La fête de la liberté

Actes 1:4-11

Culte du 9 mai 2013
Prédication de pasteur James Woody

(Actes 1:4-11)

(écouter l'enregistrement)  (voir la vidéo)

Culte du jour de l'ascension 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, la fête de l’Ascension est peut-être la célébration la plus paradoxale qui soit pour des protestants de tradition réformée. Ce que l’on retient de cet épisode biblique est la montée spectaculaire de Jésus et la question de savoir comment cela serait physiquement possible occupe les esprits plus que toute autre considération. Ajoutons à cela que l’Ascension est fêtée le jour même et non reportée sur le dimanche qui précède, pour que nous ayons le sentiment légitime que tout cela n’est pas très raisonnable.

En fait, les réformateurs tels que Calvin et, plus encore Zwingli, qu’on peut difficilement taxer de superstitieux, ont pris très au sérieux l’Ascension et en ont même fait une clef essentielle pour une compréhension authentique de ce qu’est la vie chrétienne. A la limite, là où le réformateur Zwingli a fait une lecture métaphorique de l’essentiel des textes bibliques, il a quasiment cédé au littéralisme sur l’épisode de l’Ascension. Pourquoi ? Pour appuyer sa compréhension de la cène, à savoir que Jésus n’est pas matériellement présent dans le pain et dans le vin. En effet, si Jésus est monté au ciel, alors il ne peut pas être physiquement présent dans le pain et dans le vin de la cène.

Prendre au sérieux l’Ascension de Jésus, c’est prendre au sérieux le fait qu’il n’est plus là, au milieu de nous. Toutefois, nul besoin de verser dans le littéralisme pour dire cela. Une lecture métaphorique de ce récit permet d’aboutir au même constat et d’en tirer des conséquences importantes pour la vie des chrétiens.

Oui, dire que Jésus est monté au ciel, dire qu’il est à la droite de Dieu comme le précise la finale longue de l’évangile selon Marc, c’est dire qu’il y a entre Jésus et nous une distance irréductible, un espace qu’il nous est impossible de franchir ou, pour le dire simplement, que Jésus n’est plus parmi nous, vraiment.

Cela semble une évidence, mais c’est une évidence qu’il n’est pas mauvais de rappeler. En effet, il peut nous arriver de prendre au pied de la lettre le cantique que nous venons de chanter « reste avec nous, Seigneur, le jour décline », qui fait écho à l’épisode des disciples en route vers Emmaüs. Il n’est pas rare que la présence de Jésus soit requise auprès de nous, sinon affirmée. Mais l’Ascension contrarie ce désir possible. L’Ascension met en place une vie sans Jésus, radicalement sans lui, ce qui, dans un langage technique, correspond à une théologie de la sécularisation : envisager la vie sans la présence d’un être qui manifesterait totalement l’espérance divine. Pour le dire dans un langage moins technique, ce que l’Ascension nous propose, c’est de fêter la liberté. L’Ascension comme fête de la liberté, voilà ce que nous pouvons célébrer aujourd’hui.

Premièrement, nous pouvons célébrer la liberté d’être. Si l’évangéliste Luc, l’auteur des Actes, avait été un brin provocateur, il aurait pu faire dire aux disciples qu’ils étaient enfin débarrassés de Jésus. Les disciples sont désormais libres d’être eux-mêmes. Ils n’ont plus à marcher dans les pas de leur maître, ils ne sont plus, désormais, dans l’ombre du Galiléen, mais en première ligne. Désormais, c’est eux qui seront les sujets de l’histoire. C’est chacun d’eux qui sera exposé à la face du monde, sans que Jésus fasse écran. Les disciples ne sont plus les acolytes de Jésus. Chacun peut désormais mener sa propre trajectoire.

Les disciples deviennent adultes, majeurs et, à notre tour, nous sommes en mesure d’accéder à notre propre majorité. L’apôtre Paul, dans l’épître aux Galates, évoque le statut de l’héritier qui n’est encore qu’un enfant et qui est donc l’esclave de son administrateur (Ga 4/1-2). L’Ascension pose la fin de la tutelle. L’Ascension pose l’autonomie de l’homme devenu majeur. Inutile de scruter le ciel pour y chercher des réponses à notre quête d’identité, c’est sur cette Terre où nous sommes que tout se trouve. En affirmant que nous avons été justifiés, par grâce seule, la foi chrétienne atteste que nous n’avons pas à implorer quelque ciel que ce soit pour devenir quelqu’un. Notre identité nous a été donnée, il nous appartient désormais d’en vivre.

Liberté de penser

Le deuxième aspect de la liberté que nous révèle l’Ascension, c’est la liberté de penser. Pourquoi Jésus annonce-t-il Pentecôte et le don de l’Esprit ? Parce que l’Esprit est ce qui désigne notre capacité à nous mettre en relation les uns avec les autres, à considérer notre vie au regard d’autres vies, à mettre en œuvre une intelligence collective, à penser, donc. En tout cas, dans la Bible, penser n’est pas une activité solitaire.

Jésus part en ne laissant aucun écrit. Il part laissant des pans entiers de la vie quotidienne sans éclairage de sa part. Il ne s’est pas prononcé sur le statut du fœtus. Il n’a rien dit de la fin de vie non plus. Et, entre les deux, on ne sait pas ce qu’il pense du nucléaire, des 35 heures, des collants ou des mi-bas, des investissement du Qatar, du travail clandestin, de l’heure d’hiver, des couteaux à bout rond, de l’art conceptuel, du coca light…

Jésus part en laissant les disciples sans une feuille de route qu’il faudrait suivre à la lettre. Les disciples, et nous maintenant, sommes donc libres de penser la vie, d’envisager de nouveaux modes d’être, d’innover, et d’interroger le monde, de développer les sciences, sous toutes ses formes. Nous sommes libres d’explorer le monde et de donner du sens à ce que nous observons. Nous sommes libres d’interpréter ce que nous voyons, ce que nous entendons, ce que nous percevons.

Les disciples commenceront par donner du sens à ce qui a été vécu avec ce Jésus qui a bouleversé leur vie. Ils donneront, d’ailleurs, des sens différents dont on trouve la trace dans les différents évangiles et les différents écrits du Nouveau Testament qui montrent bien que, dès le début, il y a eu des interprétations différentes, qu’il y a même eu conflit d’interprétation entre les disciples, puis entre les apôtres, sur la question de la circoncision, des lois alimentaires, de l’usage même de la loi.

L’Ascension nous autorise à penser librement notre vie, puisque nous sommes libérés de la tutelle divine et donc de toute forme de tutelle. Nul ne peut prétendre penser à notre place. Nul ne peut exiger que nous pensions ceci ou cela. L’Ascension nous donne une bonne raison de résister au totalitarisme de la pensée : c’est qu’il n’y a pas, sur Terre, une instance qui fasse figure d’absolu. Il n’y a pas un homme, ni une institution, ni quoi que ce soit qui puisse prétendre détenir la totalité de la science divine, la totalité de la vérité.

Liberté d’agir

Parce que Jésus n’est plus là, il ne peut plus agir à la place des disciples, il ne peut plus agir à notre place. C’est là un troisième aspect de notre liberté : nous sommes libres, totalement libres d’agir, de nous engager dans le monde, sachant que Jésus ne le fera pas à notre place comme il avait pu le faire si souvent durant son ministère, prenant les initiatives, rattrapant les bourdes des disciples, s’interposant en cas de difficulté. Nous sommes sans filet. Et c’est ainsi que s’ouvre devant nous le champ de l’éthique. Parce qu’il n’y a que nous, sur Terre, c’est à nous que revient d’organiser la vie commune. C’est donc à nous que revient le soin de mettre en place le vivre ensemble qui est la fonction politique. C’est à nous que revient le soin de mettre en place l’éducation qui fera passer chaque génération de l’enfance au stade adulte et lui permettra d’exercer ses propres responsabilités. C’est à nous que revient le soin de mettre en place la justice qui arrêtera, autant que possible, ce qui menace d’endommager la vie. C’est à nous que revient le soin de mettre en place les institutions qui rendent la vie possible, qui la préservent et l’épanouissent.

La liberté d’agir nous est donnée par cette absence de Jésus, par cette absence de Dieu totalement agissant dans notre histoire. Pour que le monde continue à être créé, c’est donc à nous d’entreprendre. Pour que la paix soit une réalité tangible, c’est à nous de l’instaurer. Pour que chaque être humain puisse manger à sa faim, c’est à nous d’agir en conséquence.

Parce qu’il nous a établis dans notre humanité, parce qu’il nous a donné les moyens de penser la vie, le monde, en fonction de l’ultime et pas seulement de nos propres désirs, Jésus nous a équipés pour répondre aux défis de l’existence, pour être responsables, pour mettre en œuvre une éthique de la responsabilité.

Comme l’évangéliste Jean l’a rapporté dans le discours d’adieu à ses disciples, « il est avantageux pour vous que je m’en aille » (Jn 16/7). Il est avantageux qu’il y ait eu une ascension radicale pour que nous accédions pleinement à notre liberté.

Il importe, toutefois, de préciser que cette théologie de la sécularisation se distingue d’un sécularisme qui balaierait le sacré. Ici, la liberté ne consiste pas à faire table rase du théologique, du divin. L’Ascension ne consiste pas à nier la dimension spirituelle de la vie humaine. Pour reprendre la lecture métaphorique du départ, on pourrait même dire que l’Ascension révèle que le ciel est plein, que le divin ne se désintègre nullement. La théologie de la sécularisation, pour reprendre les termes du théologien Gogarten qui y a consacré la plus grand part de son œuvre, déclare que : « L’homme est sauvé lorsqu’il se connaît comme fils ; il est perdu lorsque sa manière de se connaître et de se prendre en charge implique qu’il cherche à se donner lui-même sa raison d’être » (Destin et espérance de l’époque moderne, p. 57).

L’Ascension n’est pas un rejet du religieux, mais l’affirmation que nous sommes équipés pour faire valoir notre liberté d’être, notre liberté de penser, notre liberté d’agir, tant et si bien que les actes des apôtres que nous sommes peuvent désormais s’écrire sans que Jésus tienne la plume. L’Ascension affirme que la liberté de Jésus a été suffisamment contagieuse pour que nous soyons désormais en mesure de vivre en toute liberté, de manière autonome. Notre liberté ne consiste donc pas en une révolution qui ferait table rase de tout ce qui nous a précédés. Cette liberté se révèle comme un don qui nous est fait par ce que nous nommons l’Eternel et qui désigne à l’homme un lieu où se tenir pour exercer sa liberté d’être, sa liberté de penser, sa liberté d’agir.

Amen

 

Lecture de la Bible

Actes 1:4-11

Comme il se trouvait avec eux, il leur recommanda de ne pas s’éloigner de Jérusalem, mais d’attendre ce que le Père avait promis, ce que je vous ai annoncé, leur dit-il;
5 car Jean a baptisé d’eau, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés du Saint-Esprit.
6 Alors les apôtres réunis lui demandèrent: Seigneur, est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume d’Israël?
7 Il leur répondit: Ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité.
8 Mais vous recevrez une puissance, le Saint-Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre.
9 Après avoir dit cela, il fut élevé pendant qu’ils le regardaient, et une nuée le déroba à leurs yeux.
10 Et comme ils avaient les regards fixés vers le ciel pendant qu’il s’en allait, voici, deux hommes vêtus de blanc leur apparurent,
11 et dirent: Hommes Galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu allant au ciel.

Audio

Écouter la prédication (Télécharger au format MP3)

Écouter le culte entier (Télécharger au format MP3)