Me voilà devenu fou !
2 Corinthiens 12 :1-11
Culte du 22 septembre 2013
Prédication de professeur Pierre-Olivier Léchot
( 1 Corinthiens 2:1-11 )
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Culte du dimanche 22 septembre 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du professeur Pierre-Olivier Léchot, Faculté de théologie protestante de Paris
Chers frères et sœurs,
C’est un Paul comme nous ne le voyons ou ne l’imaginons que rarement qu’il nous est donné de lire ce matin, un Paul bien embarrassé à la vérité : la communauté de Corinthe, cette communauté qu’il a contribué à fonder, à laquelle il voue un attachement tout particulier et à laquelle il a déjà écrit plusieurs fois, cette communauté hésite à participer à la collecte destinée à l’Eglise de Jérusalem. C’est donc d’argent qu’il est question à l’arrière-plan de cet extrait, de problèmes bassement matériels en somme, mais des problèmes qui révèlent aussi des difficultés bien plus profondes et donc bien plus graves. Car il en va aussi de trahison et de doute.
Trahison de ceux de Corinthe qui ont reçu parmi eux d’autres apôtres, des apôtres qui n’ont pas hésité à demander à être payés des Corinthiens pour entendre les révélations extraordinaires qu’ils auraient reçues de Dieu.
Doute, par conséquent, à l’égard du message de Paul, absent, et donc muet. La communauté de Corinthe à laquelle Paul écrit est donc pleine de tentations nouvelles : elle écoute les affabulations mystiques, les rêveries de nouveaux prophètes illuminés et risque, ce faisant, de se désolidariser des frères et des sœurs de Jérusalem. Bref, le schisme est à la porte…
Or, Paul hésite : que faire ? Comment parler alors qu’il est absent ? Doit-il prendre en compte les techniques de ses adversaires, se fonder sur leur démarche en montrant que lui aussi a reçu des révélations, que lui aussi il a entendu Dieu lui parler et que Dieu lui a dévoilé ses mystères ?
Certes, il pourrait le faire. Il pourrait se venter et faire sien le discours de ses adversaires en racontant ses propres extases mystiques. Et il le fait bel et bien mais en passant, non pas pour essayer de montrer que ses révélations à lui sont encore plus extraordinaires que celles de ses concurrents, mais de manière à montrer à ceux de Corinthe qu’en soi, il n’y a là rien de bien remarquable et que c’est, au fond, une banalité : je connais un homme qui a été transporté au ciel, un homme comme il peut y en avoir d’autres, qui pourront toujours à leur tours raconter tout un tas d’histoire merveilleuses et impressionnantes. Ils pourront, comme lui, dater bien précisément le moment de leur vision, rapporter les détails de ce qu’ils ont vu, préciser jusqu’au degré céleste de leur envol et se demander si l’expérience était celle de leur corps ou pas, mais tout cela n’aura, au fond, rien de bien original.
Car, pour Paul, ce qui est important est ailleurs : dans son expérience à lui, une expérience humaine, toute humaine et sans doute trop humaine diront ses adversaires. Mais qu’importe. Cette expérience est la sienne et elle a valeur de révélation pour l’entier de la communauté de Corinthe, une révélation bien plus fondamentale que celle de ces faux prophètes qui abrutissent ses lecteurs d’histoires à dormir debout.
Oui Paul a connu, lui aussi, des expériences extatiques. Il parle en langue, il a vu Dieu et a reçu ses révélations. Mais « parce que ces révélations étaient extraordinaires, écrit-il, pour m’éviter tout orgueil, Dieu m’a mis une écharde dans la chair, un ange de Satan chargé de me frapper, pour m’éviter tout orgueil. » C’est de l’expérience de la souffrance, du doute, qui continue de se manifester à lui au moment-même où il écrit, que Paul veut parler pour convaincre ses lecteurs.
On a spéculé sur cette écharde, sur la réalité historique à laquelle elle renvoyait et il y a sans doute autant d’explications que de commentateurs : certains y ont vu les doutes que Paul ressentait dans sa foi, d’autres y ont décelé un sentiment d’impuissance face à son peuple, celui d’Israël, et à son refus de se convertir à l’Evangile ; d’autres enfin y ont vu le signe de souffrances physiques, voire des tentations de la chair… Mais tout cela, au fond, n’a pas plus d’importance que le contenu précis des révélations reçues par Paul lorsqu’il était au 7e ciel… Ce qui compte c’est que Paul, l’Apôtre des Nations, « appelé par la volonté de Dieu » comme il l’écrit souvent, Paul, le champion de la foi, doute, tremble et vacille.
Or Dieu, dans cette faiblesse, lui parle. Et cette parole n’est pas celle qu’entend Paul dans le ciel, non, c’est une parole bien terrestre celle-là, trop terrestre diraient même d’aucuns, une parole qui retentit dans son existence, au cœur de son doute et de sa souffrance. Et une parole qui, de surcroît, n’a rien pour l’encourager et lui promettre un lendemain meilleur : « Ma grâce te suffit ; ma puissance se manifeste pleinement dans la faiblesse. » Cette réponse de Dieu à Paul se trouve formulée au parfait : or, en grec, le parfait, c’est le temps qui permet de souligner une réalité qui est advenue autrefois mais qui conserve toute sa validité dans le présent : Dieu « m’a déclaré » une fois pour toutes, de manière permanente, quelle était sa réponse à ma faiblesse, à mes doutes : « Ma grâce te suffit ; ma puissance se manifeste pleinement dans la faiblesse. » C’est ainsi, je n’ai rien de plus à y ajouter.
Dieu a donc choisi la faiblesse pour se révéler dans toute sa force et sa puissance : ce faisant, vous l’aurez compris, l’apôtre nous renvoie naturellement à ce qui fait le fondement de sa pensée, de son action et de sa foi : la croix de Jésus-Christ. Cette croix sur laquelle, il l’a déjà écrit maintes fois aux Corinthiens, toutes les évidences humaines se trouvent révélées comme des folies. La croix sur laquelle toutes les prétentions de l’homme à saisir qui est Dieu viennent se fracasser.
Notre texte rejoint donc les autres lectures de ce jour. Il renvoie à l’expérience de Moïse qui veut voir Dieu en pleine majesté, mais à qui Dieu tourne le dos ! Il renvoie aussi à l’histoire de Philippe dans l’extrait de l’évangile de Jean : « Montre-nous le Père » demande Philippe. Et Christ, de lui répondre : « qui me voit, voit le Père ». Nous ne pouvons saisir Dieu ; nous ne pouvons le maîtriser et le plier à nos besoins. La seule chose que nous puissions faire faire, c’est de regarder qui est Jésus-Christ.
Or ce que Paul voit en Christ, ce n’est pas d’abord le prophète ou l’enseignant d’une morale sans faille, ni le petit enfant dont la naissance fut annoncée par les anges, ni même, il faut le dire, le ressuscité ; non, quand Paul pense au Christ, c’est d’abord à l’homme crucifié, cet homme en qui Dieu, paradoxalement, se révèle au monde. Car c’est bien le Christ qui se trouve derrière le texte de Paul que nous venons de lire.
Comme le Christ à Gethsémani demandant trois fois au Père d’éloigner cette coupe de douleur de sa bouche, Paul, à son tour, demande en effet trois fois à Dieu de le libérer de son écharde… or « écharde » en grec se dit « skolops », qui peut aussi signifier la croix…
Naturellement, Paul n’entend pas se faire « christ » contre ses adversaires, pour se parer de la gloire de son Seigneur et les renvoyer dans les cordes, car « Ce n’est pas nous que nous prêchons, mais Christ et Christ crucifié », comme il l’a écrit un peu plus tôt aux Corinthiens. Non, ce qu’il cherche à faire c’est de montrer à ses lecteurs que la vie du croyant, la sienne comme la nôtre, se trouve toute entière marquée du sceau de la croix, c’est-à-dire conditionnée par l’échec, par le doute, par la faiblesse et que Dieu s’y révèle.
Il ne s’agit pas ici de donner dans le dolorisme, là où d’autres donneraient dans l’angélisme mystique, mais de rester attentifs à une réalité toute autre : la mort de Dieu sur la croix est un renversement de toutes les réalités terrestres : nous attendions Dieu en majesté ? Nous le trouvons faible et sans force. Nous nous glorifiions de nos révélations ? Cela n’a pas d’importance ! Nous nous attendions à être libérés du doute par notre foi ? Le doute continue de nous assaillir… pire : Paul nous dit que c’est dans la faiblesse et le doute que Dieu se manifeste pleinement à nous.
Le message de Paul est donc clair : inutile par conséquent de vous acharner à vous valoriser, inutile de vous construire une image bien policée de chrétiens à la réussite facile, inutile de vous dire que vous avez reçu des révélations merveilleuses et surnaturelles pour vous justifier de ne pas payer la collecte, vous serez toujours contraints de voir vos belles constructions se fracasser contre la croix de vendredi saint.
C’est ce que Paul veut dire à ses lecteurs de Corinthe : Paul, l’apôtre des nations, l’ancien persécuteur des chrétiens converti par Dieu, doute, tremble et vacille, mais c’est justement dans ce doute, dans cette angoisse, que Dieu le rejoint et se montre tel qu’il est en Jésus-Christ : amour de l’homme jusque dans la mort, l’échec et, précisément, la faiblesse. C’est pourquoi Paul peut affirmer se réjouir dans ses faiblesses, dans les insultes et les persécutions qu’il a à subir de la part de ceux qui, autrefois, l’écoutaient. Car la puissance, la vraie, celle de Dieu, n’appartient pas aux possibilités de l’homme, la maîtrise ne nous garantira jamais rien. La seule chose dont le croyant peut s’assurer, c’est de la grâce de Dieu, cette grâce qui n’est que folie aux yeux du monde. Voilà pourquoi Paul, celui qui se déclarait en ouverture de sa lettre « apôtre du Messie Jésus par la volonté de Dieu » conclut à l’intention des Corinthiens : « me voilà devenu fou ! »
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Certes, pareil texte n’a rien de bien surprenant pour nous autres protestants « historiques ». Il est facile de comprendre que les affabulations mystiques ne signifient rien en elles-mêmes et que, probablement, elles doivent plus à une forme de dérive psychologique qu’à une véritable inspiration et ce, même si nos Eglises protestantes de France connaissent maintenant, à nouveau, elles aussi, ce type de comportement. Mais ce n’est pas ici qu’il me faut insister sur ce point…
Non, la question que ce texte nous pose se trouve ailleurs, car elle questionne en réalité notre attitude de chrétiens face au monde : sommes-nous réellement à même de comprendre ce message et de le porter devant le monde, aujourd’hui ?
Car si nous suivons la logique de Paul ce matin, nous devons alors reconnaître que ce discours renverse précisément tous les discours qui chercheraient à donner une apparence de respectabilité à notre message pour les femmes et les hommes de notre temps. Nous devons comprendre que toutes nos tentatives de rendre notre discours acceptable à nos contemporains, de le vendre selon les critères de la communication et de l’efficacité, seront toujours vaines car elles apparaîtront toujours comme une folie aux yeux de ceux qui voudront le juger à l’aune du succès, de la réussite et du bonheur. Et ce, en raison de la croix, cette folie aux yeux du monde !
Certes, la tentation est grande de vouloir chercher à convaincre nos contemporains que nous sommes une Eglise vivante, sympathique, active, jeune et belle. Et nous en aurons encore un bel exemple dans une semaine lorsque plusieurs milliers de protestants afflueront ici, à Paris, pour célébrer Protestants en fêtes. Nous pourrons alors nous rassurer, nous dire que nous sommes encore bien nombreux, malgré les statistiques, que nous sommes encore jeunes, malgré les chiffres des sociologues… et nous aurons probablement raison !
Mais ne nous y trompons pas : nous pourrons toujours jouer à l’Eglise de prospérité, reprendre les recettes de nos frères et sœurs évangéliques, changer nos orgues pour des batteries et nos sermons pour des témoignages de conversion… nous ne manquerons pas de sentir à nouveau cette épine, cette écharde, fichée dans notre chair, et de nous rappeler que notre Eglise, comme toutes les Eglises et toutes les réalités humaines, est mortelle, pauvre et faible.
Mais Paul, justement, vient nous dire que c’est précisément dans cette faiblesse que se manifeste la force de Dieu et que Dieu ne nous y abandonne pas. Car c’est alors que nous sommes faibles que nous sommes forts, c’est alors que nous sommes pleins de doutes et que l’angoisse nous saisit que nous sommes à même d’entendre la parole qui nous est adressée : n’aie pas peur ! Tu comptes pour moi ! Alors cesse de t’inquiéter, cesse de vouloir maîtriser ton destin ; accepte-le et vis-le pleinement, simplement. « Ma grâce te suffit… »
Mais alors, me direz-vous, que faire ? Faut-il ne pas participer aux festivités du week-end prochain et rester chez soi ? Vous l’aurez compris, il ne s’agit pas ici de plaider pour ou contre une manifestation, mais de se rappeler le message de l’Evangile. Et il ne s’agit surtout pas de plaider pour un désengagement, alors que d’autres, suivez mon regard, occupent la scène médiatique et nous parlent de leurs communautés jeunes, belles, saines et converties. Non, il s’agit au contraire de chercher à s’engager vraiment, de chercher à témoigner en parole et en acte pour annoncer l’essentiel : une parole toute simple de grâce, d’amour et de joie.
Car la joie ne nous est pas interdite, bien au contraire ; mais la joie dont parle l’Evangile c’est autre chose que la fête pure et simple. La joie ne naît pas de la satisfaction, mais du fait de se savoir aimé envers et contre tout ; la joie, ce n’est pas l’effacement de nos tracas, mais un regard différent porté sur ces derniers et qui nous fait les percevoir comme quelque chose en quoi peut se révéler une parole d’autant plus forte que nous sommes faibles : « ma grâce te suffit »… jusque dans le doute, jusqu’à ce moment où nous doutons de Dieu-même.
Oui, chers frères et sœurs, l’Evangile ne nous promet pas que l’épine qui torture notre pied sera un jour enlevée. Il ne nous promet pas que notre Eglise protestante, bientôt vieille de cinq siècles, ne mourra pas et que si nous y mettons du nôtre, tout ira mieux. Non, l’Evangile nous dit simplement que l’écharde dans notre chair peut aussi devenir une promesse, que c’est alors que nous doutons de notre avenir en tant que communauté que nous pouvons rencontrer Dieu vraiment : car c’est précisément là, dans notre doute et notre faiblesse, que nous sommes à même d’entendre sa parole pour nous : pas dans le succès, pas quand tout va bien, quand nous sommes en phase, mais justement quand nous sommes dans le doute et l’angoisse. Car cette épine nous rappelle notre humanité profonde, ses manques, ses doutes et ses fêlures, et le fait que Dieu les comprend car il les a vécues, jusqu’au bout, sur la croix. Certes ce discours risque bien d’apparaître comme une folie à bien de nos contemporains. Mais il n’y en a pas d’autre qui vaille.
Car c’est précisément cela que Paul nous demande de devenir : des fous, des fous de Dieu, des fous pour Dieu ! Des fous ou plutôt, si vous préférez, des excentriques. Oui, nous sommes des excentriques parce que, justement, Dieu ne cesse de nous dé-cendrer, de nous ex-centrer par rapport à nous-mêmes et à nos préoccupations pour nous tourner vers autre chose : son amour qui, lui, n’a pas de fin.
Alors, soyons fous et, surtout, réjouissons-nous !
Amen
Lecture de la Bible
1 Corinthiens 2
Pour moi, frères, lorsque je suis allé chez vous, ce n’est pas avec une supériorité de langage ou de sagesse que je suis allé vous annoncer le témoignage de Dieu. 2 Car je n’ai pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié.
3 Moi-même j’étais auprès de vous dans un état de faiblesse, de crainte, et de grand tremblement; 4 et ma parole et ma prédication ne reposaient pas sur les discours persuasifs de la sagesse, mais sur une démonstration d’Esprit et de puissance, 5 afin que votre foi soit fondée, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. 6 Cependant, c’est une sagesse que nous prêchons parmi les parfaits, sagesse qui n’est pas de ce siècle, ni des chefs de ce siècle, qui vont être réduits à l’impuissance; 7 nous prêchons la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée, que Dieu, avant les siècles, avait prédestinée pour notre gloire, 8 sagesse qu’aucun des chefs de ce siècle n’a connue, car, s’ils l’avaient connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de gloire. 9 Mais, comme il est écrit, ce sont des choses que l’oeil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, et qui ne sont point montées au coeur de l’homme, des choses que Dieu a préparées pour ceux qui l’aiment.
10 Dieu nous les a révélées par l’Esprit. Car l’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu.
11 Qui donc, parmi des hommes, connaît les choses de l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui? De même, personne ne connaît les choses de Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu.
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