La mort de Paul : une énigme ?

Actes 28:14-31

Culte du 20 août 2017
Prédication de pasteur Richard Cadoux

Dimanche 20 août 2017
prédication du pasteur Richard Cadoux

Quand on lit le Nouveau Testament, en essayant de s’affranchir de tout préjugé, on s’aperçoit qu’il est dominé par deux personnages, deux « vedettes », Jésus de Nazareth et Paul de Tarse. Si nous mettons en parallèle ces deux existences, on constate que sur la mort de Jésus, nous sommes abondamment renseignés. Les évangiles accordent une place considérable à la mort du Christ. Les récits de la Passion tiennent dans chaque évangile une place importante et, en un sens, disproportionnée. Il n’en va pas de même en ce qui concerne Paul : Quand est-il mort ? En quel lieu ? Dans quelles circonstances ? Autant de questions qui restent sans réponses ! Alors bien sûr, les vestiges de la littérature chrétienne primitive ainsi que la vénération précoce de son martyr, attestée par l’archéologie nous permettent de penser raisonnablement que Paul est sans doute mort en témoin de la foi, à Rome vraisemblablement, peut-être victime de la persécution de l’empereur Néron. Sans doute, peut-être, vraisemblablement, autant de mots qui constituent ce que l’un de mes maîtres appelait les « cache-misère » de l’historien.

Et l’on se dit que les Actes des apôtres, rédigés par Luc, auraient pu, auraient dû nous raconter la fin du pèlerinage terrestre de l’apôtre des Nations. Or vous venez d’entendre la finale de ce livre. Son auteur reste entièrement muet à ce sujet. Pourquoi Luc, qui est un admirateur de Paul, a-t-il fait silence sur la disparition de son héros ? Au sujet de sa mort, il ne pouvait pourtant pas être dans l’ignorance. Eh bien, je fais l’hypothèse que Luc sait, de science certaine, ce qu’il en est de la mort de Paul, mais que son silence est délibéré. Et non pas parce qu’il y aurait des choses à cacher. Comme si Paul, livré au pouvoir impérial, avait été victime de règlements de compte internes à la communauté chrétienne. Luc aurait alors jeté un voile pudique sur des événements peu glorieux pour l’Eglise qui n’aurait pas été à la hauteur de la fraternité qu’elle affiche et qu’elle revendique.

En fait, Luc sait ce qu’il fait en achevant ainsi son ouvrage. En effet, la fin d’un livre est d’une importance capitale. Le message ultime livré par l’auteur, c’est un seuil, c’est un sas, qui fait passer du monde du récit au monde du lecteur. Une fois le livre fermé, on revient dans la vie. On y revient riche d’un enseignement, d’une ouverture sur l’avenir. Alors, puisque nous sommes sur le seuil, il vaut la peine d’analyser cette finale du Livre des Actes. Luc, qui est un très grand écrivain, nous présente quatre scènes, quatre vignettes : l’arrivée de Paul, deux entretiens et un discours terminal. Premier tableau. L’arrivée à Rome. Paul est prisonnier. Arrêté au temple de Jérusalem, comme perturbateur de l’ordre public, déféré devant les autorités d’occupation, il a fait appel à César, en sa qualité de citoyen romain. Maintenant il doit donc comparaître devant le tribunal dans la capitale de l’empire. C’est un captif qui entre dans la ville. Le paradoxe, c’est que Luc nous décrit une « joyeuse entrée », l’arrivée solennelle d’un souverain en sa bonne ville. C’est une parousie. Des frères dans la foi viennent à sa rencontre et c’est entouré d’un cortège plein d’allant que Paul entre dans la cité. Comme si pour l’apôtre se rejouait ce qui s’est passé pour Jésus au matin des rameaux, une entrée festive et allègre, quasiment triomphale, dans la cité de Sion. Paul reprend courage. Il fait irruption dans la ville sous le signe d’une grâce victorieuse qui l’établit dans la confiance et dans la joyeuse action de grâce.

Deuxième tableau. Paul bénéficiant d’un régime plus proche de l’assignation à résidence que de l’incarcération, reçoit à domicile une délégation de « notables juifs ». Ce sont ceux qui administrent et animent les associations cultuelles juives de l’époque, les synagogues. A leur intention, Paul fait son apologie. Il doit en effet se justifier. Il n’a certainement pas bonne réputation dans le monde juif de l’époque. Avec l’habileté d’un maître de la pensée et de la parole, il a soin tout d’abord de disculper les romains, de les exonérer de toute charge en cette affaire. Il rappelle aussi sa propre fidélité à la religion des Pères, histoire de se concilier les juifs présents à l’entretien. Il évoque l’espérance d’Israël. Il leur explique qu’il a reconnu en Jésus le messie. Paul est passé en effet d’un judaïsme de type pharisien à un judaïsme de type messianique. Sa prise de position est finalement légitime et elle peut susciter l’attention d’autres juifs. Les seuls à être mis en cause par Paul et attaqués directement, ce sont les juifs excités de Jérusalem dont il prétend avoir été la victime. On le sait, les absents ont toujours tort. Quant à ceux qui sont présents, Paul est prêt à prolonger le dialogue avec ceux qui désirent en savoir plus sur ses convictions de foi.

Tout est alors prêt pour le troisième tableau. Il s’agit d’un nouvel entretien avec les notables juifs. Mais la posture de Paul change. Ce n’est plus un accusé qui parle. Paul se met à proclamer l’Evangile, « rendant témoignage au règne de Dieu », parlant de Jésus à partir de la loi de Moïse et des prophètes. Et bien évidemment son discours divise. Les uns y adhèrent, les autres refusent d’y croire. Pourquoi la prédication paulinienne recueille-t-elle si peu d’écho ? C’est Paul lui-même qui donne la réponse dans la Lettre aux Romains (11, 25) : « C’est qu’une partie d’Israël est tombée dans l’endurcissement ». Une partie seulement. Cet endurcissement, il est d’ailleurs déjà évoqué par le prophète Esaïe. Les fils d’Israël, leur cœur s’est épaissi, il s’est noyé dans la graisse. Ils ne voient pas, ils n’entendent pas. Mais ce qui arrive à Paul, cette incapacité à faire l’unanimité parmi ses frères n’est pas à ses yeux un échec, une faute, un accident, encore moins une tragédie ou une malédiction. Bien au contraire, c’est l’occasion pour Paul de se tourner vers les païens et d’élargir ainsi le champ de la mission.

Alors Luc peut brosser un quatrième et dernier tableautin dans lequel justement il nous dépeint comment la mission de l’Eglise devient universelle. Car désormais Paul s’adresse à tous. Il proclame le règne de Dieu et enseigne au sujet de Jésus, écrit Luc. Evangéliser, c’est bien parler du message (l’Evangile) et du messager (Jésus). L’auteur du Livre des Actes précise que Paul recevait tous ceux qui venaient le trouver. Paul reçoit à la maison. Encore un paradoxe. Cet homme est prisonnier. Sa porte est pourtant grande ouverte. Il fait bon accueil aux uns et aux autres, à tous ceux qui sont en quête de sens et de vérité. Le lieu de la mission, ce n’est plus le temple, ni même la synagogue, c’est la maison, le lieu de la vie banale, de la vie ordinaire. L’Evangile est fait pour résonner au plus concret de l’existence des hommes, dans les lieux et dans les temps de la vraie vie. Je pense à ce qu’écrivait Madeleine Delbrel, cette chrétienne qui a passé sa vie à Ivry-sur-Seine où elle était assistante sociale et où elle a voulu témoigner de l’Evangile dans une vie d’enfouissement et de présence au monde. Elle a écrit un beau livre « Nous autres gens des rues ». Les gens des rues « Ce sont des gens qui font un travail ordinaire, qui ont un foyer ordinaire ou sont des célibataires ordinaires. Des gens qui ont des maladies ordinaires, des deuils ordinaires. Des gens qui ont une maison ordinaire, des vêtements ordinaires. Ce sont les gens de la vie ordinaire. Les gens que l’on rencontre dans n’importe quelle rue. Ils aiment leur porte qui s’ouvre sur la rue…. Nous autres, gens de la rue, croyons de toutes nos forces que cette rue, que ce monde où Dieu nous a mis est pour nous le lieu de notre mission ». Pour Paul le lieu de la mission, c’est cette maison d’arrêt. Le livre s’achève ainsi sur le portrait de Paul, apôtre de Jésus-Christ, figure exemplaire de l’évangélisation et témoin de l’Evangile.

La fin du récit est donc une fin délibérément inachevée, provisoire. En ce sens la clôture du récit dans le Livre des actes est paradoxale. Elle met en scène un prisonnier, mais la clôture du texte est une porte ouverte, grande ouverte sur trois questions. Trois questions qui se posaient aux premiers temps de l’Eglise et qui se posent encore à nous aujourd’hui.

Première question, fondamentale : Qu’en est-t-il du peuple juif et de sa destinée finale ? Au-delà de l’enseignement du mépris, il faut en revenir aux intuitions pauliniennes. Sur ses frères, Paul ne prononce aucune parole de malédiction. Certes, une partie d’Israël a rejeté sa prédication. Cela a conduit Paul à se tourner vers les païens. L’annonce de l’Evangile aux Nations ne signifie pas pour autant le rejet d’Israël par Dieu. L’Eglise ne se substitue pas au peuple de la première alliance. Les enfants d’Israël qui restent fidèles à la loi de Moïse sont bénis de l’Eternel, dont les dons sont sans repentance. L’existence, aussi conjointe que conflictuelle, de l’Eglise et de la synagogue signifient que le royaume n’est pas encore advenu et que l’histoire reste ouverte, inachevée jusqu’au rassemblement final, lorsque tout Israël sera sauvé. En attendant, c’est une invitation pressante adressée à ceux qui se réclament du juif Jésus de porter sur le peuple hébreu, sur les juifs, un regard de respect et d’estime.

Deuxième question : Jusqu’où la parole de Dieu ira-t-elle ? Si pour Paul Rome est un point d’arrivée, il reste que le terme prescrit à la mission dans les Actes, ce sont les extrémités de la terre. La finale du livre marque un point de départ. Le champ de la mission est grand ouvert, et il l’est encore de nos jours. Ces extrémités de la terre, il s’agissait peut-être pour Paul de l’Espagne ou des confins du Danube. Au fil de l’histoire de la mission, ces extrémités ont été sans cesse repoussées. Ces extrémités ne sont sans doute plus à comprendre dans un sens étroitement et uniquement géographique. Si l’Evangile a pour vocation d’être proclamé jusqu’aux extrémités du monde, il convient de prendre en compte de nouvelles frontières, sociales, intellectuelles et culturelles. Et nous voilà invités à nous porter aux frontières.

Troisième et dernière question : Qu’en est-il des témoins de l’évangile ? Luc aurait pu raconter la mort de Paul et célébrer son martyr, comme il l’a fait pour Etienne, lapidé aux portes de la ville. Il est toujours tentant de faire l’éloge des héros, en donnant à entendre leurs dernières paroles, propres à nous édifier. Mais le christianisme n’a pas vocation au culte des saints, encore moins à celui de la personnalité. Peu importe de savoir les circonstances du décès. En dépit de son génie, Paul est un serviteur quelconque, un parmi tant d’autres. Un serviteur, et c’est cela qui compte. En ce sens, en nous parlant de Paul, la finale du Livre des Actes nous propose le modèle du témoin de l’Evangile : un être qui s’engage et qui prend la parole « avec une entière assurance et sans entraves ». Tels sont les derniers mots de ce livre. Cette expression désigne le courage de celui qui prend la parole, sa capacité à oser une parole vrai. Elle désigne aussi la confiance que le témoin place en celui qui l’envoie. « Parler avec assurance et liberté » : Tout un programme !

AMEN

Lecture de la Bible

Actes 28:14-31

14 où nous avons trouvé des frères qui nous prièrent de rester sept jours avec eux. Et c'est ainsi que nous sommes allés à Rome. 15 Les frères de cette ville, qui avaient eu de nos nouvelles, vinrent à notre rencontre jusqu'au Forum d'Appius et aux Trois-Tavernes. Paul, en les voyant, rendit grâces à Dieu et prit courage. 16 Après notre arrivée à Rome, le centenier livra les prisonniers au commandant mais on permit à Paul de demeurer à part, avec le soldat qui le gardait. 17 Au bout de trois jours, il convoqua les notables des Juifs ; et, quand ils furent réunis, il leur adressa ces paroles : Frères, sans avoir rien fait contre ce peuple ni contre les coutumes de nos pères, j'ai été mis en prison et, de Jérusalem, livré entre les mains des Romains. 18 Après m'avoir interrogé, ceux-ci voulaient me relâcher, parce qu'il n'y avait en moi rien qui mérite la mort. 19 Mais les Juifs s'y opposèrent, et j'ai été forcé d'en appeler à César, sans du reste avoir l'intention d'accuser ma nation. 20 Pour ce motif j'ai denandé à vous voir et à vous parler ; car c'est à cause de l'espérance d'Israël que je porte cette chaîne. 21 Ils lui répondirent : Nous n'avons reçu de Judée aucune lettre à ton sujet, et il n'est venu aucun frère qui ait rapporté ou dit du mal de toi. 22 Mais nous voudrions entendre de toi ce que tu penses, car nous savons que ce parti rencontre partout la contradiction. 23 Ils lui fixèrent un jour, et plusieurs vinrent le trouver dans son logis. Dans son exposé, il rendait témoignage du royaume de Dieu et cherchait, par la loi de Moïse et par les prophètes, à les persuader en ce qui concerne Jésus ; et cela, depuis le matin jusqu'au soir. 24 Les uns furent persuadés par ce qu'il disait, et les autres restèrent incrédules. 25 Comme ils se retiraient, en désaccord les uns avec les autres, Paul n'ajouta que ces mots : C'est avec raison que le Saint-Esprit, parlant à vos pères par le prophète Ésaïe, a dit : 26 Va vers ce peuple, et dis : Vous entendrez bien et vous ne comprendrez point ; Vous regarderez bien et vous ne verrez point ; 27 Car le cœur de ce peuple est devenu insensible ; Ils se sont bouché les oreilles et ils ont fermé les yeux, De peur de voir de leurs yeux, d'entendre de leurs oreilles, De comprendre de leur cœurEt de se convertir, en sorte que je les guérisse. 28 Sachez donc que ce salut de Dieu a été envoyé aux païens : eux, ils l'écouteront. 29 [Lorsqu'il eut dit cela, les Juifs s'en allèrent, en discutant vivement entre eux.] 30 Paul demeura deux ans entiers au domicile qu'il avait loué. Il recevait tous ceux qui venaient le voir ; 31 il prêchait le royaume de Dieu et enseignait ce qui concerne le Seigneur Jésus-Christ, en toute assurance et sans empêchement.

(Cf. Traduction Colombe)

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