Jacob aimait Rachel plus que Léa

Genèse 29:16-30:2

Culte du 15 octobre 2017
Prédication de pasteur Marc Pernot

Vidéo de la partie centrale du culte

film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot

Dimanche 15 octobre 2017
prédication du pasteur Marc Pernot

Ce dimanche, ce sont les aventures de Jacob que nous suivons avec les enfants de l’éducation biblique. Le troisième patriarche après Abraham et Isaac. La vie de Jacob est également très romanesque. Bien des épisodes sont célèbres et très enrichissants pour réfléchir sur la vie humaine & Dieu. Nous allons regarder pendant ce culte l’épisode le plus développé de l’histoire de Jacob : il concerne l’amour. Il y a deux sœurs. Léa et Rachel. Léa aime vraiment Jacob, Mais Jacob aime Rachel plus que Léa. Mais l’aime-t-il vraiment ? Cette histoire a été écrite pour que nous puissions nous interroger sur ce que c’est qu’aimer, et comment aimer.

Si Jacob est un homme habile dans certains domaines, sur le plan de l’amour il a vraiment besoin d’apprendre, de grandir et de progresser...

Jacob aime Rachel plus que Léa (29:30), peut-être même qu’il déteste Léa (29:31)nous dit le texte. Alors que Léa fait tout pour s’attirer l’amour de Jacob. Rachel est aimée mais n’y attache pas tellement de prix (30:1) car la seule chose qui compte pour elle c’est d’avoir des enfants, et ça ne vient pas...

Ce texte parle de l’amour. Il parle de notre façon d’aimer notre éventuel amoureux, la façon de le chercher, la façon, peut-être de le choisir (dans la mesure où ne serions pas complètement esclave de nous-mêmes)...

Jacob aime Rachel plus que Léa. Pourquoi ?

Le texte nous dit que Rachel est un vrai top modèle (ligne parfaite, et si belle à voir). Jacob tombe raide dingue amoureux à l’instant où il l’aperçoit pour la première fois, de loin menant son troupeau.

Est-ce cela être amoureux ? Parfois, oui. Est-ce cela aimer, aimer vraiment ? Cela peut effectivement être un élément mais c’est quand même un petit peu limité comme conception de l’amour. Extrêmement limité. Car, oui, nous sommes un corps, c’est donc normal que l’attrait physique compte. Mais l’être humain a quand même quelques autres qualités qui ne sont pas négligeables, et quelques défauts aussi qui peuvent compter.

La question est de savoir de qui Jacob est-il amoureux quand ce qu’il retient de cette fille, Rachel, « a une belle ligne et qu’elle est belle à voir » ? Il voit son physique et cela lui suffit. Elle n’est qu’un objet pour Jacob, à ce moment là. Qu’est-ce que Jacob aime alors en aimant Rachel ? c’est son propre désir à lui qu’il aime et qu’il honore par son dur travail et par son impatience de coucher avec elle. Ce qu’aime Jacob, ce n’est pas Rachel, c’est lui-même.

Et Léa, que sait-on d’elle ?

Léa, nous disent les traductions, avaient « des yeux délicats » (traduction Colombe), « des yeux fragiles » (S21), ou « des yeux doux » (NBS), « un regard sans expression », (PDV) « un regard terne » (FC), « un regard tendre » (TOB) ou même des « yeux mous » (Chouraqui)... Cette variété d’expressions révèle l’embarras des traducteurs devant le texte hébreu. Mais ce qui est sûr, en tout cas, c’est que Léa a des yeux, elle a un regard. Et c’est déjà une formidable qualité par rapport à l’objet sexuel que Rachel est pour Jacob. Un objet n’a pas de regard.

Alors quel est ce regard qu’a Léa, qu’a-t-il de particulier ? Si les traducteurs hésitent c’est que l’adjectif hébreu utilisé pour parler des yeux de Léa ne convient pas du tout. Elle a des yeux twkr « racotte », cet adjectif, kr est utilisé pour parler de quelque chose qui est doux et de souple, de tendre comme, par exemple la joue d’un bébé. On ne peut pas dire cela d’un œil, bien sûr, car on a rarement l’occasion de caresser un œil du doigt pour voir si c’est doux et souple. Ça ne l’est probablement pas, et ce n’est certainement pas de cela dont il est question ici.

Il est donc clair qu’il faut comprendre ce point clef de notre épisode comme à comprendre au sens figuré. Les relations de Léa et Rachel avec Jacob sont des types de relation. Et la question de la fécondité ou de la stérilité de ces unions est une métaphore. La question de ce texte n’est pas de dire que pour qu’un couple arrive à avoir des enfants il faudrait rendre la femme malheureuse comme l’est ici Léa, la mal aimée ! Quelle horreur ! Ce n’est évidemment pas ce que veut dire ce texte et personne ne l’a jamais compris ainsi ! La question de la fécondité ou de la stérilité de Léa et Rachel nous interrogent sur notre capacité à influer sur le monde autour de nous, ce que nous produisons qui nous dépasse un petit peu.

Un regard peut être plein de fécondité. Il peut faire apparaître de la beauté, de la bonté, de la vie.

Jacob regarde les deux sœurs, il fait ainsi attention à l’autre. C’est un bon début. Mais il y a une façon de regarder qui transforme l’autre en objet. Par exemple en objet de notre désir. Autre exemple : notre regard sur une personne démunie peut la transformer en objet de notre attention, ce regard est stérilisant, et alors même les gestes de service que nous pourrions avoir ne porteront pas vraiment la vie.

Le regard que Jacob est ainsi. Par contre, Jacob regarde et voit le regard de Léa. Un objet n’a pas de regard. Elle n’est pas pour lui un objet mais une personne. C’est ce que développe le philosophe Lévinas dans son insistance sur le visage de l’autre, un visage, c’est la partie du corps qui peut se tourner vers l’autre et qui peut regarder son regard, ce sont alors deux personnalités, deux libertés qui se saluent. C’est pourquoi, même si Jacob « aime Rachel plus que Léa » (29:30) la façon dont il a regardé Léa est bien plus fécond comme façon de voir l’autre, bien plus fécond comme façon d’aimer l’autre que sa passion pour le corps de Rachel.

Les yeux de Léa sont doux, souples et tendres comme la joue d’un bébé. Qu’est-ce que cela peut nous dire sur sa façon de voir ? La douceur évoque une bienveillance, le côté tendre évoque la jeunesse, c’est un regard qui peut donc encore grandir, qui s’élèvera sans doute avec le temps.

La croissance de notre regard, pour mieux aimer encore, c’est ce que l’apôtre Paul évoque dans son célèbre hymne à l‘amour : « Lorsque j’étais enfant, j’avais une façon de voir d’enfant, devenu homme, j’ai changé. De même, nous voyons aujourd’hui comme à travers un miroir trouble, de façon confuse, mais un jour, enfin, nous verrons face à face. Aujourd’hui, c’est partiellement que je connais, alors, je connaîtrai comme je suis connu . » C’est à dire qu’enfin, un jour, nous serons capable d’aimer comme nous avons été aimé par Dieu, en regardant le regard de Dieu sur nous et sur le monde.

Par contre, pour Jacob, Rachel est juste belle à voir, pour lui, peu importe qu’elle ait sa propre façon de voir le monde, tant qu’elle ne regarde pas ailleurs, peu importe qu’elle ait un regard, car ce que Jacob aime alors c’est sa propre satisfaction à lui, anticipée dans son propre regard sur elle qui se suffit à lui-même. Cela me fait penser à une très subtile publicité dont le slogan était « Regardez-moi dans les yeux... j'ai dit les yeux ». L’histoire de Jacob, Léa et Rachel c’est exactement cela. Ce regard à sens unique est stérilisant. Rachel va s’en rendre compte. Elle est plus lucide que Jacob. Les héros bibliques ne sont souvent pas du tout des exemples à suivre. Abraham, Isaac, Jacob, David, Salomon, les apôtres de Jésus, l’apôtre Paul... sont comme nous, ils ont énormément à apprendre pour vivre un peu mieux leur vie, et chacun des épisodes de leurs histoires, chacune de leurs erreurs est un élément passionnant pour nous poser des questions et nous former nous-mêmes.

Grâce à Rachel, Jacob va progresser. Elle se rend compte de la situation où cet « amour » de Jacob fait d’elle une morte vivante (30:1). Elle est jalouse de la vitalité de sa sœur, jalouse comme Caïn ? L’histoire va heureusement mieux se terminer. Elle va vers Jacob et lui parle. Elle est pour lui sans regard, elle ouvre la bouche, elle force son attention. Ça y est, il lui parle enfin : cela montre qu’elle n’est plus pour lui un simple objet mais une personne. Il y a déjà du progrès même s’il a d’autres progrès encore à faire. Car sa réponse est nulle, sa colère contre Rachel fait pitié : « Suis-je, moi, à la place de Dieu ? » nous disent bien des traductions qui cherchent à améliorer un peu l’image du héros biblique. « Suis-je, à la place de Dieu ? » : ça passe pour de l’humilité, cela montre qu’il ne se prend pas pour Dieu, ce qui est assez sage et fidèle. Mais littéralement, Jacob répond « Suis-je, moi, en dessous de Dieu ? » Il sous entend que non. C’est un mensonge, car oui, il est en dessous de Dieu, et Jacob le sait très bien puisqu’un des épisodes précédents et très célèbre de sa vie est cette expérience de foi qu’il dépeint comme une échelle entre lui et Dieu, qui est donc au dessus de lui avec des anges qui montent et qui descendent, avec cette promesse que Dieu est et sera toujours « avec lui » (Gen 28). Donc oui, Jacob est « en dessous de Dieu ». Rachel a raison, il avait le droit et même le devoir de prier pour demander à Dieu que l’amour qui le lie à Rachel soit source de vie et non de mort. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait aussi bien Abraham (son père dans la foi), c’est ce qu’a fait aussi Isaac. Mais Jacob n’a pas cette façon là d’aimer. Son amour pour elle n’est pas tourné vers la vie.

Jacob sait très bien que la présence de Dieu ouvre la fécondité. C’est vrai. Même si Dieu ne peut pas toujours guérir la fécondité biologique, il est en tout cas très efficace de l’inviter à rendre vivant et source de vie notre façon d’aimer.

Finalement les deux sœurs auront des enfants, même si Rachel aura toujours plus de mal. Il y a une fécondité des deux côtés. Et à la fin elles s’entraident : Léa apprend à Rachel à être plus féconde, et Rachel apprend à Léa à mieux se faire apprécier. L’idée est de fusionner Léa et Rachel en une seule vraie personne par qu’il n’y a que souffrance pour tous de les dissocier. Le corps et la personnalité. Le visage de celui que l’on aime ainsi est à la fois pour nous : beau à voir et beau dans sa façon toute personnelle de voir.

Ce texte est ainsi une leçon sur l’amour ou plutôt une invitation à nous questionner sur notre façon d’aimer nos proches, notre amoureux, si nous en avons un, nos amis,, nos collègues. Ce texte parle encore de l’amour de Dieu pour nous, et de l’amour que nous pouvons recevoir de Dieu. Car dans la Bible, tout est lié. Au début de ce même livre de la Genèse il nous est dit que le projet de Dieu est de créer l’humain à son image et à sa ressemblance, et que cela ne peut se faire que dans un travail d’équipe entre lui et nous tous.

Faire équipe avec Dieu, par l’étude, la prière, dans le dialogue avec d’autres, en regardant leur regard. La façon dont nous aimons sera inspirée par ce que nous aurons reçu de sa façon à lui d’aimer, selon ce qui nous aura semblé.

Dans sa vision mystique de l’échelle, Jacob a connu l’amour de Dieu pour lui sans condition : avance où tu veux comme tu veux, de toute façon je t ‘accompagnerai. Sur quoi est basé cet amour de Dieu pour lui ? Jacob n’a encore rien fait de bien sympathique ni de bien créatif dans l’existence. Cet amour de Dieu repose donc uniquement sur la subjectivité de Dieu qui aime Jacob tel qu’il est sans condition. Dans un certain sens, Jacob a pu se sentir aimé comme un objet, et c’est ainsi qu’il aime Rachel ensuite.

Mais c’est une mauvaise interprétation de l’amour de Dieu pour nous. Car dans cette bénédiction de Dieu donnée à Jacob, supprimant tout chantage, Il y a un encouragement à une véritable créativité personnelle, un encouragement à avoir une visée, un regard personnel sur sa propre vie, comme Léa. C’est ce qui va être développé dans la deuxième nuit torride de Jacob avec Dieu, quand il combat avec un homme qui se révèle être un ange et même Dieu. Un combat contre soi-même et avec Dieu. Il y a là une invitation à devenir comme Léa, une invitation à reconnaître et à aimer nos proches comme ayant eux-mêmes un regard, une vision pouvant l’emporter sur la nôtre, et sur celle de Dieu, forçant la bénédiction.

Jacob apprend ainsi à réconcilier un amour du type Rachel et un amour du type Léa. Aimer en laissant l’autre libre mais sans que ce soit de l’indifférence mais un croisement de regard. Aimer corps et âme.

Mais le premier, le plus grand, le plus préférable est d’aimer Léa plus qua Rachel, contrairement à la première intuition de Jacob.

Léa est une figure de Dieu en nous, son regard, tendre, est celui de Dieu pour nous et pour l’humanité, il est un effort désespéré de Dieu nous regardant, nous écoutant, cherchant à entrer en relation avec nous, espérant notre amour. Et nous sommes un peu ce Jacob, arrogant et transformant les autres autour de lui en objet au service de son bon plaisir.

L’amour pour Léa est très fécond, elle a ici 4 fils qui sont tout un programme, qui sont une promesse et une bénédiction.

Le premier, Ruben, est le fruit du regard pour celui qui est seul, mal-aimé. C’est une promesse de Dieu et une vocation pour nous.

Le second, Siméon, est le fruit de l’écoute de l’autre. C’est une promesse de Dieu et une vocation pour nous.

Le troisième, Lévi, est le fruit de l’attachement à l’autre, dans une relation fidèle, tenue. C’est une promesse de Dieu et une vocation pour nous.

Le quatrième, Judas, couronne le tout puisque c’est la tribu la plus importante, qui donnera son nom au royaume et qui donnera au monde le Christ, le Messie, le salut. Ce 4e fils qui couronne le regard, l’écoute et l’attachement c’est la louange, c’est le remerciement, c’est la parole qui met debout, qui dit son amour.

Amen.

Lecture de la Bible

Genèse 29:16-30:2

Laban avait deux filles : le nom de la grande était Léa, et le nom de la petite : Rachel. 17Léa avait de beaux yeux d’enfant, mais Rachel avait une belle ligne et était belle à voir. 18 Jacob aimait Rachel. Il dit : Je te servirai sept ans pour Rachel, la plus petite de tes deux filles. 19Laban dit : J'aime mieux te la donner à toi plutôt que de la donner à un autre homme. Reste chez moi ! 20 Jacob servit alors sept années pour Rachel. Ces années furent à ses yeux comme quelques jours, parce qu'il l'aimait.

21 Ensuite Jacob dit à Laban : Donne-moi ma femme, car mon temps (de service) est accompli, et je veux aller vers elle.

22 Laban réunit tous les gens de l'endroit et fit un festin. 23Le soir, il prit sa fille Léa et l'amena vers Jacob, qui alla vers elle...

25 Le matin venu, (Jacob vit) que c'était Léa. Alors il dit à Laban : Qu'est-ce que tu m'as fait ? N'est-ce pas pour Rachel que j'ai servi chez toi ? Pourquoi m'as-tu trompé ?

26 Laban dit : Cela ne se fait pas chez nous de donner la cadette avant l'aînée. 27Achève la semaine avec celle-ci, et nous te donnerons aussi l'autre pour le service que tu feras encore chez moi pendant sept autres années.

... 30 Jacob aimait Rachel plus que Léa...

31 L'Éternel vit que Léa était même haïe, et il la rendit féconde, tandis que Rachel était stérile.

32 Léa devint enceinte. Elle accoucha d'un fils, à qui elle donna le nom de Ruben ; car, dit-elle, l'Éternel a vu mon humiliation, et maintenant mon mari m'aimera.

33 Elle devint encore enceinte et accoucha d'un fils. Elle dit : L'Éternel a entendu que j’étais haïe, et m'a aussi donné celui-ci. Elle lui donna le nom de Siméon.

34 Elle devint encore enceinte et accoucha d'un fils. Elle dit : Cette fois enfin, mon mari s'attachera à moi, car je lui ai enfanté trois fils. C'est pourquoi on lui donna le nom de Lévi.

35 Elle devint encore enceinte et accoucha d'un fils. Elle dit : Cette fois, je célébrerai l'Éternel. C'est pourquoi elle l'appela du nom de Juda. Elle cessa alors d'enfanter.

30:1 Voyant qu’elle ne donnait pas d’enfants à Jacob, Rachel devint jalouse de sa sœur. Elle dit à Jacob : « Donne-moi des fils, sinon je suis morte ! » 2Jacob se mit en colère contre Rachel et s’écria : « Suis-je, moi, à la place de Dieu, lui qui a empêché que ton ventre porte du fruit ? »

(Cf. Traduction Colombe)

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