L'odyssée et l'apôtre Paul

Actes 28:1-11

Culte du 18 juin 2017
Prédication de pasteur Marc Pernot

Vidéo de la partie centrale du culte

film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot

Dimanche 18 juin 2017
prédication du pasteur Marc Pernot

Ce texte est la dernière des aventures de l’apôtre Paul dans ce livre des Actes, et ce qui est raconté est très différent de tous les autres épisodes, il semble même sur bien des points en contradiction avec le reste.

  • En effet, tout au long de ce livre, l’importance de l’Évangile est au cœur de chaque passage. Dans chaque épisode, cette bonne nouvelle de l’amour de Dieu est annoncée partout et à toute personne rencontrée : femme, homme, juif, païen, simple esclave, roi, ou gardien de prison. Mais dans ce dernier épisode, Paul n’annonce apparemment pas l’Évangile alors qu’il en avait vraiment l’occasion, ayant le temps et étant admiré. Première bizarrerie.
  • La deuxième est que tous les païens de cet épisode sont extrêmement serviables et généreux, ils incarnent l’amour désintéressé de l’autre, même étranger ou ennemi, à commencer par le centurion, puis les barbares de cette île et enfin leur roi. De vrais anges. Puisque l’argument du livre des Actes des apôtres est de dire que c’est par la foi que l’Esprit de Dieu nous rend capable d’aimer, ce contraste est étonnant avec le reste du livre des Actes.
  • La troisième chose tout à fait particulière à cet épisode est que Paul se laisse traiter de dieu sans réagir. Dans le reste du livre des Actes, chaque fois que cela arrive : Pierre, Paul ou Barnabé protestent vigoureusement contre cela, et quand Hérode se laisse traiter de dieu sans réagir il est horriblement puni pour cette folie : il est mangé par de la vermine.

Pourquoi est-ce que Luc, l’auteur de l’Évangile et de ce livre des Actes des apôtres, a écrit un épisode aussi bizarre pour conclure les aventures de l’apôtre Paul ? À mon avis, il y a plusieurs raisons à cela. Des raisons pleines d’enseignements, pleines de sens à la fois pour notre vie et pour notre façon de lire les livres de Luc.

Mais pour avancer dans cette enquête, il faut comprendre un peu le contexte. Luc est un médecin grec doué en littérature. Mais dans la culture antique, il n’était même pas nécessaire d’être cultivé pour connaître l’Iliade et l’Odyssée d’Homère (qui datent du VIIIe siècle avant Jésus-Christ). Platon nous raconte que les enfants « avant même de savoir les lire, sont nourris d’œuvre de grands poètes comme Homère. Lorsqu’ils sont assis en classe, ils doivent les réciter par cœur. Dans ces œuvres, ils rencontrent des avertissements, des descriptions, des louanges aux héros des temps passés, que les garçons ambitieux se doivent d’imiter. » (Platon Protagoras). C’est dire comme ce monument de la littérature qu’est l’Odyssée est connu de tous ceux qui parlent grec et donc en particulier des personnes à qui Luc s’adresse en écrivant ses livres. Ils connaissent par cœur bien des passages de l’Odyssée. Par conséquent, tous et toutes auront immédiatement saisi que ce dernier épisode des aventures de Paul est une allusion à une des étapes majeures du voyage d’Ulysse dans l’Odyssée. Cet épisode est d’autant plus connu qu’avant d’être développé dans le fil des aventures d’Ulysse, Jupiter annonce par avance que cela va se passer ainsi :

Odyssée, Vème chant

Ainsi parle Jupiter, puis il dit à Mercure son fils bien-aimé : « Toi qui fus toujours notre messager fidèle, cours dire à Calypso nymphe à la belle chevelure, que ma ferme résolution est que courageux Ulysse revienne dans sa patrie, et qu'il parte sans secours des hommes et des dieux. Ce héros, souffrant mille douleur et abandonné seul sur un radeau fait de bouts de bois assemblés, arrivera le vingtième jour dans la fertile contrée des Phéaciens, peuple proche des dieux. Les Phéaciens honoreront Ulysse comme une divinité, ils le conduiront dans sa chère patrie et lui donneront de l'or, du bronze et des vêtements en plus grande abondance qu'Ulysse n'en eût rapporté d'Ilion s'il fût revenu sans malheur avec sa part du butin. »

Les parallèles sont nombreux avec notre passage du livre des Actes :

  • Paul et Ulysse arrivent tout les deux sur leur île en nageant, agrippés sur des bouts de bois.
  • Dans l’île où débarque Paul, les habitants vivent en paix, pleins de douceur, comme les Phéaciens d’Ulysse.
  • Ulysse et Paul vont tous les deux y être considérés comme un dieu.
  • Paul est traité avec tous les honneurs, et reçu dans le palais de la personne la plus importante de l’île comme Ulysse est reçu par Alcinoos, roi des Phéaciens
  • Tous les deux reçoivent de riches cadeaux à leur départ, ce qui va bien les aider à s’établir par la suite.
  • Partant de là Paul comme Ulysse arrivent enfin à la destination de leur voyage, Rome ou Itaque.

Les parallèles sont donc nombreux, en grec, ce sont même des mots et des expressions qui sont repris. Cela conduit à penser que Luc ne s’est pas seulement inspiré de l’Odyssée pour écrire cet épisode, mais qu’il a l’intention que son lecteur reconnaisse la citation de l’Odyssée.

Quel pourrait être l’intention de Luc en faisant cela ?

Dans le dernier épisode de son livre, Luc nous donne ainsi la clef d’interprétation de son texte. En faisant de l’apôtre Paul un nouvel Ulysse, Luc nous appelle à relire le récit des voyages de Paul comme les grecs lisaient l’Odyssée : une allégorie de notre propre existence. Un appel à vivre notre existence de façon héroïque.

Luc était le proche compagnon, l’ami de Paul. Il parle donc d’une personne bien réelle et concrète pour lui, et sont récit pourrait passer pour un reportage, surtout dans les épisodes qui sont rédigés comme ici à la première personne du pluriel. C’est sympathique de lire les carnets de voyage de l’oncle Paul, mais Luc nous invite à considérer ce texte autrement. Finalement, nous dit-il avec ce parallèle avec l’Odyssée, le but de mon récit n’est pas de vous parler de l’apôtre Paul, même si c’est un ami, mais à travers lui c’est votre existence que je vous invite à vivre et à la vivre ardemment.

Les aventures de Paul sont celles de notre existence, les naufrages sont ceux de notre vie, les miracles parlent de ce que nous pouvons vivre, les vipères dont la foi nous rend vainqueurs sont celles de notre tentation. L’héroïsme de Paul dans l’accomplissement de sa vocation, comme celui d’Ulysse dans l’Odyssée, parlent de nous, vaillants héros. Ces textes parlent de ce courage d’aller de l’avant en étant animé par ce en quoi nous croyons, Paul animé par le Christ, Ulysse par le désir de retrouver les siens. Paul comme Ulysse ne s’arrêtent pas dans cette inlassable recherche ni aux épreuves ni aux tentations, ni aux douceurs. Ulysse refuse même l’immortalité pour continuer à aller vers son but. C’est dire comme ce récit chante la beauté de la vie en ce monde.

Luc ose ainsi faire entrer la culture et même la mythologie grecque dans son témoignage. Ce fait même est révélateur. L’Évangile annonce une grande nouveauté, celle du Christ, celle du Dieu unique qui ne nous veut que du bien. L’Évangile est un appel à se tourner radicalement vers Dieu ; à être inspiré par lui en toute chose et que cela transforme notre vie. En citant l’Odyssée, Luc montre que se tourner vers Dieu n’est pas se détourner du monde ni de notre culture. On peut lire la Bible, on peut vivre en ayant le Dieu de Jésus Christ dans le cœur et lire des romans, écouter du rock ou du clavecin, philosopher, étudier le zen japonais... y trouver des parallèles ou des différences, en nourrir sa réflexion, sa sensibilité et même sa foi.

La foi chrétienne n’invite pas à sortir du monde mais à l’aimer, à le vivre différemment, inspiré par le souffle de Dieu, qui l’anime d’un sang neuf. Le fait que Luc cite l’Odyssée ne veut pas dire qu’il confonde tout et qu’il ait gardé la théologie des grecs. Au contraire. Mais cela veut dire qu’il ne la méprise pas.

Comme les barbares de cette île, bien des personnes de l’antiquité pensaient que les malheurs et les chances de notre vie étaient des punitions et des récompenses des dieux. C’est ce qu’ils appellent la justice. Luc sait bien que le Dieu de Jésus-Christ est dans une autre logique, parce que Dieu est amour et qu’il veut de toute façon le meilleur pour chaque personne, même pour le pécheur puisqu’il s’approche de lui comme un médecin n’écartant pas le malade mais voulant le sauver.

Faire un parallèle entre la vie de l’apôtre Paul et l’Odyssée est une façon de valoriser Paul mais aussi de le relativiser en lui donnant un petit peu le statut d’un mythe, d’un type idéal qui est ensuite à actualiser dans l’existence complexe de ce monde.

C’est très utile. Car l’Évangile est souvent radical. Et les paroles de l’apôtre Paul le sont souvent aussi. Par exemple quand il dit que pour lui, « vivre c’est Christ » (Philippiens 1:21). Alors quoi, celui qui n’a pas le Christ serait mort ? Ce serait une bête ?

Luc est bien entendu d’accord pour dire que Christ est essentiel dans sa vie, dans sa façon de penser Dieu, d’espérer en Dieu, dans sa volonté de faire du bien autour de lui... Tout son Évangile et son livre des Actes des apôtres sont une façon de nous appeler à en vivre. Mais ce dernier chapitre, comment dire, ne relativise pas cette inspiration, mais en donne le mode d’emploi. Il nous invite à le vivre comme une inspiration et non comme une négation.

C’est ainsi que ce dernier épisode des aventures de Paul est un très utile complément à tout le reste du livre.

Les païens barbares peuvent être bons

Vivre c’est Christ ? Mais ici Luc nous montre que des païens barbares peuvent être bons, peuvent même vivre par grâce. A commencer par le centurion romain qui sauve Paul de la noyade. Ensuite les simples habitants qui montrent une bienveillance surprenante par simple philanthropie, jusqu’au généreux roi de l’île, bien digne de l’Alcinoos d’Ulysse.

Cela casse, ou devrait casser tout intégrisme. Non, il n’y a pas le monde extérieur plein de méchants damnés, et les chrétiens qui sont nés de l’Esprit de Dieu et donc sauvés. Comme le dit Jésus en voyant un centurion païen « jamais je n’ai vu, même en Israël, une si grande foi »(Luc 7:9). Jean dira également que « quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu, car Dieu est amour » (1 Jean 4:8) avant de remarquer qu’il y a des personnes qui prétendent aimer Dieu sans aimer leur frère...

L’épisode du serpent mordant Paul va également dans ce sens. La main évoque notre action créatrice et le serpent évoque dans la Bible la tentation, ce texte nous suggère que Paul a été tenté d’agir de façon égoïste. Le diagnostique des barbares est alors logique, il devrait enfler et à tomber dans la mort, car c’est bien l’effet de l’égoïsme sur nous. Mais par la foi, par la prière « délivre-nous dans la tentation », par l’exemple aussi de ces formidables « barbares », Paul sera plus fort que la tentation. Quelle était-elle ? Peut-être de profiter de cette aventure pour s’échapper des mains du centurion et se cacher dans une des milliers d’îles de la Méditerranée ? Mais peu importe la tentation qui frappe Paul à ce moment là puisque ce détail dit seulement que des païens peuvent être des modèles de bonté et que le héros de la foi peut être tenté de se compromettre. Contre cela, le texte nous invite à alimenter le feu de l’Esprit, le feu de la gratitude pour ces païens généreux, le feu de sa sagesse de philosophe grec et de sa conscience d’humain. Remettre du bois sur ce feu et y agiter notre main pour que le serpent nous lâche.

Car nous sommes tous à la fois un peu meurtrier et à la fois un peu divin, comme le remarquent les barbares en parlant de Paul. C’est de la folie de se prendre pour un petit dieu, mais ce n’est pas complètement faux puisque Dieu nous donne son Esprit, Dieu nous donne le pouvoir d’aimer et de faire le bien. Ce texte nous invite à accepter et à assumer cette incroyable nouvelle de notre divinité (relative mais bien réelle), et reconnaître que quelque chose de la perfection de Dieu peut inspirer même le plus païen des hommes.

La vie est ainsi un cheminement, comme celui d’Ulysse et de Paul, où chacun est appelé à avancer héroïquement, dans le bon sens si possible.

Mais bizarrement, le héros odysséen peut prendre des vacances. Ulysse, comme Paul.

Trois mois d’hivernage

Chaque épisode des Actes des apôtres raconte la course en avant d’un apôtre, tout animé par la foi, pour accomplir sa vocation. Comme le dit Paul « Je cours vers le but pour tâcher de le saisir, puisque moi aussi j’ai été saisi par Jésus-Christ. » (Philippiens 3:12).

Mais là, dans ce curieux épisode, nous voyons Paul manger et boire, se réchauffer, profiter d’une confortable et amicale hospitalité. À l’occasion, il donne un coup de main à ses hôtes mais il a mis sa vocation d’apôtre de côté. Pas d’annonce de l’Évangile alors que l’occasion était splendide.

Jésus aussi, particulièrement dans l’Évangile selon Luc, prend des temps pour prier, seul. Mais c’est, là encore, un temps utile, productif, une course tendue vers le but. C’est un temps du shabbat, même si ce n’est pas le samedi ou le dimanche matin, bien sûr. Un temps d’inspiration pour mieux se préparer à servir.

Mais ici, que fait, que vit l’apôtre Paul ? Ce texte ouvre un espace dans cette belle respiration de la vie croyante, entre contemplation et action. C’est comme pour la terre, il y a le temps des semailles et le temps de la moisson, mais la terre a aussi besoin parfois d’un temps de jachère, un temps d’hivernage, comme le dit ce récit des Actes.

Quand nous ne faisons rien, c’est parfois sage, utile et juste, nous dit cet intéressant récit, faisant ainsi contrepoids au reste du livre, l’humanisant. Mais parfois aussi, nous ne faisons rien parce que nous avons simplement succombé à la morsure du serpent de notre tentation à flemmarder ? La tentation serpentine est parfois l’inverse, celle de l’activisme, de ne se sentir exister que quand on fait quelque chose.

Le désir de ne rien faire est donc parfois juste et doit être suivi avec la bénédiction de Dieu. Mais pas toujours.

Juste besoin ou mauvaise tentation ? Pour le savoir « allumons le feu », alimentons le, agitons notre désir dessus.

Que Dieu vous soit en aide.

Amen

Lecture de la Bible

Actes 28

L’apôtre Paul est prisonnier des romains. Avec Luc qui rapporte ce récit, Paul est emmené vers Rome par bateau. Il est sous la garde d’un centurion qui est heureusement un homme bon, protégeant Paul.

Mais le navire est pris dans une tempête et se brise contre des rochers, ils nagent vers la côte...

Une fois sains et saufs, nous avons appris que l'île s'appelait Malte.

2 Les barbares nous témoignèrent une bienveillance peu commune ; ils nous recueillirent tous auprès d'un grand feu, qu'ils avaient allumé à cause de la pluie qui survenait, et à cause du froid. 3Paul ramassa un tas de broussailles pour les mettre dans le feu, mais une vipère en sortit par l'effet de la chaleur et s'attacha à sa main. 4Quand les barbares virent la bête suspendue à sa main, ils se dirent les uns aux autres : Certainement cet homme est un meurtrier, puisque, à peine sauvé de la mer, la Justice (divine) n'a pas (voulu) le laisser vivre. 5 Mais Paul secoua la bête dans le feu et ne ressentit aucun mal. 6Ces gens s'attendaient à le voir enfler ou tomber mort tout à coup ; mais, après avoir longtemps attendu, ils virent qu'il ne lui arrivait rien d'anormal, changèrent d'avis et dirent que c'était un dieu.

7 Il y avait, dans les environs, une propriété appartenant au premier personnage de l'île, du nom de Publius, qui nous reçut et nous logea amicalement pendant trois jours. 8Le père de Publius était alité, en proie à la fièvre et à la dysenterie ; Paul entra chez lui, pria, lui imposa les mains et le guérit. 9Là-dessus, vinrent les autres malades de l'île, et ils furent guéris. 10On nous rendit de grands honneurs et, à notre départ, on nous fournit ce dont nous avions besoin.

11 Après un séjour de trois mois, nous avons fait voile sur un navire d'Alexandrie, qui avait hiverné dans l'île et qui portait pour enseigne les Dioscures.

Amen

(Cf. Traduction Colombe)

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