Il n'est pas ici, cependant...

Luc 24:1-11

Culte du 8 avril 2012
Prédication de professeur Laurent Gagnebin
Prédication de professeur Raphaël Picon

Vidéo de la partie centrale du culte

Culte du dimanche de Pâques (8 avril) 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication des professeurs Laurent Gagnebin et Raphaël Picon

Luc 24:1-11

Liste des prédications de Pâques depuis 2008, cliquer ici

Transcription de l'enregistrement par un généreux visiteur du site. Par conséquent :

  1. Laurent Gagnebin n'a pas écrit ce texte qui est la transcription de la version orale ;
  2. Laurent Gagnebin n'a pas relu la version ainsi transcrite.


Prédication de Laurent Gagnebin

Ô Éternel, accorde moi le silence,
non pas le silence qui me rend prisonnier de moi-même,
mais celui qui me libère et m’ouvre des espaces nouveaux,
non pas le silence de l’absence, du monologue solitaire,
mais celui de l’intimité en ta présence.
Non pas le silence de la nuit ou du désespoir
mais celui qui attend la lumière de l’aurore et de l’espérance de Pâques,
celui qui écoute le murmure de ton esprit qui éclaire pour nous ta parole.

Nous aimerions consacrer cette prédication à cet énigmatique tombeau vide mais en nous centrant sur ces paroles que deux hommes inconnus en vêtements brillants, prononcent en s’adressant à celles qu’on appelle les saintes femmes au tombeau et en leur disant au sujet de Jésus : « il n’est pas ici ».

Notre désir ardent n’est-il pas de vivre un christianisme d’ouverture, un christianisme largement accueillant et donc un christianisme crédible où les femmes et les hommes de notre temps veulent penser leur foi et l’inscrire dans les cadres culturel et pourquoi pas philosophique, scientifique de notre temps ? Or ces femmes et ces hommes disent : « ne faut-il pas démythiser cette page de l’évangile ? » De tels récits n’éloignent-ils pas non pas seulement de l’église et de nos assemblées, mais surtout de l’évangile, des hommes et des femmes qui ne demanderaient peut-être pas mieux que d’y adhérer ?

N’y a-t-il pas dans nos temples et dans nos églises des fidèles qui s’interrogent gravement et peut-être douloureusement en se demandant: « suis-je un(e) bon(ne) chrétien(ne) en ne souscrivant pas à cette idée d’un tombeau vide ? » N’y a-t-il pas, nous disent-ils, une légende ? Le corps de Jésus serait-il ailleurs, se serait-il évaporé, volatilisé, envolé pour aller je ne sais où. Le miracle du tombeau vide est un des derniers grands miracles rapportés par les évangiles.

Miracle... Au XVIIIe siècle Jean-Jacques Rousseau, qui a dit très clairement dans sa lettre à l’archevêque de Beaumont, un de ses plus beaux écrits, écrit dans sa foi protestante, dans sa foi chrétienne: « ôtez les miracles de l’évangile et toute la terre est au pied de Jésus-Christ. S’ils croient à Jésus par ses miracles, moi j’y crois malgré ses miracles. » Et plus près de nous, le pasteur Charles Wagner , fondateur de la paroisse voisine et aimée du Foyer de l’âme, en 1907, déclarait : « aujourd’hui les miracles rendent le christianisme suspect. Et nous pouvons dire sans exagérer : nos pères ont pu croire à cause des miracles. Nous, si nous croyons c’est malgré les miracles ».

Je ne pense pas qu’il faille s’accrocher à ce tombeau vide comme à une réalité matérielle, physique, au sens le plus restrictif du mot, historique. Y aurait-il avec ce tombeau vide une preuve, une preuve que Jésus est ressuscité, alors s’il y a une preuve pourquoi le croire? Il ne faut pas dire « je sais » là où en réalité je crois, ni « je crois », là où en réalité je sais. Nous sommes toujours tentés par le confort de la preuve, parce que la foi est un risque.

Parce que la foi est un courage de vivre, parce que la foi est un quand même et un malgré tout et nous aimerions tant parfois croire, sans plus avoir à croire. Si la résurrection est un fait constaté par nos sens, alors nous l’objectivons. Or les évangiles ne font pas cela. Ils ne nous disent d’ailleurs rien de la résurrection en tant que telle. Ils nous disent de Jésus, et à plusieurs reprises : il ressuscitera, ou bien il est ressuscité. Mais ils ne disent jamais : « regardez, regardez, il ressuscite! » C’est par un abus de langage, en quelque sorte, que l’on parle des récits de la résurrection. Il n’y a pas de récit de la résurrection. Il y a une proclamation de la résurrection, il y a une prédication de la résurrection, à laquelle je m’attache de tout mon cœur et de toute mon âme. On aurait pu filmer la croix, filmer la mort de Jésus. Aurait-on pu filmer sa résurrection ? Nous savons bien qu’elle est d’un autre ordre.

D’ailleurs l’apôtre Paul, dont les grandes épîtres ont été rédigées avant les évangiles, dont toute la doctrine est centrée autour de la croix, ne parle jamais du tombeau vide. Et les grands discours de Pierre et de Paul, dans les actes des apôtres, qui eux aussi gravitent autour de la croix, qui eux aussi nous disent : « il est mort, il est ressuscité », ne parlent jamais d’un tombeau vide.

En effet, les évangiles ne sont pas des biographies de Jésus, ils sont une confession de foi. N’oublions pas cet élément assez paradoxal, que ceux qui ont écrit les évangiles étaient convaincus, comme nous, que Jésus est vivant, qu’il est ressuscité, et donc dans leur écriture des évangiles, comme notre lecture des évangiles, dans ces textes-là, on pourrait dire que la résurrection de Jésus précède sa naissance, sa vie et sa mort. Mais nous savons bien, et c’est vrai pour tous les textes bibliques, que nous ne devons pas seulement voir ce que dit un texte, mais bien ce qu’il veut dire.

Quelle est la signification de ce texte ? Quel est le sens de ce récit ? « Il n’est pas ici », je ne cherche pas Jésus parmi les morts, mais parmi les vivants. Ma foi vide ce tombeau de toute réalité, de toute importance, le vrai miracle, c’est le miracle de Pâques, c’est le miracle de la foi, c’est le miracle de la foi !

Il ne faut pas seulement faire une lecture rationnelle, démythisante du texte, mais une lecture croyante de ce texte. Non seulement elle est possible, mais elle est appelée par le texte lui-même. Alors le tombeau vide n’est plus la cause ou la source de notre foi, il en est la conséquence. Il n’est pas ici. Le tombeau vide, et ce «il n’est pas ici » ont immédiatement un double retentissement.

Nous ne devons pas enfermer Jésus dans le tombeau de nos mots, de nos définitions, de nos dogmes de nos doctrines. Il n’est pas ici ! Surtout quand il s’agit de ces doctrines scandaleuses de la rédemption, de l’expiation, au nom desquelles on nous dit qu’un dieu d’amour ne pouvait pas pardonner aux hommes leurs péchés sans que le sang d’un innocent coule sur la croix, fusse le sang de son propre fils, et, comme le dit la tradition, la deuxième personne de la trinité. Il fallait que quelqu’un paie pour nos péchés, pour notre mal. Et on va vous culpabiliser avec ça, on vous dira : « inclinez-vous devant cette justice incompréhensible de Dieu ». Mais il n’y a là aucune justice incompréhensible de Dieu. Il y a la doctrine très claire d’un dieu injuste, d’un dieu cruel qui nous accuse sans cesse comme pécheurs. Sylvain Tesson (dans son livre qui a eu le prix Médicis « Les Steppes de Sibérie ») refuse un christianisme « dont les clergés et les alchimies (c’est le mot qu’il utilise) ont transformé une parole brûlante en code pénal ».

Et puis je regarde cette table de communion, ce pain et ce vin. Il n’est pas ici, il n’est pas dans le pain et le vin de la cène. Nous ne pouvons pas ainsi enfermer Jésus, l’enclore aurait dit Calvin. Il est vivant, il est présent dans nos cœurs, dans nos vies, dans notre monde. C’est lui qui invite généreusement à cette table de communion et qui nous appelle à cette communion.

Calvin, encore lui, et qui parfois – c’est rare – avait le sens de l’humour, disait à celles et ceux qui ne voulaient pas participer à la communion parce qu’ils se sentent indignes dans leur vie – nous le sommes tous – parce qu’ils ont insuffisamment de foi – c’est notre cas – : « ils sont comme des personnes qui diraient : je ne veux pas prendre de remède parce que je suis malade ». La cène est un réconfort, la cène est un soutien, la cène est l’expression d’une fraternité.

Alors, dans une telle perspective, la mort de Jésus n’est pas l’œuvre de Dieu, au sens de l’expiation et de la rédemption, mais elle est bien l’œuvre de Dieu, mais elle devient l’œuvre de Dieu à travers la résurrection. C’est ainsi que Dieu l’a fait sienne cette mort, l’assume, la dépasse, la transcende et la vainc. Ainsi triomphe le dynamisme créateur de Dieu. Tout l’évangile nous montre Dieu qui en Jésus lutte contre les puissances mortifères, le mal, la maladie, les souffrances, la mort, les injustices.

Alors, je dirais, « je ne crois pas à la résurrection parce que le tombeau est vide, mais pour que les tombeaux soient vides ».

Nous pouvons alors avec Dieu, le Dieu de Pâques, le Dieu de la résurrection, le Dieu de l’évangile, le Dieu de Jésus, être victorieux, nous pouvons dire non aux échecs, aux tentations du repli, du désespoir, des résignations, des fatalismes, des solitudes, des culpabilités ou des condamnations injustes.

Nous ne sommes plus les captifs prostrés devant la croix, redoutant là la transcendance accusatrice d’un dieu sanguinaire et vengeur. 

Nous ne sommes pas réduits au néant de notre condition mortelle et pécheresse. Nous sommes les enfants d’un Dieu qui trouvent en lui une source de confiance, une source d’espoir, une source d’action pour faire avancer son règne sur cette terre, qui trouvent en lui une force, et une force de vie !

Amen

Prédication de Raphaël Picon

« Il n’est pas ici », nous dit l’Évangile. Oui, il n’est pas ici, il est dans tout ce qui fait que Pâques n’est pas un événement du passé mais une réalité présente. Il n’est pas ici, il est dans tout ce qui fait que la vie l’emporte sur la mort.

Aujourd’hui, le Christ est crucifié quand ce qu’il enseigne et ce qu’il incarne perdent tout éclat, toute vérité. Lorsqu’on y croit plus. Le Christ est crucifié quand sa prédication est morte : quand on ne peut plus croire en la valeur inestimable de l’amour et de la justice, quand on ne peut plus croire en l’homme, en la grâce, en la merveille dont il est capable. Le Christ est crucifié quand meurt le Dieu qu’il incarne. Quand on ne peut plus croire en un Dieu de liberté, en un Dieu amoureux du monde qui sans cesse l’enrichit de nouvelles possibilités.

A l’inverse, aujourd’hui, le Christ est ressuscité quand ce qu’il incarne devient vrai. Quand la confiance en soi, le refus de la résignation, la foi en l’avenir, l’optimisme de croire que le meilleur est pour demain, le Christ est ressuscité quand tout cela l’emporte sur ce qui nous brise et nous condamne. Ce Christ qui meurt et qui ressuscite n’est une figure du passé mais une réalité présente.

Ce « il n’est pas ici » fait du christianisme un optimisme et la plus belle des fêtes.

Le christianisme est né aujourd’hui. Lorsque la pierre du tombeau est roulée et que la vie l’emporte à nouveau, redevient insistante, et reprend le dessus, malgré tout. Comme après une longue maladie, où pendant la maladie, comme dans le deuil, où la vie qui reste après la mort des autres, est redevenue possible, sans trop que l’on sache pourquoi, ni comment. S’il est une raison, et peut-être une seule, d’être fier et heureux d’être chrétien, c’est de se savoir né de cette pierre roulée, c’est d’être l’enfant de cette conviction folle, pugnace, combative, joyeuse, passionnée que rien ne peut tout réduire à néant : aucun échec, aucun drame, aucune mort, aucune maladie, aucun effroi.

« Monde de rosée, c’est un monde de rosée, cependant ». Kobayashi Issa, le poète japonais, le grand maître de Haïku, dit en quelques mots l’évidence du temps qui passe, le temps qui passe et auquel rien ne résiste. Mais il y a un cependant. À nos désillusions les plus profondes, à nos paradis à jamais perdus, à nos rêves morts et oubliés, à tout ce qui meurt et disparaît trop tôt, beaucoup trop tôt, le poète oppose un dernier mot, « cependant ». Ce mot, c’est celui de Pâques. Ce le mot de l’avenir, de la promesse d’un lendemain possible. Ce mot ouvre une brèche sur toutes les occasions de désespérances. Ce mot nous arrache à la fascination de la mort. Ce mot nous raccroche à la vie, ce mot nous ressuscite. La grande leçon du christianisme est ainsi tout entière contenue dans le « cependant » du poète.

Le Dieu que Jésus incarne est un « cependant » opposé à toutes les négativités de l’histoire, à celles de l’existence, à celle de notre monde. C’est ce Dieu-là que nous fêtons à Pâques, c’est ce Dieu-là, celui de la vie, celui des lendemains possibles, c’est ce Dieu là dont le christianisme se doit d’être la mémoire vive, la prédication vibrante, la plus belle des fêtes.

« Il n’est pas ici » conjugue la foi chrétienne au présent et au futur

Pâques, n’est pas une vielle fête chrétienne qui nous rappelle un événement du passé. La pierre roulée du tombeau, le cependant du poète, il nous propulse dans l’avenir.

Une des pentes naturelle du religieux est toujours de nous tourner vers le passé, vers les textes ou les héros fondateurs, les grands témoins du passé. Pâques résiste à tout cela. La visée de la prédication chrétienne est de nous enseigner que Dieu est, et non qu’il a été. Pâques nous fait entendre que Dieu parle et non qu’il a parlé. L’esprit de vénération est contraire à la foi chrétienne. On vénère parfois le Christ comme on respecte ces héros qui ne sont plus. Cet esprit de vénération nous porte à croire que le temps de l’inspiration est passé, que la Bible n’a plus de secret, que, de Dieu, tout est connu, révélé, compris. Ce Dieu du passé est un dieu mort. C’est peut-être là que réside la plus belle leçon du Christ : rien du passé ne saurait entraver notre foi en l’avenir. Seul compte, pour ce Christ, le Dieu d’aujourd’hui, cet élan créateur qui sans cesse nous éveille et nous relève. Seule importe pour ce Christ cette puissance de mobilisation qui nous met en marche aujourd’hui vers plus de justice, de vérité et de beauté. Seul est précieux ce courage dont le Christ est l’emblème, ce courage de traverser nos zones d’ombres, les ravins de la mort. Le christianisme n’est pas une religion patrimoniale. Elle est un prophétisme vibrant qui nous ressuscite, aujourd’hui, et qui lutte aujourd’hui contre tout ce qui nous crucifie, aujourd’hui.

Ce « Il n’est pas ici » fait entendre dans le christianisme un appel à l’aventure.

Ce « Il n’est pas ici » nous rappelle que le Christ, ce que Dieu veut nous dire, nul ne le possède, nul n’en est propriétaire, nul ne peut l’enfermer dans des dogmes, des Églises, des religions. Ce que Dieu veut nous dire, la prédication du Christ, déborde le christianisme lui-même. Ce que Dieu veut nous dire, le Christ, c’est la vérité de l’humain lorsqu’en Dieu il est plus que lui-même, lorsqu’il est porté par un souffle de vie qui lui permet de se transcender. Puisqu’il n’est pas ici, ce Christ peut être potentiellement partout, c’est donc partout qu’il nous faut maintenant partir le chercher. Et c’est dans ce sens que le christianisme est un appel à l’aventure.

Le christianisme est né le dimanche de Pâques. Nous sommes nés un dimanche de Pâques : nous sommes les enfants de la promesse. Nous sommes les enfants d’une folle promesse. Même si le monde est un monde de rosée, un monde aux prises avec la mort, même si le pire à pu être possible, si près de nous, il y a un cependant. Une touche de bleu dans le paysage. Une étoile. Rien ne saurait désormais nous condamner à l’échec, au désespoir. Le Christ dit la valeur infinie de chacune et de chacun. C’est cette prédication qui fait toute la saveur du christianisme que nous aimons et auquel nous adhérons. Ce christianisme fait de nous des pèlerins aventureux, accrochés au cependant du poète pour faire rouler toutes les pierres des tombeaux, pour arracher à la fascination de la mort, et pour rendre, à nouveau possible, la vie.

Amen !

R. Picon 

Lecture de la Bible

Évangile selon Luc 24:1-11

Le premier jour de la semaine, elles se rendirent au sépulcre de grand matin, portant les aromates qu’elles avaient préparés. 2 Elles trouvèrent que la pierre avait été roulée de devant le sépulcre; 3 et, étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus.

4 Comme elles ne savaient que penser de cela, voici, deux hommes leur apparurent, en habits resplendissants. 5 Saisies de frayeur, elles baissèrent le visage contre terre; mais ils leur dirent: Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant?

6 Il n’est pas ici, mais il est ressuscité. Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé, lorsqu’il était encore en Galilée, 7 et qu’il disait: Il faut que le Fils de l’homme soit livré entre les mains des pécheurs, qu’il soit crucifié, et qu’il ressuscite le troisième jour. 8 Et elles se souvinrent des paroles de Jésus.

9 A leur retour du sépulcre, elles annoncèrent toutes ces choses aux onze, et à tous les autres.

10 Celles qui dirent ces choses aux apôtres étaient Marie de Magdala, Jeanne, Marie, mère de Jacques, et les autres qui étaient avec elles. 11 Ils prirent ces discours pour des rêveries, et ils ne crurent pas ces femmes.

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