Les raisins de la colère

1 Rois 21:1-20

Culte du 22 octobre 2017
Prédication de pasteur Richard Cadoux

Dimanche 22 octobre 2017
prédication du pasteur Richard Cadoux

« Que votre oui soit oui, et que votre non soit non. » Cette exhortation, tirée de la Lettre de Jacques (5, 12), nous rappelle à quel point le cœur de l’homme peut être partagé, déchiré, tiraillé entre des aspirations contradictoires. C’est encore Jacques qui écrit : « Vous convoitez et vous ne possédez pas ; remplis de passion jalouse, vous assassinez ; vous multipliez les querelles et les conflits ». L’histoire de la vigne de Naboth est sans doute l’une des meilleures illustrations de cette guerre cruelle qui fait se révéler et s’affronter deux hommes en moi. Cette nouvelle, ce conte met en scène quatre personnages, Akab, Naboth, Jézabel et le prophète Elie.

Akab, tout d’abord. C’est la figure du roi, un personnage choisi par l’Eternel. L’onction a fait de lui un fils de Dieu. Il est maintenant investi du pouvoir. Il est à la tête d’un vaste patrimoine foncier, une résidence somptueuse à Izréel et un palais hérité de son père à Samarie. Il est habité par cette passion du propriétaire terrien qui ne rêve que d’agrandir son domaine. Il demande à Naboth de lui céder sa vigne, mitoyenne de la résidence royale. Il pourra ainsi agrandir son potager. Akab n’est cependant pas un prédateur. Il est prêt à indemniser Naboth en conséquence, soit en lui attribuant une autre vigne, soit en lui versant une somme d’argent en guise d’indemnités. Dans la démarche d’Akab, il n’y a donc rien de répréhensible. Il souhaite valoriser son outil de production. La proposition faite à Naboth est honnête. Le roi est respectueux du patrimoine d’autrui. Il aurait pu confisquer la vigne, tout simplement. Ou faire pression sur le petit propriétaire. Tant de rois, tant de puissants agissent ainsi ! Akab agit pour l’instant en respectant le droit et la justice. Or à cette offre, Naboth répond par un refus péremptoire et vigoureux : Jamais ! C’est le cri du cœur. Naboth, c’est l’homme d’Israël dans toute sa splendeur, le petit paysan à son aise, comblé des bénédictions de Dieu, assis sous sa vigne et son figuier, pour reprendre l’expression du prophète Michée. Il jouit des fruits de la terre et d’un labeur acharné. Posément il argumente son refus : « Que le Seigneur m’ait en abomination si je te cède l’héritage de mes pères ! » Remarquez bien qu’à ce moment-là, Naboth invoque l’Eternel et les patriarches. Là où le roi Akab parle de vigne, Naboth, quant à lui, parle d’un héritage. Ce faisant il se réfère au livre des Nombres (27,5-11), lorsque le Seigneur dit à Moïse au sujet des filles de Tselophad : « Tu leur donneras une propriété comme patrimoine au milieu des frères de leur père et c’est à elles que tu leur feras passer le patrimoine de leur père ! » En fait Naboth est un homme qui respecte Dieu. Il est habité par la conviction que c’est l’Eternel qui distribue la terre aux enfants d’Israël et que la famille a le devoir de préserver ce patrimoine. Ce qui motive son refus, en dernière analyse, c’est la conviction que le véritable propriétaire de la terre, c’est Dieu, conformément à ce qui est écrit dans le Lévitique : « la terre ne se vendra pas à titre définitif : le pays m’appartient, et vous êtes chez moi des immigrés et des résidents temporaires (Lévitique 25, 23). » Cette terre promise, et pas acquise, l’homme la reçoit, la transmet à ses enfants, mais en fin de compte il n’en est que l’usufruitier, le fideicommis. L’attachement de Naboth à son bout de terrain n’est donc pas d’abord de nature sentimentale. Elle exprime une fidélité théologale au don de Dieu qui confie la terre à un clan, selon la prescription qui figure au livre des Nombres : « Ainsi les parts d’héritage des fils d’Israël ne passeront pas d’une tribu à l’autre. En effet, chacun des fils d’Israël restera attaché à l’héritage de la tribu de ses pères (Nombres 36, 7) ». Cette terre, il l’a reçue de Dieu et il a mission de la transmettre à ses descendants, dans la continuité d’une alliance entre L’Eternel et son peuple. Il n’est donc pas question maintenant de s’en défaire, aussi alléchante que soit la proposition d’Akab.

Devant ce refus, le cœur du roi est alors divisé et tiraillé. Il en perd l’appétit au point d’en tomber malade : il se coucha sur son lit, détourna le visage et ne voulut rien manger. C’est la déprime ! Malade parce qu’en proie à la convoitise, malade parce que tiraillé entre son désir de propriété et le respect de la loi de Dieu, ce Dieu qui l’a choisi pour être le roi. La tentation d’Akab maintenant, c’est d’oublier Dieu. Le texte le suggère de manière subtile. Ecoutez la réponse de Naboth : « Que le Seigneur me garde de te céder l’héritage de mes pères ! » Dans la tête d’Akab, cela devient : « Je ne te cèderai pas l’héritage de mes pères. » Toute référence à Dieu disparaît. Ce qui va achever de le faire basculer, c’est l’intervention de Jézabel, sa femme, qui le convainc de céder à son instinct d’accaparement. On pourrait bien sûr faire de ce texte une lecture misogyne et présenter Jézabel comme la nouvelle Eve, la mauvaise conseillère, comme si dans ce palais royal se rejouait la scène de la convoitise originelle. Mais la pointe est sans doute ailleurs. Jézabel est une princesse phénicienne. Ses ancêtres étaient des cananéens. C’est une adoratrice du Dieu Baal et elle a entraîné son époux dans l’idolâtrie. Akab est allé jusqu’à construire un autel à ce Dieu et à se prosterner devant lui. A ce moment-là, on comprend qu’en fait ce qui divise le cœur d’Akab, ce sont deux conceptions de la politique et de l’économie. D’un côté, il y a la conception du Dieu de la Bible : la terre appartient à Dieu et elle est destinée à tous les fils de l’alliance, pour qu’ils vivent dans la paix et dans la solidarité. Cette conception fonde une société du vivre ensemble, du vivre heureux ensemble. Et le roi a pour fonction de faire respecter la paix et la justice. Ce n’est pas un despote. D’un autre côté, il y a la conception cananéenne, la conception païenne. Le roi est le propriétaire absolu de la terre. Il en fait ce qu’il veut sans tenir compte de ses sujets. C’est d’ailleurs ce que Jézabel rappelle à Akab : « N’est-ce pas toi qui exerces la royauté en Israël ? » Le roi, en suivant Jézabel, veut faire entrer Israël dans un monde, où la terre peut s’acheter et se vendre impunément au nom de l’efficacité, de la productivité et de la prospérité. C’est un monde de la concurrence, de l’individualisme, de la performance, où les relations sont soumises à la seule logique de l’intérêt et à la loi du plus fort. C’est bien évident qu’une politique de remembrement entraînera des gains de productivité. Ce que Naboth défend, lui, c’est une économie, sous l’égide de Dieu, où le roi promeut des valeurs de justice et de solidarité dans une communauté régie par l’alliance et où chacun a sa place au soleil. En cédant à l’objurgation de se femme, Akab fait le choix de Baal contre le Dieu des Pères. Ce qui parachève la manœuvre, c’est le stratagème, mis en œuvre par Jézabel et agréé par Akab, pour éliminer Naboth. Ils ont recours à de faux témoins qui utilisent la loi de Dieu afin d’obtenir la condamnation de l’homme fidèle à la loi de Dieu. Naboth, l’homme qui craint Dieu, est injustement accusé d’avoir maudit Dieu et il est finalement lapidé conformément à la loi prescrite au Lévitique (24,13-16). Cela c’est la perversité absolue : utiliser la loi pour mieux la bafouer, tant il est vrai que si le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu rend fou absolument. Pour avoir abandonné la foi dans le Dieu vivant et vrai, Akab en est venu à transgresser le droit et la justice qu’il avait pour mission de faire respecter. L’oubli du droit en a fait un criminel, incapable de respecter les biens et la vie de l’autre. Tout se tient : le respect de Dieu, le respect de la loi, le respect de la vie, le respect de l’autre. Ce qui était vrai 800 ans avant notre ère, le demeure sans doute aujourd’hui tant sur le plan individuel que social et politique. Faut-il alors se résigner et penser que la justice n’est pas de ce monde et que rien ne pourra jamais endiguer l’insolente prospérité des méchants dont parle le psaume 73. Eh bien non, car Dieu suscite un prophète, Elie, qui s’en ira dire au roi ses quatre vérités : « Tu es un assassin et un voleur ! » Le roi finira par reconsidérer ses propres actes et se repentir.

De ce récit, je tirerai trois leçons : une leçon éthique, une leçon sociale, une leçon politique. Une lecture éthique tout d’abord. « Tu ne convoiteras pas ! » Les dix paroles formulent un interdit fondamental. Il nous met en garde contre l’envie et la convoitise. Il y a des limites au désir humain. Il y a forcément du manque et la convoitise, c’est la voix intérieure qui nous pousse à refuser la frustration engendrée par le manque. La convoitise, c’est la forme que prend le désir quand il devient incapable de consentir à la limite qui lui permet de se structurer. La convoitise focalise le regard d’Akab sur la vigne de Naboth, ce bout de terrain qui lui échappe. Et tout ce qu’il possède par ailleurs perd son importance à ses yeux. Dès lors, aux yeux d’Akab, Naboth devient un adversaire qui l’empêche de vivre heureux. Or accepter le manque et le limite ou, dans le vocabulaire de la Bible, renoncer à la convoitise qui veut tout prendre pour soi tout seul, c’est la condition sine qua non pour faire sa place à l’autre et, en retour, recevoir la sienne et ainsi vivre en paix et en sécurité ensemble. J’en viens alors à une lecture sociale. Avec cette histoire, nous sommes à la source d’une réflexion essentielle à la définition d’un christianisme social, à savoir la destination universelle des biens. Cette définition est essentielle parce qu’elle articule un socle de nature théologique à des exigences éthiques concrètes qui en découlent dans l’espace social. Ce principe de la destination universelle des biens est simple : Dieu a destiné la terre et tout ce qu'elle contient à l'usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice. Dieu crée le monde et le remet à l’homme, à tous les hommes, pour qu’ils y trouvent tout ce dont ils ont besoin pour vivre dignement. Chaque fois que ce n’est pas le cas, il y a atteinte à la justice. C’est une façon de dire que la propriété privée, qui est un droit légitime, ne constitue néanmoins pour personne un droit inconditionnel et absolu. Personne n’est autorisé à réserver à son usage exclusif ce qui dépasse son propre besoin, quand les autres manquent du nécessaire. On voit vite quels peuvent être les points d’application d’une telle conception. Elle a justifié, par exemple, la mise en œuvre de réformes agraires lorsque dans certains pays, lorsque quelques-uns accaparent la terre au détriment d’une masse de paysans pauvres. Elle a aussi un impact sur les débats relatifs à la question migratoire. Si les biens de la terre ne sont pas disponibles chez eux en quantité suffisantes, les hommes ont en quelque sorte le droit d’aller les chercher ailleurs, partout sur la surface de la terre. La légitimité des frontières étatiques n’est pas niée, mais fortement relativisée. Il ne s’agit pas en effet de récuser le droit des États à exercer leur souveraineté en matière de régulation des flux migratoires, mais il convient de relativiser ce droit par rapport à celui plus fondamental de tout homme d’avoir accès à des ressources vitales. Ou alors on dira que pour réduire l’incitation à la migration, il faut une répartition plus équitable des biens, ce qu’on appellera un peu pudiquement la recherche d’un nouvel ordre économique mondial. Ou dit encore d’une autre manière : Tant que subsiste cette très inégale répartition des biens destinés par Dieu à tous, les pays pourvus de ces biens ont le devoir d’accueillir les personnes qui viennent y chercher les « ressources vitales » qui manquent chez elle. C’est un discours difficile à faire entendre aux peuples nantis. On pourrait enfin appliquer cette réflexion aux problèmes de l’écologie et de la sauvegarde de la création. Quand nous affirmons que Dieu a destiné les biens de la création à tous les hommes, il faut désormais penser à inclure dans ce collectif, celles et ceux qui appartiennent aux générations à venir. On ne peut pas penser la notion d’un développement durable sans une solidarité intergénérationnelle. J’évoque ces réalités que sont les états et leurs institutions souveraines. J’en viens enfin à une lecture politique. Le prophète Elie, qui apparaît pour interpeller Akab n’est pas seulement un personnage religieux, témoin du Dieu vivant. Il n’est pas seulement celui qui rappelle à temps et à contre temps les exigences de la justice. Il est aussi celui qui, dans ces circonstances très précises, dénonce ce qu’il faut bien appeler un crime d’état. En effet, c’est ce qui se passe avec Jézabel, cette figure du pouvoir qui utilise ses prérogatives pour organiser un procès truqué, mettre en scène de faux témoins et décréter à l’avance un verdict criminel. C’est bien contre cette violation du droit par les institutions de droit que se lève Elie le thisbite, l’homme de l’autre rive, l’ancêtre de tous ces indignés, de tous ces insoumis, de tous ces francs-tireurs, qui ont entrepris crier la vérité de toute la force de leur révolte. Ils n’ont qu’une passion, celle de l’humanité qui souffre et qui a néanmoins droit au bonheur. Ces hommes-là ne sont pas des êtres partagés, ce ne sont pas des consciences malheureuses. Ils sont sont prêts à se lever et à protester. Leur non est non. Leur oui est oui. Qu’il nous en soit de même !

AMEN

Lecture de la Bible

1 Rois 21:1-20,

Après ces choses, voici ce qui arriva. Naboth, de Jizreel, avait une vigne à Jizreel, à côté du palais d’Achab, roi de Samarie.

2 Et Achab parla ainsi à Naboth: Cède-moi ta vigne, pour que j’en fasse un jardin potager, car elle est tout près de ma maison. Je te donnerai à la place une vigne meilleure; ou, si cela te convient, je te paierai la valeur en argent.

3 Mais Naboth répondit à Achab: Que l’Eternel me garde de te donner l’héritage de mes pères!

4 Achab rentra dans sa maison, triste et irrité, à cause de cette parole que lui avait dite Naboth de Jizreel: Je ne te donnerai pas l’héritage de mes pères! Et il se coucha sur son lit, détourna le visage, et ne mangea rien.

5 Jézabel, sa femme, vint auprès de lui, et lui dit: Pourquoi as-tu l’esprit triste et ne manges-tu point?

6 Il lui répondit: J’ai parlé à Naboth de Jizreel, et je lui ai dit: Cède-moi ta vigne pour de l’argent; ou, si tu veux, je te donnerai une autre vigne à la place. Mais il a dit: Je ne te donnerai pas ma vigne!

7 Alors Jézabel, sa femme, lui dit: Est-ce bien toi maintenant qui exerces la souveraineté sur Israël? Lève-toi, prends de la nourriture, et que ton coeur se réjouisse; moi, je te donnerai la vigne de Naboth de Jizreel.

8 Et elle écrivit au nom d’Achab des lettres qu’elle scella du sceau d’Achab, et qu’elle envoya aux anciens et aux magistrats qui habitaient avec Naboth dans sa ville.

9 Voici ce qu’elle écrivit dans ces lettres: Publiez un jeûne; placez Naboth à la tête du peuple,

10 et mettez en face de lui deux méchants hommes qui déposeront ainsi contre lui: Tu as maudit Dieu et le roi! Puis menez-le dehors, lapidez-le, et qu’il meure.

11 Les gens de la ville de Naboth, les anciens et les magistrats qui habitaient dans la ville, agirent comme Jézabel le leur avait fait dire, d’après ce qui était écrit dans les lettres qu’elle leur avait envoyées.

12 Ils publièrent un jeûne, et ils placèrent Naboth à la tête du peuple;

13 les deux méchants hommes vinrent se mettre en face de lui, et ces méchants hommes déposèrent ainsi devant le peuple contre Naboth: Naboth a maudit Dieu et le roi! Puis ils le menèrent hors de la ville, ils le lapidèrent, et il mourut.

14 Et ils envoyèrent dire à Jézabel: Naboth a été lapidé, et il est mort.

15 Lorsque Jézabel apprit que Naboth avait été lapidé et qu’il était mort, elle dit à Achab: Lève-toi, prends possession de la vigne de Naboth de Jizreel, qui a refusé de te la céder pour de l’argent; car Naboth n’est plus en vie, il est mort.

16 Achab, entendant que Naboth était mort, se leva pour descendre à la vigne de Naboth de Jizreel, afin d’en prendre possession.

17 Alors la parole de l’Eternel fut adressée à Elie, le Thischbite, en ces mots:

18 Lève-toi, descends au-devant d’Achab, roi d’Israël à Samarie; le voilà dans la vigne de Naboth, où il est descendu pour en prendre possession.

19 Tu lui diras: Ainsi parle l’Eternel: N’es-tu pas un assassin et un voleur? Et tu lui diras: Ainsi parle l’Eternel: Au lieu même où les chiens ont léché le sang de Naboth, les chiens lécheront aussi ton propre sang.

20 Achab dit à Elie: M’as-tu trouvé, mon ennemi? Et il répondit: Je t’ai trouvé, parce que tu t’es vendu pour faire ce qui est mal aux yeux de l’Eternel.

(traduction NEG)

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