Où est-il ton Dieu ?
Psaume 42
Culte du 22 janvier 2012
Prédication de Laurent Gagnebin
( Psaume 42)
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Culte du dimanche 22 janvier 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Laurent Gagnebin
L'auteur du Psaume 42, exilé, probablement en Babylonie, persécuté par ses ennemis, entend ces derniers lui dire à travers des moqueries et des railleries : « où est ton Dieu ? ». ce qui signifie que fait-il pour toi ?.
Ce cri n’est-il pas bien souvent pour nous le cri des victimes des guerres, des injustices, de la faim dans le monde. De ces épouvantables cataclysmes naturels, des deuils, où l’on a perdu un être cher dans la force de l’âge, ou un être aimé encore tout jeune, riche de promesses, et d’espoir.
Oui, où était Dieu, que faisait-il alors ? Et tant de soupirs dans les hôpitaux de solitude, de silence : ne nous est-il pas arrivé à nous-mêmes dans une heure douloureuse et tragique de notre vie, de nous dire : « où est Dieu ? » Existe-t-il vraiment ?
Ne nous est-il pas arrivé de reprendre à notre compte la prière de Jésus sur la croix : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Elle n’et peut-être pas la prière du désespoir puisqu’elle s’adresse à Dieu, mais celle d’une terrible et profonde détresse humaine qui nous permet de reprendre cette prière à notre compte.
Dans les camps de la mort, que de fois, cette plainte n’a-t-elle pas habité le cœur des victimes de l’horreur. ? N’a-t-elle pas été sur leurs lèvres. Que fait Dieu ? Où est-il ? Et c’est l’alexandrin d’Alfred de Vigny qui vient alors à notre esprit :
Mais le ciel reste noir et Dieu ne répond pas.
Qui peut encore dire Dieu tout simplement, comme si de rien n’était, après Buchenwald, après Auschwitz ? La romancière britannique Virginia Wolf écrit ces mots cruels : « il y a quelque chose d’indécent chez celui qui, assis près du feu, croit en Dieu. »
Où est Dieu ? Il est dans nos appels ; Il est dans nos cris de détresse ; Il est dans nos révoltes. J’ai souvent cité ce titre du livre du pasteur Roland de Pury « Job ou l’homme révolté » pour dire qu’on pourrait écrire le même livre en disant « Jésus ou l’homme révolté ».
Jésus qui lutte contre le mal, contre les souffrances, contre les injustices. Et j’aimerais pour ma part écrire un jour un livre qui s’intitulerait « Le Dieu révolté ». Le Dieu des révoltes. Ce Dieu qui lutte à nos côtés. Non pas dans des révoltes négatives, nihilistes, mais pour faire triompher la vie sans cesse contrariée par des puissances de mort. Dieu n’est pas le tout-puissant de nos désirs, de nos fantasmes. Il n’est pas à notre disposition. Théodore Monod me disait un jour à la sortie de ce temple, après avoir écouté une prédication sur la souffrance des innocents, sur le problème du mal : « mon père affirmait Dieu ne nous protège pas de la foudre, mais il est avec nous et nous protège quand nous sommes abattus et foudroyés ».
La foi devient un « quand même », un « malgré tout », un « malgré nous ». Le théologien catholique Maurice Bellet dont les livres ont souvent des accents poétiques, mystiques, affirme ceci en 1956 : « le seul Dieu que nous pouvons désormais supporter, n’est pas le Dieu des hauteurs, c’est le Dieu qui est avec nous dans les ténèbres. Si Dieu est, il est dans l’homme ce point de lumière que rien n’a puissance de détruire ».
Dieu est au ciel ?
Où est Dieu ? On répond parfois Dieu est au ciel.
Et dimanche après dimanche nous reprenons la prière universelle des chrétiens : « Notre Père qui es aux cieux ». Il y a longtemps que l’on a démythisé une telle expression. Et pourtant on pourrait faire trois remarques.
D’abord pour dire que les premier témoins de la Bible, les premiers chrétiens n’utilisaient pas une image : ils pensaient que Dieu était véritablement au ciel selon la conception généralement admise par les gens de leur époque.
Il y a là une suggestion pour nous : tant que faire se peut pour dire un Dieu crédible, nous devrions accorder nous aussi notre manière d’exprimer Dieu à la culture contemporaine et de la science.
Deuxièmement, il ne s’agit pas seulement de démythiser la Bible, d’en retrancher ce qui gêne notre raison et de la censurer, fût-ce au nom de la raison scientifique, il s’agit plutôt de la démythologiser. Ce n’est pas la même chose. Il nous faut inscrire les textes bibliques au cœur de leur signification et dans l’ordre de la foi. Hier comme aujourd’hui , lorsqu’on disait de Dieu qu’il est au ciel, on voulait dire quelque chose de vrai, à savoir que Dieu n’est pas à notre disposition, que nous n’avons pas prise sur lui, qu’il nous échappe. Qu’il est transcendant.
Troisièmement, il y a quelque chose de très stimulant dans l’invocation « Notre ¨Père qui es aux cieux » : il y a dans cette demande un paradoxe fécond, dynamique, puisque nous disons en même temps et avec Jésus que Dieu est inaccessible, qu’il est « au ciel » et en même temps le contraire, à savoir qu’il est proche, puisque nous l’appelons « notre Père ».
Dieu est dans la Nature ?
Une autre manière de répondre à la question « où est Dieu ? » est de dire qu’il est dans la nature. Un certain panthéisme est alors affirmé. Certes la beauté de Dieu rejoint la beauté des paysages, de la nature. On peut y voir comme un reflet, un miroir, une image de la gloire de Dieu. Maïs attention, la nature n’est pas idyllique ; elle est en général la loi de la jungle, la loi du plus fort. Elle met autant d’ingéniosité à susciter la vie qu’à la détruire.
Wilfred Monod insistait sur ce drame qui veut que la vie se nourrisse forcément de la mort des autres puisque pour vivre il nous faut tuer des animaux, des végétaux qui, eux aussi, sont des prodiges de vie. Finalement disait Wilfred Monod, le lion est de la gazelle digérée. Et la nature est un vaste tube digestif. Il parlait très souvent dans ses prédications de cette « entre-mangement » des êtres sur cette terre où jusqu’aux profondeurs des océans, se passent pour vivre, des combats sanglants.
Le fait que nous soyons dans cette mécanique implacable, me fait beaucoup douter du Dieu créateur.
Le créateur, le Dieu d’amour, aurait-il voulu cette horreur que la vie se nourrit de la mort des autres.
Albert Schweitzer : « Nous osons avouer que les forces agissant dans le monde sont à bien des égard différentes de celles que nous attendrions de la part d’un créateur bon et parfait […] La religion n’est pas la connaissance du divin révélé par la connaissance de la nature. L’énigme de la religion est que le Dieu que nous ressentons en nous-mêmes est différent du Dieu révélé par la nature. Cette dernière n’a pas à être divinisée et le dynamisme du Dieu créateur à l’action sans cesse contrariée en nous, dans ce monde et dans la nature, traverse tout cela pour surmonter des forces de destruction. Certes Dieu n’est pas étranger à sa création. Il y a une parenté entre Dieu et le monde mais ce n’est pas une identification d’un panthéisme radical.
Plutôt que de parler d’un panthéisme (Dieu est dans tout), il nous semble plus sage de parler d’un panenthéisme (Tout est en Dieu, fondé, enraciné en Dieu) : il est l’être des êtres dont l’Esprit, le Souffle créateur nous anime et nous porte
Dieu est dans des lieux sacrés ?
Une troisième réponse traverse toute l’histoire des religions dit que Dieu réside dans des lieux sacrés : les temples égyptiens, romains, le Temple de Jérusalem : c’est le Psaume 42 :
J'ai soif de Dieu, du Dieu vivant. Quand pourrai-je enfin entrer dans son temple, pour me présenter devant lui ?
…vers la maison de Dieu, avec la foule en fête.
Le réformateur Jean Calvin, au 16e siècle, voulait que l’on ferme les temples en dehors des cultes : on avait pris l’habitude d’aller d’une église à l’autre et dans une église d’une chapelle à l’autre pour y faire des dévotions, convaincus que les prières, les oraisons ont plus de poids en présence du Dieu qui demeure là.
Le pasteur Michel Leplay raconte l’anecdote suivante : il devait participer dans une église catholique de campagne à un mariage. Compte tenu de la configuration des lieux, il demanda au prêtre quelle attitude il devait adopter en passant devant le tabernacle (ce petit coffre fermé à clé, signalé par une petite lumière rouge, dans lequel se trouvent des hosties qui sont au bénéfice du miracle de la transsubstantiation qui veut que Dieu soit y soit présent). Il vit le prêtre se diriger vers le tabernacle, éteindre la lumière et lui dire : « monsieur le pasteur, j’ai éteint la Présence réelle ». Le pasteur lui répondit : « Au moins nous restera-t-il la Présence de la Parole !
Dieu n’est pas présent dans le pain et le vin de la cène. Dieu n’est pas présent dans la Bible que nous ne pouvons pas confondre avec la Parole de Dieu.
Car dans la Bible il y a quantité de pages abominables et monstrueuses très éloignées du Dieu de l’Évangile. Il nous faut, pour comprendre ces pages, et c’est la seule attitude possible, adopter une lecture historico-critique permettant de les resituer dans leur contexte. Nous ne pouvons pas enfermer Dieu dans des lieux, des institutions, des doctrines, dans nos mots. C’est la tentation permanente de l’histoire des religions de vouloir figer, fixer Dieu, de chercher à le mettre sous notre emprise.
Même si les églises peuvent être pour nous des lieux propices à un moment de silence, de recueillement, de méditation, de prière au cœur de nos journées.
Dieu nulle part et potentiellement partout ?
Raphaël Picon, doyen de la faculté de théologie protestante de Paris a dit : « Dieu n’est nulle part mais potentiellement partout ».
Matthieu 6.6. dit : « Quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme la porte et prie ton Père qui est là dans le secret ».
J’entends cette injonction apparemment absurde de l’apôtre Paul (I The 5.17) : « Priez sans cesse ». Il veut dire : vous pouvez prier n’importe quand et n’importe où. Il n’y a pas de lieu sacré ni de temps sacré. Il opère une désacralisation remarquable. Genèse 28 rapporte l’histoire du songe de Jacob qui voit en rêve une échelle reliant le ciel et la terre et des anges qui montent et descendent Il dit à son réveil : « certainement l’Eternel est présent en ce lieu et moi je ne le savais pas ». En disant « je ne le savais pas », le texte suggère que Dieu est inattendu. Il y a ce « potentiellement présent ». Il n’est pas nécessairement présent là où nous le pensons, là où nous le voudrions. Il n’est pas à notre disposition : il est un Dieu inattendu.
Nous pouvons entendre la parole d’un athée qui nous conduira à l’Evangile : le plus souvent les athées ne nous reprochent pas d’être croyants mais de ne l’être pas vraiment. Et par contre nous pouvons ne pas entendre Dieu dans les doctrines effarantes de certains dogmaticiens chrétiens et bien-pensants.
Dieu est en Jésus ? Dieu est en nous ?
Où est Dieu ? Le Nouveau Testament répond : en Jésus. Nous regardons à Jésus pour savoir qui est Dieu et aussi qui est l’homme. Le Nouveau Testament répond surtout : Dieu est en nous. Dieu est en vous, en toi.
Paul affirme « vous êtes le Temple de Dieu » (I Corinthiens 3.16). Nous sommes le Temple de Dieu. Parole révolutionnaire alors que ses interlocuteurs pensaient que Dieu est présent dans les temples. Cette conviction qui nous anime entraîne deux conséquences considérables.
Elle dit d’abord notre dignité : Dieu est en nous ; Nous ne sommes pas, comme le disait quelqu’un « des créatures nulles devant Dieu ». Non, nous ne sommes pas réduits au néant de notre condition mortelle, pécheresse, à notre finitude car Dieu est en nous. Aux moments douloureux, tragiques de notre vie, il est bon de se dire « Dieu est en moi », il m’aidera. Cette parole est apaisante, réconfortante, encourageante. Il m’aidera à traverser les tempêtes et les gouffres.
Elle dit aussi que si Dieu est en nous, il y a en nous une force, un élan, une mise en marche, des possibles insoupçonnés qui s’ouvrent. N’ayons pas de fausses humilités. Dieu est en nous, il agit en nous, par nous. L’auteur de I Jean (2.14) affirme « celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui ».
Tout geste d’amour, tout geste d’intention généreuse, de bienveillance, de combat pour la justice et les moins favorisés est un geste divin, parce que Dieu est là.
Maurice Zundel, est un prêtre suisse du XXe siècle, qui fut jugé hérétique par son évêque, à Lausanne. Il fut heureusement condamné à devenir itinérant, missionnaire, conférencier. Il écrit ceci : « oublions toute notre négativité, toute notre lourdeur, toute notre fatigue, toute notre usure, toutes nos limites toutes les limites des autres. Qu’importe tout cela puisque Dieu est en nous ».
Amen.
Lecture de la Bible
Psaume 42
Du répertoire du chef de chorale. Poème chanté appartenant au recueil de la confrérie de Coré.
Comme une biche soupire après l'eau du ruisseau, moi aussi, je soupire après toi, ô Dieu.
J'ai soif de Dieu, du Dieu vivant. Quand pourrai-je enfin entrer dans son temple, pour me présenter devant lui ? Jour et nuit, j'ai ma ration de larmes car on me dit sans cesse : « Ton Dieu, que fait-il donc ? »
Je veux laisser revenir les souvenirs émouvants du temps où j'avançais en tête du cortège vers la maison de Dieu, avec la foule en fête, criant à Dieu sa reconnaissance et sa joie.
A quoi bon me désoler, à quoi bon me plaindre de mon sort ? Mieux vaut espérer en Dieu et le louer à nouveau, lui, mon Sauveur et mon Dieu !
Au lieu de me désoler, je veux m'adresser à toi, ô Dieu, de l'endroit où je suis, aux sources du Jourdain, près du Mont-Petit dans les montagnes de l'Hermon. Tu fais gronder les torrents, un flot en appelle un autre, tu les fais tous déferler sur moi, je suis complètement submergé.
Que le Seigneur me montre sa bonté, le jour, et je passerai la nuit à chanter pour lui, à prier le Dieu qui me fait vivre.
Je veux dire à Dieu, à mon Rocher : « Pourquoi m'as-tu oublié, pourquoi dois-je vivre accablé, pourquoi laisses-tu mes ennemis m'écraser ? » Me voilà complètement brisé par leurs insultes, quand ils me disent sans cesse : « Ton Dieu, que fait-il donc ? »
A quoi bon me désoler, à quoi bon me plaindre de mon sort ? Mieux vaut espérer en Dieu et le louer à nouveau, lui, mon Sauveur et mon Dieu !