L'hippopotame et le crocodile

Job 40

Culte du 12 juin 2016
Prédication de pasteur Marc Pernot

Vidéo de la partie centrale du culte

film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot

Culte du dimanche 12 juin 2016
prédication du pasteur Marc Pernot

Texte de la prédication (vidéo ci-dessous)

Quarante chapitres ! Il ne faut pas moins de 40 chapitres pour que Job arrête de se croire au dessus de Dieu et de le rendre responsable du mal cruel qui lui arrive. 40 chapitres de débats avec des amis. Ils forment une sacrée bande de « discutailleurs », comme le dit ironiquement ce texte. Qu’est-ce qui, finalement, permet à Job d’en sortir ? C’est d’observer l’hippopotame et le crocodile que lui fait admirer Dieu.

Parfois, il faut arrêter de discutailler pour observer quelques instants la réalité. Elle est si belle et si complexe que bien des idées toutes faites se fendillent face à une observation un peu fine du monde réel. Bien des crises sociales, économiques, politiques, humaines... sont verrouillées par des idéologies mettant en décalage avec le réel. De même, bien des malentendus entre personnes sont dus à des schémas mentaux qui ne tiennent compte que d’une vision trop simple de la réalité, passant précisément à côté de ce qui fait la merveille et la difficulté de vivre en ce monde : il est infiniment plus complexe et changeant que ce que nous pouvons faire entrer dans des cases.

La Bible adore discuter, elle nous invite à discuter mais aussi à regarder le monde réel, regarder les personnes qui nous entoure dans leur complexité.

C’est ce que le livre de Job nous invite à faire. 40 chapitres de débats passionnants, puis ce passage que nous lisons aujourd’hui qui invite Job à méditer sur l’hippopotame et le crocodile. De telles bêtes cassent tous les codes simplistes de ce que devrait être une bête normale, utile, bien polie.

Un créativité pleine de surprises

Job contemple l’hippopotame et le crocodile et lui, le discutailleur, le rebelle, l’homme qui ne doute pas de son bon droit... Job reconnaît que tout n’est pas aussi simple qu’il l’imaginait.

Le monde comprend une incroyable variété de formes de vie. Quelle imagination ! Chacun en son genre, l’hippopotame et le crocodile sont des bêtes formidables. L’un ne mange que de l’herbe et l’autre ne mange que de la viande, l’un est tout dodu et l’autre tout plat, l’un est couvet d’écailles et l’autre de cuir lisse, l’un a des centaines de dents et l’autre juste quelques unes... La première complexité que découvre Job ici, c’est la variété des formes de vies, chacune pourtant a son incroyable beauté et ses dangers aussi.

Nous sommes habitués à notre environnement familier. Il semble aller de soi. Quand on ouvre les yeux sur un monde plus vaste, nous pouvons réapprendre à nous laisser surprendre. À quoi est-ce que ça sert d’avoir créé une telle variété ? Pourquoi des créatures aussi bizarres que l’hippopotame et le crocodile ?

Cela nous apprend l’incroyable créativité de Dieu et de la vie. Bien sûr, la théorie nous apprend que Dieu est créateur. Mais en méditant sur l’hippopotame et le crocodile nous pouvons saisir un petit peu qu’avec Dieu on peut s’attendre à tout, qu’avec la vie on peut s’attendre à tout. Alors quand nous désespérons de trouver une issue, quand l’avenir nous semble bloqué, quand il nous semble qu’il n’y a pas de solution, nous pouvons penser à l’hippopotame et au crocodile et saisir qu’il y a un million de solutions possibles que nous n’imaginons même pas. Et les chercher, s’attendre à tout. Cela aide à ne pas passer à côté de solutions complètement inouïes qui seront des bénédictions pour nous.

Cela nous apprend aussi que nous pouvons nous trouver nous-mêmes bizarre par rapport à ce qui nous semble normal, nous pouvons nous demander à quoi nous servons ? Jamais nous ne serons aussi étrange que l’hippopotame et le crocodile. L’Eternel apprend à Job à contempler et à admirer ces bêtes. C’est un peu apprendre à aimer la diversité des autres, c’est un peu commencer à pouvoir aimer aussi notre propre bizarrerie, notre visage qui est heureusement particulier, comme notre corps, notre personnalité, notre histoire. Avec tout cela, nous avons une place dans ce monde, au moins autant que l’hippopotame et le crocodile, et tant pis pour les esprits purent pratiques qui ne voudraient que des êtres standards. Ça, c’est bon pour les théoriciens. L’Eternel emmène Job plus loin.

Un curieux mélange de beauté et de chaos

La seconde complexité que découvre Job à ce spectacle de l’hippopotame et du crocodile, c’est que chacune de ces créatures, sont à la fois merveilleuses par certains côtés et indomptables, voire malfaisantes par d’autres.

En particulier l’hippopotame.

· Il est ici présenté comme une créature des marais, c’est à dire ni de la terre sèche, ni de l’eau comme les poissons.

· Il est présenté comme une créature se mettant à l’ombre, se cachant. Et c’est vrai que l’hippopotame est souvent représenté dissimulé avec juste ses deux yeux rigolos et ses oreilles qui dépassent de la surface du marais entre des feuilles.

Dans le contexte de la Bible, cela fait de l’hippopotame un être dont la création n’est pas achevée. Car dans la Bible, Dieu crée de deux façons : en apportant des idées originales, mais il crée aussi en distinguant des choses : la lumière des ténèbres, le sec du mouillé, et même les eaux d’en bas et les eaux d’en haut, du ciel... L’hippopotame est un être mi sec mi mouillé, mi lumière mi ténèbres.

Le texte nous dit que nous sommes comme lui, c’est même la 1ère chose que Dieu dit :

Voici l'hippopotame que j'ai formé comme toi ! (15)

À l’occasion de l’observation de l’hippopotame nous pouvons découvrir que le monde est comme lui, inachevé. C’est source de souffrances et de dangers dans le monde, il faut donc discerner, ne pas confondre ce qui est génial et ce qui est encore sauvage, brut, incréé dans le monde, et comment Dieu y travaille.

C’est pourquoi bien des commentateurs de ce texte y voient plus que la simple description de cette grosse bête, ils y voient une notion, une caractéristique de ce monde où nous sommes, inachevé, à la fois merveilleux et dangereux. Pour parler de cette réalité que nous fait découvrir l’hippopotame ici, on garde souvent le nom hébreu : Béhémot, et à ce qu’évoque le crocodile de la suite du texte le nom de Léviathan, formidable lui aussi.

Béhémot ou Léviathan

Par notre côté Béhémot, nous sommes une création déjà géniale mais avec pas mal de travail à faire encore pour la rendre parfaite. Nous sommes ainsi, l’humanité est ainsi, dans ce marais de l’entre deux, un pied dans le chaos, dans la sauvagerie, et pourtant déjà « la tête de la création, le commencement des chemins de Dieu », comme Dieu le dit à Job (40 :19).

En nous s’agite aussi quelque chose du formidable Léviathan. Qu’évoque-t-il ? Lui, n’est pas un être mi génial mi chaos comme l’hippopotame. On reconnaît un crocodile avec sa bouche formidable et son cuir invincible, mais si l’on regarde de près la description qui en est donné, ce crocodile-Léviathan a quelque chose de du Saint Esprit, ou de la Parole de Dieu que rien ni personne ne peut dompter. Et qu’apporte l’observation de ce Léviathan ? Plein de questions, toute une série, comme souvent avec la Parole de Dieu, et toute une série de surprises que le croyant peut ressentir devant l’action de Dieu : tantôt pleine de tendresse, tantôt d’une force immense, nous disant parfois nos quatre vérités, et n’ayant pas peur de se placer en dessous de nous pour nous supplier, comme Dieu le fait si souvent avec celui qu’il aime. Le Léviathan est une figure de ce qu’apporte Dieu : plein d’idées neuves et plein de questions qui brisent nos certitudes toutes faites et nous permettent de ne plus tout mélanger, d’y voir plus clair.

Job se rend bien compte qu’il est impossible de mettre la main sur le crocodile-Léviathan, ce serait vouloir emprisonner l’Esprit Saint, le souffle créateur de Dieu, ce serait comme vouloir saisir le vent dans ses mains, que ce soit la brise légère ou l’ouragan, c’est tout aussi impossible.

Il existe dans notre petite personne et dans l’humanité quelque chose du Béhémot et quelque chose du Léviathan, à la fois un chef d’œuvre en cours d’élaboration et le souffle de créativité de Dieu qui travaille avec et dans ce chantier. Quand on regarde le monde, nous pouvons observer que ses merveilles, le chaos qui subsiste, et le souffle de l’Esprit sont aussi réels, aussi manifestes, aussi énormes et formidables que le sont une bande d’hippos et de crocos sur le Nil. Et celui qui ne les voit pas risque gros s’il croit pouvoir se promener par là tranquillement.

Nous sentons, comme Job ici, palpiter en nous ces deux réalités formidables que sont le Béhémot et le Léviathan. Cela nous invite à vivre cette complexité avec fierté mais aussi avec humilité, avec sagesse mais aussi avec une ouverture à l’action de Dieu qui tente de nous faire évoluer et de nous rendre moins sauvage.

Que faisons nous de cette complexité ? Tout est fait pour ça se passe pas si mal, affrontant le chaos parfois avec peine mais avec confiance et efficacité grâce à l’Esprit de Dieu qui nous est donné. Mais comme avec tout outil puissant il y a un danger. Comme avec tout équilibre complexe il y a le risque de basculer.

Choisir le Béhémot ou le Léviathan ?

Le philosophe Hobbes, par exemple, privilégie le Léviathan. Le Béhémoth lui semble mener au chaos. Il redoute que chacun pense à sa façon, que chacun interprète la Bible librement, et encore plus que chacun puisse se dire prophète, animé par le souffle de Dieu. Effectivement, il y a le risque que les points de vues finissent par être si différents que la société éclate et que cela tourne à la guerre civile comme du temps des guerres de religion dans notre quartier. Ou que chacun n’en fasse qu’à sa tête, se serve sans rien payer, passe au feu rouge ou roule sur l’autoroute dans le mauvais sens s’il pense que c’est à son idée... Pour créer une société vivable il faut suffisamment de souffle commun, de Léviathan. Sinon le chaos l’emporte, l’hippopotame est englouti.

A l’inverse, le philosophe Milton, par exemple, pencherait plus pour privilégier Béhémoth. Il est pour la diversité des interprétations, pour la liberté et il y a quelque chose de tyrannique à vouloir unifier la pensée sous un seul et même Léviathan. Effectivement, il y a le risque qu’une seule personne se prétende détenir la Vérité et considère tous les autres comme des hippopotames dignes seulement de brouter le fond de la rivière. Ce n’est jamais bon qu’une personne ou un petit groupe de personnes prenne la place de Dieu.

Mais effectivement, ce n’est pas facile de gérer ce monde où chacun de nous est ce Béhémot génial par certains côtés mais aussi sauvage et chaotique de l’autre. L’Esprit de Dieu travaille avec et sur ces deux réalités en chacun de nous, pour commencer à dompter ce qui est sauvage en nous, mais aussi mobiliser notre meilleure part, qui peut alors apporter au monde et à la collectivité un service unique en irremplaçable. Il est par conséquent essentiel qu’en chaque personne ce soit le Léviathan qui règne sur Béhémot, que notre crocodile l’emporte sur les deux côtés de notre hippopotame.

Mais toute évolution prend du temps et en attendant que nous soyons devenu parfait, comment faire ? Comment vivre les uns avec les autres ? Le propre de ce qui est sauvage en chaque personne est de jouer au crocodile, de se prendre pour Dieu, de penser détenir à soi-même la vérité et trouvant juste, en toute bonne foi de l’imposer aux autres, les mordant et les dévorant comme un crocodile ordinaire. Le souffle de Dieu est alors bien loin, et gare aux hippopotames.

Comment résoudre cette équation délicate, laissant le souffle de Dieu se manifester en chacun sans pour autant que nous nous dévorions les uns les autres ?

Pour ce qui est de la société, c’est tout l’art de ce jeu infiniment complexe de notre fonctionnement démocratique qui a été enfanté, en réalité, par ces débats au siècle des lumières entre Hobbes, Milton, Bayle, Kant, Rousseau, Voltaire, et bien d’autres... nourris en particulier par leur méditation sur l’hippopotame et le crocodile de Job, Béhémot et Léviathan, entre liberté individuelle et la recherche de la juste loi qui s’impose à tous.

Mais cet équilibre est sans cesse à réinventer et à vivre. La structure même du livre de Job nous propose de prendre d’abord 40 chapitres de débats entre nous, de laisser dialoguer les plaintes et les raisonnements, la philosophie et la foi, l’humilité et la sagesse. Mais de laisser le temps aussi à l’expérience en confrontant nos belles théories au monde réel, afin qu’elles apprennent qu’elles ne sont pas la vérité même de Dieu. Prendre le temps de s’asseoir sur le bord du fleuve et de regarder, de méditer sur les crocodiles et les hippopotames, et écouter la voix de Dieu qui nous explique ce qu’il en est.

Après avoir ainsi médité, Job répond à Dieu :

Mon oreille avait entendu parler de toi,
Mais maintenant mon œil t'a vu. (Job 42:5)

C’est à dire qu’il a maintenant une connaissance empirique de la vie et de sa source qu’est Dieu, et non plus seulement une connaissance théorique. Et cela affine considérablement la découverte de Dieu et du monde, de leurs fonctionnements réciproques. Cela aide à reconnaître dans le monde et en nous même ce qui pourrait être divin et mérite d’être éveillé, écouté, libéré. Et de démasquer ce qui est sauvage et se prend pour Dieu. Comment s’en rendre alors maître ? Il ne faut surtout pas le tuer mais le domestiquer. La méditation de Job est pleine de respect et de miséricorde pour ce qui est sauvage dans notre hippopotame, car « là est le commencement des chemins de Dieu, (nous dit-il), celui qui l’a fait (Dieu), fait avancer son épée » (40:19) (celle de sa Parole), celle qui tranche, non pas les têtes, mais entre les nuances de bien et de mal, de sec et de mouillé. La Parole qui assaini nos marécages en faisant souffler un Esprit de vie.

Amen

Lecture de la Bible

Job 40

1 L'Éternel reprit la parole et dit à Job :

2 Le discutailleur va-t-il faire un procès au Créateur ?

Celui qui conteste avec Dieu a-t-il une réponse à cela ?...

Hippo

15 Voici l'hippopotame que j'ai formé comme toi !

Il mange de l'herbe comme le bœuf.

16 Le voici ! Sa force est dans ses reins,

Et sa vigueur dans les muscles de son ventre ;

17 Il raidit sa queue comme un cèdre ;

Les nerfs de ses cuisses sont entrelacés ;

18 Ses os sont des tubes de bronze,

Son ossature comme des barres de fer.

19 Il est la première des œuvres de Dieu ;

Celui qui l'a fait l'a pourvu d'une épée.

20 Les montagnes lui fournissent sa pâture,

Là où se jouent tous les animaux de la campagne.

21 Il se couche sous les lotus,

Dans le secret des roseaux et des marécages ;

22 Les lotus le couvrent de leur ombre,

Les saules du torrent l'environnent.

23 Si le fleuve devenait violent, il ne s'alarmerait pas ;

Si le Jourdain se précipitait dans sa gueule, il resterait en sécurité.

24 Est-ce quand il a les yeux ouverts qu'on pourra le saisir ?

Est-ce qu'on le prendra au piège, pour lui percer le museau ?

& Croco

25 Prendras-tu le crocodile à l'hameçon ?

Lieras-tu sa langue avec une corde ?

26 Mettras-tu un jonc dans son museau ?

Lui perceras-tu la mâchoire avec un crochet ?

27 T'adressera-t-il de longues supplications ?

Te dira-t-il de douces paroles ?

28 Conclura-t-il une alliance avec toi ?

Le prendras-tu comme esclave pour toujours ?

29 Joueras-tu avec lui comme avec un oiseau ?

L'attacheras-tu pour (amuser) tes jeunes filles ?

30 Des associés le mettront-ils en vente ?

Le partageront-ils entre des marchands ?

31 Couvriras-tu sa peau de dards,

Et sa tête de harpon à poissons ?

32 Mets ta main sur lui :

(Cf. Colombe)

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