Pas de mollesse !
Romains 13:1-7 , Matthieu 5:38-42
Culte du 1 novembre 2009
Prédication de pasteur James Woody
( Romains 13:1-7 ; Matthieu 5:38-42 )
Culte du 1er novembre 2009 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, ces deux textes bibliques frappent l’imagination. A entendre le portrait qu’ils tracent des croyants, il y a matière à se demander ce qu’est l’Eglise… Serait-ce la communauté des gens les plus soumis qui soient ? un rassemblement de masochistes qui, non contents d’avoir été giflés sur une joue tendent l’autre ? l’Eglise serait-elle le club de ceux qui acceptent toutes sortes de brimades, toutes sortes de vexations au nom de l’Evangile ? le club des personnes dociles qui acceptent tout, qui disent amen à tout ?
En effet, si nous suivons les recommandations de l’apôtre Paul à la communauté de Rome, les autorités étant instituées par Dieu, s’opposer à l’autorité c’est s’opposer à Dieu et résister c’est, nécessairement, encourir un châtiment. Si nous suivons les recommandations de Jésus, le mieux est encore de se transformer en ectoplasme sans aucune consistance, sans aucune aspérité, qui prend la forme qu’on souhaite lui imprimer : malléable à merci, le croyant serait alors la bonne poire qu’on peut malmener ou à laquelle on peut soutirer n’importe quoi sans la moindre objection.
Bref, avec ces deux textes, il semblerait que le croyant soit aussi bon pour courber l’échine devant l’autorité politique que pour s’écraser mollement devant la violence quotidienne. Chrétiens dociles, unissons-nous pour ne pas faire de vague !
Cela arrive fréquemment, à vrai dire ; cela arrive chaque fois qu’une Eglise devient un sanctuaire tout à fait hermétique au monde. Cela arrive chaque fois qu’une Eglise considère que les choses du monde ne la concernent pas. Cela arrive chaque fois qu’une Eglise estime qu’elle a bien mieux à faire que de se préoccuper de la société. Cela arrive chaque fois qu’une Eglise estime qu’elle n’a pas à se soucier des vicissitudes du monde, qu’elle doit être au-dessus de cela car il serait indigne de sa vocation qu’elle se préoccupât de ces choses, de ces basses besognes.
La tentation peut exister de faire de la religion une sorte de bulle qui nous isolerait de notre environnement. Et lorsque cette tentation d’isolement ou de mollesse de vie s’appuie sur ces textes bibliques, alors, ce n’est pas de fidélité à l’Evangile dont il est question, mais de paresse intellectuelle, spirituelle.
Une éthique du changement
Toute personne un peu sérieuse qui se sera penchée sur la prédication de Jésus telle que l’évangéliste Matthieu la rapporte dans les chapitres 5 à 7, saura que Jésus encourage le croyant à une exigence folle plutôt qu’à une passivité lénifiante. Il y a 20 ans, en l’église protestante saint Nicolas, à Leipzig, le pasteur Christian Führer organisait des prières pour la paix. Il habitait ce qui était alors la République Démocratique d’Allemagne, autrement dit l’Allemagne de l’Est. Chaque lundi, depuis 1982, 6 ou 7 personnes se réunissaient pour un temps de prière en faveur de la paix. Ce n’était presque rien, à peine un lumignon. Mais voilà que ce presque rien fut réputé pour être un espace de liberté, un espace d’espérance, une sorte de brèche dans un horizon qui, en permanence, venait buter sur ce mur édifié en 1961 pour séparer l’Est de l’Ouest. 6 ou 7 personnes en 1982. 70.000 personnes le 9 octobre 1989 ; 120.000 le 16 octobre, 320.000 le 23 octobre.
Etant donné le nombre croissant, la Stasi avait prévu de mater la contestation. Egon Krenz, le numéro 2 du régime, en charge des affaires intérieures, jure de « faire ravaler leur salive » aux manifestants, menaçant d’une solution à la chinoise (Tiananmen était encore tout frais dans les esprits). Le pasteur Christian Führer, répète de ne pas céder aux provocations : ni violence, ni jet de pierre, ni insulte ! nous sommes en plein sermon sur la montagne et cette fois ce ne sont plus seulement de bons mots mais une parole incarnée : les personnes sortent avec des bougies afin de prier pour la paix : la police ne s’attendait pas à cela… elle est désarçonnée, elle ne sait que faire, elle ne sait comment réagir. La suite, nous la connaissons tous : le peuple pousse, les forces de l’ordre ne s’interposent pas, tout le monde pousse et le mur s’écroule.
La prédication de Jésus peut-être comprise au premier degré comme une forme de sagesse qui encouragerait à supporter toutes les brimades parce que ce monde, cette vie, ne sont que transitoires vers un au-delà ; la vie en Eglise, ce serait apprendre à être plus endurant : à encaisser les coups, les humiliations, sans broncher. Ca, c’est ce que le théologien Dietrich Bonhoeffer aurait rangé dans la catégorie de la grâce à bon marché.
La prédication de Jésus s’inscrit, au contraire, dans ce projet de Dieu qui consiste à rendre le monde toujours plus habitable, toujours plus vivable, toujours plus agréable. La prédication de Jésus n’a donc pas pour fonction de nous rendre insensibles aux malheurs, aux souffrances ou à faire de nous de véritables masochistes : la prédication de Jésus nous aide à être plus efficaces au service de Dieu. En 1989, la prédication de Jésus relayée par ce pasteur de Leipzig et par bien d’autres, permet d’éviter l’escalade de la violence et le bain de sang. En effet, la moindre provocation de la part des militants de la paix aurait aussitôt été suivie de l’exécution des menaces prévues. Cette prédication de Jésus est un encouragement à pratiquer une éthique du changement, une éthique, un comportement, qui aide le violent à changer, qui aide l’injuste à changer en le déstabilisant, en le mettant face à des situations inédites qui vont l’obliger à réfléchir un peu, pour une fois. C’est une éthique qui s’efforce de rompre la spirale de la violence en ne répondant par au coup par coup, en sortant de la logique de la vengeance (tu me crèves un œil je t’en crève un aussi pour compenser, pour que nous soyons à égalité). Cette éthique du changement, c’est essayer de faire entrer l’adversaire dans une autre logique que cette loi de la vendetta, de la réciprocité. Comme le disait Gandhi : « œil pour œil, c’est un coup à finir tous aveugles ! ». Jésus nous sauve de cela, non pas en nous donnant une technique imparable, mais en nous encourageant à faire preuve de créativité dans nos rapports humains pour que, toujours, nous soyons dans une dynamique du don qui est une façon d’être un témoin actif de la manière d’être de Dieu.
Désacralisation du pouvoir politique
Soit, vous direz-vous…on peut toujours essayer de changer les personnes (après tout, c’est aussi ce que Martin Luther King a réussi aux Etats-Unis, à grande échelle). Mais s’opposer à un pouvoir politique, ne serait-ce pas contradictoire avec ce que Paul écrit à la communauté de Rome ? ne devrions-nous pas, en toute circonstance, acquiescer à ce que le pouvoir ordonne puisque, selon Paul, le pouvoir serait institué par Dieu lui-même…faut-il obéir aveuglément au pouvoir politique ?
C’est par cette question que le réformateur Jean Calvin achève son Institution de la religion chrétienne. Au chapitre XX du livre IV, après avoir longuement insisté sur la légitimité du pouvoir et l’obéissance qui lui est due, Calvin s’intéresse, justement, à l’éventualité d’une résistance à l’autorité. Vous imaginez un peu cela… L’Institution de la religion chrétienne dont les touts derniers paragraphes concernent la possibilité de contester l’exercice du pouvoir. Calvin est le premier à envisager une telle résistance. Cela s’explique par le fait que Calvin désacralise le pouvoir politique : si Dieu institue un bras séculier pour régler les affaires de la cité, pour maintenir la paix civile, il ne donne pas un mandat impératif à tel ou tel. Autrement dit Calvin souligne la distance qu’il peut y avoir entre la mission de l’Etat et la manière dont cette mission est assumée par ceux qui en ont la charge. Si un magistrat est défaillant, il perd toute sa légitimité et il n’est plus question de lui obéir. Pour reprendre les thèmes de Calvin, celui-ci envisage la possibilité d’une résistance au pouvoir en place lorsque ce pouvoir est défaillant à l’égard de sa vocation d’assurer la liberté individuelle et le bonheur des citoyens.
Si nous observons l’argumentation de l’apôtre Paul, nous constatons également que les gouvernants n’ont pas un mandat impératif qui les exonèreraient de rendre des comptes. En effet, les gouvernants ne sont à craindre que dans la mesure où leur action concourt au bien commun, ce bien commun étant en harmonie avec la volonté de Dieu. Cela peut faire grincer les dents des tenants d’une séparation stricte de l’Etat et de ce qui, de près ou de loin, relève du religieux. Cela confère, pourtant, un surcroît de noblesse à la tâche politique en la hissant au dessus de la simple question technique d’établir des lois pour régler les injustices : Paul fait intervenir la « conscience » (v.5). La conscience, n’est-ce pas justement ce qui nous évite d’agir aveuglément, comme des automates, comme des personnes dociles ? La conscience, n’est-ce pas justement ce qui nous rend responsables, n’est-ce pas justement ce qui nous permet de poser un regard critique sur ce que nous entendons et voyons ? En grec, la « conscience » relève du savoir commun (sunoida), Paul valorise l’instance politique qui n’est plus seulement là pour faire la police mais pour élaborer les possibilités d’un vivre ensemble harmonieux qui fasse droit au degré le plus haut du bonheur au lieu de flatter les intérêts particuliers
Dès lors, obéir voire se soumettre aux autorités supérieures, c’est adhérer à ce principe qui veut que le bien commun est moralement supérieur à mon bien particulier. Se soumettre aux autorités supérieures c’est reconnaître que mes intérêts personnels valent moins que l’intérêt du groupe, de la cité, de la société. Une telle soumission, dans la perspective de Paul, n’est pas une manière d’abdiquer devant plus fort que soi, devant plus puissant ; ce n’est surtout pas mettre sa conscience sous un mouchoir, bien au contraire : c’est avoir en permanence à l’esprit que ma conscience est nécessaire pour juger le politique, pour vérifier que le pacte commun n’est pas trahi ou, pour reprendre Jean Calvin, que les gouvernants ne trahissent pas malicieusement la liberté du peuple dont ils sont les tuteurs (IRC IV, XX, 31).
Oh ! qu’il est facile, frères et sœurs, de faire de nos textes bibliques des oreillers de paresse, des motifs de nonchalance et d’abandon de nos responsabilités. Mais, loin de nous engourdir, ces textes nous demandent plutôt de veiller activement, d’être attentifs et de faire bon usage de nos compétences pour réagir aux situations de vie. Loin d’abandonner la place publique, loin de nous faire prendre la tangente dès que les choses se compliquent, loin de nous faire baisser le regard, ces textes bibliques et tant d’autres que nous aurions pu convoquer en leur compagnie, nous incite à faire face en toute circonstance et à ne laisser à personne d’autres que nous le soin de d’affirmer de qu’en leur temps les habitants de Leipzig ont proclamé haut et fort : « nous sommes le peuple » !
Amen
Lecture de la Bible
Romains 13:1-7
Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. 2 C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes. 3 Ce n’est pas pour une bonne action, c’est pour une mauvaise, que les magistrats sont à redouter. Veux-tu ne pas craindre l’autorité? Fais-le bien, et tu auras son approbation. 4 Le magistrat est serviteur de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains; car ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait le mal. 5 Il est donc nécessaire d’être soumis, non seulement par crainte de la punition, mais encore par motif de conscience. 6 C’est aussi pour cela que vous payez les impôts. Car les magistrats sont des ministres de Dieu entièrement appliqués à cette fonction. 7 Rendez à tous ce qui leur est dû: l’impôt à qui vous devez l’impôt, le tribut à qui vous devez le tribut, la crainte à qui vous devez la crainte, l’honneur à qui vous devez l’honneur.
Matthieu 5:38-42
Vous avez appris qu’il a été dit: oeil pour oeil, et dent pour dent. 39 Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre. 40 Si quelqu’un veut plaider contre toi, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. 41 Si quelqu’un te force à faire un mille, fais-en deux avec lui. 42 Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi.”