L'apôtre Paul a profondément marqué la philosophie
1 Corinthiens 14:18-19 ...
Culte du 9 octobre 2016
Prédication de professeur Olivier Abel
Vidéo de la partie centrale du culte
film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot
Culte du dimanche 9 octobre 2016
prédication par le Professeur Olivier Abel
Faculté de Théologie Protestante de Montpellier
Verbatim de la prédication (vidéo ci-dessous)
Mile mercis à Jean-Pierre d'avoir saisi ce texte !
(qui n'a pas été donné à relire à Olivier, et est resté en langue orale).
Mes amis, c’est une très grande joie d’être avec vous de nouveau ce matin. Je remercie beaucoup Marc de m’avoir invité, et de prendre le risque encore une fois, de laisser parler un philosophe à l’Oratoire. Je voudrais dire aussi mon embarras parce que je vais vous présenter vraiment un embryon de recherche, et j’ai déjà une récolte trop fournie, et donc j’ai peur de vous étouffer avec toutes mes idées.
C’est une lecture philosophique de Paul qui m’intéresse aujourd’hui, car Paul est à la mode en philosophie ; je ne parle pas des philosophes chrétiens, comme Kierkegaard, comme Ricoeur justement, mais vraiment de philosophes athées. Alain Badiou, Agamben, comme jadis Heidegger, Nietsche ou Freud, ont travaillé sur Paul.
Et c’est vrai qu’en France, avec la séparation entre la philosophie et la théologie, la séparation des églises et de l’Etat, il y a une séparation institutionnelle des disciplines, qui est telle que c’est en train de créer une sorte d’amnésie totale, de coupure totale, comme si les philosophes n’avaient aucune influence sur la pensée théologique, ce qui est bien sûr évidemment faux, et comme si les Apôtres, notamment Paul, n’avaient pas une immense influence dans l’histoire de la philosophie, dans l’histoire des idées. Il y a une sorte de dénégation, d’oubli, de cette influence.
Donc je dirais que, au moins autant qu’Aristote, vous savez Aristote c’est la matière et la forme, la puissance et l’acte, la substance et l’accident, le genre et l’espèce ; des concepts fondateurs qu’on retrouve partout, tout au long de notre civilisation presque.
Eh bien des concepts fondamentaux de notre culture, pas seulement de notre philosophie, le grand code de notre philosophie vient aussi de Paul. J’en donne quelques exemples : la lettre et l’esprit, la loi et la foi, la foi c’est d’ailleurs un terme que Paul a emprunté, le pistis, à Epicure. Les œuvres et la grâce, la servitude et la liberté avec l’inversion qu’il propose, et la liberté qui est une… nous sommes libérés, donc il y a une transcendance qui nous libère ; l’homme intérieur, l’homme extérieur, c’est fondamental pour comprendre Kant, par exemple. La foi, l’espérance, et l’amour, dont Marc vient de parler, avec cette définition de l’amour : "L’amour prend patience ; l’amour rend service. Il ne jalouse pas, il ne se vante pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il n’entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de l’injustice, Mais l’amour trouve sa joie dans la vérité. Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout." (1 Corinthiens 13) Chacun de ces termes est redéfini autrement : la chair, par exemple, il ne faut pas penser la chair et l’esprit de manière dualiste, parce que Paul parle de la résurrection de la chair, donc c’est antidualiste ; ce sont des inventions incroyables. Des inversions ; la sagesse et la folie, qu’il inverse, la force et la faiblesse qui s’inversent, la maitrise et la servitude aussi ; il y a une dialectique, une inversion, il y a une rhétorique, à plus forte raison, il y a de la disproportion, des jeux de répétition, on reprend, on re-raconte l’histoire autrement, on re, re-quelque chose, réforme, renaissance, ça vient de Paul. Ce geste de la re-prise, ça vient de Paul, et c’est très important puisque ça reprend le temps autrement ; il y a un rapport du nouveau à l’ancien, avec une reprise. Bon, je suis en train de faire la prédication, donc voilà : Paul pour moi est aussi un philosophe, je fais ici quelques pistes modestes, lacunaires, fragmentaires je vais lire quelques fragments, et donc mes lectures bibliques je vais les disséminer dans la prédication ; c’est des fragments qui échappent, d’une certaine manière, à l’intention de l’auteur, et qui sont reprises par d’autres auteurs, avec peut être des contre sens complets, mais qui font partie de l’histoire de notre culture, c’est ça que je vais tenter de montrer, mais je vais commencer par méditer deux petits propos de Paul dans la première épître aux Corinthiens :
Quand je parlerais les langues des hommes et des anges,
si je n’ai pas l’amour, je suis un airain qui résonne,
ou une cymbale qui retentit. »
(1 Corinthiens 13:1)
Je rends grâce à Dieu que je parle en langues plus que vous tous,
mais dans l’église, j’aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence,
afin d’instruire ainsi les autres,
que mille paroles en langues »
(1 Corinthiens 14:18-19)
Leibnitz
Je voudrais commencer ma méditation par la trace de la pensée de Paul chez quelques grands penseurs de notre histoire des idées ; je commence par un grand philosophe allemand qui s’appelle Leibnitz, qui a écrit une métaphysique, de part en part Chrétienne et paulinienne, c’est peut être la première d’ailleurs ; elle est dynamique, elle s’appelle la monadologie, peu importe, et son résumé se trouve au cœur de la monadologie, c’est uniquement un commentaire de l’expression : « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu », et en Dieu , tout est en tous. Nous sommes tous en tous. Tout est en lien. C’est donc une méditation de Romains 8 :28.
Kant
Kant reçoit de Luther la distinction de l’homme intérieur et l’homme extérieur, qui sont soumis à des régimes différents, cette idée que nous pouvons être soumis à des régimes différents, c’est-à-dire obéir à des formes de règles, de règne différents. Ça c’est une idée très importante en philosophie. Eh bien donc il y a le domaine physique du savoir, de la nature, et le domaine, moral, de la liberté pou Kant; c’est un prolongement de l’homme extérieur et de l’homme intérieur. Kant reçoit aussi de Calvin, à travers la lecture de Calvin, il reçoit de Paul l’idée qu’il nous faut sortir de l’enfance, il nous faut sortir de la minorité, c’est ça qu’il définit comme étant les lumières. Devenir adulte, devenir responsable. Il y a un moment où nous devons devenir adultes. C’est une méditation de Ephésiens 4 :13-15 : « Jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’adultes, à la mesure de la stature parfaite de Christ ; ainsi, nous ne serons plus des enfants, flottants et emportés à tous vents de doctrine par la tromperie des hommes, par leur ruse et par leurs moyens de séduction, mais en professant la vérité dans l’amour, nous croitrons (cette idée de croissance) à tous égards, en celui qui en est le chef, la tête, le Christ ». Et puis dernier trait chez Kant, que je trouve très important, cette idée de se redresser mutuellement, de se corriger mutuellement, fraternellement, Galates 6 :1 : « Frères, si un homme vient à être surpris en faute, vous qui êtes spirituels, redressez le, avec un esprit de douceur, et on trouve chez Kant l’idée que l’humanité, les humains, comme dans une forêt, ils croissent plus haut parce qu’ils croissent ensemble, et que comme les arbres, en montant se corrigent mutuellement, ils peuvent monter plus haut, dans une forêt que s’ils étaient tout seuls.
Hegel
Je prendrai maintenant Hegel, Paul est très important pour comprendre Hegel, il y a des passages entiers de sa phénoménologie de l’esprit, je vous demande pas de lire ça, mais qui sont inspirés de la lecture de Paul, et c’est d’abord cette idée qu’il faut d’abord se perdre pour se trouver, il faut se faire esclave pour être libéré, il faut se vider de soi, il faut accepter d’être le rebus, l’ordure, il faut, et c’est toute l’idée de l’incarnation, une sorte de, il y a une dialectique de la servitude du maitre et de l’esclave, c’est connu, une dialectique dans laquelle on s’aliène, on se perd soi-même , on s’appauvrit pour se retrouver enrichi, méditation de la deuxième épître aux Corinthiens 8 : 9 : « Car vous connaissez la grâce de notre seigneur Jésus Christ, qui pour vous, s’est fait pauvre de riche qu’il était, afin que par sa pauvreté vous soyez enrichis » on trouvera derrière cela aussi Feuerbach, Marx, toute l’idée d’aliénation, qui chez Hegel est positive, comme chez Paul. Et après c’est la relève, la reprise, la récapitulation de tout cela. Bref, d’une certaine manière, si l’on veut monter, il faut descendre. C’est la grande idée mystique qu’on trouve chez Saint Jean de la Croix, que pour monter au ciel il faut toujours monter en descendant…Ephésiens 4 :9 : « Que signifie, il est monté, sinon qu’il est descendu… » (très drôle).
Emerson
Emerson, c’est le perfectionnisme. Je pense à notre ami Raphaël qui nous a si brutalement quittés, qui a fait ce magnifique livre sur Emerson, et regardez ce que dit Galates 6 :4 : « Que chacun examine ses propres œuvres, et alors il aura sujet de se glorifier, par rapport à lui-même et non pas par comparaison avec les autres». Ca, c’est la clé du perfectionnisme, on peut aller plus loin, si on reste juste dans la comparaison avec les autres, il y a un moment où on s’arrête, par conformisme, on peut aller plus loin parce qu’on se compare à soi-même , et on va plus loin que soi-même.
Marx
Alors tout ça, on va dire, c’est vrai ce sont des auteurs chrétiens, Kant, Emerson, Hegel et Marx. Alors Marx, ce n’est pas un chrétien, on trouvera chez Marx le cœur de l’idée des Ephésiens, c’est que si les juifs et les païens sont réconciliés, alors la société toute entière sera réconciliée, l’univers, le cosmos sera réconcilié ; c’est toute l’idée du messianisme, d’une certaine manière.
Nietsche
Et puis, il y a d’autres lectures athées, comme celle de Nietsche, il y a une sorte de reprise très négative de Paul chez Nietsche, dans l’antéchrist, qui est un livre consacré pratiquement à l’apôtre Paul. Paul, inventeur du christianisme, qui trahit Jésus, Paul le prêtre ascétique, qui empoisonne, et qui en même temps apporte le remède à son propre poison, c’est une lecture extrêmement sévère à l’égard de Paul. Mais Nietsche est un fils de pasteur, il connait très bien Paul, c’est un grand lecteur de Paul, d’une certaine manière il a écrit Ainsi parlait Zarathoustra, on a le sentiment qu’il voulait imiter Paul, c’est-à-dire fonder une religion ; donc quelque part, c’est encore une lecture de Paul.
Freud
Et Freud aussi, dans le Moïse et le monothéisme, ça se termine par une lecture de Paul, en gros, il y a eu le meurtre du père au Sinaï ; et Paul c’est quelqu’un qui dit : on est malheureux parce qu’on a tué le père, mais regardez il y a un fils innocent qui a pris sur lui le péché du meurtre du père ; donc Dieu est mort, sur la Croix, mais voilà, c’est pour nous laver du péché, et donc nous sommes réconciliés avec le Père, mort, c’est un sacrifice expiatoire.
Heidegger
Et puis dernière figure, c’est depuis Kierkegaard, avec Heidegger, surtout, et tout récemment, l’idée d’évènement, un évènement qui introduit une rupture dans la vie ; il y a un avant, il y a un après, il y a un ancien, il y a un nouveau. Alors cet évènement, bien sûr c’est le chemin de Damas, la rencontre la conversion, l’inversion du chemin, quelque chose qui fait que toute ma vie je serais fidèle à quelque chose que je ne connaissais pas avant et qui vient bouleverser ma vie et cette vérité, j’y serais fidèle toute ma vie : c’est une idée centrale d’un philosophe contemporain comme Alain Badiou. A vrai dire, il y a plusieurs évènements dans la vie de Paul ; il y a la conversion, sur le chemin de Damas, il faut voir que c’est quand même Paul, c’est lui qui gardait les vêtements de ceux qui lapidaient Etienne, et donc si après il devient à son tour…Cette conversion, c’est vraiment un évènement. Il y a aussi l’incident d’Antioche, ce qu’on appelle le conflit d’Antioche, la dispute avec Pierre, et avec ceux qui pensent que quand même on est des juifs, nous les chrétiens, on est des juifs. D’une certaine manière c’est lui qui invente, c’est à Antioche que s’invente le mot chrétien, et puis peut être surtout dans le procès, puis qu’il est fait prisonnier il fait appel à Rome, et donc il refuse. Le gouverneur Romain voulait faire un procès juif il dit non, ce n’est pas une affaire juive, c’est une affaire qui concerne l’empire Romain, il fait appel à Rome. Ca concerne tout le monde, et quelque part, cette affaire devient une affaire théologico-politique de très grande importance, c’est-à-dire si ca concerne tout le monde, depuis Corinthe, il écrit l’épitre aux Romains, qui est un défi à la loi romaine, et pas seulement à la loi juive. C’est un défi à la religion de la victoire qui est la religion romaine, un défi à l’Imperium. En Christ, quelqu’un qui est vraiment le comble du vaincu, va vaincre le comble du vainqueur, qui est l’empereur. C’est ça qui est annoncé quand même. C’est une déclaration de guerre, comme disait un commentateur de Paul, qui s’appelle Jacob Taubes, il disait : les officiers romains n’étaient pas des idiots, ils comprenaient bien que c’était une déclaration de guerre, que c’était très grave.
La question de la soumission aux autorités
Alors maintenant je voudrais verser sur mon deuxième moment, c’est à dire les lectures de Paul qui ont travaillé toute l’histoire de la pensée, j’en prends juste là encore deux ou trois exemples. Premier exemple, c’est justement la question de la soumission aux autorités, puisque dans l’épître aux Romains 13 :1-5 justement, il désarme la guerre qui se prépare avec Rome en disant ; mais attendez, moi je demande la soumission aux autorités ; soyez soumis aux autorités, je vous lis : « Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures, car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu, le magistrat et les serviteurs de dieu pour ton bien. Il est donc nécessaire d’être soumis, non par crainte de la punition, mais encore par motif de conscience. » Voilà ce qu’écrit Paul. Alors bien sûr, on peut dire que toute l’histoire non seulement de l’Eglise, mais de l’Etat, dans tout l’occident, n’est qu’un commentaire de ces deux ou trois petites phrases. Avec toutes les variations, il y a la variante ; soyez soumis, soumission, la variante conservatrice mais il y avait des variantes révolutionnaires de rébellion, c’est-à-dire en gros cet ordre qui est là, l’ordre impérial c’est du bluff ; c’est un peu l’idée de Jacques Ellul, le bluff technologique, et le bluff impérial : c’est du bluff, ça ne tient pas, ça va partir, ça va s’évanouir comme de la fumée, nous on se prépare pour après, et donc on peut le dire ; soyez soumis, ce n’est pas grave, ce n’est pas important, laissez faire. Mais quand on regarde de près c’est plus embêtant que ça, il dit : le magistrat et serviteurs de Dieu, pour votre bien. Et donc qu’il ne suffit pas d’être soumis par crainte, mais par motif de conscience, et alors là on sort complètement de la logique classique qui est la logique de Machiavel ; dans le Prince il joue sur la violence, sur le mensonge, sur la crainte, sur la lâcheté, sur la crédulité, tous les ressorts de la manipulation politique. Non, c’est pour le bien, et quand on lit Calvin, non le magistrat c’est bien, l’Etat c’est bien. L’Etat fait partie du plan de Dieu, c’est incroyable comme idée. Mais du coup ca introduit une idée critique qu’on va retrouver chez Rousseau, qui va dire : un ordre politique n’est stable que si l’on y obéit volontairement, et non pas par la crainte. Si c’est uniquement par la crainte, dès qu’il n’y aura plus la crainte tout va se casser la figure. Donc il faut bien qu’il y ait une participation plus intérieure. Il y a quelque chose comme une pression sur le politique qui vient de l’intérieur, qui vient de la prédication de l’Eglise elle-même, qui va le changer, le tourner vers quelque chose, je n’ose pas dire démocratique, on voit bien que c’est quelque chose qui change, on voit bien les limites aussi de la démocratie, en tous cas la démocratie conçue comme le système électoral, la majorité électorale ; aujourd’hui peut être que la révocation de l’Edit de Nantes aurait encore une majorité en France...
L'universalisme
Deuxième thème, l’universalisme, Galates 3 :28 : « il n’y a plus ni juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car tous vous êtes un en Jésus Christ. » alors on pourrait dire que c’est l’annonce du programme de la mondialisation. C’est-à-dire que finalement l’identité ce n’est pas important, on peut jeter toutes nos identités, toutes nos appartenances, on peut même dire que c’est le programme des études du genre, aujourd’hui dénoncées par le Pape, l’idée qu’ouïr que finalement notre identité sexuelle, finalement il n’y a plus ni homme ni femme, on peut changer, on peut …enfin j’exagère un peu peut être. Mais certaines lectures, aux Etats unis il y a certaines facultés de théologie qui ont des lectures qui vont dans ce sens-là. Il me semble que le plus important, c’est d’y voir cette vision universaliste, cette vision épique. Ricoeur insistait beaucoup sur cette vision épique en disant que finalement nous avons peu à peu, nous, après Augustin, et encore plus dans le protestantisme, individualisé, rétrécit le péché, à n’être qu’un péché moral et individuel, et le Salut à être un recrutement d’individus hors d’une masse perdue. Il dit mais non, il y a une dimension épique, universelle, c’est aussi le débat sur la prédestination qu’avait Karl Barth avec Pierre Maury, je vous lis juste un passage, Romains 11 :32 : « car Dieu, en Adam, a enfermé tous les hommes dans la désobéissance, pour faire, en Christ, miséricorde à tous. » Donc tous les hommes sont perdus, tous les hommes sont sauvés, c’est plus épique, ce n’est pas juste par rapport à des choix individuels, même si ça a du sens, ça change la vie, d’avoir cette vision épique. C’est comme ça que j’entendrais, moi, cette conception de l’universel.
La subjectivité
Troisième thème, ce sera mon dernier thème, l’invention de la subjectivité. Avant Paul, il y a des genres littéraires qu’on ne trouve pas. Il y a un style en « je », une manière de dire « je », « mes amis », je vous lis un petit passage, Galates 4 :20 : « mes petits-enfants, je voudrais être auprès de vous et trouver le ton qui convient, car je suis dans l’inquiétude à votre sujet ». Il cherche une voie, pas seulement des arguments, des concepts, c’est une voie ; vivante, personnelle. On pourrait dire qu’il est avec Sénèque, qui écrit aussi des lettres, parce que le caractère de l’œuvre de Paul c’est des épîtres, des lettres. Et dans les lettres, il y a de tout : il y a un mélange de récits autobiographiques, de vicissitudes, une idée que « moi, je ne suis pas important, je suis un avorton… », argumentation, des exhortations, des vitupérations, des proclamations bien sûr ; il y a un mélange de genres absolument incroyable. Sénèque aussi écrit des lettres, lettres à Lucillius, etc. En gros, Paul est un contemporain du stoïcisme. Et le stoïcisme, comme l’a montré Michel Foucault, c’est vraiment une philosophie du souci de soi, du soin de soi, du soin de sa propre âme. De la recherche de l’art d’être soi-même. Donc on pourrait dire que Paul est un chapitre de l’invention du Moi. De l’invention du Je singulier. Alors je vous donne quelques fragments : Romains 7 :16 : « J’ai la volonté, et non le pouvoir de faire le bien, car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas. Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fait, c’est le péché qui habite en moi ». Vous voyez, il y a une analyse incroyable entre vouloir, pouvoir. Et où est le sujet, il est dans un vouloir impuissant, dans la faiblesse même du vouloir, c’est là que se tient la subjectivité. Première figure. Deuxième figure, que je veux évoquer : 2 Corinthiens 4 :16 : « C’est pourquoi nous ne perdons pas courage, et même si notre homme extérieur se détruit, se défait, notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour. »Au fur et à mesure que nos corps se défont, nous nous rajeunissons, nous nous renouvelons de plus en plus. Nous sommes de plus en plus proches du tout nouveau. Là , il y a aussi quelque chose qui est tout à fait bouleversant. Et puis cette idée, Romains 14 :13 : « Je sais, et je suis persuadé par le Seigneur Jésus, que rien n’est impur en soi, et qu’une chose n’est impure que pour celui qui la croit impure. » Après ça on peut lire Sartre : l’en-soi et le pour soi. Il y a une invention de la phénoménologie, de l’idée d’intentionnalité : rien n’est impur en soi, c’est impur pour celui pour qui c’est impur.
L'insouci de soi
Alors en guise de conclusion, je voudrais développer cette interrogation (mon dernier garçon, Ulysse, qui me disait : « oui, avec toi, ca commence toujours à l’interrogatif, et ca se termine toujours à l’impératif. ») C’est quand même une interrogation, rien d’impératif, c’est juste une suggestion. Donc pour Michel Foucault, je viens de le dire, et pour tous ses élèves, l’Antiquité c’est une école du souci de soi, dans l’insouci du monde. Cela peut devenir presque acosmique. Et on peut lire en effet Paul dans cette idée du souci de soi, du soin de l’âme, de l’invention du soi. Mais moi je me demande si la Réforme, Luther, Calvin, ce n’était pas justement au contraire, l’invention d’une lecture complètement différente, inversée, une lecture de Paul dans l’insouci de soi. Je vous lis Romains 9 :20-21 : « Le vase d’argile dira-t-il à celui qui l’a formé : pourquoi m’as-tu fait ainsi ? Le potier n’est-il pas maître de l’argile, pour faire avec la même masse, un vase d’honneur, et un vase d’usage vil ? » Qu’importe ce qu’on fait de nous, nous sommes dans la main du Seigneur de toutes façons. Nous ne sommes que ses créatures. Et donc il me semble que cette invention, cet insouci de soi, cette libération, ce désangoissement, qu’avait inventé la Réforme, bizarrement : « il faut se vider du souci de soi, et de son propre salut » dit Calvin. A partir du XVIIIe siècle, il y a une sorte d’inversion, dans le catholicisme, c’était là, mais dans le protestantisme lui –même, on a remis en avant le souci de soi, le souci du salut, dans une subjectivité qui est devenue une subjectivité quasi romantique, un moi qui enfle, des sentiments qui sont importants, etc. Mais, quand vous écoutez la musique de Bach, eh bien le moi il est complètement effacé dans le monde, dans l’écoute de l’émerveillement de la création. Donc je me demande s’il ne faudrait pas, nous , aujourd’hui, dans une époque d’extrême souci de soi, peut-être d’extrême angoisse du soi, retrouver une lecture de Paul proche de celle des Réformateurs, qui nous redisent l’insouci de soi. Il me semble que l’insouci de soi, nous l’avons dans un fragment comme 1 Corinthiens 9 :19 : »Avec les juifs, j’ai été comme juif, afin de gagner les juifs. Avec ceux qui sont sans loi, comme sans loi, afin de gagner ceux qui sont sans loi. J’ai été faible avec ceux qui étaient faibles, afin de gagner les faibles ; je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver de toutes manière quelques-uns. Et il écrit aussi : 1 Corinthiens 10 :23-29 : « Tout est permis, mais tout n’est pas utile. Tout est permis, mais tout n’édifie pas. Que personne ne cherche son propre intérêt, mais que chacun cherche celui d’autrui. Je parle ici non de votre conscience, mais de celle d’autrui. » Et il me semble que ce que nous trouvons chez Paul aujourd’hui, ce que nous trouvons et qui me semble très important, c’est l’inversion du souci. Le souci de soi qui est vidé de soi-même, pour se reporter sur autrui, vers le monde. Et il me semble que ce soin d’autrui, du monde, soit un des cœurs de la prédication de Paul.
Amen
Lecture de la Bible
1 Corinthiens 14:18-19
Je rends grâces à Dieu de ce que je parle en langue plus que vous tous ; 19 mais, dans l’Eglise, j’aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence, afin d’instruire aussi les autres, que dix mille paroles en langue.
(Cf. Traduction NEG)
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