Quelle espérance nous donne son appel ?
Éphésiens 1:15-23
Culte du 24 juillet 2016
Prédication de pasteure Régina Muller
Vidéo de la partie centrale du culte
film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot
Culte du dimanche 24 juillet 2016
prédication de la pasteure Régina Muller
Texte de la prédication (vidéo ci-dessous)
Il faut du souffle pour lire cette phrase pleine de reconnaissance : elle n’en finit plus ; elle s’étire en rappels et en titres glorieux comme pour aller au-delà de toute limite temporelle et géographique. On dirait une icône surchargée où sur fond d’or, le Christ siège en gloire sur tout le cosmos. Son auteur, probablement disciple de Paul, vit la fin du Ier siècle comme un moment délicat : s’en est fini du mouvement « Jésus » et des communautés de maison, on est passé à l’Église œcuménique où se mêlent désormais juifs et païens.
Plus de temple, plus d’apôtres et en dehors des textes de la Torah, pas d’Écriture organisée en recueil ; seulement des textes épars et des lettres comme celle-ci qui circulent pour soutenir la foi et l’espérance des premiers chrétiens. Et ils en ont besoin ! Le retour du Christ tarde, sa résurrection n’a pas amené le renouvellement des choses. L’avenir promis, « le monde à venir » n’en finit pas de s’éloigner. L’espérance s’émousse chez certains. Pour la nouvelle génération, comment trouver la clé de l’Évangile ? Comment comprendre sa capacité à transformer le monde ? Comment entrer dans l’héritage et comment ressaisir l’espérance que donne la vocation du chrétien ?
Cette génération à la charnière de l’histoire de l’Église ne nous est pas si éloignée : nous vivons des temps peu propices à l’espérance surtout si on fait référence aux générations qui nous ont précédé. On est plutôt héritier des maîtres du soupçon, on ne s’en laisse plus compter. Pour nous, les lendemains ne risquent plus de chanter. Les emballements pour le changement sont usés ; ce ne sont plus que des slogans récupérés au moment des campagnes électorales. Quant à l’allant des révolutionnaires du siècle passé, il nous amuse. Enfin, on les envierait quand même: tant de naïveté certes ! mais ça rend vivant ! Quant à nous, il vaut mieux rester cramponnés à l’instant, et si possible, chercher à le stabiliser. Notre sagesse à nous, c’est celle « d’un présent éternel » tout en faisant nos devoirs de mémoire quitte à l’encombrer. En matière d’avenir, on sait que le pire n’est pas certain.
Or notre foi en Jésus-Christ, est par nature tournée vers l’avenir. Elle est espérance, perspectives, orientation vers l’avant. Nous avons hérité de promesses exaltantes « Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Ap.21,5). Mais par souci de réalisme, nous avons tendance à les transposer dans l’intime de notre subjectivité. Ce monde à venir, c’est celui de la transformation du cœur. Pourtant, le monde nouveau inauguré par la résurrection du Christ est celui de l’ensemble de la création « Nous attendons selon sa promesse des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habite » (2 Pi. 3,13)
Notre résignation au moment présent, notre soumission au constat réaliste viennent de ce que nous confondons l’espérance avec l’espoir. L’espoir, c’est naturel, ça n’étonne pas, c’est un penchant humain. On peut même le quantifier, le calculer. On l’exprime en pourcentage : « vous avez 50% de chances de vous en sortir » vous dira le médecin. L’espoir, c’est le fruit d’une expérience et en ce sens, son estimation est plutôt fiable. L’espoir, c’est l’objet d’une démarche raisonnable qui se renforce avec le souvenir du passé et l’observation du donné présent. L’espoir relève d’une pensée causale : le présent est le produit d’une faisceau de causes et de déterminations.
Alors que l’espérance est d’une autre nature . Elle ne se déduit pas ; elle ne concerne pas l’avenir en général. Elle tient à un appel personnalisé par le fait qu’il suscite une réponse ; elle nous précède, elle se tient là devant nous, en réserve avec des potentialités qui dans le texte d’Éphésiens sont impressionnantes : « immense puissance, énergie, force toute puissante » On parle alors d’eschatologie, de ce qui est dernier, en gestation mais pas tout au bout du temps. Ces potentialités qui nous sont réservées en héritage, c’est la résurrection de la chair, le retour du Christ dans sa gloire universelle, le jugement dernier, la nouvelle création… Mais on peut alors les regarder comme des utopies en contradiction avec le présent de l’expérience. Pourtant, ces réalités promises ne planent pas hors temps, dans un ciel imaginaire ou dans un royaume qui ne cesse de fermer ses portes d’accès. Il s’agit de réalités qui viennent à notre rencontre. On ne peut se les figurer à partir du donné car elles sont issues de Dieu même. Le futur est la nature même de Dieu tel qu’il s’est fait connaître dans l’Exode et aux prophètes. On ne peut l’avoir que devant soi et l’attendre de façon active.
Qu’est ce qui garantit que ce n’est pas une fuite en avant qui escamote la réalité ou une rêverie impuissante ? Certes, ces énoncés comme la résurrection de la chair, le retour du Christ entrent en contradiction avec la réalité expérimentée. On est pris dans le conflit qu’il y a entre l’espérance et l’expérience. La résurrection est en contradiction par rapport à la Croix, nous sommes déclarés justes et pourtant toujours pécheurs, déclarés « heureux » et pourtant nous ne sommes pas épargnés par les afflictions en tous genres. Mais l’avenir caché des promesses est déjà agissant dans notre expérience présente par l’espérance qu’il réveille en nous ; il nous pousse à croire, à transgresser les limites et à nous trouver comme en Exode.
Cette sortie du régime habituel de pensée, cette façon de tenir tête à la réalité tout en s’y tenant, n’est possible qu’à partir d’une brèche qui a été ouverte par la résurrection du Christ. C’est elle qui a franchit le mur de la mort, de la séparation, de la culpabilité, de l’abandon. A sa suite, nous sommes au bénéfice de cette « énergie », de ce dynamisme de vie devant lequel, rien de ce qui terrasse l’homme, le décourage, l’humilie ou prend plaisir à sa perte ne peut tenir debout. Cette force toute puissante qu’est l’amour de Dieu manifestée dans la résurrection du Christ, cette force tient en échec ces « puissances » qui font autorité dans notre monde par l’exploitation, le cynisme, l’instrumentalisation de l’autre.
Et précisément parce que l’espérance ne porte pas sur une utopie, parce qu’elle ne tend pas vers ce qui n’a pas de lieu mais vers ce qui n’a pas encore de lieu, elle discerne dans la Croix et la résurrection, l’espérance de la terre. Celui qui espère ne pourra jamais s’accommoder des lois et des nécessités de ce monde. Celui qui est porté par l’espérance refuse l’inéluctabilité de la mort comme mal engendrant le mal. Ainsi, et contrairement à ce qu’en pensent encore certains penseurs, le Christ n’est pas seulement une consolation privée, un opium qui permet de supporter la souffrance, c’est avant tout une protestation. C’est la promesse de Dieu qui s’élève contre la souffrance, contre la violence qui défigure sa création et contre toute forme de mort que Paul appelle « le dernier ennemi » (1 Cor. 15,26).
Le théologien Jürgen Moltmann qui a longuement réfléchi à l’espérance chrétienne montre que l’espérance n’apporte pas le repos mais l’inquiétude ; elle rend impatient car elle fait entrevoir et elle prépare la nouvelle création voulue par Dieu. Pour celui qui espère à partir de la victoire du Christ sur la mort, il est impossible de s’accommoder du présent. « La paix avec Dieu signifie le conflit avec le monde car l’écharde de l’avenir promis s’enfonce inexorablement dans la chair de tout présent inaccompli ». Or nous abandonnons cette espérance inaugurée au matin de Pâques aux exaltés, aux millénaristes qui négligent le présent pour évaluer les dates du retour du Christ ou pour imaginer les pires scénarios de jugement dernier. Nous nous installons dans un présent tiède, nous envisageons raisonnablement l’avenir en fonction de notre tempérament, dans un renoncement à peine conscient « au monde à venir ». Nous nous installons dans le présent car le niveau de richesse et de confort de nos sociétés nous permettent de le faire avec légitimité, au nom du bonheur auquel nous avons droit. Nous nous embourgeoisons en capitalisant des biens et des droits personnels. Nous nous insurgeons régulièrement contre des situations contre lesquelles nous n’avons plus d’imagination. Alors que la communauté chrétienne devrait être un « foyer d’agitation permanente », un incubateur d’initiatives audacieuses. Nous n’avons pas intérêt à changer le monde parce que ça nous prendrait trop. On finit par renoncer à l’inespéré par réalisme ou par lassitude.
Or le Seigneur de la vie nous a donné des perspectives et une liberté inespérée ; il a mis en marche un monde nouveau de justice et de paix, de partage et de don de soi. Mais on fait comme si les choses n’avaient pas commencé à changer, on néglige le bien qu’on pourrait faire par manque de foi car on ne se croit pas capable de ce qui est sollicité en nous par l’espérance. En Jésus-Christ, Dieu nous espère sans cesse, il réinvente à chaque instant, après chacune de nos initiatives, les projets d’avenir qu’il a pour nous. Mais entrer dans cette dynamique, il faut que l’espérance aie la primauté, il faut que la confiance en Dieu soit plus déterminante que toutes nos expériences et toutes nos conditionnements.
N’abdiquons pas l’espérance qui est attachée à notre appel : il en va de notre responsabilité devant Dieu et devant le monde. En regard des ambitions de Dieu, en regard de la personne vivante du Christ, la réalité nous laisse insatisfaits, elle nous fait souffrir parce que nous avons été touchés par l’espérance de Dieu : qu’elle enflamme notre imagination et qu’elle donne à l’Église, des idées nouvelles pour réaliser la justice que le monde attend ! Ne cédons pas à la tentation de nous accommoder de la vie comme elle va : l’espérance de Dieu qui jamais ne passera, nous fera entrer de façon très réaliste, dans des potentialités insoupçonnées.
Lecture de la Bible
Éphésiens 1:15-23
C’est pourquoi moi aussi, ayant entendu parler de votre foi au Seigneur Jésus et de votre amour pour tous les saints,
16 je ne cesse de rendre grâce pour vous; je fais mention de vous dans mes prières,
17 afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de gloire, vous donne un esprit de sagesse et de révélation dans sa connaissance;
18 qu’il illumine les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez quelle est l’espérance qui s’attache à son appel, quelle est la richesse de la gloire de son héritage qu’il réserve aux saints,
19 et quelle est envers nous qui croyons l’infinie grandeur de sa puissance, se manifestant avec efficacité par la vertu de sa force.
20 Il l’a déployée en Christ, en le ressuscitant des morts, et en le faisant asseoir à sa droite dans les lieux célestes,
21 au-dessus de toute domination, de toute autorité, de toute puissance, de toute dignité, et de tout nom qui peut être nommé, non seulement dans le siècle présent, mais encore dans le siècle à venir.
22 Il a tout mis sous ses pieds, et il l’a donné pour chef suprême à l’Église,
23 qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous.
(traduction NEG)
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