La bonté gratuite & fidèle
Luc 7:2-10 , Jean 1:1-18
Culte du 20 janvier 2008
Prédication de pasteur Marc Pernot
( Luc 7:2-10 ; Jean 1:1-18 )
(écouter l'enregistrement) (voir la vidéo)
Culte à l'Oratoire du Louvre, le 20 janvier 2008
pasteur Marc Pernot
Le serviteur du centurion a dû se demander ce qu'il pouvait faire pour s'en sortir. Malade et même mourant, incapable de se soigner, sans moyens, quel choix lui reste t il ? Le centurion a dû se demander que faire. On lui apprend qu'un de ses centaines de serviteurs est mourant, or, il n'est pas médecin. Et puis, même s'il pouvait faire quelque chose, est-ce bien la peine de se démener alors que la situation est désespérée, et qu'il ne s'agit ni de lui-même, ni de son enfant, mais d'un seul parmi ses centaines de soldats et serviteurs ? Les responsables de la synagogue ont dû être bien embêtés quand ce centurion leur a demandé d'aller voir Jésus pour lui. Même si cet officier avait fait de bonnes choses, c'était un envahisseur et un homme impur, mangeant n'importe quoi et adorant son empereur comme un dieu. Et ce que leur demandait le centurion était très gênant : aller demander un service à Jésus, un hérétique à moitié sorcier qui semait le trouble.
Jésus aussi était dans une situation délicate. Est-ce qu'il allait pouvoir sauver cet homme qu'il ne connaissait pas ? Peut-être que non, comme à Nazareth où il n'était pas arrivé à grand-chose à cause du manque de foi des gens de Nazareth (Matthieu 13:57). Et puis, pourquoi Jésus devrait-il guérir cet homme comme le lui demandait cet étranger ? Apparemment il y avait là pour Jésus plus d'inconvénients que d'avantages à faire des miracles physiques puisque bien souvent il semble que Jésus fasse ces guérisons comme à contrecœur et demande la plus grande discrétion ensuite. En effet, Jésus avait envie de soulager les souffrances des gens, mais le faire pouvait être interprété comme si son Royaume était de ce monde, ce qu'il ne voulait pas, ou comme si l'essentiel était la santé, ce qui n'est pas vrai.
Les situations du serviteur mourant, du centurion, des responsables de la synagogue et de Jésus illustrent la complexité de la vie humaine. Même la meilleure des solutions a souvent sa part d'inconvénients, c'est la première difficulté, la seconde est que notre pouvoir est relatif, et même parfois nul. Mais il va y avoir ici un miracle. Malgré les limites de ce que chacun pouvait faire, l'homme mourant sera sauvé grâce à une judicieuse articulation entre différentes personnes. C'est un des grands prodiges de cette histoire, et j'y reconnais l'action de l'Esprit, ou de la providence de Dieu qui inspire, qui motive et coordonne les différentes personnes pour que cette issue improbable.
Mais le premier des miracles ici, c'est ce qui est présent à tous les niveaux et qui pourtant n'avait aucune raison d'exister : c'est la bonté gratuite. Rien n'était probable dans l'attitude des uns vis-à-vis des autres, au contraire. C'est librement que le centurion décide d'aider son esclave. C'est librement qu'il a aimé ce peuple dont il occupe le pays, c'est librement qu'il leur a construit une synagogue, à ce moment-là il n'avait rien à attendre de ces pauvres vaincus. Les juifs non plus n'avaient plus besoin de ce centurion, s'ils lui obéissent c'est par reconnaissance, sans rien attendre en retour. Et cela leur demande un effort énorme pour surmonter de fortes barrières morales et religieuses. Jésus n'avait non plus rien à attendre de ce centurion, bien entendu, ni de son serviteur, ni du fait de guérir une personne de plus, au contraire. À Jésus aussi le service qu'il va rendre coûte cher, cela lui prend un temps qui lui est compté, et cela perturbe sa mission personnelle, infiniment prioritaire.
Cette bonté gratuite c'est ce que l'on appelle parfois la grâce dans notre jargon théologique. C'est une attitude positive qui va au-delà des simples règles des droits et des devoirs, au-delà de la simple logique, pour choisir d'embellir la vie d'un autre. On voit dans cette histoire ce qui peut donner envie de choisir de faire grâce : c'est l'estime de l'autre, c'est la reconnaissance, c'est l'affection, la générosité, ou le simple plaisir de faire le bien, le plaisir de faire plaisir, ou la fidélité... finalement, peu importe, l'essentiel est que cette grâce ait existé.
La grâce est pour nous le propre de Dieu. Cela veut dire que c'est la chose la plus essentielle, la plus fondamentale, le cœur de tout notre système de valeur. Cela renvoie dos-à-dos les différents idéologues qui, pour les uns, insistent sur le caractère essentiel des droits de chacun, tandis que d'autres insistent sur les devoirs de chacun. Cela n'est pas faux, il faut dans notre société un juste équilibre de droits et de devoirs, mais l'Évangile nous montre que la source de la vie est au-delà de ces codes de base, elle est dans la bonté gratuite.
C'est probablement l'Évangile selon Jean qui dit le mieux ce que cette façon d'être de Jésus a d'essentiel et de révolutionnaire. Jean conclut son résumé de l'Évangile par ces mots : “ la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. Personne n'a jamais vu Dieu ; Dieu, le Fils unique qui est dans le sein du Père, est celui qui l'a fait connaître. ” (Jean 1:17-18). La Loi de Moïse a donné effectivement la juste morale, indiquant nos droits et devoirs vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis de notre prochain et vis-à-vis de nous-mêmes. Par exemple qu'il est essentiel de ne pas tuer : ni la vie de Dieu en nous, ni de mépriser la vie de notre prochain, ni notre propre existence. C'est bon de le noter, mais la grâce va au-delà du respect de la vie. Un système de droits et de devoir protège la vie, mais seule la grâce (la bonté gratuite), est source de vie. C'est une chose que connaît le centurion, lui qui est un homme de devoir, sachant obéir et commander : il sait que ce n'est pas cela qui va donner la vie, mais que seule la grâce peut le faire, cette grâce qu'il sait exister en Jésus-Christ et qui inspire son amour et son espérance.
La grâce c'est une libre générosité sans autre contre-partie que la simple joie de faire du bien à un autre. Il n'y a de grâce que si l'on n'était pas obligé d'agir ainsi par devoir et si l'on ne revendique ensuite aucun droit à cause de cela, et que l'on ne charge l'autre d'aucun devoir à cause du bien qu'on a voulu lui faire.
Parfois même, comme ici, l'élan de la grâce prend des libertés par rapport au droit : Il n'est pas correct qu'un centurion se fasse serviteur de son esclave, il n'est pas correct qu'un responsable religieux aille supplier un libéral incontrôlable comme ce Jésus. Ce n'est pas correct que le Christ, l'Envoyé de Dieu, aide des hommes idolâtres & assassins et montre même la foi de leur chef en exemple. Il y a de la hardiesse dans la grâce. Dieu en est l'exemple ultime. Il s'affranchit des tendances physiques de la nature en créant la vie. Dieu s'affranchit de l'équité quand il pardonne au coupable, il s'affranchit de la bonne théologie quand il aime encore celui qui le rejette... C'est ce Dieu de la grâce que nous fait connaître Jésus-Christ par son existence, par ses paroles et par sa vie.
Oui, nous pouvons être reconnaissant de cette grâce incroyable que Dieu nous fait ainsi, mais attention à cette tendance naturelle que nous avons à retomber dans la simple logique du donnant-donnant pour nous sentir en dette vis à vis de ce Dieu qui nous donne la vie. Non. Dieu prend plaisir à nous donner la vie, tant mieux pour lui (et tant mieux pour nous). Il le fait librement, sans penser une seconde que cela nous donnerait des devoirs vis-à-vis de lui pour le payer de ce service. Dieu nous a tout donné et nous ne lui devons rien. Mais nous pouvons recevoir de lui l'envie de vivre un peu à sa façon, dans la bonté gratuite.
Car la grâce fait des miracles, elle est si créatrice et si contagieuse. La grâce est donc puissante, mais elle est également une fragilité. En effet, puisque par la grâce nous ouvrons notre cœur, nous nous exposons à des coups cruels, d'autant plus que la grâce étant au-delà du droit, il ne sera souvent plus là pour nous défendre. Jésus est mort à cause de cela, rien ne l'obligeait à s'exposer ainsi, tout le lui déconseillait. Mais par lui la grâce est venue dans le monde, pour que chacun puisse en vivre.
Le centurion reconnaît qu'il a besoin de Dieu en se tournant vers cet annonceur de l'Évangile qu'est Jésus. Le centurion reconnaît qu'il a besoin de lui, et que cette action de Dieu n'est pas à ordonner, ni à mériter d'une façon ou d'une autre mais qu'elle ne peut être qu'une grâce. Le centurion ne se vente pas une seconde du bien qu'il a fait, il demande simplement, comptant sur la seule grâce. Et le centurion ne s'excuse pas des crimes qu'il a sans doute commis, il sait que la grâce est au-dessus de ça. Sa vie et ses faiblesses, il pourra les présenter pour que Dieu le guérisse comme il présente aujourd'hui le cas de son serviteur.
La grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ nous dit Jean. La grâce est venue en lui, oui, clairement, mais ce mot de vérité que Jean ajoute ici à la grâce est dangereux, on pourrait penser que l'Évangile associe la tendresse de la grâce et la rigueur de la vérité. Ce n'est pas cela, car dans la Bible ce même mot désigne en même temps les notions de fidélité (de foi) et de vérité. Ce qui est derrière ce mot, c'est donc fondamentalement la relation vraie.
C'est ce que l'on voit ici, puisque Jésus montre la foi, ou la fidélité de ce centurion en exemple. la foi dont parle Jésus n'est pas du domaine des croyances. Le centurion n'aurait pas eu plus de 2/20 à un examen de théologie chrétienne. La foi, la fidélité du centurion, c'est d'être dans une relation vraie avec Dieu, avec les autres, et avec lui-même. Il sait ce dont il est capable et ses limites. Il a avec son serviteur une relation qui dure même quand il ne le sert plus. Il a également une vraie relation avec Jésus, et donc avec Dieu dont il tient sa puissance créatrice. Le centurion compte sur Jésus comme s'il était à son service, mais il se reconnaît pourtant devant lui comme indigne de le recevoir.
La grâce étant l'essentiel, pourquoi ajouter cette 2e notion qu'est la fidélité ? C'est que la grâce est si libre qu'on pourrait craindre qu'elle soit comme un caprice, quelque chose dont on bénéficie un jour et qui nous est refusé le lendemain sans que l'on sache pourquoi. La fidélité ajoute une dimension de durée à la grâce. La fidélité de Dieu est l'engagement que la grâce n'est pas une saute d'humeur passagère mais qu'elle est un choix délibéré, une façon d'être. La fidélité seule ne suffit pas non plus à définir la façon d'être de Dieu selon Jésus-Christ. On peut être fidèle dans un contrat utilitaire, fait de droits et de devoirs réciproques.
Mais ce qu'apporte Jésus-Christ, c'est le tandem de la grâce et de la fidélité, c'est de la bonté gratuite qui s'inscrit dans une façon d'être permanente. C'est cette association de la grâce et de la fidélité qui fonde la confiance en Dieu, et donc une espérance plus forte que tout.
Le centurion demande ainsi à Jésus de guérir son serviteur avec une confiance formidable “ Dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri. ” Et il en est ainsi. Nous savons tous que ce n'est pas une formule magique, et que même avec la plus grande foi possible, il arrive qu'une telle prière soit dite sans que notre serviteur soit guéri comme nous l'espérions. Ce qui est certain, c'est que ce n'est pas parce que Dieu aurait cessé de nous aimer, car il est et restera toujours d'une bonté et d'une fidélité sans faille à notre égard. Mais il arrive que les circonstances ne permettent pas ce que nous espérions, il arrive aussi que Dieu nous donne autre chose que ce que nous espérions.
Mais ce dont je suis certain, c'est que Dieu est absolument toujours une prodigieuse source de grâce et de fidélité dans nos vies. N'avez-vous jamais connu le bonheur qu'il y a à recevoir cette vie qui vient de Dieu, une vie toute simple, mais où des miracles de grâce et de fidélité ont été rendus possibles ?
Amen
Lecture de la Bible
Luc 7:2-10
Un centurion avait un serviteur auquel il était très attaché, et qui était malade, sur le point de mourir. Ayant entendu parler de Jésus, il lui envoya quelques anciens des Juifs, pour le prier de venir guérir son serviteur. Ils arrivèrent auprès de Jésus, et lui adressèrent d’instantes supplications, disant: Il mérite que tu lui accordes cela; car il aime notre nation, et c’est lui qui a bâti notre synagogue.
Jésus, étant allé avec eux, n’était guère éloigné de la maison, quand le centurion envoya des amis pour lui dire: Seigneur, ne prends pas tant de peine; car je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. C’est aussi pour cela que je ne me suis pas cru digne d’aller en personne vers toi. Mais dis un mot, et mon serviteur sera guéri. Car, moi qui suis soumis à des supérieurs, j’ai des soldats sous mes ordres; et je dis à l’un: Va! et il va; à l’autre: Viens! et il vient; et à mon serviteur: Fais cela! et il le fait.
Lorsque Jésus entendit ces paroles, il admira le centurion, et, se tournant vers la foule qui le suivait, il dit: Je vous le dis, même en Israël je n’ai pas trouvé une aussi grande foi.
De retour à la maison, les gens envoyés par le centenier trouvèrent guéri le serviteur qui avait été malade.
Jean 1:1-18
Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue.
Il y eut un homme envoyé de Dieu: son nom était Jean. Il vint pour servir de témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui. Il n’était pas la lumière, mais il parut pour rendre témoignage à la lumière.
Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point connue. Elle est venue chez les siens, et les siens ne l’ont point reçue. Mais à tous ceux qui l’ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu.
Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père.
Jean lui a rendu témoignage, et s’est écrié: C’est celui dont j’ai dit: Celui qui vient après moi m’a précédé, car il était avant moi. Et nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour grâce; car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
Personne n’a jamais vu Dieu.
Dieu, celui qui l’a fait connaître c'est le Fils unique qui est dans le sein du Père.