Lutter pour la vie
Genèse 32:25-33:4
Culte du 17 janvier 2010
Prédication de pasteur James Woody
Vidéo de la partie centrale du culte
Culte du dimanche 17 janvier 2010 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, au commencement de cette histoire, il y a Jacob qui a volé la bénédiction qui était due à son frère aîné, Esaü. Jacob avait réussi à arracher cette bénédiction à la barbe de son frère et nous pouvons imaginer à quel point Esaü pouvait lui en vouloir, à quel point il pouvait en vouloir à sa vie. Justement, Esaü n’est pas loin ; il marche à la rencontre de Jacob, accompagné de 400 hommes. Jacob a fait le nécessaire pour préserver au mieux sa famille et ses biens en envoyant des offrandes qui apaiseront peut-être la colère du frère aîné. Tous ont passé la rivière Jaboq mais Jacob reste seul, désormais, car il lui reste un autre passage à effectuer.
C’est alors que se déroule l’un des épisodes les plus mystérieux de la Bible, un épisode qui se déroule au cœur d’une nuit qui cache ses héros. C’est une nuit pendant laquelle deux hommes vont lutter dans la poussière, comme le suggère le texte hébreu : un duel sans soleil, un corps à corps contre le sol. C’est une nuit de cauchemar. C’est la lutte d’un homme avec un inconnu, avec un ennemi non identifié. C’est la lutte d’un homme qui est Jacob que l’on ne distingue plus : les deux protagonistes ne sont plus que des pronoms « lui, il » ; le cauchemar est fait de confusions. Tout se couvre de la poussière du sol qui s’ajoute à l’obscurité. Jacob était resté seul ; Jacob avait passé le Jaboq mais il lui restait un autre passage à effectuer.
Le passage, nous en découvrons l’issue à l’autre bout du récit que nous avons lu : il s’agit de la rencontre des deux frères ennemis. Avant cette nuit, Jacob et Esaü étaient séparés par ce que nous pourrions appeler un conflit. Au terme de cette nuit, à l’issue de ce passage, Esaü et Jacob sont de nouveau frères. Au terme de cette nuit, il n’est plus possible de les distinguer, enlacés qu’ils sont dans un même pleur.
Ce texte nous révèle que pour passer du conflit à la réconciliation, il a fallu passer par cette nuit dont nous ne savons que peu de choses : Jacob s’est battu, en fait, avec Dieu, comprenons-nous au fil du récit ; Jacob a été blessé de telle façon qu’il ne puisse pas fuir mais soit dans l’obligation d’affronter Esaü ; et puis Jacob n’est plus Jacob : il est désormais Israël. Jacob est mort pour devenir Israël. En cette nuit-là, Jacob est devenu autre, et c’est cela qui a permis la réconciliation. Pourquoi ? parce que ce Jacob-là n’aurait jamais pu se réconcilier avec Esaü, jamais. Réconciliation veut dire mort et résurrection. Si Jacob était resté Jacob, s’il était resté le même, l’histoire se serait répétée à l’infini : toujours la même histoire : Dans un conflit, si personne ne change, alors rien ne change et le conflit se poursuit à l’envie, indéfiniment. Ne pas changer, rester le même, voilà ce qui tue tout espoir de réconciliation, voilà bien ce qui est mortel.
Voilà pourquoi il ne suffisait pas que Jacob franchisse la rivière Jaboq, comme d’autres traversèrent le Rubicon, pour retrouver son frère. Il fallait aussi franchir Dieu ; il fallait traverser Dieu : une traversée de haute lutte. Jacob a dû lutter avec Dieu parce que seul Dieu est assez fort pour nous changer. Seul Dieu est assez fort pour nous assouplir, pour nous rendre plus souple de telle manière que nous puissions effectivement nous réconcilier. Sans Dieu, Jacob serait resté Jacob, avec ses propres forces, ses ruses, ses entourloupes, ses combines, ses angoisses, ses peurs. Jacob serait resté Jacob avec ses préjugés, avec ses vieilles querelles, ses vieilles rancunes, arc-bouté sur ses positions, arc-bouté sur sa vision de l’autre. Il fallait l’aide décisive de Dieu pour que Jacob puisse évoluer suffisamment afin de se réconcilier avec Esaü.
Et cette réconciliation intervient en profondeur. Parfois, nous assistons à ce qui ressemble à une réconciliation. Il y a des poignées de main, des accolades, des embrassades parfois. Mais rares sont les situations où des larmes sont versées. « Esaü courut à la rencontre de son frère et l’embrassa ; il se jeta à son cou, lui donna un baiser et ils pleurèrent ». Un baiser de réconciliation sans pleurs, ce n’est pas de la réconciliation, c’est de la diplomatie.
Ce récit biblique nous rappelle, au cas où nous l’aurions oublié, à quel point la vie est une lutte. Ce récit biblique nous rappelle que nous voulons arrêter de tourner en rond dans notre vie, si nous voulons vraiment avancer, si nous voulons que ça aille mieux dans notre quotidien, il faut aussi se battre. Ce texte biblique, avec d’autres, nous met en garde contre une vision trop idyllique d’un monde où il suffirait de cueillir les fruits du bonheur. La foi, elle-même, ne nous dispense pas de mener ces hautes luttes nécessaires. Il faut lutter pour vivre parce que cesser de lutter, c’est accepter que les choses reste en l’état, à jamais. Et cela n’est pas concevable. Nul honnête croyant ne saurait se contenter de cet état du monde. Nul honnête croyant ne saurait aujourd’hui baisser les bras parce que rendre les armes reviendrait à se soumettre à l’ordre actuel des choses, ce serait se soumettre à ce qui est, considérant qu’on ne peut pas mieux faire, que le monde ne peut pas aller mieux, et que, nous-mêmes, nous ne pouvons pas faire mieux.
La vie est une lutte, nous rappelle ce passage biblique : lutte contre ce qui cloche dans notre monde, lutte contre nous-mêmes parfois ; lutte pour faire advenir cette vie que Dieu espère tellement, mais pas à n’importe quel prix, c’est ce que nous apprend ce passage biblique.
La lutte pour la vie a des accents de théorie de l’évolution : c’est une expression utilisée par Charles Darwin qui désigne le fait que les membres d’une même espèce sont en concurrence les uns avec les autres pour survivre car il n’y a pas une place infini ni des ressources infinies. La lutte pour la vie ou pour la survie, est liée à un autre aspect de la théorie de l’évolution : la sélection naturelle. La sélection naturelle consiste dans le fait que ce sont les êtres les mieux adaptés à leur milieu naturel qui s’en sorte : les autres disparaissent.
Notre texte biblique propose une alternative à ce modèle. Certes, il est question de lutte pour la vie, mais pas d’une lutte qui serait les uns contre les autres. Dans cette scène, Dieu n’entre pas dans un jeu de sélection et, d’ailleurs, Dieu ne lutte contre personne, ce n’est pas rien de le relever. Oui, Dieu lutte, oui Jacob lutte, mais ils ne luttent pas l’un contre l’autre : ils luttent l’un avec l’autre. Le texte hébreu ne laisse aucun doute à ce sujet qui utilise la particule « ‘im » qui signifie « avec » plutôt que le terme « ‘et » qui introduit le complément d’objet. Jacob n’a pas combattu Dieu, il a combattu avec Dieu. Le texte biblique présente un modèle coopératif là où certains pourraient penser qu’on ne peut assurer sa place au soleil que sur le dos des autres. Oui, Dieu propose un modèle alternatif au modèle Caïn qui règle son problème de fratrie en supprimant son frère. Dieu propose un modèle alternatif au modèle du western où « pour sûr y a un homme de trop dans cet’ ville »… cela signifie qu’on ne lutte pas contre la pauvreté en liquidant les pauvres, qu’on ne lutte pas contre le chômage avec une bonne petite guerre, qu’on ne lutte pas contre l’échec scolaire en exécutant les mauvais élèves, on ne lutte pas contre les épidémies en euthanasiant ceux qui en sont atteint. Et, si vous aviez quelques doutes en la matière, Dieu ne lutte pas contre l’athéisme en massacrant les mécréants, Lui qui ne règle pas les problèmes de ce monde à coup de tremblement de terre !
Certes, il ne faut pas avoir une vision naïve : parfois, la lutte pour la vie passe par une lutte pour la survie et la concurrence avec une autre entreprise qui vise le même marché que la nôtre, avec une autre association qui cherche à obtenir la même prestation que la nôtre, l’étudiant qui présente le même concours que nous… s’apparente terriblement à la lutte pour la survie en forme de sélection. Mais il ne faudrait pas faire de toutes ces concurrences et de bien d’autres encore, l’horizon dernier de notre modèle de société. La lutte pour la vie telle qu’elle se mène à Péniel, révèle justement, nous l’avons vu, que cesser de lutter pour changer l’état du monde, des personnes, c’est se résigner à ce que cet état de fait perdure à jamais et qu’il ne puisse être jamais dépassé pour un état plus juste.
Il est des moments de notre existence où nous voyons plus loin que cet ordre du monde très humain. Ces moments sont les moments exceptionnellement tragiques de la vie qui nous désarment tellement que notre humanité parfois trop enfouie peut enfin se faire entendre parce que Dieu que nous étouffons sous nos manières d’être tellement narcissiques peut enfin s’exprimer et nous aider à lutter pour la vie. Le drame que vit actuellement Haïti nous rappelle qu’il y a des sentiments qui surpassent, fort heureusement, les rivalités et les conflits d’intérêts. Le drame que vivent les Haïtiens nous rappelle qu’il y a, au-dessus de la loi des Hommes, des lois universelles qui transcendent les intérêts particuliers ou, pour accomplir le mot d’ordre de l’apôtre Pierre, il arrive que les Hommes obéissent à Dieu plutôt qu’aux Hommes, sous-entendu l’homme en ce qu’il est un loup pour l’Homme. Nous ne sommes plus ni de droite, ni de gauche, ni de telle entreprise ni de telle autre, ni de telle famille particulière ni de telle autre, il n’y a plus ni Juif, ni Musulman, ni Chrétien, ni Animiste mais nous sommes tous membres de ce peuple que Dieu accompagne.
Il en va de même lors des deuils qui nous font relativiser certaines querelles de famille, certaines rancœurs, certaines inimitiés tenaces, et qui nous révèlent l’urgence qu’il y a à nous réconcilier avec ceux dont nous nous sommes éloignés, qui nous révèle l’urgence qu’il y a à aimer sans mesure, sans retenue, tant que cela est possible.
Dieu nous enseigne à ne pas attendre les drames de l’existence pour vivre ainsi, pour faire œuvre de réconciliation, pour être acteur de justice, artisan de paix, pour aimer à l’infini ! L’Eternel est celui qui nous provoque sur notre route pour que nous changions notre mentalité, notre comportement et que nous offrions des bras ouverts, accueillants, à celui qui vient à notre rencontre plutôt qu’un poing fermé.
Dieu qui considère qu’il vaut mieux, d’ailleurs, réparer avec nos proches les relations qui se sont effritées voire brisées avant même de chercher à avoir une relation intime avec Lui. Le prophète Esaïe, Jésus, nous disent bien à quel point il vaut mieux laisser tomber ses offrandes à Dieu pour aller d’abord voir notre frère, notre sœur, notre ami, notre amour, celui qui a été négligé ou méprisé, pour renouer une relation plus juste.
La vie est effectivement une lutte, mais ce n’est pas une lutte contre un autre :c’est une lutte avec l’autre, une lutte faite d’une tension particulièrement féconde, à l’image du film « Le concert » où la violoniste en tension avec le chef d’orchestre transcendent la partition de Tchaïkovski en direction de l’accord ultime, c’est la tension entre les amants qui transcendent le devoir conjugal, c’est la tension entre deux collègues qui transcendent la tâche qui leur a été confiée, c’est la tension, toute palpable, dans la peinture de Delacroix sur l’un des murs de l’église Saint Sulpice, une tension du sein de laquelle l’Eternel peut faire jaillir une aurore nouvelle sur notre existence.
Amen.
Lecture de la Bible
Genèse 32:25-33:4
Voyant qu’il ne le maîtrisait pas, cet homme le frappa à l’emboîture de la hanche; et l’emboîture de la hanche de Jacob se démit pendant qu’il luttait avec lui.
26 Il dit: Laisse-moi aller, car l’aurore se lève.
Et Jacob répondit: Je ne te laisserai point aller, que tu ne m’aies béni.
27 Il lui dit: Quel est ton nom?
Et il répondit: Jacob.
28 Il dit encore: ton nom ne sera plus Jacob, mais tu seras appelé Israël; car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu as été vainqueur.
29 Jacob l’interrogea, en disant: Fais je te prie, connaître ton nom.
Il répondit: Pourquoi demandes-tu mon nom? Et il le bénit là.
30 Jacob appela ce lieu du nom de Peniel; car, dit-il, j’ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée.
31 Le soleil se levait, lorsqu’il passa Peniel. Jacob boitait de la hanche. 32 C’est pourquoi jusqu’à ce jour, les enfants d’Israël ne mangent point le tendon qui est à l’emboîture de la hanche; car Dieu frappa Jacob à l’emboîture de la hanche, au tendon.
1 Jacob leva les yeux, et regarda; et voici, Esaü arrivait, avec quatre cents hommes. Il répartit les enfants entre Léa, Rachel, et les deux servantes. 2 Il plaça en tête les servantes avec leurs enfants, puis Léa avec ses enfants, et enfin Rachel avec Joseph. 3 Lui-même passa devant eux; et il se prosterna à terre sept fois, jusqu’à ce qu’il soit près de son frère.
4 Esaü courut à sa rencontre; il l’embrassa, se jeta à son cou, et l'embrassa. Et ils pleurèrent.