Le « doudou spirituel »

Psaume 91

Culte du 20 octobre 2013
Prédication de pasteur James Woody

( Psaume 91 )

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Culte du dimanche 20 octobre 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, la foi de l’enfant est une foi pleine, totale, absolue. L’enfant, à peine né, vit encore dans cette atmosphère sécurisée qui était celle du ventre maternel. Certes, il a dû affronter la violence de l’atmosphère, les bruits qui ne sont plus assourdis par le liquide amniotique, mais la distance reste réduite entre sa mère et lui, puis entre ses parents qui seront aux petits soins pour qu’il ne manque de rien.

La foi de l’enfant est semblable à ce qu’affirme l’auteur du psaume 91 : rien ne peut heurter, rien ne peut blesser, rien de fâcheux ne peut atteindre celui qui est non seulement couvert par les ailes parentales, mais qui est également protégé par ces anges gardiens que sont les adultes qui l’aiment et le chérissent. Il n’a qu’à appeler, se manifester, pour que le secours soit tangible. Avant même que son pied ne trébuche sur quelque obstacle, ce dernier a été retiré de sa trajectoire. Les coins de la table basse ont été couverts, les prises électriques camouflées. Il est même rapidement muni de quelques vaccins qui lui éviteront, sinon la peste, du moins la plupart des maladies contagieuses susceptibles de le frapper.

L’enfant connaît un pur sentiment océanique : cette harmonie avec le monde qui l’environne ; sa vie est douce, sans heurts, lorsqu’il est accueilli dans un foyer attentif dans lequel il suffit d’invoquer timidement pour qu’il y ait une réponse positive des parents. Ce sentiment océanique est une forme primitive du sentiment religieux, ce sentiment qui nous permet d’aller à la conquête du monde car le monde en question ne fait encore qu’un avec nous. L’enfant, dans les premiers temps, n’a aucune conscience de ses limites : il est tout et tout est lui. Ses parents, sa nourriture, son lit, ne font qu’un, à peu de chose près ; il n’a rien car tout est lui, tout est le prolongement naturel de son être. Et pour éviter que s’installe un sentiment d’abandon pendant le sommeil, l’enfant est muni d’un objet transitionnel, le « doudou », qui lui offrira la quiétude nécessaire pour n’être pas submergé par l’inquiétude.

Et puis viennent les premiers heurts, les premières peines, les premières souffrances, parfois sous la forme d’un frère ou d’une sœur. Souvent sous la forme d’une chute, d’une séparation, d’un début de prise de conscience qu’il n’est pas tout, que certaines choses lui résistent, parmi lesquels ses parents, et puis ce frère ou cette sœur, cette ombre, aussi, qu’il ne peut saisir ou ce reflet qu’il contrôle sans en être véritablement maître. Et le sentiment océanique se fragilise, il laisse place à une inquiétude, à la conscience de ses limites, de la distance qui nous sépare de plus en plus de notre environnement. L’enfant grandit en prenant conscience qu’il est un individu au milieu d’autres individus ; qu’il est un être plongé dans un univers d’éléments qui lui sont étrangers. Non seulement il n’est pas tout, mais tout n’est pas à lui.

La foi adulte

L’enfant cesse peu à peu d’être enfant en acceptant cette nouvelle réalité, en quittant son pays imaginaire et en devenant citoyen du réel. Ce réel est constitué de toutes les limites que nous découvrons peu à peu (la faim, le sommeil, la chaleur, la peur, les notes inférieures à 20/20, le vocabulaire et le passé simple…) et de tous les désagréments que nous subissons (reproches, cris, moqueries, insultes, vol, blessures, et toutes les vilénies et horreurs dont chacun a fait connaissance). Ce réel s’impose à nous, sans que nous ayons besoin de le solliciter, et il nous touche, nous atteint. Nous découvrons que les flèches atteignent leurs cibles, que les lions mordent, que la peste fait ses ravages, que notre pied heurte sans cesse des obstacles et, peut-être le pire de tout : que nous sommes atteints par des malheurs qui n’atteignent ni les mille, ni les dix-mille qui sont à notre droite. C’est le psaume à l’envers.

Depuis Jésus, nous savons qu’il ne faut pas prendre ce psaume à la lettre. En effet, les quotes 11 et 12 sont utilisés par le diable qui, ayant placé Jésus sur le haut du temple lui dit « si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas car il est écrit : ‘Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet ; Et ils te porteront sur les mains, de peur que ton pied ne heurte contre une pierre » (Mt 4/6). Et Jésus de répondre : « d’autre part il est écrit : tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu », qui est une citation du Deutéronome (6/16). Nous savons, par conséquent, que ce psaume n’est pas un gage que nous serions immunisés contre les épreuves du quotidien. Jésus ne prend pas le texte biblique dans sa littéralité : le moins que l’on puisse faire est d’en faire autant. Ceci dit, l’auteur du psaume, en parlant des dragons, avait pris soin de placer dans son texte un indicateur que ce qui est écrit n’est pas à prendre à la lettre.

Il est intéressant de constater que ce psaume met en scène plusieurs personnages : le croyant, une personne qui lui parle, probablement un prêtre puisque la scène se situe dans le temple, et Dieu. Passer à côté de cette mise en scène pourrait nous faire perdre de vue qu’un dialogue s’engage entre les trois personnages et que ce psaume s’en fait le témoin. Si un dialogue s’engage, c’est pour que le héros de l’histoire ait accès à des informations qui, jusque là, lui faisaient défaut. Un dialogue s’engage pour qu’un changement s’opère dans l’esprit du héro. Sauf à avoir une conversation de façade, nous dialoguons pour que notre interlocuteur accède à une part du réel qui, jusque là, lui échappait. Ce psaume nous entraîne dans un dialogue où nous pouvons être le héros qui va bénéficier d’un nouveau regard sur la vie, ce que le théologien Bultmann disait d’une manière on ne peut plus claire : « l’existence croyante s’accomplit dans une nouvelle compréhension de l’existence » (Foi et Compréhension I, p. 331).

La régression autorisée

Ce que fait le prêtre, pour commencer, c’est d’encourager une satisfaction régressive du croyant sous la forme d’un retour à l’enfance dont nous avons parlée : en suggérant au croyant de dire à l’Eternel : « Mon refuge et ma forteresse, mon Dieu en qui je me confie », le prêtre donne à nouveau accès à la sécurité maternelle, au sentiment océanique qui procure ce sentiment de bien être total. Le terme même qui est employé pour désigner Dieu est significatif puisque « Shadday » (qui est souvent traduit par Tout-Puissant) est une forme de « Shad » qui veut dire « sein » que l’on pourrait traduire par « mes deux seins ». C’est bien la figure maternelle qui est convoquée pour retisser un cadre sécurisant auprès du croyant, figure que l’on retrouve aussi dans l’image des ailes, des plumes qui couvrent à la manière de la mère poule. Faire droit à ce sentiment régressif vers l’enfance et son monde imaginaire peuplé notamment de dragons, rejoindre la personne qui souffre dans son besoin de protection, c’est accompagner sa chute libre à la manière d’un élastique qui va progressivement freiner la chute, puis la stopper, et modifier le sens de ce qui est vécu.

Soyons donc bien clair : la foi chrétienne n’évite pas les problèmes, les difficultés, les malheurs, ni l’horreur. Je redis cette phrase du pasteur Charles Wagner : « Dieu ne protège pas l’homme de la foudre, mais il protège le foudroyé ». Ce propos entre en résonnance avec le quote 15 « je serai moi-même avec lui dans la détresse ». L’Eternel nous protège en nous ramenant dans un contexte rassurant, autorisant au passage les prières les plus infantiles qui soient, car Dieu n’a que faire du respect scrupuleux d’une doctrine orthodoxe. Nous pouvons même prier Dieu de ne pas nous faire entrer dans l’épreuve (Mt 6/13) : les psaumes sont remplis de demandes incongrues voire scandaleuses qui ont leur rôle pour freiner la chute libre, pour éteindre les flammes qui nous dévorent, pour ralentir le flot de larmes qui nous inondent. La prière libérée est nécessaire pour que le dialogue avec le prêtre, devant l’Eternel, fasse son travail qui consiste à entendre une autre voix que celle qui nous accable, qui nous tourmente, nous accuse – entendre une autre parole que la doxa qui pose que l’homme est nécessairement un loup pour l’homme, autrement dit pour que nous ouvrions notre regard sur une nouvelle compréhension de nous, de notre existence.

La résurrection du moi

La foi n’agit pas comme un baume protecteur, mais comme la confiance que l’on porte à la parole qui nous est adressée, parce que nous faisons confiance à la personne qui nous parle. Ici, il ne s’agit pas de masquer la dureté de la vie par des paroles douces et apaisantes dignes de celles que les parents disent à leur enfant en forme de « ça va aller, ne t’inquiète pas » et qui n’est peut-être qu’un mensonge commandé par les meilleures intentions. Il s’agit d’une parole qui va aider le croyant à découvrir une autre réalité que celle à laquelle il adhérait jusque là : une nouvelle compréhension de soi.

Tu es l’objet d’attaques injustes, de tentatives de déstabilisation, d’intimidation ou de harcèlement ? Tu es blessé, maltraité, bafoué ? En vérité, nous révèle ce psaume, ce n’est pas toi qui est atteint, mais une image de toi. Une image de toi qui n’est pas toi. Ce n’est pas ton être profond qui est atteint. Et si les attaques te touchent, te blessent, tu découvriras qu’elles ne s’accrochent qu’à une part de toi qui est appelée à mourir, à disparaître : l’orgueil. Nos blessures narcissiques sont des trous béants dans lesquelles la moindre agression trouve une zone merveilleuse pour se fixer et se propager. Mais de cela l’Eternel nous délivre par l’entremise de ses prophètes qui rappellent qu’il faut se débarrasser de l’orgueil, qu’il faut faire mourir le vieil homme, qu’il faut se vider du trop plein narcissique qui nous bloquent sur une fausse image de nous-mêmes. Bien des situations a priori dramatiques s’avèrent franchissables et ce psaume se révèle être un objet spirituel transitionnel efficace, un « doudou spirituel » qui nous permet de traverser une zone d’épreuve, de turbulence, d’effondrement, en découvrant que ce n’est pas notre être véritable qui était attaqué. Une maladie reste une maladie. Un assassinat reste un assassinat. Un lynchage reste un lynchage. Un viol reste un viol. Une faute reste une faute. Et les membres ne repoussent pas. Les morts ne se relèvent pas. Parfois les cicatrices s’estompent. Mais l’Eternel nous délivre, nous qui sommes dans le monde des vivants. L’Eternel nous délivre du filet de l’oiseleur, de cette oppression du non-être, du sentiment de ne plus pouvoir être encore. L’Eternel, le grand passeur, nous aide à traverser nos nuits, à franchir nos horizons bouchés, à traverser nos vies devenues désertes, en faisant ressusciter notre être, notre être profond, notre être intime, celui que ni la mort, ni la vie, ni les dominations, ni le présent, ni l’avenir, ni les puissances ne peuvent atteindre, ainsi que cela a été révélé en Jésus-Christ affirmera l’apôtre Paul.

Ce psaume 91 fait office de doudou spirituel, d’objet théologique transitionnel pour nous rappeler qu’il est possible de passer d’une situation de totale insécurité à une situation où la confiance reprend suffisamment ses droits pour pouvoir renouer avec une affirmation de soi. L’Eternel est ce grand passeur qui nous fait passer d’un état prostré à la dynamique de la foi.

Lecture de la Bible

Psaume 91

Celui qui demeure sous l’abri du Très-Haut Repose à l’ombre du Tout-Puissant.
2 Je dis à l’Eternel: Mon refuge et ma forteresse, Mon Dieu en qui je me confie!
3 Car c’est lui qui te délivre du filet de l’oiseleur, De la peste et de ses ravages.
4 Il te couvrira de ses plumes, Et tu trouveras un refuge sous ses ailes; Sa fidélité est un bouclier et une cuirasse.
5 Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, Ni la flèche qui vole de jour,
6 Ni la peste qui marche dans les ténèbres, Ni la contagion qui frappe en plein midi.
7 Que mille tombent à ton côté, Et dix mille à ta droite, Tu ne seras pas atteint;
8 De tes yeux seulement tu regarderas, Et tu verras la rétribution des méchants.
9 Car tu es mon refuge, ô Eternel! Tu fais du Très-Haut ta retraite.
10 Aucun malheur ne t’arrivera, Aucun fléau n’approchera de ta tente.
11 Car il ordonnera à ses anges De te garder dans toutes tes voies;
12 Ils te porteront sur les mains, De peur que ton pied ne heurte contre une pierre.
13 Tu marcheras sur le lion et sur l’aspic, Tu fouleras le lionceau et le dragon.
14 Puisqu’il m’aime, je le délivrerai; Je le protégerai, puisqu’il connaît mon nom.
15 Il m’invoquera, et je lui répondrai; Je serai avec lui dans la détresse, Je le délivrerai et je le glorifierai.
16 Je le rassasierai de longs jours, Et je lui ferai voir mon salut.

 

Audio

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