Le Christianisme serait-il une médecine ?
Luc 5:12-16
Culte du 6 février 2011
Prédication de pasteur James Woody
( Luc 5:12-16 )
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Culte du dimanche 6 février 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, lorsque nous sommes touchés par la maladie, la foi chrétienne est parfois envisagée comme une valeur refuge. Au nom de la formule « demandez et l’on vous donnera », lorsque nous sommes malades, sérieusement malades, nous pouvons avoir envie de faire valoir notre foi pour demander, si ce n’est exiger notre guérison. Puisque Dieu peut tout, qu’il nous guérisse !
Lorsque nous sommes malades, l’attrait de la spiritualité est d’autant plus fort que la médecine est de plus en plus fragmentée en spécialités. Le malade se retrouve rapidement face à un bataillon de spécialistes particulièrement compétents dans leur domaine, qui coupent le patient en petites tranches de problèmes médicaux… un patient qui a rapidement la désagréable sensation d’être lui-même fragmenté. Or la personne malade a justement besoin d’unité : elle a besoin de se retrouver ; elle espère, justement, retrouver son intégrité au lieu d’être dispersée façon puzzle. Lorsque la médecine devient une médecine des organes plutôt que des personnes, les personnes malades sont légitimement attirées par un environnement qui se préoccupe d’elles de manière globale au lieu de procéder à un morcellement.
Nous pouvons penser à ces situations critiques que sont, bien sûr les cancers, les maladies reconnues comme étant pour le moment incurables ou dont le pronostic est particulièrement réservé. Ce sont ces situations où le monde médical atteint des limites en termes de guérison possible. Parce que les médecins ne peuvent plus rien, nous pouvons être tentés de nous tourner alors vers autre chose, qu’il s’agisse de médecines dites parallèles (on recense en France environs 300 pratiques différentes) ou à des milieux religieux qui pourront nous mettre en présence d’une puissance assez forte pour gagner le combat contre la maladie. S’il ne s’agit pas de porter un jugement sur ces pratiques, car la théologie ne possède nullement les outils pour pouvoir exercer un regard critique à leur sujet, nous pouvons néanmoins nous arrêter un instant sur l’intervention du spirituel à des fins thérapeutiques.
Je le fais, tout d’abord, avec deux témoignages. Le premier émane d’une mère qui raconte ce qu’à vécu sa fille de 31 ans, qui était atteinte d’un cancer du sein (Dolores apporte son témoignage aux journalistes de 20 minutes dans l’édition du 8 avril 2010, p. 8). S’étant confiée à deux ex-adeptes du Graal, la fille reçoit pour traitement des gélules de gui, des cataplasmes d’argile pour, finalement, être soignée avec en tout et pour tout un verre d’eau par jour pendant 17 jours après quoi elle s’enfuira pour rejoindre sa mère et mourir. Toute chimiothérapie avait été exclue car cela « allait salir son âme ». L’autre témoignage émane du président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) qui constate que le principe est toujours le même : « le régime est censé purifier le corps et l’esprit ». Purifier le corps.
C’est ce thème de la purification qui est au cœur de notre épisode biblique. Un homme, plein de lèpre se jette au sol et s’adresse ainsi à Jésus : « Seigneur, si tu le veux, tu peux me rendre pur ». Après ces deux témoignages à charge que j’ai rapportés, il importe de se demander si la foi chrétienne a quelque chose à voir avec ce genre de pratique ; si la foi chrétienne est susceptible de dérive sectaire ; et, plus simplement, si le christianisme est une forme de médecine.
Revenons au texte biblique. Il est d’usage d’intituler ce passage « guérison d’un lépreux ». Mais est-ce bien de cela dont il est question dans le texte ? Le terme « guérison » n’apparaît pas. Dans cette scène, il est question de purification. Juste après, au quote 15, nous apprenons que la renommée de Jésus grandit et qu’il y a de plus en plus de gens pour l’écouter et pour être soignés de leurs maladies. Le terme grec est « therapeuo » qui signifie soigner, prendre soin, et non guérir comme cela est généralement traduit. Jésus est reconnu comme un thérapeute par l’évangéliste Luc, c’est-à-dire quelqu’un qui prodigue des soins et non comme un guérisseur. La distinction est importante et elle détermine, je pense, une limite décisive entre deux manière d’envisager la médecine. Le but, est-il de soigner ou de guérir ? Le but est-il de prendre soin, d’apporter les meilleurs soins possibles, ou alors le but est-il de guérir en éradiquant totalement la maladie et en ramenant la personne malade à son état antérieur, autrement dit en réparant les dégâts causés par une maladie ? Ici, Jésus n’est pas un guérisseur. Ce n’est pas lui qui retire la lèpre dont l’homme est atteint et, manifestement, Jésus ne guérit pas les probables lésions que l’homme a pu subir. La lèpre est une maladie qui ronge le corps et, ni Luc ni les autres évangélistes qui racontent ce récit, ne disent que Jésus répare l’outrage causé par la maladie. Ici comme ailleurs, ce que Jésus fait auprès des malades ne fait jamais repousser ce qui a été physiquement détruit. Ici, Jésus ne guérit pas - et je serais tenté de dire pas plus qu’ailleurs. Il ne guérit pas et ne prétend pas pouvoir guérir. Il ne fait pas miroiter de guérison miraculeuse à ceux dont le physique a été atteint. Jésus ne prétend pas apporter la solution qui échappe aux médecins. Oui, Jésus soigne, mais pas à la manière d’un gourou qui promet des solutions surnaturelles ni à la manière d’un médecin qui va essayer d’intervenir sur les causes de la maladie pour la stopper ou, du moins l’enrayer. Jésus n’est pas un médecin au sens ordinaire du terme mais Jésus soigne, oui, et, ce faisant, il nous enseigne des choses importantes sur ce qu’est soigner. Observons cela de plus près.
Tout d’abord en constatant qu’il n’est pas question d’un lépreux mais d’un homme plein de lèpre. La distinction est importante. Le regard posé par l’évangéliste révèle que l’homme qui va vers Jésus n’est pas réduit à la maladie dont il souffre. Aux yeux du croyant Luc, cet homme reste un homme ; il n’est pas réduit à un cas pathologique. Il y a, d’une part l’homme et, d’autre part, sa maladie. Quiconque aura fréquenté un service hospitalier appréciera la différence qu’il y a entre « le cancer du colon de la 24 » et « Monsieur Untel qui est atteint d’un cancer du colon et qui se trouve dans la chambre 24 ». Aux yeux de Dieu qui sont ici ceux de Luc, un homme n’est jamais réduit à sa maladie, ni même à l’intervention que l’on va pratiquer sur lui. Cette manière d’envisager les situations est aussi importante dans le milieu médical que dans toutes les facettes de la vie et cela devrait orienter constamment notre réflexion en matière d’éthique : nous sommes appelés à nous intéresser à des personnes qui sont confrontés à des situations particulières et non pas nous intéresser à des cas.
Ensuite, il y a la question de la purification demandée et réalisée. Jésus n’agit pas à la manière de certains hygiénistes qui, pour purifier quelqu’un, lui font pratiquer un jeûne de 40 jours pour obtenir une bonne détoxication. La purification dont il est question est d’un autre ordre. Pratiquement, elle est réalisée par le toucher. Ce geste peut sembler magique, être porteur d’une force surnaturelle qui vient à bout de la maladie et qui purifie l’homme malade de fond en comble. Mais nous voyons bien que c’est après la purification que la lèpre quitte l’homme : l’homme est purifié par Jésus et, aussitôt après, la maladie cesse d’avoir un effet sur cet homme. Cela signifie que ce n’est pas la lèpre qui rendait l’homme impur. La frontière entre le pur et l’impur, c’est la société des hommes qui la définie. Est impur ce qui ne peut être touché par décision humaine. Le pur et l’impur ne sont pas des catégories médicales mais des catégories morales. L’homme plein de lèpre est impur parce que des hommes en ont décidé ainsi. Comment rendre un homme pur ? en le touchant, car le fait de toucher quelqu’un, signifie que l’autre est digne d’être en relation physique avec moi. Toucher quelqu’un, c’est réduire toute distance, c’est abolir tout ce qui justifierait que je m’en éloigne.
S’il est des précautions indispensables pour éviter la contamination, l’attitude de Jésus nous sensibilise au fait que la séparation n’est pas un traitement, que ce n’est pas en éloignant les gens que l’on prend soin d’eux. Séparer, couper les liens, relève justement de la pratique sectaire qui consiste à sectionner, à diviser, à diaboliser. Au contraire, Jésus réunit, il relie, en touchant notamment, en prenant soin des corps qui ne sont pas méprisés. Cet homme cesse d’être un lépreux impur parce que Jésus atteste que Dieu pose sur lui un regard favorable, un regard qui n’éloigne pas mais qui rapproche. Cet homme est réintégré dans la société humaine par ce geste banal qu’est le toucher, un geste qui signifie à cet homme qu’il n’est pas impur. Dès lors, il n’a plus à être considéré comme un lépreux et, d’ailleurs, la lèpre n’a plus de prise sur lui et la lèpre le quitte.
Il y a tout lieu de penser que cette lèpre n’a pas été causée par le bacille de Hansen, mais par un bacille autrement plus contagieux, autrement plus virulent, ce bacille que Camus évoque de façon imagée à la fin de son roman La peste, en écrivant qu’il « ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses ». Ce bacille, c’est cette violence de l’homme capable de reléguer un autre à une catégorie de sous-homme, à une catégorie de l’impur, de l’infréquentable, de l’impropre. Ce bacille, c’est cette capacité de l’homme à exclure, à réduire l’autre à rien, à le nier, à le persécuter et à le tuer.
Jésus présente un antidote à ce penchant humain pour abîmer autrui, pour le défigurer, pour l’accuser, pour l’accabler, c’est de ne jamais confondre l’homme avec ses problèmes, avec ses difficultés ; ne jamais le réduire à ses travers, à ses bassesses, à ses pathologies, à ses handicaps. Et c’est de tendre la main, de réduire les distances, d’abolir les séparations. Tendre la main et toucher. Rendre pur par ce geste ordinaire que nous faisons si volontiers à ceux qui nous sont chers et que Jésus nous invite à faire à ceux qui ne le sont pas encore. Albert Camus le dit merveilleusement bien dans cette lettre adressée le 19 novembre 1957 à l’instituteur de sa jeunesse, Monsieur Germain, après avoir appris qu’il a reçu le prix Nobel de littérature : « On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n'ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j'en ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j'étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé.
Je ne me fais pas un monde de cette sorte d'honneur. Mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l'âge, n'a pas cessé d'être votre reconnaissant élève. Je vous embrasse de toutes mes forces. »
En voyant l’homme au-delà de sa pauvreté physique, en lui tendant une main affectueuse, Jésus témoigne que Dieu nous rend bel et bien capables de prendre soin du monde pour éviter qu’il se défasse.
Amen
Lecture de la Bible
Luc 5:12-16
Jésus était dans une des villes; et voici, un homme couvert de lèpre, l’ayant vu, tomba sur sa face, et lui fit cette prière: Seigneur, si tu le veux, tu peux me rendre pur.
13 Jésus étendit la main, le toucha, et dit: Je le veux, sois pur. Aussitôt la lèpre le quitta.
14 Puis il lui ordonna de n’en parler à personne. Mais, dit-il, va te montrer au sacrificateur, et offre pour ta purification ce que Moïse a prescrit, afin que cela leur serve de témoignage.
15 Sa renommée se répandait de plus en plus, et les gens venaient en foule pour l’entendre et pour être guéris de leurs maladies.
16 Et lui, il se retirait dans les déserts, et priait.