de tous.
Oui, il s’agit là d’une utopie au sens strict du terme. C’est d’ailleurs ainsi que commence cette vision d’Esaïe, par la mention de ces « jours d’après », ce que la traduction grecque nomme les jours eschatologiques : une visée en direction de l’ultime. C’est le choix universel d’un horizon commun, d’une perspective universelle vers laquelle tous tendront, chacun selon son chemin, à son rythme. C’est le choix universel de s’exposer au divin pour penser le monde non plus seulement selon nos seuls schémas, non plus en n’ayant en vue que la patrie d’où nous sommes sortis, mais en tenant compte aussi des aspirations voisines qui s’exprime dans cette Jérusalem d’Esaïe.
Alors, avec les Abel, les Hénoc, les Noé, les Abraham, les Sarah, les Isaac, les Jacob, nous n’aurons de cesse, nous aussi, de battre le fer, d’enfourcher nos chariots de feu, selon les mots de William Blake, et de ne pas nous reposer jusqu’à ce que nous ayons bâti Jérusalem.
Amen
Lecture de la Bible
Esaïe 2:2-5
Il arrivera, dans la suite des temps, Que la montagne de la maison de l’Eternel Sera fondée sur le sommet des montagnes, Qu’elle s’élèvera par-dessus les collines, Et que toutes les nations y afflueront.
3 Des peuples s’y rendront en foule, et diront: Venez, et montons à la montagne de l’Eternel, A la maison du Dieu de Jacob, Afin qu’il nous enseigne ses voies, Et que nous marchions dans ses sentiers. Car de Sion sortira la loi, Et de Jérusalem la parole de l’Eternel.
4 Il sera le juge des nations, L’arbitre d’un grand nombre de peuples. De leurs glaives ils forgeront des hoyaux, Et de leurs lances des serpes: Une nation ne tirera plus l’épée contre une autre, Et l’on n’apprendra plus la guerre.
5 Maison de Jacob, Venez, et marchons à la lumière de l’Eternel!
Hébreux 11:13-16
C’est dans la foi qu’ils sont tous morts, sans avoir obtenu les choses promises; mais ils les ont vues et saluées de loin, reconnaissant qu’ils’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre.
14 Ceux qui parlent ainsi montrent qu’ils cherchent une patrie.
15 S’ils avaient eu en vue celle d’où ils étaient sortis, ils auraient eu le temps d’y retourner.
16 Mais maintenant ils en désirent une meilleure, c’est-à-dire une céleste. C’est pourquoi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu, car il leur a préparé une cité.