Le chrétien et la politique - Le Ciel et la terre : non à l'aliénation religieuse
Psaume 8 , Matthieu 26:36-38 1 , Jean 3:17-18
Culte du 27 janvier 2008
Prédication de Laurent Gagnebin
Vidéo de la partie centrale du culte
Psaume 8; Matthieu 26, 36-38; 1 Jean 3, 17 à 18
Culte du 27 janvier 2008 à l'Oratoire du Louvre
par le pasteur Laurent Gagnebin
Nous avons dit il y a quelques années qu'il y avait pour le prédicateur trois réalités dont il ne devait pas parler en chaire : le premier de ces tabous c'est l'argent (trois prédications en 2006), le second c'est le sexe (trois prédications en 2007) et le troisième c'est la politique, les prédications de cette année. Le titre de cet ensemble Le Chrétien et la politique mais pour aujourd'hui plus particulièrement Le Ciel et la terre : non à l'aliénation religieuse. Et plutôt que de placer l'ensemble de cette prédication sous l'égide d'un quote biblique qui deviendrait en quelque sorte un prétexte, nous préférons, chemin faisant, nous référer aux Écritures.
Le plan de cette prédication-conférence comportera 3 étapes et j'aimerai ouvrir la première par cette citation d'Anselme de Canterbury, théologien du Moyen Age qui écrit ceci : " Celui qui se méprise est prisé de Dieu. Celui qui se déplaît, plaît à Dieu ". Et nous avons trouvé cette citation dans un livre qui a eu un retentissement considérable en 1841 puis après du philosophe allemand Ludwig Feuerbach dans L'Essence du christianisme. Dans ce livre, Feuerbach dénonce la foi en Dieu, estimant qu'à travers elle nous sommes victimes d'une aliénation c'est-à-dire que nous nous éloignons de notre vérité profonde, que nous devenons étrangers à nous-mêmes et que nous nous dépossédons de quelque chose qui nous appartient en propre. L'homme dessine en Dieu, qu'il parle de toutes les qualités qui devraient être les nôtres et que nous devrions réaliser, l'homme dessine en Dieu son propre portrait. Feuerbach écrit " Dieu est le miroir de l'homme ".
Sagesse, bonté, amour, justice, vérité etc. Autant de qualités qui devraient être les nôtres et que nous attribuons à Dieu en effet pour nous dispenser de nous les appliquer à nous-mêmes. L'homme s'appauvrit en quelque sorte dans la foi pour enrichir Dieu. L'homme affirme en Dieu ce qu'il nie en lui-même et pour que Dieu soit tout, il faut que nous ne soyons rien. Et le " soyez parfait comme votre Père céleste est parfait ", surprenante parole de Jésus devient alors " soyez et restez imparfait pour que votre Père soit reconnu parfait ". Et Feuerbach combat cela pour que l'homme récupère sa vérité en lui-même. Et bien oui, toute une part de la théologie chrétienne, nous avons entendu Anselme qui dit " Celui qui se méprise… ", toute une part de la théologie protestante, Luther est cité plus de 70 fois, et parfois dans des citations très longues dans l'ouvrage de Feuerbach, toute une part de la théologie réformée et calvinienne insistant lourdement sur l'homme incapable par lui-même de faire le bien réduit l'homme devant Dieu au néant de sa condition mortelle et pécheresse.
Mais Dieu a t-il besoin de notre abaissement pour être grand ? Et pour être Dieu ? Nous ne sommes plus des esclaves courbés en Jésus, nous ne sommes plus cela, des esclaves courbés qui cherchent à fuir la transcendance d'un Dieu écrasant. Nous sommes les enfants d'un Dieu qui trouvent en lui et en nous une source de liberté, d'amour, un élan créateur, un enthousiasme et comme aime à le répéter, prédication après prédication, Gilles Castelnau, nous sommes animés en Dieu et nous-mêmes d'un dynamisme créateur. Telle est notre vocation. Et c'est pour cela que j'ai relu un extrait du Psaume 8 qui dit que Dieu a fait l'être humain de peu inférieur à Dieu lui-même. Si, à Noël, en Jésus, de manière symbolique, Dieu descend vers l'homme, à l'autre extrémité de l'Evangile, en Jésus toujours et de manière symbolique, avec le message de l'Ascension, l'homme est élevé à Dieu. Si en Jésus, comme le dit la tradition chrétienne, Dieu et l'homme sont réunis, ne serait-ce pas une infidélité de continuer à les opposer sans cesse ? Feuerbach affirme Dieu est ce que l'homme pense et peur penser de plus haut. A quoi nous répondons l'être humain n'est-il pas l'idée de Dieu la plus haute et c'est la raison pour laquelle nous aimons répéter, prédication après prédication, cette parole du pasteur Wagner, fondateur de la paroisse voisine du Foyer de l’Âme, " Que vaut l'homme ? L'homme est une espérance de Dieu et non pas simplement Dieu est une espérance pour l'homme. "
Et comme vous le savez, chaque fois que nous prêchons depuis 50 ans, nous avons sous la main et à portée de notre regard cette parole de Wagner pour qu'elle éclaire et lui donne une juste orientation à chacune de nos prédications. Dans la foulée de cette opposition Dieu/homme il y a bien entendu, l'opposition ciel/terre. Le ciel, la patrie du chrétien. La terre, une vallée de larmes perverse, condamnée dont il faut savoir s'éloigner à travers le bruit, la fureur et le sang de l'histoire. Nous sommes déjà dans la deuxième étape de notre prédication, Feuerbach va devenir le maître à penser de toute une génération révolutionnaire représentée plus particulièrement par Marx et Engels.
Marx reprend la démonstration de Feuerbach mais pour l'appliquer au monde de l'économie et au monde politique. Feuerbach disait " l'homme s'appauvrit intellectuellement, moralement, spirituellement pour enrichir Dieu ". Marx dira l'homme pauvre matériellement, celui qui vit un enfer ici-bas va rêver d'un paradis divin où Dieu lui donnera tout ce qu'il n'a pas eu sur cette terre. La religion, disait Feuerbach, est le rêve de l'esprit humain. Marx répond, nous le savons bien, " La religion est l'opium du peuple ". Mais Marx va aller plus loin. Les puissants, les princes qui gouvernent nos états ou nos églises vont enseigner à l'être humain la résignation, surtout aux pauvres pour qu'ils ne se révoltent pas et qu'ils ne connaissent pas les chemins de la révolution. La religion est instrumentalisée par les pouvoirs pour calmer le jeu par les promesses d'un au-delà. Alors pour illustrer cela, nous aimerions vous faire 4 citations. Certaines d'entre elles ont déjà été mentionnées ici.
La première est de Necker, banquier, protestant, homme politique, ministre qui, en 1788, écrit ceci " Plus l'étendue des impôts entretient le peuple dans l'abattement et la misère, plus il est indispensable de lui donner une éducation car c'est dans l'irritation du malheur qu'on a surtout besoin et d'une chaîne puissante, et d'une consolation journalière ".
La seconde est de Montalembert, dans son Discours à l'Assemblée législative de 1848, c'est une date importante, c'est l'année où paraît Le Manifeste du Parti communiste, signé par Marx et Engels : " Quel est le problème aujourd'hui ? C'est d'inspirer le respect de la propriété à ceux qui ne sont pas propriétaires. Or je ne connais qu'une recette pour inspirer ce respect de la propriété : pour faire croire à la propriété à ceux qui ne sont pas propriétaires, il faut leur faire croire en Dieu. Et non pas un Dieu vague de l'éclectisme, tel ou tel autre système mais au Dieu du catéchisme, au Dieu qui a dicté le Décalogue et qui punit éternellement les voleurs. Voilà la seule croyance populaire qui puisse protéger efficacement la propriété ".
La troisième est de Casimir Périer, dans un Discours à la chambre des députés, en 1831 : " Il faut que les ouvriers sachant bien qu'il n'y a de remède pour eux que la patience et la résignation ".
Enfin cette citation d'une encyclique du Pape Pie IX, " Nostis est nobiscum ", en 1849, c'est la pape auteur du dogme de l'Immaculée Conception, concernant la naissance de Marie et de l'infaillibilité pontificale : " Que les pauvres se souviennent d'après l'enseignement de Jésus-Christ lui-même, il fait allusion à " Heureux les pauvres… " qu'ils ne doivent pas s'attrister de leur condition car la pauvreté même leur a préparé pour le salut un chemin plus facile, pourvu toutefois qu'ils supportent patiemment leur indigence et qu'ils soient pauvres, non seulement en réalité mais encore en esprit ". Nous entendons l'appel de la Première Epître de Jean nous invitant à aimer notre prochain et plus particulièrement les pauvres, non seulement en paroles, mais encore en actes. On nous dira que les chrétiens ne disent plus véritablement cela aujourd'hui. A voir. Et puis il n'y a pas que les chrétiens uniquement. Il n'y a pas que la France pour les tyrannies politiques ou religieuses mais voyez-vous, n'oublions pas qu'il y a 3 ans, le philosophe Michel Onfray publiait un Traité d'athéologie et ce fut un best-seller qui reprenait de manière caricaturale et simplificatrice tous ces arguments de l'aliénation religieuses.
Il y a beaucoup plus d'agressivité qu'on ne le pense dans une frange de l'athéisme contemporain, hostile à toutes les religions et anti-clérical. Alors, parce que nous sommes les héritiers de ceux-là, nous consacrerons la prochaine prédication avec la réaction d'un christianisme social qui nous invitait à retrouver la terre, nos engagements, nos responsabilités dans la cité. Wilfred Monod, en 1932, publiait un recueil de prédications dont le titre nous paraît banal aujourd'hui Sur la terre. Sur la terre mais on attendait d'un pasteur d'alors qu'il publiât un recueil de prédications non pas intitulé Sur la terre mais Vers le Ciel. Ce n'est pas parce que nous avons les pieds sur la terre qu'il nous faudrait alors regarder exclusivement vers le Ciel. Nous avons les deux pieds sur la terre et il faut nous mettre en route. L'incarnation, que dit-elle pour notre culte ? Notre prédication doit-elle être une prédication en l'air ? Ethérée, intemporelle, déconnectée de nos contextes, conduisant à des rêveries, à une fuite, un opium. En 1970, le pasteur et professeur Georges Casalis fit grand bruit en publiant Prédication, acte politique. Il disait que Jésus de Nazareth ne saurait être pour nous, ce sont ses mots, " un fantôme intemporel et sans consistance ".
Et puis parlons-en puisque tout le monde en parle : Simone de Beauvoir dans L'Amérique au jour le jour, évoque un culte dans une communauté noire auquel elle a participé à Harlem en 1947, l'année où paraît La Peste d'Albert Camus, et elle dit qu'elle est bouleversée. " Une cérémonie bouleversante ", écrit-elle, " par la force, le dynamisme, la beauté de ce culte mais " conclut-elle, " là comme ailleurs, la religion veut conduire à la résignation et elle est un dérivatif ". Pensons à la doctrine des deux règnes du réformateur Luther. Deux règnes : la vie terrestre avec la vie sociale et politique et la vie éternelle avec le Ciel et le salut. Et l'on a estimé qu'il y avait là une doctrine alors que Luther n'a jamais écrit d'ouvrage sur cette question et l'on a fait de ces deux règnes une sorte de dualisme rigide, de dichotomie et Carl Bratten, une des grands spécialistes de Luther et de la tradition luthérienne écrit que cette dichotomie radicale a conduit à une hérésie luthérienne. Et il en veut pour preuve ce qui s'est entre autres passé sous le nazisme où des protestants luthériens ont dit " ne nous occupons pas des choses de ce monde, de la politique mais exclusivement du ciel et de l'annonce du salut. Et puis il y a la séparation des Eglises et de l'Etat. Ce n'est pas la même chose.
Il ne faut pas confondre ces deux réalités. La séparation des Eglises et de l'Etat est une pensée beaucoup plus moderne. Et bien Wilfred Monod, le pionnier d'un christianisme social qui était acquis à la séparation des Eglises et de l'Etat, qui donna lieu à la loi que l'on sait et non pas à la séparation de l'Eglise et de l'Etat mais des Eglises et de l'Etat, Wilfred Monod qui savait bien que l'Eglise a trop souvent utilisé le sabre pour imposer des doctrines intransigeantes voire cacher des injustices et que l'Etat a utilisé le goupillon pour bénir ces malfaçons. Et bien Wilfred Monod qui savait cela a sans cesse insisté sur les risques, les ambiguïtés, les dangers de cette séparation dont certains tiraient les conclusions dans les églises : le salut, la vie éternelle, le ciel…et laissons la terre aux hommes politiques. Nous sommes là déjà dans notre troisième étape et notre conclusion.
J'aimerais dire par quatre exemples qu'il y a effectivement, comme le disait Feuerbach un lien étroit entre nos conceptions de Dieu et nos conceptions de l'être humain.
D'abord le Dieu tout puissant : il me semble qu'aujourd'hui il est très difficile de prononcer encore cette expression et de l'utiliser, très difficile parce que les gens, je ne dis pas les chrétiens que nous sommes ici, mais les gens en général vont entendre par cette idée du Dieu tout puissant que nous prêchons une religion de la passivité, nous ne sommes que des marionnettes entre les mains de ce Dieu-là. Nous sommes victimes d'une fatalité, une sorte de stoïcisme résigné. Six millions de juifs tués pendant la guerre : Dieu est tout puissant. Cet enfant qui meurt à l'âge de 6 ans d'un cancer : Dieu est tout puissant. Les gens ne peuvent pas entendre cette expression " le Dieu d'amour " qui devient pour eux un Dieu arbitraire.
La seconde expression est le Dieu qui va au Ciel : Notre Père qui êtes aux Cieux. Nous savons bien que c'est de la mythologie, que cette expression est devenue symbolique, une vérité de vitrail mais parler de ce Dieu au Ciel va faire entendre là encore aux gens quels qu'ils soient que nous prêchons un exclusivisme spirituel, une religion désincarnée, intemporelle, que Jésus est pour nous une sorte d'ectoplasme, ce jésus de Nazareth intemporel et sans consistance dont parlait Georges Casalis. Si en Jésus, comme nous le croyons, nous entendons véritablement une parole de Dieu alors à Gethsémané c'est Dieu qui nous dit en Jésus, " Veillez avec moi ". C'est Dieu qui nous appelle à l'aide et pas simplement nous qui nous tournons passivement vers lui pour lui dire " Veille avec nous ". La prière d'intercession, bien sûr dans nos cultes, est importante pour montrer que nous ne pensons pas qu'à nous-mêmes, que nous vivons ce culte avec d'autres et pour eux, ces autres qui connaissent des douleurs, des souffrances, des crises dans leur vie personnelle, dans leur vie familiale, dans leur vie professionnelle avec un chômage qui frappe durement les uns et les autres. Mais voyez-vous, que l'on ne pense pas que joindre les mains c'est se croiser les bras. Wilfred Monod disait " Prier, c'est exaucer Dieu " non pas simplement attendre que Dieu nous exauce, " Que ta volonté soit faite sur la terre comme au Ciel " disait Jésus. Il faut que nous fassions la volonté de Dieu.
Quatrième et dernier exemple : Les Béatitudes. J'ai souvent dit que je n'aimais pas Les Béatitudes, je veux dire par là l'interprétation et la lecture qu'on en fait trop souvent : " Heureux les pauvres car le Royaume de Dieu sera à eux après leur mort ", c'est ce que nous entendons sous la plume du pape. " Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés mais au Ciel et dans l'au-delà " mais dans cette interprétation-là des béatitudes, nous sommes en pleine aliénation religieuse. Nous ne disons pas le Ciel ou la terre mains nous disons les deux : la terre et le Ciel.
Albert Schweitzer disait qu'on ne peut classer les grandes religions du monde, les grandes orientations métaphysiques et morales en deux catégories : celles qui prêchent le détachement de ce monde mortel, de ce monde de péchés, de ce monde mortifère, par l'ascèse par exemple pour nous orienter vers le Ciel, surtout d'abord, voire exclusivement, puis les religions qui enseignent l'attachement à cette terre, qui est création de Dieu par sa beauté, par sa bonté, qui est attachement à ce monde, à son histoire, à ses souffrances, attachement au prochain et Schweitzer de préciser : le christianisme et une de ses originalités, prêche les deux en même temps l'attachement et le détachement. La terre et le Ciel. J'aime que Sylvain Estibal, qui a consacré à Théodore Monod un très beau livre d'entretiens, a intitulé son livre, parce qu'il a bien compris cette vérité, " Terre et Ciel ".
Amen.
Lecture de la Bible
Psaume 8
Éternel,
quand je vois le ciel ton ouvrage,
la lune et les étoiles
que tu y a placées,
je me demande,
l'homme a t-il tant d'importance
pour que tu penses à lui ?
Un être humain mérite-t-il
vraiment que tu t'occupes de lui ?
Or tu l'as fait puisque l'égal d'un Dieu
tu le couronnes de gloire et d'honneur.
Matthieu 26:36-38
Jésus arriva avec ses disciples à un endroit appelé Gethsémané et il leur dit : " Asseyez-vous ici pendant que je vais là-bas pour prier ". Puis il emmena avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée. Il commença à ressentir de la tristesse et de l'angoisse. Il leur dit alors : " Mon cœur est plein d'une tristesse de mort. Restez ici et veillez avec moi ".
1 Jean 3:17-18
Si un homme qui est riche voit son frère dans le besoin mais lui ferme son cœur, comment peut-il prétendre qu'il a de l'amour pour Dieu dan son cœur ? Les enfants, il ne faut pas que notre amour consiste seulement en discours et en belles paroles, ce doit être un véritable amour qui se manifeste par des actes.