La résurrection du nombre 12

Luc 8:40-9:2 , Nombres 15:32-41

Culte du 16 décembre 2012
Prédication de pasteur Marc Pernot

( Luc 8:40-9:2 ; Nombres 15:32-41 )

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Culte du dimanche 16 décembre 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot

L’Évangile est cette bonne nouvelle que Dieu est source de vie pour nous, pour chacune et chacun.

Noël nous invite à fêter ce salut de Dieu donné en Jésus-Christ. Oui, mais quel est ce salut ? Comment est-ce que cela marche ? Quel rapport avec la religion, la Bible, le culte et la prière, la solidarité ? Qu’est-ce qu’ajoute Jésus ? En quoi est-ce qu’il change quelque chose à notre vie ?

C’est ce que je vous propose de rechercher dans la lecture de cette page de l’Évangile où nous voyons Jésus sauver une fille de 12 ans et guérie une femme gravement malade.

Dans ce récit, il est question des franges qui sont aux quatre coins du vêtement de Jésus,comme certains juifs très pratiquants en portent encore aujourd’hui pour suivre un conseil de la Loi de Moïse au livre des nombres, dans un texte terrible.

Ce texte de l’Évangile est une énigme.

  • Pourquoi est-ce que ces deux récits de guérisons sont ainsi mélangés ?
  • Il est étrange que Jésus semble guérir ainsi malgré lui, son manteau est-il un manteau magique ?
  • Comme pour tous les récits de miracle de l’Évangile, ils ont un sens figuré, qu’est-ce qui nous est dit ici de notre salut à nous ?

Partons d’un détail qui n’est jamais un détail dans le texte biblique. Ce nombre 12 qui apparaît à 3 reprises dans ce texte, ce nombre 12 qui est si important dans la Bible tout entière, de la Genèse à l’Apocalypse.

La fille de Jaïrus a 12 ans, la femme a une hémorragie depuis 12 ans, et il y a 12 apôtres.

Pourquoi y a-t-il 12 apôtres  plutôt que 10 ou 11 ? C’est peut-être pour reprendre le nombre des tribus d’Israël, les 12 tribus qui descendent d’Abraham, Isaac et Jacob. Mais alors, pourquoi est ce qu’il y a 12 tribus ? Parce que ce nombre est significatif. Le 12 évoque l’alliance entre les hommes et Dieu, il représente une humanité qui vit avec Dieu. Cela repose sur une symbolique très classique et qui remonte à des milliers d’années. Le 12 combine par une simple multiplication le 3 et le 4.

  • Le 3 est un chiffre qui évoque Dieu dans bien des civilisations car le triangle est la seule figure géométrique qui ne se déforme pas. C’est parce que ce chiffre est le chiffre de Dieu que certains Chrétiens de la fin du IIe siècle ont imaginé ce concept de « trinité », un seul Dieu en trois personnes.
  • Le 4 évoque la terre avec ses quatre points cardinaux, les quatre éléments, les quatre pattes des animaux...

Le 12 est ainsi un nombre qui évoque l’alliance entre Dieu et les hommes. Mais il peut y avoir différentes alliances avec Dieu ? Comment combiner le 4 de notre être, le 4 de l’animal que nous sommes et le 3 de Dieu, le 3 de l’inspiration divine et de la vie éternelle ? C’est cette question qu’explore à mon avis ce texte de l’Évangile pour nous dire ce que nous apporte le Christ d’extraordinaire.

Le premier chiffre douze est celui de l’âge de la fille de Jaïrus, le chef de la synagogue.

La synagogue est un lieu de réflexion en commun autour de la Bible, c’était du temps de Jésus un lieu de débats fameux entre rabbins rayonnants d’intelligence pour interpréter les textes de la Bible et y trouver du sens pour notre vie. Nous avons là une belle dimension de l’alliance entre Dieu et les hommes, celle de la recherche de Dieu par la lecture de la Bible, par l’intelligence et par la discussion. Notre texte de l’Évangile nous montre de plusieurs façons que c’est une bonne dimension : d’abord parce que le nom de Jaïrus (ryay Yaïr) veut dire littéralement « celui qui éclaire ». Et c’est vrai que cette alliance par l’intelligence est source de lumière pour nous et pour ceux qui nous entourent, elle permet de voir plus clair sur qui nous sommes, voir notre valeur et comprendre mieux le monde qui nous entoure. Notre texte nous dit aussi que cette alliance est féconde, la naissance de cette fille qu’a Jaïrus est le signe d’une bénédiction, d’une vraie fécondité. Une fille qui naît, qui grandit comme une fille de 12 ans, qui est souvent déjà assez grande. Elle est une figure de la fécondité de notre pensée. 

Mais voilà, cette alliance a des limites. La fille de Jaïrus, la fécondité de cette alliance a des difficultés à devenir adulte. Elle n’arrive pas à continuer à grandir, à évoluer. Elle s’endort, on la croit morte. L’intelligence seule ne suffit pas. L’Évangile nous propose de faire comme Jaïrus pour aller plus loin. Il va vers le Christ en se plaçant à ses pieds, c’est à dire devant sa capacité à avancer, à évoluer. Jaïrus l’invite, il le supplie d’entrer chez lui et de donner vie à cette bonne dimension de l’intelligence et de la lecture de la Bible.

En deux phrases et trois images, ce texte de l’Évangile nous dit à la fois la richesse et les limites de la lecture et des discussions autour de la Bible. Oui, l’intelligence de cette démarche avec tous les outils que nous donnent les sciences et la philosophie ont une fécondité mais il est indispensable à un certain moment d’insuffler du Christ dans notre lecture pour qu’elle devienne adulte.

Mais le récit s’interrompt alors pour nous parler d’une seconde alliance.

L’alliance de l’action

Nous l’avons entendu, les franges qui sont au 4 coins du vêtement des juifs, et donc aux 4 coins du vêtement de Jésus, ces 4 franges (les « tsitsit ») évoquent l’action, la mise en pratique de la volonté de Dieu. La Loi de Moïse nous dit qu’un brin de laine bleue est entortillé sur chacune des ces 4 franges, ce brin de laine bleu ciel évoque Dieu comme étant au-dessus de nous (pas physiquement, mais sur le plan de la qualité d’être, bien entendu).

Les Tsitsit évoquent une alliance qui nous engage dans l’action en ce monde, nous dit la Bible, et ne pas faire n’importe quoi.

L’intelligence est une première dimension de l’alliance avec Dieu. L’action est une seconde dimension de l’alliance. Ces deux dimensions sont excellentes. Mais l’intelligence avec la Bible avait sa limite. L’action a également une limite, nous dit ce texte, elle est comme frappée d’une hémorragie. Notre action s’inscrit dans ce monde où tout s’use, chaque journée vécue en ce monde est une journée qui a pu être l’occasion de vivre de belles choses et de produire de la vie, mais cette journée est une de nos journées qui a été consommée. La vie s’écoule comme une hémorragie et aucun médecin en ce monde ne peut faire autrement.

Même la lecture de la Bible de Jaïrus, en un sens, butte sur cette question. À quoi bon toute cette sagesse de vie, à quoi bon toute cette théologie, cette finesse d’analyse que permettent la philosophie et la science si de toute façon notre cerveau finira par arrêter de vivre un jour, si la bibliothèque qu’est notre intelligence de la vie finira un jour par disparaître ?

Il y a une vraie solution à cette question essentielle en Christ. C’est ce que nous dit ce texte. Et c’est pourquoi le récit de la guérison de l’hémorragie de cette femme doit être placée au cœur du récit, avant même la guérison de la fille de Jaïrus.

D’un côté, Jésus est pressé, étouffé, écrasé par la foule. La femme, elle, ne l’écrase pas, elle le suit en restant derrière, entrant dans son mouvement. Et le texte nous dit qu’elle touche cette frange entortillée de fil bleu qui est au coin de son vêtement, frange qui évoque notre action en ce monde avec Dieu.

Il y a deux façons de comprendre ce fil bleu entortillé sur le fil blanc du tsitsit.

  • La première est d’y voir Dieu qui nous surveille de près et qui nous juge, nous chassant de son alliance si nous quittons le droit chemin. C’est cette lecture que font les hébreux quand ils croient bien faire en exécutant cet homme qui ramassait du bois le jour du sabbat, alors que ce jour de la semaine est normalement réservé aux choses spirituelles et non à l’action dans le monde.
  • Mais on peut comprendre d’une autre façon ce fil bleu entortillé sur les tsitsit. Cette nouvelle interprétation, la femme l’a saisie en suivant Jésus, en l’écoutant parler de Dieu, en le voyant toucher les lépreux, pardonner à gens de mauvaise vie, discuter avec des étrangères… Et alors, ce fil bleu entortillé sur le fil blanc, ce fil bleu qui représente la présence de Dieu dans notre vie n’est plus comprise comme une présence qui nous enferme et nous menace, mais comme une présence qui nous soutient, qui nous comprend, qui nous porte, qui nous encourage, qui nous garde et nous gardera comme une maman garde son enfant nouveau-né.

Ce changement d’interprétation est un retournement fondamental. Ce n’est pas simplement une question d’opinion mais c’est une expérience que la femme fait en suivant le Christ et en saisissant un petit peu sa façon d’être. C’est une expérience que l’on peut faire aujourd’hui par la prière et en méditant encore sa vie, sur ses actes, ses paroles, et comme la femme, en cherchant à le suivre, en mettant dans nos mains sa façon d’être en alliance avec Dieu, sa façon d’être et d’agir en ce monde en communion avec lui.

Il y a là un retournement qui nous donne une espérance au-delà des limites de notre vie biologique et de la petitesse de nos actions. Car, avec le Christ, nous sentons alors que Dieu nous garde personnellement, individuellement comme le fil bleu garde et soutien le fil blanc sur les 4 coins de ce qui enveloppe Jésus. Que nous sommes ainsi comme gardé aux 4 coins de notre être par cet amour immense. Qu’il ne laisse pas se perdre une seule bonne pensée, ni le moindre geste de bonté, qu’il le garde comme une mère prend soin de son bébé.

C’est ainsi que tout bon geste que nous pouvons avoir nous dépasse, qu’il nous survit. Il est comme quand on jette un petit caillou à la surface d’un étang, de petites vagues en forme de cercle vont doucement, tranquillement toucher toute la surface de l’étang bien après que le caillou soit tombé au fond.

Dans cette expérience que la femme a ainsi du Christ elle trouve une vraie liberté. Elle n’a plus peur de Dieu. La Bible n’est plus pour elle un recueil d’histoires qui nous menacent mais elle est pleine de bonnes questions qui nous éclairent et de bonnes promesses de Dieu pour nous, pour elle.

Elle se sent alors autorisée à faire une interprétation personnelle de la Bible et de la volonté de Dieu. La lettre de la Bible disait que son hémorragie la rendait impure et qu’elle devait rester loin des autres, à l’écart, comme si elle avait la peste. Non, maintenant, elle se sent autorisée à faire une autre interprétation de cette loi, elle s’approche de Jésus et elle touche le bord de son vêtement. Timidement, certes, mais quand même. Il l’appelle « ma fille » car dans un sens elle est née ce jour-là grâce à lui. Elle sait qu’aux yeux de Dieu personne n’est impur, que c’est sa maladie elle-même qui est jugée par Dieu comme devant être supprimée, mais pas elle-même. Au contraire.

En lui, notre finitude, elle-même, est dépassée.

Et cette interprétation nouvelle change notre regard sur toute chose, elle change évidemment l’interprétation fondamentaliste du commandement de lapider l’homme qui ramasse son bois le jour du Sabbat. Que veut dire ce commandement du Sabbat ? Qu’il y a un danger dans notre vie de se laisser enfermer par mille activités courantes qui étoufferaient notre dimension spirituelle comme le Christ est ici pressé, étouffé par la foule. Qu’il y a là un danger de mort pour notre vie spirituelle, pour notre liberté et notre épanouissement. C’est ce que rappelle Jésus dans la parabole du semeur. Mais en même temps peut-être que l’homme avait raison d’aller chercher du bois ce jour-là si son enfant est malade, par exemple. Une lecture trop étroite de la Bible est ainsi une autre façon d’étouffer le Christ, d’écraser ce souffle de Dieu en nous par une lecture trop étroite, sans nuance et sans liberté d’interprétation par crainte de Dieu.

Alors oui, par la liberté que donne le Christ à la femme, nous ne sommes plus sous la crainte mais dans l’espérance en Dieu, la lecture de la Bible de Jaïrus peut alors sortir de l’enfance, elle peut devenir grande et autonome comme un adulte. Mais pour cela il faut que Jésus entre dans sa maison, la visite, entre dans sa lecture des écritures et de sa vie, qu’il réveille tout cela, et qu’il se sente autorisé à se mettre debout, à laisser souffler l’Esprit que Dieu lui a donné, Esprit d’intelligence et de liberté créatrice. Avec juste un conseil de Jésus : n’oubliez pas quand même de nourrir cette fille de la lecture intelligente et inspirée.

L’alliance de la Parole créatrice

Vient alors une troisième alliance entre Dieu et la personne humaine, c’est celle où Jésus envoie « les douze », c’est-à-dire nous tous ensemble, avec le pouvoir d’annoncer le règne de Dieu et de chasser les démons, de guérir les malades. Alors oui, nous sommes le corps du Christ, capables et dignes de faire vraiment avancer le monde et le rendre plus lumineux et plus beau, plus fraternel et uni à Dieu.

Mais si nous sommes ainsi gardés par l’amour de Dieu, quoi que nous fassions ; si Dieu nous donne ainsi tout pouvoir d’agir dans ce monde qu’il aime ; si tout est permis, comme le dit l’apôtre Paul et comme le vit cette femme avec l’approbation de Jésus, pourquoi alors se fatiguer à faire le bien ? Pourquoi chercher à affiner sa pensée et à prier Dieu ? Pour le bonheur qu’il y a d’augmenter et d’embellir la vie, pour la joie qu’il y a de d’exprimer notre bon fond, pour la beauté du geste, comme le dit la lettre de Jaques qui nous propose d’accomplir la parole de Dieu, certes, non pas comme des robots bien programmés mais comme « des poètes de la Parole » (Jacques 1 :22), parce que chacune de nos journées, de nos années peuvent être comme un poème, comme une œuvre d’art, comme un morceau de belle musique, source de joie pour Dieu et pour le monde.

En toute modestie.

Amen.

Lecture de la Bible

Luc 8:40-9:2

Jésus fut reçu par la foule, car tous l’attendaient.

41 Et voici, il vint un homme, nommé Jaïrus, qui était chef de la synagogue. Il se jeta à ses pieds, et le supplia d’entrer dans sa maison, 42 parce qu’il avait une fille unique d’environ douze ans qui se mourait. Pendant que Jésus y allait, il était pressé par la foule.

43 Or, il y avait une femme atteinte d’une perte de sang depuis douze ans, et qui avait dépensé tout son bien pour les médecins, sans qu’aucun ait pu la guérir. 44 Elle s’approcha par derrière, et toucha le bord du vêtement de Jésus. Au même instant la perte de sang s’arrêta. 45 Et Jésus dit: Qui m’a touché? Comme tous s’en défendaient, Pierre et ceux qui étaient avec lui dirent: Maître, la foule t’entoure et te presse, et tu dis: Qui m’a touché? 46 Mais Jésus répondit: Quelqu’un m’a touché, car j’ai’ai connu qu’une force était sortie de moi.
47 La femme, se voyant découverte, vint toute tremblante se jeter à ses pieds, et déclara devant tout le peuple pourquoi elle l’avait touché, et comment elle avait été guérie à l’instant. 48 Jésus lui dit: Ma fille, ta foi t’a’a sauvée; va en paix.

49 Comme il parlait encore, survint de chez le chef de la synagogue quelqu’un disant: Ta fille est morte; n’importune pas le maître. 50 Mais Jésus, ayant entendu cela, dit au chef de la synagogue: Ne crains pas, crois seulement, et elle sera sauvée. 51 Lorsqu’il fut arrivé à la maison, il ne permit à personne d’entrer avec lui, si ce n’est à Pierre, à Jean et à Jacques, et au père et à la mère de l’enfant. 52 Tous pleuraient et se lamentaient sur elle. Alors Jésus dit: Ne pleurez pas; elle n’est pas morte, mais elle dort. 53 Et ils se moquaient de lui, sachant qu’elle était morte. 54 Mais il la saisit par la main, et dit d’une voix forte: Enfant, lève-toi. 55 Et son esprit revint en elle, et à l’instant elle se leva; et Jésus ordonna qu’on lui donne à manger. 56 Les parents de la jeune fille furent dans l’étonnement, et il leur recommanda de ne dire à personne ce qui était arrivé.

1 Jésus, ayant assemblé les douze, leur donna force et pouvoir sur tous les démons, avec la puissance de guérir les maladies. 2 Il les envoya prêcher le royaume de Dieu, et guérir les malades.

Nombres 15:32-41

Comme les enfants d’Israël étaient dans le désert, on trouva un homme qui ramassait du bois le jour du sabbat. 33 Ceux qui l’avaient trouvé ramassant du bois l’amenèrent à Moïse, à Aaron, et à toute l’assemblée. 34 On le mit en prison, car ce qu’on devait lui faire n’avait pas été déclaré. 35 L’Eternel dit à Moïse: Cet homme sera puni de mort, toute l’assemblée le lapidera hors du camp. 36 Toute l’assemblée le fit sortir du camp et le lapida, et il mourut, comme l’Eternel l’avait ordonné à Moïse.

37 L’Eternel dit à Moïse: 38 Parle aux enfants d’Israël, et dis-leur qu’ils se fassent, de génération en génération, une frange au bord de leurs vêtements, et qu’ils mettent un fil bleu d'azur sur cette frange du bord de leurs vêtements. 39 Quand vous aurez cette frange, vous la regarderez, et vous vous souviendrez de tous les commandements de l’Eternel pour les mettre en pratique, et vous ne suivrez pas les désirs de vos coeurs et de vos yeux pour vous laisser entraîner à l’infidélité. 40 Vous vous souviendrez ainsi de mes commandements, vous les mettrez en pratique, et vous serez saints pour votre Dieu. 41 Je suis l’Eternel, votre Dieu, qui vous ai fait sortir du pays d’Egypte, pour être votre Dieu. Je suis l’Eternel, votre Dieu.

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