Le bon, la brute et le truand

Luc 19:1-10

Culte du 28 avril 2013
Prédication de pasteur James Woody

(Luc 19:1-10)

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Culte du dimanche 28 avril 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, dans quel monde vivons-nous ? A bien y regarder, nous évoluons en plein western façon Sergio Leone : un monde rempli de brutes, de truands, où l’on croise parfois quelques bons. « Le bon, la brute et le truand », voilà les trois acteurs principaux de la scène exposée par l’évangéliste Luc. Dans le film de Sergio Leone, Le bon (Clint Eastwood, alias « Blondin ») règle son compte au truand à coups de balles, il utilise la brute pour récupérer le magot avant de lui faire passer la tête dans un nœud coulant. Cette gestion du truand et de la brute ressemble étrangement à la manière de faire de notre société qui exécute les canailles et instrumentalise les mouvements de foule.

La brute, c’est la foule qui empêche Zachée de voir qui est Jésus. Il ne s’agit pas d’une foule bienveillante, généreuse, rassemblée pour supporter une idée, un projet, pour célébrer la vie par la communion des uns avec les autres. La foule qui est là, c’est celle des mauvais jours : la foule qui se forme non pour voir, pour connaître, pour encourager, mais pour se faire voir. C’est la foule qui marche sur les parlements pour intimider, c’est la foule qui se rassemble pour faire nombre, pour l’épreuve de force, pour montrer que c’est son cortège qui a la plus longue file d’individus. C’est la foule narcissique : elle s’admire, elle se compte, se recompte, s’indigne si on la sous-estime. Cette foule n’a pas d’autre horizon qu’elle-même, pas d’autre désir que son bon plaisir. Elle s’auto-fonde, ne parle, en fait, qu’à elle-même, comme le révèle le quote 7, « tous murmuraient : il est allé loger chez un homme pécheur ». Cette foule se nourrit de la rumeur, de la diffamation, de la haine de l’autre. Cette foule propage le mal en son sein au lieu de s’adresser véritablement aux interlocuteurs dont elle fait son miel.

La foule que présente ce passage biblique montre qu’elle fait obstacle entre les plus petits et ce qui est porteur de vie. La foule fait écran. Elle n’est pas positive, mais suscite l’adversité. Elle n’introduit pas du plus à vivre, mais elle bride la vie, elle l’entrave, voire la moleste.

De telles foules, narcissiques, ne peuvent en arriver qu’à la violence, ce que René Girard appelait la violence mimétique. C’est la violence engendrée par l’entrechoquement de tous ces éléments qui ont la même charge électrique et qui fait jaillir des gerbes de violence.

L’attitude de Jésus contraste avec celle de Blondin dans le western puisque Jésus n’instrumentalise pas la foule. D’ailleurs, il n’en fait pas cas : il la traite par le mépris. Le rédacteur ne précise pas que Jésus observe la foule, encore moins qu’il s’adresse à elle. En fait, « Traiter par le mépris » n’est certainement pas de définir l’attitude de Jésus. En ne jetant pas son regard sur la foule, Jésus évite d’entrer dans une logique du miroir qui renverrait à la foule sa propre haine, ce qui ne ferait qu’aggraver les choses. Il me semble que Jésus fait preuve d’humilité, comme il le fera face à la foule qui s’est agglutinée autour de la femme prise en flagrant délit d’adultère : en baissant le visage pour écrire sur le sol, Jésus évite l’affrontement en évitant de renvoyer par son regard l’expression des visages traversés par la violence auquel il doit faire ace. Jésus laisse donc la foule à son propre jugement, à sa propre condamnation.

Le truand

Cette fois, Jésus lève la tête et passe par-dessus la foule et il s’adresse à un individu, Zachée, perché sur son arbre. En s’invitant chez lui, Jésus arrache Zachée à la foule, il l’exfiltre et lui permet de rejoindre un lieu séparé de l’espace médiatique. Pourquoi Zachée est-il traité de pécheur par la foule, pourquoi en faire une figure de truand ? Parce qu’il est chef des collecteurs d’impôts. A ce titre, il bénéficie d’une réputation déjà bien établie à l’époque de voler l’argent du contribuable en s’en mettant une partie dans la poche, ce qui semble avéré par la fin de l’histoire. A cela il faut ajouter qu’il est considéré comme traitre à sa patrie car il collabore avec l’envahisseur romain en collectant des fonds qui iront directement dans les caisses de l’Empire. Voyou et traitre, cela fait beaucoup pour un seul homme, mais c’est cet homme–là que Jésus décide de rencontrer. Et c’est ainsi qu’il va transformer son identité de fond en comble.

Du côté de Zachée, ce qui aura été déterminant, c’est sa volonté initiale de voir qui est Jésus, de faire sa connaissance. Au commencement, il y a une saine curiosité, une curiosité qui n’a vraiment rien d’un vilain défaut. C’est cette curiosité de départ qui va changer sa vie, qui va lui permettre d’être transformé en profondeur et de quitter ses habits du truand pour retrouver figure humaine, devenir fils d’Abraham, reprendre sa place dans le peuple des enfants de Dieu - promesse qui retentit à chaque baptême. La curiosité débouche sur quelque chose d’inattendu et même d’inespéré : Zachée va se révéler dans sa bonté originellle.

Outre la curiosité de départ, il y a l’action bienveillante de Jésus, qui est véritablement Christ pour Zachée en lui permettant de se libérer de cette étiquette de pécheur qui lui colle à la peau. L’action du Christ, nous le constatons une fois de plus, s’adresse à ceux qui semblent en être les plus éloignés, ceux pour lesquels tout espoir semble définitivement perdu. Jésus affirme ainsi qu’il n’y a pas de fatalité, qu’il n’y a pas de destin inéluctable auquel nous ne pourrions être arrachés. Jésus affirme qu’il est possible de sauver ce qui semble perdu. Cela est vrai pour Zachée condamné à n’être qu’un truand, cela est vrai pour chacun de nous lorsque nous avons l’impression d’être empêtrés dans des impasses de la vie, lorsque notre horizon est totalement bouché, et que notre quotidien n’est plus qu’un long et triste hiver.

En s’invitant chez Zachée, Jésus pose que notre vie quotidienne peut être intimement ré-enchantée par le sacré ; l’Evangile devient cette annonce qu’il n’est pas un aspect de notre existence, qu’il n’est pas une dimension de notre société, qui serait dans l’impossibilité d’être restaurée dans sa capacité à porter la vie et ce qui fait vivre. Dans une société brisée par les clivages, menacée par l’affrontement des narcissismes, étouffée par les rumeurs, bloquée par les masses qui veulent imposer leurs certitudes, le ministère de Jésus révèle qu’il y a encore moyen de retisser le lien social, il y a encore moyen de remettre en route ce qui a été figé, il y a même moyen de moraliser à nouveau la vie publique.

Dans la perspective de Jésus, cela ne se fait pas par la contrainte. Cela ne se fait pas par de nouvelles lois, par un mouvement répressif, ni pas la danse du scalp. Le changement d’attitude de Zachée n’est pas le résultat d’une menace, mais d’une présence, bienveillante, qui sort l’homme de l’anonymat de la foule, qui le replace dans une famille spirituelle et qui fait confiance. C’est parce qu’il se tient debout, dans un face à face avec Jésus, que Zachée décide de changer de vie, d’agir avec justice, de mettre fin à ses pratiques délictueuses. C’est le contact avec le bien absolu, avec l’amour véritable, qui transforme Zachée. C’est le fait de se tenir directement face à l’ultime, sans intermédiaire, sans média, qui permet à Zachée, l’homme de petite taille qui vivait dans Jéricho, la vie la plus basse du monde puisqu’elle est sous le niveau de la mer, de pouvoir redonner de la hauteur à sa vie et même de la porter à hauteur de l’Eternel.

Que fait Jésus pour sauver Zachée, pour sauver la situation, pour sauver le monde de sa folie ? Jésus pratique un exorcisme en forme de bénédiction. En disant que « le salut est entré aujourd’hui dans cette maison », Jésus exorcise la demeure de Zachée, il y fait entendre une autre parole que toutes celles qui résonnaient jusque là et qui le condamnaient à n’être qu’un pécheur. La maison de Zachée sera désormais chargée d’une autre mémoire, d’une autre promesse qui retentira et qui structurera le désordre dans lequel Zachée avait plongé de plus en plus profondément. Jésus a donc entrepris ce que le professeur Raphaël Picon nomme la traversée du désordre pour rejoindre Zachée dans son chaos et l’accompagner jusqu’à ce matin de la vie où nous devenons enfin celui que Dieu nous appelle à être.

Aujourd’hui encore, le fils de l’homme peut chercher et sauver ce qui est perdu en arrachant individuellement les truands à l’univers de la brutalité et en leur donnant l’occasion de se tenir face au bon, face au bien absolu, face à un regard d’amour qui trouve son origine en Dieu et qui est capable de donner la confiance nécessaire pour se lancer dans une vie marquée par la joie d’être au monde.

Amen 

Lecture de la Bible

Luc 19:1-10

Jésus, étant entré dans Jéricho, traversait la ville.
2 Et voici, un homme riche, appelé Zachée, chef des publicains, cherchait à voir qui était Jésus;
3 mais il ne pouvait y parvenir, à cause de la foule, car il était de petite taille.
4 Il courut en avant, et monta sur un sycomore pour le voir, parce qu’il devait passer par là.
5 Lorsque Jésus fut arrivé à cet endroit, il leva les yeux et lui dit: Zachée, hâte-toi de descendre; car il faut que je demeure aujourd’hui dans ta maison.
6 Zachée se hâta de descendre, et le reçut avec joie.
7 Voyant cela, tous murmuraient, et disaient: Il est allé loger chez un homme pécheur.
8 Mais Zachée, se tenant devant le Seigneur, lui dit: Voici, Seigneur, je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et, si j’ai fait tort de quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple.
9 Jésus lui dit: Le salut est entré aujourd’hui dans cette maison, parce que celui-ci est aussi un fils d’Abraham.
10 Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.

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