Les deux fils ont quelque chose de bon

Matthieu 21:28-32

Culte du 8 août 2010
Prédication de pasteur Marc Pernot

Vidéo de la partie centrale du culte

Culte du dimanche 8 août 2010 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot

Après les frères Caïn et Abel, Esaü et Jacob de la semaine dernière, je vous proposer de nous intéresser ce matin à une autre énigme, elle nous est posée par Jésus dans la parabole des deux fils. Cette parabole est une énigme depuis toujours, la preuve, c’est que les meilleurs manuscrits de la Bible ne sont pas d’accord entre eux. Selon les uns, le bon fils est celui qui dit non et qui change d’avis (manuscrits Sinaïticus et Vaticanus), selon les autres le bon fils est celui qui dit oui mais qui ne fait rien (codex Bezae, Vetus latina, traduction syriaque) ! Selon notre situation, l’une ou l’autre des deux lectures nous donne de bonnes pistes pour avancer, et nous averti de dangers…

Jésus pose cette question : « Lequel des deux fils a fait la volonté du père ? » Cela aurait été facile si un fils avait dit «non» et n’avait pas été travailler, et que l’autre fils avait dit «oui» et l’avait effectivement fait. Mais ce serait trop simple, et Jésus cherche à nous faire réfléchir, il complexifie les questions pour que nous puissions nuancer, creuser différentes pistes, et apprendre à nous adapter librement aux circonstances de la vie. La question est ici de savoir ce que Dieu espère de nous, en réalité. Il me semble important de noter qu’à cette question essentielle Jésus ne nous offre pas de solution toute faite, qui serait valable absolument toujours pour tout le monde, mais Jésus nous offre une énigme qui prête à réfléchir, et à nous poser des questions sur notre relation à Dieu, où en suis-je moi-même, où en sont ceux que j’aime, et comment les aider ?

Les grands manuscrits des Évangiles sont divisés sur la réponse de la foule à cette énigme posée par Jésus : ils valorisent tantôt l’un, tantôt l’autre des deux fils. Il me semble que les deux lectures se complètent, qu’elles ont toutes les deux une part de vérité. La conclusion que donne Jésus va dans ce sens : il invite les gens qui sont devant lui « à changer d’avis et à avoir foi en Dieu », reprenant ce qu’il y a de bien dans la conduite du fils qui change d’avis et ce qu’il y a de bien dans la conduite du fils qui dit « oui » à Dieu par la foi.

Il y a ainsi du bon à tirer dans l’un et l’autre de ces deux fils, dans l’une et dans l’autre lecture. Selon notre situation, selon le moment, selon nos forces et nos faiblesses, l’une ou l’autre lecture de cette parabole peut convenir, nous dire l’essentiel et nous mettre en garde contre un danger.

Il y a là un appel à considérer ce qu’il nous reste de « je ne veux pas » dans notre attitude face à Dieu, ce que nous avons comme négativité face à la vie, comme refus d’évoluer dans notre façon de voir ou devant une belle occasion de faire du bien.

Cet appel à la conversion est un des éléments centraux de l’Évangile. Grâce à cette parabole on voit un petit peu mieux ce que Jésus entend par là. Il ne s’agit même pas d’arriver à faire le bien, mais c’est d’avoir une certaine ouverture d’esprit, une certaine écoute de Dieu qui permet de se remettre en cause et de faire un premier pas dans une perspective positive.

Regardons l’appel que Dieu nous adresse, selon Jésus :
« Enfant, va aujourd’hui travailler dans la vigne. »

  • « Enfant » : Il y a dans ce mot la tendresse de Dieu pour nous, il y a notre dignité aussi : nous sommes chez nous dans ce monde, nous sommes princes de sang, responsables. Et en même temps nous sommes un enfant, nous avons encore à apprendre, à grandir, à progresser.
  • « va »  : ce second mot montre que Dieu ne s’adresse pas à nous globalement en leur disant « allez ». Le Père s’adresse individuellement à chacun, et sa volonté, fondamentalement, c’est de nous voir capable d’évoluer.
  • « va aujourd’hui » : ce aujourd’hui montre l’urgence de l’appel de Dieu, il ne dit pas un jour où tu auras deux minutes, ce ne serait pas inutile que tu te bouges un petit peu. Non, c’est maintenant qu’il faut y aller, maintenant ou jamais.
  • « Enfant, va aujourd’hui travailler dans la vigne. » Ce n’est même pas « la vigne de Dieu », c’est « la vigne » tout court, notre vigne à nous, les humains et à lui, notre Dieu. La vigne, dans la Bible c’est à la fois l'humanité et c'est chacun de nous individuellement (Ésaïe 5, Job 15:33…). Dieu nous invite donc à participer à la construction de l'humain. C’est une question de joie ou de souffrance, de vie ou de mort pour nous et notre entourage. Ce n'est pas un examen : Dieu veut, naturellement, la joie, la paix, la vie pour chacun. Mais une vigne mal entretenue s'étouffe sans donner grand chose. Et puis il y a du bon raisin à récolter plutôt que de le laisser pourrir…

Qu'est-ce qui peut alors nous décider de finalement faire ce que Dieu voulait ? Peut-être est-ce le sentiment que dans cette vigne, nous ne travaillons pas pour un pénible patron mais pour nous-mêmes, parce que c'est notre vie et que nous sommes chez nous dans ce monde où nous sommes. Ou, peut-être que c'est tout simplement pour le plaisir de faire quelque chose d'utile et de beau de ce temps que nous avons et de toutes ces qualités qui sont les nôtres. Il y a une vraie joie à voir pousser ce que l'on a semé... Et cette joie est encore plus grande quand ce qui germe est de l'humain, de la fidélité et de la bienveillance, quand germe un peu d’espérance véritable pour notre frère qui était désespéré.

Après cette parabole, Jésus poursuit en évoquant les prostituées et les voleurs qui ont écouté l’appel à la conversion lancé par Jean-Baptiste et se sont mis en route avec le Christ. Ils sont encore prostitués et voleurs, mais au moins ils sont en chemin, et malgré tout, ils font ainsi la volonté de Dieu pour eux, à ce moment là. Au contraire, les intégristes qui critiquent Jésus comme trop libéral, ces gens là prient et pratiquent les bonnes œuvres tant et plus... Ils sont comme l’autre fils de la parabole de Jésus qui répond présent à l’appel de Dieu mais qui ne se met pas en route, qui ne voit même pas ce qu’il y a à réformer dans sa théologie, dans sa lecture de la Bible, dans ses certitudes politiques, dans sa façon de se comporter avec les autres… Ces gens là disent « Moi Seigneur, je suis devant toi, je suis à toi »… mais il n’avancent pas d’un pouce, et la vigne se meurt, en eux et autour d’eux.

Il y a donc un temps pour nous convertir, un temps pour changer de mentalité et se mettre en route, grâce à Dieu. C’est une première façon de lire cette parabole. Il y en a une seconde :

Cherchons ce qu’il y a de bon dans le fils qui répond «  oui » mais ne va pas travailler.

Pourquoi n’y va-t-il pas ? Ce n'est pas par choix si l’on suppose, dans cette seconde lecture, qu’il veut vraiment y aller. Mais faire le bien, c'est plus facile à vouloir qu'à faire. C'est très difficile d’arrêter de fumer, ou de ne pas trop manger quand on est gourmand, c'est difficile pour tous de maîtriser notre colère. C’est difficile de voir les choses plus positivement quand on broie du noir... Cette expérience est universelle, et la Bible prend en compte cette réalité (p. ex. Romains 7:18-25).

Nous sommes parfois capables d’avancer, nous sommes parfois capables de comprendre et d’aimer ce que Dieu nous propose et d’évoluer ensuite dans le bon sens. C’est bien. Mais souvent, bien souvent, nous sommes incapables d’avancer d’un pouce malgré toute notre bonne volonté. Le pardon et l’aide de Dieu est la réponse à cette difficulté bien réelle, et l’appel à reconnaître en tout pécheur un frère en humanité.

Cette seconde façon de lire la parabole est cohérente avec l’attitude si fréquente de Jésus envers les pécheurs et envers ceux qui ne voient pas clair, ou ceux qui n’arrivent pas à avancer, ceux qui sont agités par une légion de démons… nous sommes tous plus ou moins chacun de ces hommes et de ces femmes de l’Évangile. Christ nous appelle ici « mon enfant ». On n’en veut pas à un enfant de ne pas arriver à se maîtriser totalement, c'est long et difficile de devenir un petit peu adulte. Dieu nous appelle « mon enfant » et il nous demande : as-tu envie d’arriver à avancer ? Parfois il est bon d’entendre que l’essentiel est d’avoir envie d’avancer, que dans un premier temps cela suffit, que Dieu comprend que nous ne pouvons pas en faire plus, qu’il fera le reste, peu à peu.

Ce qui est grave, dans cette seconde lecture de la parabole, c'est ce fils qui répond au Père : « Non, je ne veux pas ! ». Son attitude est celle de quelqu'un qui connaît la volonté de Dieu, qui l’a comprise et qui dit quand même : « ta volonté, Seigneur, je ne la veux pas ». Si c’est le refus de faire ceci ou cela ce n’est pas dramatique de dire non à Dieu, mais si c’est le refus de la vie en elle-même, la situation est plus critique, évidemment. L'Évangile annonce le pardon de Dieu à chaque page, mais il y a quand même un passage dans ce même Évangile selon Matthieu quand Jésus dit « tout péché et tout blasphème sera pardonné aux hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera jamais pardonné. » (Matthieu 12:31-32). Ce passage rejoint notre parabole, il nous dit que Dieu peut tout pardonner : ce que nous faisons de travers et le bien que nous n'avons pas fait, Dieu pardonne notre théologie véreuse et nos prières blasphématoires… Mais qu'une seule chose est vraiment problématique, c'est quand nous refusons cet élan de vie que nous Dieu nous propose par son Esprit.

L'essentiel, c'est la bonne volonté devant Dieu, c’est d'avoir l'envie de devenir un petit peu source de bénédiction en ce monde, d’une certaine façon. L'essentiel, c'est cette espérance en Dieu. Pour le reste, chacun de nous fait ce qu'il peut, à son rythme.

Bien sûr, c'est choquant que notre vie ne soit pas à la hauteur de l'Évangile qui nous enthousiasme. Oui, notre idéal est comme un sommet inatteignable, c'est l'amour parfait de Dieu, c’est donc normal que nous n’y arrivions pas. Cet écart n’est donc pas culpabilisant : il ouvre une perspective, un chemin.

Cette lecture de la parabole nous propose de détourner un instant notre regard de ce que nous n’arrivons pas à faire ni à être, pour voir dans quel état d'esprit nous sommes vis-à-vis de Dieu. Le second fils nous invite de lui dire « Me voici, tel que je suis, Seigneur », en confiance. Dieu nous aide à cheminer, il nous montrera ensuite ce que nous pourrions faire dans la vigne.

Vous allez me dire que le fils qui avait dit non change d’opinion et va finalement travailler, lui. Mais là encore, l’acte en lui-même n’est pas tout, et cette seconde lecture insiste sur l’état d’esprit, sur la qualité de la relation avec Dieu. Il y a une façon d’être très religieux et très généreux tout en étant très égoïste. C’est l’effet produit par les prédications qui motivent les gens par la crainte d’un Dieu terrible, les gens veulent alors « faire leur paradis » à coup de prières, de pèlerinages, d’offrandes, et de générosités… mais la personne que l’on aime alors, ce n’est pas Dieu, ce n’est pas le bien, ce n’est pas par amour. Ce que l’homme cherche alors c’est satisfaire sa propre ambition, sa soif d’abondance et d’éternité, et l’homme fait alors de Dieu un simple moyen au service de cette ambition. Jésus propose exactement l’inverse.

La conclusion donnée par Jésus est très encourageante. Tout nous est donné par Dieu gratuitement. Même les gens haineux qu’il a en face de lui entreront finalement dans le Royaume de Dieu, nous dit ici Jésus, ils seront seulement « devancés par les prostitués et les voleurs ». On ne peut pas dire que la menace soit terrible. Mais il y a tant de joie à avancer dans cette façon d’être, que chaque retard d’une seconde est une perte infinie.

Amen.

(autre prédication sur deux frères : Caïn & Abel, Ésaü & Jacob)
(autre prédication sur deux sœurs : Marthe & Marie

Lecture de la Bible

Évangile selon Matthieu 21:28-32

Jésus dit : Qu’en pensez-vous ?

Un homme avait deux fils; et, s’adressant au premier, il dit: Mon enfant, va travailler aujourd’hui dans ma vigne.
29 Il répondit: Je ne veux pas.
Ensuite, il changea d’avis, et il alla.

30 S’adressant à l’autre, il dit la même chose.
Et ce fils répondit: Je veux bien, seigneur.
Et il n’alla pas.

31 Lequel des deux a fait la volonté du père?

Ils répondirent: Le premier.

Et Jésus leur dit: Je vous le dis en vérité, les publicains et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu. 32 Car Jean est venu à vous dans la voie de la justice, et vous n’avez pas cru en lui. Mais les publicains et les prostituées ont cru en lui; et vous, qui avez vu cela, vous ne vous êtes pas ensuite repentis pour croire en lui.

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