Le christianisme est-il un humanisme parmi d’autres ?
2 Corinthiens 6:11-18
Culte du 23 janvier 2011
Prédication de pasteur James Woody
Vidéo de la partie centrale du culte
Culte du dimanche 23 janvier 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, le protestantisme libéral est parfois accusé d’être un humanisme parmi d’autres et, par conséquent, d’être un profond dévoiement et même une ruine du christianisme. Nous pouvons déjà nous demander s’il serait si grave que cela d’être un humanisme. Souvenons-nous que c’est l’humanisme d’Erasme et de Lefèvre d’Etaples, pour ne citer que les deux plus connus, qui prépare la Réforme religieuse du XVIème siècle. Souvenons-nous que le XVIIIème siècle et ses Lumières permettent à une partie du christianisme de faire un pas hors de l’obscurantisme. Quand on pense à un âge d’or de l’Islam, on se tourne vers cette période où l’Islam a fécondé et s’est nourri de la poésie, de la médecine, des sciences. Serait-ce si grave qu’il nous soit reproché d’avoir des affinités avec l’humanisme qui a favorisé le libre arbitre, la curiosité intellectuelle, les voyages, l’étude des textes et des civilisations, considérant l’homme capable de faire la connaissance du monde dans lequel il vit ?
Le protestantisme libéral causerait la perte de la religion, serait trop en dehors du monde des religions et n’aurait plus les caractéristiques extérieures de ce qu’est une religion. Comme la chose est curieuse. Car il n’y a pas moins religieux que la religion si on examine de près ce qu’elle est. Intéressons-nous quelques instants à ce qu’est une religion en empruntant au théologien John Cobb les éléments d’observation (Dieu et le monde, pp. 108ss.). John Cobb repère quatre facteurs qui peuvent nous conduire à parler de religion. Le premier facteur est le fait d’appréhender le monde autrement que par les expériences sensorielles ordinaires ; Dieu, par exemple, ne se rencontre pas par une expérience sensorielle ordinaire. Le deuxième facteur est un sens de l’absoluité ; il s’agit du fait qu’il y a des choses avec lesquelles on ne transige pas ou que l’on considère comme inaltérable. Le troisième facteur est la célébration cultuelle : un acte publique ou privé qui extériorise ce qui se joue dans notre intimité. Le quatrième facteur est un intérêt pour les états psychique ou spirituels, qu’il s’agisse de la paix intérieure, de l’extase ou de différents degrés de transfiguration. Expériences sensorielles non ordinaire, sens de l’absoluité, célébration cultuelle, intérêt pour les états psychiques ou spirituels, voilà quatre éléments qui peuvent définir une religion.
Quand on y regarde de près, ces quatre facteurs qui donnent le contour de ce qu’est une religion, s’appliquent tout aussi bien à des phénomènes qui ne sont pas religieux dans le sens d’une religion traditionnelle. Ainsi, les facteurs 2 et 3 peuvent caractériser le patriote qui fait de son pays un absolu auquel il ne faut pas toucher et qui ne manque pas de le célébrer à l’occasion de la fête nationale et de bien d’autres commémorations. Quant à l’amour de la patrie, il ne relève pas d’une expérience sensorielle classique, et le sentiment de communion qu’éprouve l’authentique patriote avec sa mère patrie, l’état dans lequel il se trouve quand la patrie est en danger ou, au contraire, qu’elle est honorée, montre que le quatrième facteur, relatif à l’état psychique ou spirituel est également sollicité car le sentiment patriotique transcende le patriote. Il va de soi que cela pourrait s’appliquer tout aussi bien à un sportif ou à un amant. Les signes extérieurs de religion ne suffisent pas à dire qui est honnêtement religieux et qui ne l’est pas. Autrement dit, il ne suffit pas d’avoir la couleur de la religion pour être véritablement une religion, au sens de la religion chrétienne ou juive ou musulmane.
On objectera donc que ce n’est pas le contour qui pose problème, mais le contenu. Soit, on peut reconnaître qu’il y ait d’autres expériences du divin possibles, d’autres manières de parler de Dieu possibles, d’autres formes de célébration possibles, d’autres attitudes spirituelles possibles (et c’est déjà remarquable quand ces tolérances sont clairement acceptées). Le reproche fait au protestantisme libéral est alors sur ce qui constitue son cœur ; le reproche serait que le protestantisme libéral n’est pas chrétien parce que son cœur n’est pas le divin, mais l’homme, à la manière de l’humanisme. Le reproche serait que nous avons un centre mou.
Si c’est là le reproche qui est fait, il me semble que c’est un reproche à moitié acceptable, car il me semble que le cœur du christianisme n’est pas le divin, et qu’il n’est pas l’homme non plus, d’ailleurs. Le cœur du christianisme est vide ! voilà une compréhension du christianisme que je vous propose, en écho avec ce que les textes bibliques me semblent exposer et que ce passage de la lettre de Paul aux corinthiens exprime de manière synthétique. Le christianisme, c’est l’expérience d’un creux, d’une absence, d’un vide. C’est l’expérience des disciples qui voient toujours le Christ leur échapper, se défiler, aussi bien physiquement, puisque le Christ ne cesse de passer, d’aller d’une rive à l’autre, de traverser la terre promise, que théologiquement puisqu’il ne cesse de décaler ses interlocuteurs, de les déplacer dans leurs convictions, de les faire avancer dans leurs réflexions. Le Christ n’est jamais là où on l’attend et quand on le pense définitivement coupé dans son élan, figé, coincé dans une sépulture, on découvre que celle-ci est vide et que le Christ est ailleurs, une fois de plus.
Le centre du christianisme n’est pas rempli par l’homme, il n’est pas rempli non plus par le divin qui, en permanence, se décale, se retire, se décentre, pour renvoyer au Père. Et voilà ce qui apparaît en pleine lumière dans les Evangiles et ici même chez Paul : le christianisme s’organise autour d’un espace libre dans lequel se tisse une relation entre Père et fils, cette relation que Dieu envisage déjà dans la citation de 2 Samuel 7 « je serai pour vous un père, et vous serez pour moi des fils et des filles » v. 18, une relation que Paul réplique entre lui et la communauté qu’il encourage « je vous parle comme à mes enfants » v. 13. Le centre du christianisme est cet espace vide établi en champs de force, celui d’une relation Père-fils. Paul avait inauguré cela au tout début de son ministère : la première chose qu’il fait après sa conversion sur le chemin de Damas, c’est de prêcher en disant que Jésus est fils de Dieu (Ac 9/20). Cela rejoint le prologue de l’évangile selon Jean qui dit que la parole de Dieu, qui a été faite chair, donne pouvoir de devenir enfants de Dieu (Jn 1/12).
Dire que le centre du christianisme n’est pas l’homme, c’est aller dans le sens de Paul contre un humanisme intégriste qui considère l’homme comme la mesure de l’homme, pour reprendre l’expression d’un autre Paul… Valéry (Discours en l’honneur de Goethe à la Sorbonne). Un humanisme intégriste hisse l’homme à hauteur de Dieu, il en fait un absolu, un être auto-fondé. Ce genre d’humanisme devient une idolâtrie que l’apôtre Paul stigmatise, idolâtrie qui envisage que l’homme est auto-suffisant, que chaque homme est auto-suffisant, qu’il peut s’abstenir de toute filiation, qu’il n’est redevable à personne, qu’il n’a pas besoin d’être reconnaissant. Paul va plus loin. Mettre l’homme au centre, ce serait, effectivement, en faire la mesure de toute chose et cette mesure serait très… mesurée. C’est ce que Paul révèle en écrivant aux Corinthiens qu’ils sont à l’étroit en eux-mêmes (v. 12). Ne s’en tenir qu’à soi, se prendre pour l’alpha et l’oméga, ce n’est avoir que soi comme horizon et cet horizon est extrêmement mesuré ; il est réduit à une part congrue : nos capacités propres qui sont très limitées. Idolâtrie, étroitesse, le troisième reproche que Paul fait à l’homme placé au centre est l’incroyance, littéralement la non-confiance. Bien évidemment, si je me mets au centre du système et que je ne peux compter que sur moi, la confiance est rendue inutile. En l’absence de confiance, nous connaissons une grande insécurité. Etre privé de confiance, c’est être privé de soutien, d’aide et c’est ce qui conduit à la violence. Les gens violents sont souvent ceux qui ont peur, qui ne sont pas à l’aise avec eux-mêmes, qui manquent cruellement de confiance en eux et en leur entourage. Au final, il en résulte qu’au lieu d’être lié à Christ, on est lié à Bélial (v. 15) qui est cette figure mythique qui apparait dans l’Ancien Testament et qui désigne les vauriens, au sens de gens de riens, ceux qui sont vides de parole et donc méchants (Dt 13/3, 1 S 2/12, 1 R 21/10). Le XXème siècle a connu leurs grandes tyrannies.
Mais il en va de même de l’excès inverse qui place le divin au centre, alors que le Christ n’a de cesse de se décentrer pour mettre Dieu et l’homme en relation Père-fils. Evacuer complètement l’homme, ce n’est pas autre chose que tuer le Fils, à nouveau. Ce n’est pas autre chose que tuer la figure humaine de Dieu. Cet excès inverse qui balaie l’humanisme d’un revers de main refuse la filiation, refusent la relation, refusent le lien de confiance, et entrent dans la même idolâtrie. L’exclusion de l’humanité dont Dieu se pare, le refus de la figure humaine de Dieu n’est rien d’autre qu’une haine du Fils c’est-à-dire une haine de l’homme. C’est ce que l’évangile selon Jean met en lumière (ch. 8 notamment). La croyance qui ne garde que le divin, le fait pour évacuer l’humain qu’elle ne supporte pas, l’humain avec ses manques, ses incomplétudes, sa finitude. C’est le même fantasme d’une vie auto-fondée, sans référence à qui que ce soit d’autre que moi. Ce sont les ténèbres qui ont rejeté le Fils (Jn 1/5, 10) -et Paul interroge justement la communion qu’il peut y avoir entre la lumière et les ténèbres (v. 14). « Dieu seul », ce serait l’exaltation de cette haine de l’homme, de son corps, de ses sentiments, de ses désirs, de ses capacités et donc, au final, ce serait une forme de haine de la vie. Le christianisme n’a rien à voir avec ce genre d’intégrisme qui idolâtre le discours religieux en le divinisant et en en faisant le seul discours acceptable, qui idolâtre les gestes d’Eglise en les divinisant, qui idolâtre les lieux en en faisant des lieux saints.
Le centre du christianisme ne me semble être ni l’homme, ni le divin, mais cette relation filiale que Dieu tisse, un espace vide où Dieu attire l’homme à la vie en lui permettant de développer toutes ses dimensions. Pour le dire avec le théologien Auguste Sabatier, « ce sentiment, filial à l’égard de Dieu, fraternel à l’égard des hommes, est ce qui fait le chrétien et, par suite, le trait commun de tous les chrétiens » (Philosophie de la religion, p. 185). C’est cette conscience d’une relation filiale qui nous permet de vivre la vie espérée par le Père céleste plutôt qu’une vie étriquée ; c’est cette relation filiale qui nous permet de vivre en pleine lumière plutôt qu’enveloppé de ténèbres, d’être porté par la confiance plutôt que de vivre avec un sentiment d’insécurité, parce que nous nous découvrons aimé par le Dieu vivant et non asservi à une idole.
Oui, le christianisme, c’est prendre conscience que Dieu est notre Père et que nous sommes ses fils, ses filles. C’est prendre conscience de ce lien filial qui nous unit à Dieu qui nous appelle à nous dépasser le plus possible, à ne pas être la mesure de nous-mêmes.
Amen
Lecture de la Bible
2 Corinthiens 6:11-18
Notre bouche s’est ouverte pour vous, Corinthiens, notre coeur s’est élargi: 12 Vous n’y êtes point à l’étroit, mais c’est votre coeur qui s’est rétréci pour nous.
13 Rendez-nous la pareille-je vous parle comme à mes enfants-élargissez-vous aussi votre coeur! 14 Ne vous mettez pas avec les infidèles sous un joug étranger.
Car quel rapport y a-t-il entre la justice et l’iniquité?
ou qu’y a-t-il de commun entre la lumière et les ténèbres?
15 Quel accord y a-t-il entre Christ et Bélial? ou quelle part a le fidèle avec l’infidèle?
16 Quel rapport y a-t-il entre le temple de Dieu et les idoles? Car nous sommes le temple du Dieu vivant, comme Dieu l’a dit:
J’habiterai et je marcherai
au milieu d’eux;
je serai leur Dieu,
et ils seront mon peuple.
17 C’est pourquoi,
Sortez du milieu d’eux,
Et séparez-vous, dit le Seigneur;
Ne touchez pas à ce qui est impur,
Et je vous accueillerai.
18 Je serai pour vous un père,
Et vous serez pour moi
des fils et des filles,
Dit le Seigneur tout-puissant.