Jésus avoue parler « afin que les gens ne comprennent plus rien »

Marc 4 :10-34

Culte du 2 juin 2013
Prédication de pasteur Marc Pernot

(Marc 4 :10-34)

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Culte du dimanche 2 juin 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot

Ce passage de l’Évangile comprend au moins trois affirmations vraiment scandaleuses & incohérentes.

Une telle accumulation de choses choquantes dans un texte essentiel des évangiles n’est pas une erreur de copiste mais que une volonté de faire choc. Et si Jésus et le rédacteur de l’Évangile selon Marc ont osé prendre le risque de paroles choquantes, il faut que ce soit pour des raisons importantes. 

« Prenez garde… car on donnera à celui qui a  mais à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a ! » (24-25)

C’est très choquant. Le Christ n’est pas venu pour que les riches soient encore plus riches et que les pauvres repartent à vide. Tout l’Évangile et chaque geste de Jésus disent l’inverse.

Alors comment comprendre ce « à celui qui n’a rien on enlèvera même ce qu’il a » ? On ne peut en tout cas pas la comprendre littéralement puisqu’il est impossible « d’enlever ce qu’il a » à « quelqu’un qui n’a rien ».

Cette phrase invite donc à prendre conscience d’abord de que nous avons. Il serait idiot de découvrir que l’on avait un trésor seulement quand un voleur nous le prendrait. Si nous pensions n’avoir rien, nous nous trompons, nous dit Jésus.  Le semeur a semé largement même dans les coins les plus improbables, Dieu est en tous puisque chacun a reçu de son souffle. Et donc, en pensant ne rien avoir reçu nous laissons piétiner et picorer nos qualités par n’importe quoi, nous les laissons brûler par la sécheresse des pensées et du cœur, ou se faire envahir par les justes préoccupations de la vie en ce monde…

Mais ce n’est pas seulement la Parole que Dieu nous donne que Jésus valorise ici, mais d’abord ce que nous sommes. En effet, la semence est une bonne chose nous dit Jésus ici, mais ce qui est extraordinaire, c’est d’abord la terre qui « porte d’elle-même (automatiquement), du fruit ». C’est la terre, c’est ce que nous sommes par nature qui a une capacité de faire naître la vie, de la faire grandir, avancer, produire du fruit. Le semeur n’y est pour rien et ne sait même pas comment ça marche, nous dit Jésus (27). Chaque personne a donc un fonctionnement unique qui surprend même Dieu par son originalité. La semence n’a aucun mérite de germer et de grandir, c’est la terre qui fait tout le boulot d’elle même, offrant par grâce la récolte au moissonneur.

Donc celui qui pense ne rien avoir se trompe, et en se trompant il perd en ne les utilisant pas les dons extraordinaires qu’il a reçus. Même celui qui n’a rien et qui a refusé la Parole de Dieu est et demeure encore riche de ce qu’il est. Sans le savoir, éventuellement.

Celui qui a conscience de cette richesse qu’il possède, même s’il lui arrive d’être au cœur d’une tempête, est prêt à recevoir la semence et prêt à semer. Il est prêt pour l’espérance et pour le miracle sans cesse renouvelé de la vie nouvelle en nous, de l’amour en nous, du pardon plus que de la haine. Il peut offrir à d’autre cette richesse qui lui a été donnée car elle se multiplie d’autant plus qu’on l’utilise.

Donc, oui, comme le dit Jésus, ça vaut le coup de « prendre garde » non seulement à notre pauvreté mais aussi et d’abord à notre extraordinaire richesse. Et de prendre en affection cette richesse qui aussi est celle de notre prochain.

Classer entre ceux du dedans et ceux du dehors ?

Deuxième chose très choquante dans ce texte, Jésus semble faire une distinction entre « ceux qui l’entourent » auxquels il explique tout et « ceux qui sont dehors » qui n’y ont pas droit. Là encore, ce n’est du tout pas le style de Jésus dans le reste de l’Évangile.

Mais qui sont « ceux qui entourent Jésus et à qui il révèle le Royaume » et qui sont « ceux de l’extérieur » ? Jean Calvin avec cette épouvantable théorie de la prédestination qu’il prend à son compte, pense que les premiers sont ceux qui ont été choisis par Dieu pour avoir la vie et les autres ceux qui ont été sélectionnés pour être perdus à jamais, et que Dieu les empêcheraient de voir et d’entendre ! Heureusement,  ce n’est pas ce que dit le texte. D’abord, ceux qui sont autour de Jésus sont simplement ceux qui sont resté pour lui poser des questions, et Jésus n’a pas écarté les autres. Ensuite, les 12 apôtres sont à la fois du dedans et de l’extérieur, ils reçoivent les paroles du Royaume de Dieu mais ils sont aussi des personnes qui ne comprennent rien, des personnes qui voient et entendent des choses extraordinaires et qui ne comprennent rien. La suite de l’évangile continuera dans cette ambiguïté, les apôtres étant à la fois proche de Jésus et pleins de foi, mais aussi qui sont aussi « à l’extérieur » en l’abandonnant.

Il n’y a donc des personnes qui sont du bon côté et des personnes qui sont du mauvais côté, mais il y a du bon et du mauvais côté en chacun, ou plutôt il y a une partie qui est vivante et qui s’interroge, et il y a une partie de chacun de nous qui ne s’ouvre pas, qui ne comprend rien et n’attend rien. Nous sommes tous à la fois athée par certains côtés mais dans le Royaume par d’autres, soit par le cœur, ou par la prière, par la pensée et l’intelligence, par les actes et la générosité. Sinon au moins par ce souffle qui fait de nous un frère ou une sœur de Jésus-Christ.

Les personnes de la foule à qui Jésus n’explique pas la parabole l’écoutent un peu, elles ne sont peut-être pas plus bêtes que les apôtres, et elles n’écoutent peut-être pas avec moins d’attention, mais elles ne cherchent pas à l’interroger. Elle ne s’impliquent pas intimement. C’est juste ça que dit le texte. Elles restent extérieures. Peut-être parce qu’elles ne se posent pas de questions, ou qu’elles ne s’intéressent même pas à sa réponse…

Et contrairement à ce que dit Calvin, Jésus s’intéresse aux uns et aux autres pour faire progresser chacun, mais il applique une pédagogie adaptée à chacun, nous dit le texte :

C’est par beaucoup de paraboles de ce genre
 qu’il leur annonçait la parole, selon qu’ils étaient capables de l’entendre. Et en particulier,
 il expliquait tout à ses disciples. (33-34)

Littéralement, il n’y a pas marqué que Jésus « expliquait tout » à ceux qui l’interrogent, mais qu’il « déliait toute chose » pour eux. Il ne s’agit donc pas de leur révéler un secret réservé à des initiés, mais le but est de les libérer dans toutes les dimensions de leur être, à ouvrir les yeux et les oreilles, à dénouer leur intelligence, leur capacité à prendre des décisions et à évoluer : eux-mêmes, leurs projets et leurs actions… Et comme chaque personne est différente, cela ne peut se travailler avec Dieu qu’en particulier. À l’écart des autres, est-il écrit.

C’est pourquoi il n’y a pas de débat lors du culte, comme après une conférence ou une assemblée générale. Parce que la question n’est pas d’arriver à un consensus, ni même d’être d’accord ou non avec le pasteur. L’enjeu est de se poser des questions et de faire ensuite un travail à l’écart avec le Christ, « en particulier », dans sa propre réflexion et sa prière. La dimension de groupe apporte quelque chose d’essentiel : savoir que nous ne sommes pas seul dans ce travail particulier avec Dieu, sentir que nous le faisons tous en parallèle, et que nous pouvons nous réjouir non seulement par ce que cela dénouera en nous, mais aussi chez les autres.

Cela, c’est pour ceux qui interrogent Jésus à l’écart, en particulier » (10, 34). Pour les autres, la pédagogie proposée par Jésus fait violemment sursauter :

Jésus leur parle afin qu’ils ne comprennent rien et surtout qu’ils ne se convertissent pas ?

C’est choquant car la base même de l’Évangile c’est que le Christ est venu comme un berger pour aller rechercher la plus perdue des brebis perdues, et c’est même qu’il finit par la trouver et la sauver. Marc ose pourtant nous rapporter ces paroles choquantes, qui sont d’ailleurs fidèles à l’original d’Ésaïe, et cohérentes avec l’ensemble du passage. Effectivement, Jésus laisse ceux qui restent extérieurs sans leur expliquer la parabole.

Jésus ne veut pas leur donner son explication de la parabole car s’il leur donnait une explication simple, il seraient capables de se convertir à cette chose toute simple et la transformer en dogme. Puis de se reposer sur une fausse justification trop simple, toute morte, de leur être en ce monde. Et de s’enfermer dehors, dans  une façon d’être qui invite à surtout ne pas se poser de question, mais à regarder sans voir et écouter sans entendre, à laisser son intelligence et son cœur en friche, à l’extérieur de la vie.

Jésus ne se désintéresse pas d’eux, au contraire. Il développe une pédagogie pour eux, il se fatigue à inventer pour eux de jolies paraboles riches et surprenantes, ce n’est pas rien. Il se fatigue aussi à les observer, à sentir là où ils en sont dans leur capacité à entendre, et il s’adapte.

La particularité de « ceux qui sont dehors » selon notre texte, c’est qu’ils ne se posent pas de questions, soient qu’ils ne se soient jamais posé de question comme un bébé qui vient de naître, soit qu’ils croient avoir toutes les réponses comme les intégristes de toute religion et de toute philosophie. En tout cas, pour ces personnes qui restent à l’extérieur des choses et des débats, toute information nouvelle glisse comme l’eau sur les plumes d’un canard, ils ne regardent rien, n’écoutent rien et ne sont donc pas mis en route par ce qui se passe autour d’eux.

C’est ça, être en dehors du coup. C’est confortable, dans un sens, mais dans le mauvais sens.

Le but de Jésus c’est que ces personnes se posent des questions, qu’elles s’impliquent dans leur propre monde, dans leur propre vie et leur entourage. Pour cela, Jésus les dérange avec des paraboles inexpliquées, des gestes et des paroles qui font choc avec leur façon de voir. Jésus brouille les cartes, il complexifie, il montre que même les principes les plus justes ont des limites où ils deviennent absurdes, il leur apprend que du neuf peut survenir, comme une plante qui sort de terre.

Bref Jésus, par ses paroles et ses actes fait que la vie tout entière puisse devenir pour nous une parabole, quelque chose qui nous pose des questions qui font craquer nos préjugés et qui nous réveille de nos assoupissements.

D’ailleurs, même avec ceux qui l’entourent en lui posant des questions, Jésus leur dit d’abord que c’était à eux de réfléchir tout seul, qu’ils en sont dignes et capables (13). Ensuite il leur « explique » la parabole, mais son explication rend la parabole encore plus dérangeante. L’explication de Jésus commence bien, avec une lecture métaphorique comme Jésus le fait toujours quand il explique ses paraboles et ses actes. Cela n’étonne donc pas les disciples. Le grain est la Parole, dit Jésus. Avec ce que Jésus vient de leur dire, qu’il leur « a été donné la révélation du Royaume de Dieu », ils croient voir le sens de la suite, ils comprennent qu’ils sont les terrains qui reçoivent la Parole de vie, et qu’il faut juste faire attention à bien protéger la Parole de Dieu en nous. Jésus commence effectivement ainsi, mais bientôt il commence à mélanger deux interprétations à la fois, ceux qui l’écoutent sont à la fois la graine envoyée dans le monde et la terre qui reçoit la Parole.

Du coup, les disciples peuvent saisir que la question n’est pas d’avoir la réponse de Jésus, mais d’apprendre à se poser des questions et de chercher non pas une réponse simple mais une ouverture à plusieurs aspects différents de la question, et de nouvelles questions. Notre rapport à la parole est d’écouter la Parole, d’entendre les paroles des autres et de produire une parole. Nous sommes le grain envoyé dans le monde, nous sommes le terrain et les ronces, les oiseaux et les cailloux. Nous sommes disciple de Jésus, nous sommes apôtre mais également l’oiseau qui picore n’importe comment, et la foule qui piétine et la ronce qui étouffe. Nous sommes même le semeur. Et tout cela interroge et nous fait découvrir notre vie, le monde, les autres et Dieu, et les relations entre tout ça, et notre vocation…

C’est une invitation à redécouvrir que Dieu est une énigme qui échappe aux dogmes les plus raffinés. C’est une invitation à voir les autres comme un monde complexe. C’est voir le monde et la vie comme une parabole qui nous pousse à dénouer notre façon de voir, d’entendre et de réfléchir.

Jésus cherche ainsi à réconforter les désespérés : que vous le sachiez ou non, vous êtes un magnifique terreau, vous avez des yeux pour voir de vos propres yeux, des oreilles pour entendre et une tête pour réfléchir et trouver du sens aux questions que pose ce monde.

Jésus cherche ainsi à réconforter les personnes troublées, mais il cherche aussi à troubler les personnes trop confortables. Et dans l’un comme l’autre cas, Dieu nous apporte ce dont nous avons besoin, en particulier.
 

Lecture de la Bible

Marc 4:10-34

Lorsqu’il fut à l’écart, ceux qui l’entouraient avec les douze l’interrogèrent sur les paraboles.
11 Il leur dit: C’est à vous qu’a été donné le mystère du royaume de Dieu; mais pour ceux qui sont dehors tout se passe en paraboles,
12 afin qu’en voyant ils voient et n’aperçoivent point, et qu’en entendant ils entendent et ne comprennent point, de peur qu’ils ne se convertissent, et que les péchés ne leur soient pardonnés.
13 Il leur dit encore: Vous ne comprenez pas cette parabole? Comment donc comprendrez-vous toutes les paraboles?
14 Le semeur sème la parole.
15 Les uns sont le long du chemin, où la parole est semée; quand ils l’ont entendue, aussitôt Satan vient et enlève la parole qui a été semée en eux.
16 Les autres, pareillement, reçoivent la semence dans les endroits pierreux; quand ils entendent la parole, ils la reçoivent d’abord avec joie;
17 mais ils n’ont pas de racine en eux-mêmes, ils manquent de persistance, et, dès que survient une tribulation ou une persécution à cause de la parole, ils y trouvent une occasion de chute.
18 D’autres reçoivent la semence parmi les épines; ce sont ceux qui entendent la parole,
19 mais en qui les soucis du siècle, la séduction des richesses et l’invasion des autres convoitises, étouffent la parole, et la rendent infructueuse.
20 D’autres reçoivent la semence dans la bonne terre; ce sont ceux qui entendent la parole, la reçoivent, et portent du fruit, trente, soixante, et cent pour un.
21 Il leur dit encore: Apporte-t-on la lampe pour la mettre sous le boisseau, ou sous le lit? N’est-ce pas pour la mettre sur le chandelier?
22 Car il n’est rien de caché qui ne doive être découvert, rien de secret qui ne doive être mis au jour.
23 Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende.
24 Il leur dit encore: Prenez garde à ce que vous entendez. On vous mesurera avec la mesure dont vous vous serez servis, et on y ajoutera pour vous.
25 Car on donnera à celui qui a; mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a.
26 Il dit encore: Il en est du royaume de Dieu comme quand un homme jette de la semence en terre;
27 qu’il dorme ou qu’il veille, nuit et jour, la semence germe et croît sans qu’il sache comment.
28 La terre produit d’elle-même, d’abord l’herbe, puis l’épi, puis le grain tout formé dans l’épi;
29 et, dès que le fruit est mûr, on y met la faucille, car la moisson est là.
30 Il dit encore: A quoi comparerons-nous le royaume de Dieu, ou par quelle parabole le représenterons-nous?
31 Il est semblable à un grain de sénevé, qui, lorsqu’on le sème en terre, est la plus petite de toutes les semences qui sont sur la terre;
32 mais, lorsqu’il a été semé, il monte, devient plus grand que tous les légumes, et pousse de grandes branches, en sorte que les oiseaux du ciel peuvent habiter sous son ombre.
33 C’est par beaucoup de paraboles de ce genre qu’il leur annonçait la parole, selon qu’ils étaient capables de l’entendre.
34 Il ne leur parlait point sans parabole; mais, en particulier, il expliquait tout à ses disciples.

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