La vocation des disciples révèle notre qualité d’être premier
Marc 1:16-20
Culte du 20 janvier 2013
Prédication de pasteur James Woody
(Marc 1:16-20)
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Culte du dimanche 20 janvier 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, je vous dis souvent que la Bible n’est pas un livre de réponses. Cela demande à être précisé au regard de cet épisode biblique. Avec Paul Ricœur, je maintiens qu’être juif ou chrétien, ce n’est pas détenir, avec la Bible, les réponses qui feraient cruellement défaut aux fidèles des autres religions ou aux non-croyants. Ce n’est pas non plus détenir les réponses aux questions posées par les différentes disciplines et laissées par elles sans réponse. Effectivement, la Bible contient des réponses, de nombreuses réponses, tout aux long de ses récits. Toutefois, ces réponses ne sont pas des réponses à des questions, mais réponses à des appels. Il y a des hommes, des femmes, qui répondent à une parole qui leur est adressée, souvent sous la forme d’un « me voici » ou, comme c’est le cas dans ce texte, par une réponse en forme d’un engagement de toute la personne qui laisse ses outils pour suivre quelqu’un qui l’appelle.
Ici, la réponse qui est donnée par les disciples ne relève pas d’une vérité qui serait dite et qui serait valable à travers les temps et les lieux pour tout un chacun. Ici, la réponse qui est donnée par les disciples est une réponse qui engage l’existence, qui nous engage nous et qui se construit sur la confiance que des personnes vont faire à une parole qui leur a été adressée. Cette confiance dans une parole donnée, la théologie appelle cela la foi. Cette foi, cette confiance exprime le fait que des hommes se sentent vraiment concernés par la parole qu’ils ont entendue. Cette parole, cette invitation à vivre quelque chose de différent fait profondément écho à une réalité qui était là, présente en nous, mais qui attendait des mots pour prendre chair, à travers notre vie. Une parole nous rejoint, et la foi dans le fait que cette parole est juste pour moi, c’est une manière de dire, avec Paul Tillich, mon absolue dépendance vis-à-vis d’elle. Cette parole me concerne de manière ultime. En faire quelque chose, en vivre, c’est répondre à cet appel à la vie que me lance cette parole.
Ce récit autour des premiers disciples de Jésus parle de la vocation : le fait que nous sommes appelés à vivre quelque chose et que nous le vivons, effectivement. Pour certains, la vocation ce sera d’aider les personnes en difficulté (ils seront soignant, travailleur social ou pompier). Pour d’autres, la vocation sera de défendre la paix (ils seront politicien, militaire ou diplomate). D’autres auront la vocation d’éveiller la conscience de leurs semblables (ils seront enseignant, guide ou parent à temps complet). Et ainsi de suite. La vocation, c’est découvrir en soi ce qui nous préoccupe vraiment et en faire quelque chose à travers notre engagement, notre profession, nos paroles et nos actes. L’appel, la vocation à laquelle nous répondons, est possible quand une parole a nommé ce qui nous préoccupe de manière ultime et que nous pouvons le traduire, que nous pouvons en faire notre propre histoire.
En suivant Jésus, en répondant à sa sollicitation, les pécheurs de Galilée font histoire, ils se mettent à écrire une histoire qui sera leur réponse à l’appel à la vie, à cet appel à faire quelque chose de notre vie. Leur réponse n’a rien d’une vérité universelle au sens où nous devrions toutes et tous faire exactement ce qu’ils font. Leur réponse à un appel et non à une question exprime le fait que nous sommes capables de nous engager corps et âme dans l’aventure de la vie.
Je parle d’aventure, car l’appel de la vie nous invite à découvrir de nouveaux aspects de la vie. Les hommes que Jésus appelle seront tous des pêcheurs, mais au lieu de pêcher des poissons, désormais, ils pêcheront des hommes. Leur vie va se transformer considérablement et leur métier va atteindre un nouveau stade : ils vont hausser leur niveau d’existence en travaillant au service de l’humanité et non plus seulement au service des consommateurs de poisson. Jésus ne disqualifie pas leur activité de pêcheur : il permet aux disciples d’exercer leur métier à un niveau supérieur. Dans d’autres contextes, on pourrait imaginer qu’on ne se contente plus de soigner des maladies, mais aussi des personnes. Qu’on ne se contente plus de livrer du courrier, mais de relier les personnes. Qu’on ne se contente plus de gérer de l’argent, mais qu’on élabore une « loi de la maison », l’étymologie du mot économie, afin que nous puissions vivre dans une maison commune. Répondre à la parole qui nous est adressée, c’est, au sens strict du terme, être responsable : répondre de sa personne pour que cette parole se réalise, qu’elle fasse histoire.
Petit pause mathématique
En arithmétique, les nombres premiers sont des entiers naturels qui ont quelques caractéristiques intéressantes : ils ne peuvent pas être divisés par d’autres nombres que 1 et eux-mêmes (ils n’ont pas d’autres facteurs que 1 et eux-mêmes). Quand on multiplie deux nombres premiers, on obtient un nombre qui ne peut être divisé que par lui-même, par 1 et par les deux nombres premiers qui ont été multipliés. Par exemple 17x139=2363. 2363 n’est divisible que par lui-même, par 1, par 17 et par 139, si nous restons dans l’ensemble des entiers naturels (c’est-à-dire sans tenir compte des décimales).
Altérité radicale de chaque individu
La Bible, dès sa première page, révèle que le travail créateur de Dieu consiste à opérer des différenciations dans notre monde. On distingue le jour de la nuit, l’eau de la terre sèche, l’animal de l’humain. Plus tard il s’agira de distinguer ce qui fait grandir la vie et ce qui l’abîme. Contre le principe de fusion qui confond tout et empêche la vie de s’épanouir (cf. le récit de Babel), les textes bibliques nous proposent l’altérité, ce qui est différent, comme garantie pour que la vie puisse se développer. Dieu lui-même peut être désigné comme l’Autre radical, altérité qui assure la propagation d’une parole de vie là où la pensée unique, par exemple, la confisque et la stérilise.
Ce qui me frappe, dans ce passage biblique, c’est que Jésus, par deux fois, appelle des frères. Jacques et Jean, sont vraiment frères puisqu’ils ont tous les deux Zébédée pour père (si la mère n’est pas mentionnée, c’est que l’identité de la mère n’est pas aussi ambiguë que l’identité du père). Plus tôt, il avait appelé Simon et son frère André. Jésus appelle deux paires de personnes qui ont ceci de particulier qu’elles sont les personnes les plus semblables qui soient. S’il y avait eu une paire composée par un frère et une sœur, cela aurait été plus différent, mais il choisit des enfants de même sexe. En choisissant deux fois deux frères, Jésus appelle deux fois les personnes qui ont le plus de similitudes possibles. Et c’est par eux qu’il commence à composer son groupe de 12 disciples. Sauf à considérer Jésus comme agissant à l’encontre de ce que la Bible a proposé jusque là, en appelant deux fois deux frères, Jésus affirme l’altérité irréductible de chaque individu, même par rapport à quelqu’un qui est le plus semblable qui soit.
Pour le dire en termes mathématiques, Jésus nous révèle que nous sommes comme des nombres premiers, indivisibles, radicalement. Nous sommes, chacun, remarquables. Jésus, lui aussi, cultive la singularité, et révèle cette réalité là où elle est peut-être la moins évidente. Nous le constatons aussi par le fait que le texte biblique ne laisse pas les disciples dans un anonymat qui les maintiendrait dans l’indifférenciation : chaque disciple sera nommé, appelé par son nom, comme nous le disons encore de nos jours à l’occasion des baptêmes qui expriment, à leur manière, que nous sommes toutes et tous des être premiers. L’an dernier nous avions eu l’occasion de constater que le droit d’aînesse est largement battu en brèche par les textes bibliques. Nous comprenons aujourd’hui pourquoi : nous sommes toutes et tous des premiers-nés.
Le monde porte l’empreinte de notre existence
Cette singularité qui nous caractérise et qui est mise à jour ici, le fait que nous ayons les qualités d’un nombre premier a une autre conséquence. Nous avons vu que les nombres premiers, multipliés entre eux, donnent un nombre qui n’est divisible que par ceux-ci. Le produit de deux nombres premiers ne peut pas être obtenu par la multiplication d’autres nombres. Cela a une implication très concrète quand nous considérons que nous sommes des êtres premiers. En effet, le monde tel qu’il est, aujourd’hui, est le produit de ce que les êtres humains ont fait (ou n’ont pas fait), jusqu’à présent. Et parce que nous sommes, chacun, un être premier, le monde tel qu’il est, serait différent en notre absence. Pour le dire autrement, le monde actuel porte l’empreinte de chaque être premier. Il en garde la mémoire inaltérable de la même manière qu’un nombre a une décomposition unique en facteurs premiers. Par exemple 20605 est nécessairement la multiplication 5x13x317. Chaque nombre premier est déterminant et donne à un nombre sa véritable valeur, de même que chaque être premier est déterminant et donne au monde sa véritable valeur. Enlevez le moindre nombre premier d’une multiplication et le résultat est différent. Enlevez le moindre être premier dans l’histoire et le monde est différent.
C’est la raison pour laquelle Marianne Carbonnier-Burkard qui était professeur d’histoire moderne à la faculté de théologie de Paris avait raison de faire, selon son expression, de « l’histoire patte de mouche ». Car ce jour est le résultat de toutes les interactions passées. Il nous faudrait une puissance d’observation phénoménale pour retrouver dans notre présent l’interaction des milliards d’êtres premiers qui ont fait histoire, de même qu’il faudrait un énorme calculateur pour retrouver tous les nombres premiers qui ont été multipliés pour former un nombre qui aurait des milliards de chiffres. Nous n’avons qu’une connaissance imparfaite de notre univers. Mais l’univers garde la mémoire de nous tous et de tous ceux qui nous ont précédés, dès lors qu’ils ont fait histoire, dès lors qu’ils ont accepté de faire valoir leur altérité au service de l’histoire humaine, dès lors qu’ils ont répondu à l’appel que leur a lancé la vie pour entrer dans l’histoire.
En prêchant sur ce texte biblique, Albert Schweitzer a dit : « Dans le premier commandement que le Seigneur a donné sur terre, un seul mot se détache : le mot « homme ». Il ne parle pas de religion, de foi, de l’âme ou d’autre chose, mais uniquement « des hommes ». « Venez et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » C’est comme s’il disait aux générations à venir : pour commencer, vous allez tâcher que l’homme ne périsse pas. Suivez-le comme je l’ai suivi, et rejoignez-le là où les autres ne le trouveraient plus, dans la boue, la bestialité, le mépris ; allez à lui et soutenez-le jusqu’à ce qu’il redevienne un homme. »
Appeler l’homme à s’affirmer comme être premier, c’est ce que fait le Christ. Engager notre responsabilité dans les affaires du monde, y apporter ce qui n’appartient qu’à nous, et rendre le monde unique en son genre. Telle est notre divine vocation.
Amen
Lecture de la Bible
Marc 1:16-20
Comme Jésus passait le long de la mer de Galilée, il vit Simon et André, frère de Simon, qui jetaient un filet dans la mer; car ils étaient pêcheurs.
17 Jésus leur dit: Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes.
18 Aussitôt, ils laissèrent leurs filets, et le suivirent.
19 Etant allé un peu plus loin, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean, son frère, qui, eux aussi, étaient dans une barque et réparaient les filets. 20 Aussitôt, il les appela; et, laissant leur père Zébédée dans la barque avec les ouvriers, ils le suivirent.
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