Les brebis, entre vicissitudes et surabondance
Jean 10:7-16
Culte du 7 octobre 2012
Prédication de pasteur James Woody
(Jean 10:7-16)
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Culte du dimanche 7 octobre 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, nous venons de dire à ces deux jeunes filles qu’elles font partie du troupeau. Le baptême atteste cette place en compagnie des autres brebis, une place unique, chacun étant connue personnellement. Nous avons l’habitude de dire que le baptême n’est pas le point final de leur histoire, mais une étape sur le chemin de leur vie. Alors, quel avenir pour ces deux brebis ? L’avenir que suggère Jésus tient en trois points : une menace, un risque et une promesse.
La menace, c’est le vol. C’est d’être dépossédé d’une partie de soi, voire de sa vie entière. Le baptême ne protège pas des agressions possibles. Même baptisés dans les règles de l’art, nous restons exposés à toutes sortes de menaces. Voler, égorger, détruire… cette liste de menaces ne devrait pas nous orienter exclusivement sur le risque d’être pris en otage, d’être égorgé au coin de la rue ou de périr dans un attentat. Ceux qui sont venus avant Jésus et qui sont accusés par lui d’avoir commis ces crimes n’ont pas nécessairement joué du couteau ou de l’explosif. Ces risques existent, nous ne le voyons que trop bien dans les actualités, mais ils désignent aussi d’autres forme de crimes, plus sournois, plus discrets et non moins terribles. Jésus fait référence à Ezéchiel 34 qui dénonce les faux bergers, ceux qui n’ont pas pris soin du troupeau. La menace est de s’en prendre à des aspects non matériels de notre vie, ce qui n’est pas moins grave. Et ces voleurs ne sont pas nécessairement des personnes. Ils peuvent être des institutions, mais aussi des occupations.
Des parents peuvent voler la jeunesse de leurs enfants de bien des manières : en les privant de certains soins (qu’il s’agisse de nourriture, d’hygiène, d’éducation, d’explication du monde qui nous entoure, d’amour, de l’usage de la langue) ; en projetant sur eux les projets personnels qu’ils n’ont pas réussi à mener à bien eux-mêmes.
La société peut être un redoutable voleur. Hannah Arendt s’est s’exprimée à ce sujet dans son étude sur la crise de la culture : « La difficulté nouvelle avec la société de masse vient de ce que cette société est essentiellement une société de consommateurs, où le temps du loisir ne sert plus à se perfectionner ou à acquérir une meilleure position sociale, mais à consommer de plus en plus, à se divertir de plus en plus (p. 270). » Pendant que nous consommons, nous cessons de grandir.
Le risque du sectarisme
Pour faire face à ces menaces, le risque est de faire preuve de sectarisme. En effet, pour se protéger, nous pourrions avoir l’idée de nous mettre en sécurité au sein d’une bergerie afin de nous isoler des risques. Mais le véritable risque, ce serait, justement, de s’enfermer en se mettant soi-même sous les verrous.
Ainsi, dans l’histoire, des chrétiens considérant que le monde était le lieu du péché, ont décidé se couper du monde en se retranchant dans une communauté fermée, comme l’avaient fait les Esséniens auparavant. Mais le sectarisme ne concerne pas que le religieux. Se retrancher derrière une idéologie est une forme de sectarisme qui considère qu’il n’y a pas de vérité en dehors de soi, en dehors de sa grille de lecture. S’enfermer dans une obsession, qu’il s’agisse des papillons, des mathématiques ou des cartes Pokémon, c’est se couper d’une partie de la réalité.
Le modèle de bergerie proposé par Jésus n’est pas un lieu dans lequel on vient s’enfermer. Cette bergerie a une porte et cette porte sert à sortir. Mieux que cela, la porte indique la sortie ; elle invite à sortir. Le modèle de bergerie proposé par Jésus est un lieu de passage, pas de destination. Le mouvement préconisé par Jésus est d’entrer puis de sortir, car c’est dehors qu’on trouvent les pâturages, pas à l’intérieur. La nourriture est dehors affirme Jésus. S’enfermer dans la bergerie serait donc dramatique car ce serait une manière de nous détruire de l’intérieur, cette fois.
La secte retient ses adeptes. Parfois elle ouvre grand la porte, mais elle ligote tellement les personnes que la porte ouverte n’est qu’un leurre pour sauver les apparences. Quand on fait croire que le salut est à l’intérieur et à l’intérieur seulement, quand on fait croire que la nourriture est à l’intérieur et à l’intérieur seulement, quand on fait croire que dehors il n’y a que loups, brigands et voleurs sans l’ombre d’un pâturage disponible, on ment et on détruit l’existence des personnes qui sont captives de ces méthodes. Le sectarisme, ce n’est pas seulement s’enfermer dans un lieu. On peut être libre de ses mouvements mais pas libre de ses pensées ou de ses choix. Nous avons connu des familles protestantes, pour revenir à notre petit monde, qui refusait à l’un des siens d’épouser un non-protestant parce que c’était pactiser avec le diable. Nous connaissons encore des disciplines de parti qui imposent à des hommes politiques de suivre la ligne du parti en votant des lois qu’ils estiment pourtant mauvaises.
Le sectarisme, revient à s’enfermer dans une posture qui nous prive de nos libertés fondamentales : le mouvement, la pensée, l’action et, plus que tout, la liberté d’être soi, d’être vraiment soi.
La promesse d’une vie en abondance
L’enseignement de Jésus ne contient pas que des mises en garde. Il y a aussi une promesse : faire en sorte que non seulement nous ayons la vie, mais que nous l’ayons en abondance. Non pas seulement vivoter, mais avoir une vie débordante. Cela commence par fréquenter le seuil sur lequel se tient le Christ. Entrer, sortir, c’est déjà ne pas être captif d’un lieu, d’une idée, d’une situation. C’est ne pas se ficher dans une posture : fréquenter le seuil, c’est ne pas s’en tenir à un lieu de notre vie. C’est aussi décider de filtrer ce qui nous constitue à travers le tamis divin. Cela permet de laisser derrière nous ce qui réduit la réalité et de porter notre vie particulière à la hauteur de l’universel.
C’est de cette manière que peut se réaliser la promesse d’une vie en abondance, et même en surabondance puisque le terme grec perissos vient de ce joli verbe perissein « être plus, déborder, surabonder ». Cela signifie que nous avons la possibilité de vivre non pas sur un mode achevé dans l’idéal de l’homme accompli, définitif, où tout est joué à un moment de notre vie, mais sur un mode inachevé, dans la perspective hébraïque de l’homme inaccompli qui se place face à l’infini et qui y trouve un motif pour rêver à nouveau frais, pour penser à nouveau frais, pour avancer dans la vie à nouveaux frais. La surabondance, c’est celle dont parlera l’apôtre Paul à la communauté de Corinthe en lui écrivant que la puissance divine s’exprime par la surabondance de toutes sortes de grâces pour satisfaire nos besoins et pour produire de bonnes choses de surcroit, à l’image du semeur qui en semant sans compter récolte abondamment (2 Co 9/6-9).
La surabondance, c’est le fait de donner une autre dimension notre vie, de la faire accéder à un autre niveau d’existence. Jean Calvin a relié la surabondance à la question du métier dont il a parlé en termes de vocation, ce qui a fait dire à Martin Luther King : « Celui qui est appelé à être balayeur de rues doit balayer comme Michel-Ange peignait ou comme Beethoven composait, ou comme Shakespeare écrivait. Il doit balayer les rues si parfaitement que les hôtes des cieux et de la terre s’arrêteront pour dire : ″Ici vécut un grand balayeur de rues qui fit bien son travail″ (La force d’aimer, p.120).» Il ne s’agit pas de forcer les personnes à faire mieux au non d’une logique de croissance qui serait une forme de sectarisme idéologique. Il s’agit d’affirmer que nous avons chacun des talents à faire valoir, et que lorsque nous nous tenons devant l’Eternel, que nous tenons compte de ce qu’il peut y avoir de plus absolu dans la vie, nous découvrons que nous avons les capacités d’avoir une vie remarquable, ce qui est aussi une manière de traduire perissos.
La surabondance tient aussi à la mise en relation avec d’autres que nos semblables, avec d’autres brebis, inattendues, inespérées : la dynamique divine nous met en relation avec l’inespéré et, ce faisant, offre un au-delà à notre espérance. Ces autres brebis, porteuses d’une autre histoire, d’un autre vécu, d’une autre culture, augmentent notre réalité, nous font découvrir des pans de la vie que nous ne soupçonnions pas forcément.
Revenons à l’attitude des parents. Par l’ambition, par l’exigence que les parents ont pour leur enfant, ils deviennent des figures de l’ultime, des figures divines qui suscitent du désir, qui donnent le goût de l’au-delà en terme de qualité de vie, de qualité de réalisation, de qualité de rapport au monde, non pas en les contraignant à coup de « il faut que », mais en leur révélant leurs capacités sur le mode : « tu peux ». C’est l’usage que Jean Calvin faisait de la loi : ce que Dieu nous rend capable de faire. Boire, manger, danser, entreprendre, supporter le PSG, chanter, aimer, râler et bien d’autres choses que nous faisons, non pas pour subsister, pour jouer à l’être humain, mais pour nous frotter au monde tel qu’il peut être, pour vivre de manière surabondante, au plus haut niveau de réalité qui soit : c’est la grâce que Dieu nous fait.
Amen
Lecture de la Bible
Jean 10:7-16
Jésus leur dit encore: En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands; mais les brebis ne les ont point écoutés.
9 Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé; il entrera et il sortira, et il trouvera des pâturages.
10 Le voleur ne vient que pour dérober, égorger et détruire; moi, je suis venu afin que les brebis aient la vie, et qu’elles l’aient en abondance.
11 Je suis le bon berger. Le bon berger donne sa vie pour ses brebis.
12 Mais le mercenaire, qui n’est pas le berger, et à qui n’appartiennent pas les brebis, voit venir le loup, abandonne les brebis, et prend la fuite; et le loup les ravit et les disperse.
13 Le mercenaire s’enfuit, parce qu’il est mercenaire, et qu’il ne se met point en peine des brebis. Je suis le bon berger.
14 Je connais mes brebis, et elles me connaissent,
15 comme le Père me connaît et comme je connais le Père; et je donne ma vie pour mes brebis.
16 J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie; celles-là, il faut que je les amène; elles entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un seul berger.