La spiritualité : La vie en 3D
Éphésiens 3:14-21
Culte du 1 février 2015
Prédication de pasteur James Woody
(Éphésiens 3:14-21)
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Culte du dimanche 1er février 2015 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, nous sommes attendus. En tant que croyant, en tant que chrétien, en tant que protestant, nous sommes attendus dans l’espace publique pour un peu de régulation du champ religieux. Non pas pour remettre de l’ordre à la manière de gendarmes de la foi, mais en tant membres d’une communauté qui a les moyens de mettre de la raison dans les affaires religieuses. Ces quotes bibliques peuvent nous aider à cela en suggérant les lieux où nous sommes attendus, en suggérant les dimensions de la vie qu’il faut particulièrement chérir.
L’une de ces dimensions est la longueur qui est la dimension qui s’ouvre devant nous. La longueur permet de mesurer la portée de nos actes, de nos paroles, tout aussi bien que la portée de nos silences ou de nos absences. C’est établir que notre vie a un impact sur ce qui est à venir, sur le futur. Poser qu’il y a une longueur, c’est suggérer que ce que nous faisons a des conséquences, mesurables, et que ces conséquences nous appartiennent, qu’elles font partie de notre histoire. Poser qu’il y a une longueur, c’est établir notre responsabilité.
Notre longueur, c’est aussi bien l’impact que nous avons sur notre environnement social, que sur notre environnement naturel ou que sur notre propre futur. Lorsque nous consommons de l’énergie, cela a un impact, cela a des conséquences pour le futur. La longueur faisant partie de la mesure de notre être, ces conséquences nous appartiennent et nous sommes donc à même de répondre de nos choix, de nos pratiques : nous sommes reconnu comme un être responsable. Si nous consommons un capital, financier par exemple, ou alors si nous investissons dans la recherche, cela provoquera une longueur plus ou moins grande dans l’avenir. Si nous mettons à mort une catégorie de population, ou alors si nous prenons soin des plus petits, des plus faibles, cela aura une répercussion dans le futur et cela provoquera une longueur plus ou moins grande en direction de l’avenir.
Largeur / solidarité
La deuxième dimension est la largeur. Il ne s’agit pas de mesurer la carrure d’une personne aux centimètres nécessaires pour aller d’une épaule à l’autre. La largeur est la dimension qui correspond à notre capacité à être en relation les uns avec les autres. Lorsque le prophète Esaïe recommande d’élargir l’espace de notre tente (Es 54/2), c’est pour accueillir plus de personnes. Lorsque la graine de moutarde devient une plante qui s’élargit, c’est pour accueillir les oiseaux du ciel qui viennent y faire leur nid (Mc 4/32).
La largeur mesure notre capacité à nous lier les uns aux autres, et donc à reconnaître un lien avec celui qui se tient là et qui entre dans la mesure de ma personne. La largeur dit jusqu’à quel point nous embrassons le monde, jusqu’à quel point nous considérons la pertinence du lien de fraternité, jusqu’à quel point nous pouvons parler de réciprocité entre personnes. Lorsque François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, a proposé, hier, lors de l’AG de la Fédération, de jumeler nos communautés non pas seulement avec d’autres communautés protestantes, ni avec d’autres communautés chrétiennes, mais avec des communautés d’autres religions, il a proposé que notre largeur ne soit pas limitée au christianisme. Il a proposé que notre fraternité soit largement étendue. Cela traduit le fait que « l’amour du Christ surpasse toute connaissance » : lorsque nous vivons de cet amour-là, nous n’aimons pas seulement ceux qui sont aimables. Notre amour se porte au-delà de nos sympathies spontanées. Le prochain cesse d’être seulement celui dont je suis proche pour être aussi celui dont le Christ s’approche, ce qui élargit considérablement notre horizon d’amitié.
Hauteur, profondeur / singularité
Enfin, la troisième dimension est nommée « hauteur et profondeur ». Il est à la fois question de s’élever et d’approfondir. Là encore, les centimètres ne disent rien de ce qui est attendu de cette mesure. Il est question d’être relié au Père qui est dans les cieux et qui évoque la transcendance ; il est question d’être enraciné profondément dans l’amour –l’agapè. C’est aussi cela, un être spirituel. C’est la dimension qui exprime la valeur personnelle -nous pourrions dire la valeur intrinsèque- celle qui fait dire au divin « tu as du prix à mes yeux (Es 43/4) ». Non seulement nous ne sommes pas rien, mais notre dimension va par delà la matérialité, par delà l’apparence. Comme le disait Xavier Emmanuelli, fondateur du SAMU social, l’homme n’est pas la mesure de l’homme. Nous ne sommes pas confinés à un corps ni à une identité administrative, par exemple. La théologie s’intéresse tout spécialement à cette dimension de l’être qui échappe à la seule matérialité. Le théologien Paul Tillich nomme cela le fondement l’être, un fondement qui se traduit par le fait que nous considérions qu’il y a des choses qui sont fondamentales, qu’il y a des aspects de la vie qui nous confèrent une gravité particulière. Au quotidien, c’est ce que nous traitons avec plus de sérieux parce que cela nécessite plus de soins.
La profondeur, c’est notre capacité à nous saisir des vrais sujets, de ce qui est vraiment important dans la vie. Quant à la hauteur, c’est notre capacité à instruire ces sujets non pas seulement en fonction de notre intelligence du moment, mais de les porter aux nues, à hauteur de cet universel qui est désigné dans l’expression « notre Père qui es aux cieux ». Le philosophe Emmanuel Kant ne dira pas autre chose en nous encourageant à métamorphoser la maxime de nos actes, c’est-à-dire ce que nous faisons à un moment donné sous le coup d’une pulsion personnelle, en loi universelle, c’est-à-dire en action qui constitue un bien absolu (et pas uniquement un bien pour moi pour satisfaire mon seul intérêt).
La valeur d’une religion, la qualité d’un croyant
Ces trois dimensions peuvent servir, ensuite, lorsque nous nous interrogeons sur la valeur d’une religion. En restant prudent sur la possibilité de déterminer la valeur d’une religion, au moins me semble-t-il possible d’apprécier la manière dont les spiritualités développent ces trois dimensions. Je dirais plus. Il se pourrait que ces trois dimensions soient les critères explicites du christianisme par lesquels nous avons des affinités implicites avec tel ou tel croyant, qu’il soit ou non de notre chapelle.
Comment se fait-il que je me sente plus proche de tel catholique que de tel protestant ? Comment se fait-il que je me sente plus proche de tel musulman que de tel chrétien ? En raison de la manière dont ces trois dimensions sont ou non exploitées. Lorsque ces trois dimensions sont accomplies, c’est que la divinisation de l’homme a eu lieu, au sens chrétien du terme. C’est le cas de Jésus dont nous pouvons dire qu’il est Christ en ce sens qu’il n’est pas atrophié dans l’une ou l’autre de ces dimensions, mais qu’il en était « rempli jusqu’à la toute plénitude de Dieu ». Mais prenons le cas où une personne n’aurait pas de longueur, cela signifierait qu’elle est irresponsable, qu’elle se moque éperdument de l’avenir en ne se préoccupant pas le moins du monde des conséquences de ses actes. C’est une personne qui, comme le fils cadet de la parole de Luc (15) en serait au stade esthétique selon les catégories de Kierkegaard. Tout au contraire, quelqu’un qui ne développerait que la longueur, serait un être moral, à la manière du fils aîné de la même parabole. Moral et seulement moral, ce qui l’empêche de fraterniser, même avec son propre frère, autrement dit, il est un être sans largeur.
Quelqu’un qui n’aurait aucune largeur serait un être isolé, peut-être parce que trop égoïste pour se lier d’amitié. Un être qui se suffirait de son quant à soi ne susciterait-il pas une gêne de notre part ? La suffisance n’est-elle pas un frein dans les relations ? Il se pourrait bien que ceux qui apprécient la largeur soient justement ceux que nous apprécions. En revanche, ceux qui ont la largeur pour obsession deviennent insupportables car ils développeraient une tyrannie des sentiments qui sacrifie tout, à commencer par la profondeur des convictions, sur l’autel du réseau relationnel. En effet, tout miser sur les seules relations, vouloir être aimé de tout le monde, c’est mettre de côté ses convictions pour mieux épouser celles de ceux que nous voulons séduire. C’est faire disparaître sa profondeur personnelle, par exemple.
Continuons un peu à exploiter cette grille de lecture pour confirmer que celui qui ne serait que hauteur serait un tyran épouvantable tandis que celui qui ne serait que profondeur serait un esclave patenté. Si les humiliés peuvent avoir notre sympathie, c’est à la condition que leur humilité ne relève pas de la stratégie pour attirer sur soi les apitoiements. Quant au tyran qui veut s’élever au dessus de tous, il ne saurait avoir notre assentiment en l’état. La dictature, que ce soit en religion, en politique ou en sentiment, n’est pas notre fonds de commerce.
Sans vous inviter à passer tout monde par ce crible, cette grille de lecture peut-être utile pour mettre à jour un ressenti diffus, pour comprendre aussi bien nos gênes que nos élans du cœur envers tel ou tel. Cette grille est utile, également, pour établir plus facilement des relations par delà les frontières traditionnelles car elle nous remet au contact des personnes plutôt que des institutions impersonnelles, anonymes. Peu importe qu’une personne se déclare athée ou orthodoxe, pour peu qu’elle chemine dans ces trois dimensions.
L’usage d’une telle grille ne devrait pas être une invitation à maintenir les choses en l’état. Cette grille permet d’analyser à un moment donné, pas de porter un jugement définitif sur une personne, sur une religion, sur une communauté, sur une corporation. Notons que c’est en repérant qu’un homme était comme écrasé au sol, que Jésus lui a dit lève-toi, pour qu’il reprenne de la hauteur. C’est en constatant que celui-là se complaisait dans sa superbe qu’il l’a ramené à une plus juste place. C’est parce que Jésus avait vu des personnes mises en quarantaine définitive qu’il a réintégré ces exclus dans le tissu social. C’est parce qu’il a vu des je-m’en-foutistes que Jésus les a renvoyés à leur responsabilité.
La vie en 3D que développe ce passage biblique est à la fois une feuille de route pour notre propre pratique religieuse, pour notre propre spiritualité et un moyen d’apprécier celui dont nous faisons connaissance, ou la culture à laquelle nous nous intéressons. Mais ayons en tête que ce n’est qu’un seuil, un point de départ pour la suite de l’histoire, et non le point d’arrivée. Ce n’est pas parce que nous aurons rempli tous ces critères un jour que nous pourrons nous considérer comme définitivement au point, parfaitement épanouis, n’ayant plus rien à faire. Il s’agit de trois axes dans lesquels nous sommes invités à donner non pas notre mesure une fois pour toute, mais une démesure infinie correspondant à cette dynamique portée par l’Eternel, celui auquel la foi chrétienne rend gloire, et dont cette lettre dit qu’il peut faire infiniment plus que ce que nous demandons ou pensons.
Amen
Lecture de la Bible
Ephésiens 3:14-21
A cause de cela, je fléchis les genoux devant le Père, 15 de qui toute famille dans les cieux et sur la terre tire son nom, 16 afin qu’il vous donne, selon la richesse de sa gloire, d’être puissamment fortifiés par son Esprit dans l’homme intérieur, 17 en sorte que Christ habite dans vos coeurs par la foi; afin qu’étant enracinés et fondés dans l’amour, 18 vous puissiez comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur, 19 et connaître l’amour de Christ, qui surpasse toute connaissance, en sorte que vous soyez remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu.
20 Or, à celui qui peut faire, par la puissance qui agit en nous, infiniment au-delà de tout ce que nous demandons ou pensons, 21 à lui soit la gloire dans l’Eglise et en Jésus-Christ, dans toutes les générations, aux siècles des siècles!
Amen!
Traduction NEG
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