La communauté révélée
Marc 9:38-48
Culte du 22 avril 2012
Prédication de pasteur James Woody
(Marc 9:38-48)
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Culte du dimanche 22 avril 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, il y aura ce soir des déçus. Il y aura, outre les candidats à l’élection présidentielle qui n’auront pas réussi à obtenir assez de suffrages pour être présents au second tour, des militants et des électeurs qui avaient fondé des espoirs dans une candidature qui n’aboutira pas. Outre cette déception, il y aura de l’amertume et un risque : c’est le risque du déchirement de la communauté nationale.
Depuis longtemps, déjà, retentissent des arguments de campagne en forme de « tout sauf lui », « surtout pas elle ». L’élection présidentielle, pour un trop grand nombre de personnes, s’est commuée en un jeu de massacre par lequel on espère éliminer ceux dont on ne veut pas. Mais il s’agit d’élire ! Il s’agit de faire porter sa voix sur un candidat dont on pense qu’il saura donner une direction convenable à notre pays.
Une personne va être élue pour présider en notre nom et faire les grands choix pour notre avenir politique. Mais il n’aura pas nécessairement notre couleur politique ; il ne suivra pas nécessairement nos vœux et nos espoirs. Pour certains, cette perspective est peu supportable. D’autres ont pu dire qu’ils quitteraient le pays selon qui serait élu. Il y aura, dès ce soir, des déçus qui n’auront pas leur candidat au second tour. Il y aura de la frustration tandis que d’autres jetteront leurs dernières forces dans le sprint final. Face au risque de déchirement de la communauté nationale, les communautés ecclésiales ont montré leur capacité à dépasser les risques de déchirement, à ne pas éclater pour des questions de clivages politiques, sauf en de rares occasions. Le religieux est donc en mesure d’aider la communauté à ne pas se défaire en pareille situation, là où le politique en est incapable en période de campagne électorale. Il n’est pas en mesure de pouvoir, seul, protéger ce qui peut se déchirer pour deux raisons principales. La première raison est que le politique, pour l’heure, pense à lui, à son élection. Et les discours sur le rassemblement sont, pour le moment, uniquement destinés à former une majorité. Deuxième raison : le politique est dans l’ordre du pragmatique et non sur un registre symbolique, or un programme politique ne construit pas une communauté, mais un parti. Le politique est dans le registre du faire, ce qui s’oppose radicalement à ce qu’est une communauté. Je m’explique.
Dans l’épisode biblique qui oppose Jésus à ses disciples, la question tourne autour du « qui est avec nous ? » Comment se constitue notre communauté ? ce que Jésus présente comme modèle de communauté est minimaliste. Cela ne repose sur aucun talent, sur aucune performance, sur aucune adhésion, sur aucun choix, sinon celui de ne pas être dans une attitude d’hostilité. La communauté que décrit Jésus se caractérise par son défaut d’activisme, ou d’une connaissance partagée ou d’une forme de communion qui en ferait une communauté. Ce que Jésus propose est une communauté de l’absence : absence d’hostilité, absence d’aversion. C’est une communauté qui n’agit pas, qui ne fait pas, qui ne produit rien. Pour reprendre le terme du philosophe Jean-Luc Nancy, la communauté est désœuvrée, sans œuvre. La véritable communauté ne se choisit pas, elle ne se construit pas, elle est là, donnée, par grâce seule en quelque sorte. Nous ne pouvons qu’en faire l’expérience.
Si la communauté était une construction –de quelques uns ou de tous-, cela signifierait que l’on fabriquerait l’être commun, ce qui fait communauté. Dans ce cas, le résultat de cette production aurait autant d’existence communautaire que les bustes en plâtre de Marianne. Lorsque des hommes s’associent pour faire communauté, lorsqu’il y a un projet de communauté, ce qui est un désir de communisme, cela se réalise dans le registre du faire et donc de la violence. La communauté se fait souvent sur le dos de quelqu’un, un bouc émissaire, qui canalise contre lui l’hostilité d’un groupe qui va ainsi communier par une violence partagée selon la logique « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ».
Jésus nous révèle que la communauté nous est donnée, qu’elle n’est ni à conquérir, ni à faire. Elle nous est donnée par grâce et c’est la raison pour laquelle est le lieu d’un désœuvrement et non le résultat d’une production. Même en cas de dispersion des voix, lors d’une élection, l’identité de la communauté n’est pas atteinte, à l’image de l’homme qui ne suit pas les disciples et qui, pour autant, ne brise pas la communauté aux yeux de Jésus.
Comment préserver la communauté des déchirements auxquels l’expose le clivage politique ? en rappelant que la communauté nous précède, qu’elle n’est pas le résultat d’une harmonie, d’accords de gouvernement, de ralliements, surtout quand ces ralliements se font contre quelqu’un. Ces stratégies, tout à fait légitimes dans le contexte électif, sont partisanes : elles n’agissent pas sur l’essence de la communauté.
L’autre moyen de préserver la communauté correspond à ce qui fait l’essentiel de cet épisode biblique qui, d’un côté consiste à chasser les démons et, de l’autre, à arracher tout ce qui nous fait chuter. Chasser les démons, c’est rejeter tantôt le pied défaillant, tantôt la main ou l’œil qui sont causes de chute. Si je vous dis que, pour aider la communauté nationale, il faut aller chasser les démons, vous allez vous peut-être hésiter un peu et me prendre pour une sorte d’illuminé. Il reste que ce texte biblique présente la chasse aux démons comme une activité tout à fait recommandable.
Pour mieux comprendre ce dont il s’agit, nous pouvons interroger l’un des maîtres sur la question des démons, l’un de ceux qui les a le plus observés et affrontés parce que la culture dans laquelle il vivait était tout imprégnée de cette métaphore : Dostoievski. A la lecture de son livre au titre suffisamment évocateur « Les démons », nous comprenons que le démoniaque est une image pour rendre compte d’un courant qui s’est particulièrement exprimé dans la Russie du XIXème : le nihilisme, cette forme de pensée fascinée par le rien, par le néant, par la mise à mort des structures traditionnelles (ce qui en a fait une force de révolution), mais aussi par l’éradication de toute forme de transcendance, donc Dieu. Le démoniaque, dans les textes bibliques, c’est ce qui réduit à rien l’espérance des hommes et des femmes qui sont possédés et dont la personnalité est bridée.
Chasser les démons, chasser le nihilisme, cette forme de rapport au monde qui le vide de toute substance symbolique, qui évacue l’idée que l’homme est plus que lui-même, l’idée que l’homme est en construction, en devenir, qu’il n’est pas encore le dernier homme, c’est le programme qui peut se réaliser par les trois recommandations que Jésus adresse à ses disciples.
Arrache ton œil, s’il te fait chuter, s’il t’empêche de progresser dans la vie. Nous avons deux yeux pour voir le monde en trois dimensions, pour mettre les choses en perspective. Si, en réalité, nous écrasons tout, que tout a la même valeur, que la gratuité du permis de conduire a autant d’importance que la politique énergétique ou les rapports internationaux. C’est quand nous pensons avoir tout à disposition alors que certaines choses sont encore au loin et qu’il faut frayer son chemin pour y parvenir. Arracher son œil qui trompe sur la hiérarchisation des faits, c’est cesser de vivre dans l’illusion que nous avons conscience de ce que sont les gros cailloux qu’il nous faut placer à la base de notre existence alors que nous ne les distinguons pas des décombres.
Arrache ton pied, s’il te fait chuter, s’il t’empêche d’avancer dans la vie. Nous avons deux pieds non pas seulement pour avancer, mais pour franchir les obstacles, pour les enjamber. Si, en réalité, notre pied bute constamment sur la première difficulté venue ou s’il se prend dans le premier tapis venu parce qu’il a perdu toute sa souplesse, alors nous serons condamnés à faire du sur-place et, à force de piétiner, nous creuserons notre propre trou. Arracher son pied, c’est mettre fin à l’illusion que nous avons accompli tout le chemin possible alors qu’en réalité il y a encore beaucoup à parcourir. C’est mettre un terme à l’illusion qu’on est au bout de nos limites, que les frontières auxquelles nous sommes arrivés sont indépassables. C’est sortir du caniveau qui, jusque là, nous tenait lieu de bordure.
Arrache ta main, si elle te fait chuter, si elle t’empêche de t’élever dans la vie. Nous avons des mains pour agripper et, dans la perspective biblique, la main est l’instrument de prédilection pour aider d’autres personnes. La main de Dieu accomplit de nombreuses libérations. Elle est ce qui rend possible l’entraide, la solidarité. Si notre main est incapable d’une quelconque solidarité, mieux vaut la rejeter, car elle pourrait nous donner l’impression que la solidarité n’a pas sa place dans le quotidien.
Ainsi, frères et sœurs, en ce temps où la communauté nationale est fragilisée par les risques de clivage et de déchirement, il n’est certainement pas inutile de rappeler avec force que la communauté nous précède, qu’elle nous est donnée, qu’elle n’est pas à construire, mais plutôt à retrouver lorsqu’elle semble disparaître derrière les discours partisans et les attaques qui stigmatisent. Tel candidat n’est peut-être pas de notre bord politique, cela ne le disqualifie pas pour autant. Il nous faut peut-être nous libérer des étiquettes qui réduisent les personnes à l’état de pantin.
Il n’en est pas moins vrai qu’il y a des comportements, des discours, des promesses qui peuvent tendre à désagréger la communauté, à la vider de sa substance. Contre cette attitude qui confine au nihilisme, nous avons cette triple recommandation de Jésus qui peut nous éviter de sombrer dans les flots du renoncement aussi vite qu’une personne qui aurait au cou une meule de moulin. C’est une recommandation en forme de protestation à exercer sur trois aspects fondamentaux qui donnent à la communauté sa véritable mesure : premièrement, protester, témoigner en faveur de la capacité que nous avons à hiérarchiser les questions, à dégager les enjeux de telle ou telle question au lieu de tout considérer de manière égale. C’est notre devoir de redonner aux sujets leur véritable importance. Deuxièmement la capacité à aller au-delà du lieu où nous nous trouvons, à sortir de notre état. Troisièmement, envisager la solidarité comme un axe essentiel de l’action publique.
C’est là un triptyque pour nous aider à ne pas croupir sur place ou, pour le dire avec l’image de ce texte biblique, à ne pas être comme le ver qui se condamne à brûler sans fin. C’est un triptyque pour nous permettre de penser la communauté au-delà des bricolages communautaristes et partisans.
Amen
Lecture de la Bible
Marc 9:38-48
Jean lui dit: Maître, nous avons vu un homme qui chasse des démons en ton nom; et nous l’en avons empêché, parce qu’il ne nous suit pas. 39 Ne l’en empêchez pas, répondit Jésus, car il n’est personne qui, faisant un miracle en mon nom, puisse aussitôt après parler mal de moi. 40 Qui n’est pas contre nous est pour nous. 41 Et quiconque vous donnera à boire un verre d’eau en mon nom, parce que vous appartenez à Christ, je vous le dis en vérité, il ne perdra point sa récompense. 42 Mais, si quelqu’un scandalisait un de ces petits qui croient, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui mette au cou une grosse meule de moulin, et qu’on le jette dans la mer.
43 Si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la; mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie, que d’avoir les deux mains et d’aller dans la géhenne, dans le feu qui ne s’éteint point. 44/45 Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le; mieux vaut pour toi entrer boiteux dans la vie, que d’avoir les deux pieds et d’être jeté dans la géhenne, dans le feu qui ne s’éteint point. 46/47 Et si ton oeil est pour toi une occasion de chute, arrache-le; mieux vaut pour toi entrer dans le royaume de Dieu n’ayant qu’un oeil, que d’avoir deux yeux et d’être jeté dans la géhenne, 48 où leur ver ne meurt point, et où le feu ne s’éteint pas.