Fête de la Réformation

Esaïe 49:8-13 , Galates 2:16-20a , Jean 6:35-40

Culte du 25 octobre 2009
Prédication de professeur Jacques-Noël Pérès

( Galates 2:16-20a )

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Culte du 25 octobre 2009 à l'Oratoire du Louvre
prédication du professeur Jacques Noël Pérès
Faculté de théologie protestante de Paris

v. 20a : « J’ai été crucifié avec Christ ;
et si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi
. »

On a dit quelquefois – l’ont dit en tout cas les contempteurs de Luther et du mouvement de Réforme dont il a été l’initiateur – que le luthéranisme est un galatisme exacerbé, ce par quoi ils entendaient que l’essentiel de la pensée de Luther se résout en une exagération portée à son paroxysme de ce que l’apôtre Paul écrivit aux Galates, cette épître qui nous retient plus particulièrement ce matin, une épître au ton assurément très personnel, polémique assez souvent, mais au contenu de première importance quant à la doctrine, puisque Paul explique à ses correspondants de quelle manière l’Évangile accomplit la Loi, la foi suscitant alors les œuvres, et de quelle manière l’esclavage du péché laisse place à la liberté de ceux qui ont été justifiés par la grâce de Dieu, ou dit en d’autres termes, de quelle manière la foi au Christ libère des obligations de la loi, laquelle dénonce le péché mais ne le supprime pas, et engage à une vie renouvelée toute bruissant de l’Esprit de Dieu qui y est présent.

Ainsi donc, moi luthérien, aujourd’hui serais partisan et propagateur d’une outrance, puisque moi en ce cas un galatiste exacerbé ! J’imagine volontiers le franc succès que je rencontrerais, si je me présentais ainsi à mon entourage, comme un galatiste exacerbé... Oh, remarquez, je ne récuse pas le patronage de Paul, pas non plus celui de saint Augustin, qui, me semble-t-il, a au mieux compris ce que voulait dire le Paul des Galates, pas non plus le patronage de Luther, qui a compris et le Paul des Galates et Augustin lisant et méditant le Paul des Galates ! Est-il vrai néanmoins, que je serais un excité de la foi et de la grâce, un excité de la liberté qui est en Christ ? Un diviseur par-delà, briseur de l’unité tranquille ainsi que Luther et ceux qui l’ont accompagné ont été accusés, cela au nom toujours de cette liberté, au lieu de rester sagement placide au sein d’une Église qui bannirait tout remue-ménage, je veux dire tout renouvellement, toute réforme ? Un diviseur ?

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En ce dernier dimanche du mois d’octobre nous célébrons à quelques jours près, vous le savez, un anniversaire, le 492e anniversaire, pour être précis, de l’affichage par le Dr Luther de ses 95 thèses sur les indulgences – et il vaudrait mieux dire sur la pénitence ! –, ce qui sera regardé comme l’acte initial de ce grand mouvement de Réforme dont avait besoin l’Église du xvie siècle et dont nous sommes, et en cela non moi seul ici, mais vous tous avec moi, sans que vous ne portiez nécessairement le nom de luthériens, aujourd’hui les héritiers. Or il me plaît, en me fondant à juste titre il me semble sur l’épître aux Galates, d’évoquer en ce jour une Réforme, qu’il convient moins d’envisager comme une cassure, une rupture, un rejet de quelques uns par quelques autres, que comme la possibilité accordée désormais à des hommes, des femmes de foi de parler du Christ, de prêcher la croix, de vivre cette ouverture à l’autre – Autre avec un A majuscule, Dieu, ou a minuscule, le prochain – l’autre dont est tout empreint l’Évangile, quoique, en effet, pour parvenir à cela il a fallu non sans courage refuser et bousculer et renverser et balayer. Cela étant dit fermement, il me paraît devoir affirmer non sans moins de conviction et presque comme un préliminaire à cette prédication de la fête de la Réformation, que nous ne saurons être fidèles à nos pères qu’en gardant au cœur et à l’esprit cette recherche, non de la division ou de l’exclusion, mais bel et bien de l’unité en Christ que l’un des Réformateurs qui conserve toute mon admiration et même ma filiale affection, Mélanchthon, a su si bien mettre en valeur.

Une recherche de l’unité, soyez en bien persuadés, qui n’était pas plus facile au xvie siècle qu’elle ne l’est aujourd’hui, quand, remuées pourtant par cette proclamation alors nouvelle et stupéfiante de la libération en Christ de toutes les anciennes frayeurs et de toutes les anciennes terreurs, peur d’un Dieu inflexible qui ne connaîtrait que le jugement sans jamais être accessible à la miséricorde, peur d’un enfer et de tous ses démons hideux où le pécheur rôtirait à petit feu des siècles et même des éternités durant dans de grandes marmites d’huile bouillante touillées par des diables à la queue fourchue, peur de la mort et peur de la vie, une multitude de communautés au lieu de prêcher l’Évangile retrouvé se sont bornées parfois à se chamailler sur des points de doctrine. Oh ! je ne dis pas que la doctrine – ou la théologie – est secondaire, voire superflue, parce que je comprends bien que nous ne prierons Dieu comme il doit l’être, que lorsque nous saurons qui il est vraiment, un Père prêt à nous pardonner, que nous ne marcherons à la suite du Christ Jésus que lorsque nous l’aurons vraiment entendu nous appeler, nous inviter à partager sa vie en passant par sa croix – le joyeux échange dont parlait Luther –, que nous ne serons illuminés de la lumière du Saint-Esprit que lorsqu’une place, et c’est la grâce, aura été faite en nos cœurs pour l’y recevoir. Or pardon, croix, grâce... tout cela relève certes de la doctrine, mais voyez-vous c’est bien davantage que de la doctrine, car, j’en suis sûr, c’est une puissance qui surgit en nous, puissance de vie et puissance de mise à disposition désormais, une puissance dis-je que de se savoir relevés et préparés maintenant pour ce combat de tous les jours contre les forces qui nous voudraient renverser. Ces forces, appelez-les discordes, envie, jalousie, maladie, crainte d’un lendemain jamais assuré, appelez-les chômage, guerre, famine, terrorisme, appelez-les fanatisme, intolérance, tyrannie, appelez-les d’un seul nom : mal ! Appelez-les d’un autre nom : péché !

Mais voici que notre péché, Jésus-Christ l’a pris sur lui, la revêtu et l’a porté sur la croix, afin de nous en délivrer. Aussi lorsque l’apôtre Paul s’écrie, ce que nous avons entendu, « J’ai été crucifié avec Christ », et qu’il nous invite à le crier avec lui, ce n’est pas à une simple constatation qu’il nous convie – bon, c’est comme ça et il n’en va pas autrement ! –, mais plutôt à proclamer et à partager cette certitude, que pour nous vaincues sont les discordes, vaincue toute crainte, vaincue toute séparation, et que place est faite à l’espérance, à la communion fraternelle, à la vie – toujours le joyeux échange et ses conséquences.

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Ah ! Mais Paul ne s’arrête pas à cette première considération : « J’ai été crucifié avec Christ », car il poursuit à l’adresse des Galates : « J’ai été crucifié avec Christ ; et si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi. » J’ai nommé chemin faisant Luther et Mélanchthon, eh bien un autre réformateur encore, Martin Bucer, paraît se souvenir de cette affirmation de l’apôtre, lorsqu’il publie au tout début de son ministère strasbourgeois un traité qu’il a intéressamment intitulé Que nul ne vive pour lui-même. Ainsi, il se pourrait bien, à l’écouter, qu’être revivifié, dynamisé (si je risque le terme) par l’espérance qui jaillit de la croix, et laisser alors au Christ Sauveur la place première dans notre vie, cela revienne à vivre pour quelqu’un d’autre que nous. Pour qui donc ?... Pour Dieu ?... Assurément, pour Dieu ! Car libérés et relevés par lui, pardonnés, nous lui sommes dorénavant tout disponibles. Mais pas pour Dieu seulement : aussi pour notre prochain !

C’est là une grande et belle leçon de Bucer, qui nous explique que l’Évangile a deux foyers pour toujours mieux et davantage briller et réchauffer, deux foyers qui sont la foi en Jésus-Christ Fils de Dieu Sauveur et le respect du prochain, qui nécessairement découle de cette foi. Si Jésus, dans l’évangile qui a été lu ce matin, a pu dire à la foule à laquelle il s’adressait : « Je ne mettrai pas dehors celui qui vient à moi », vous vous en souvenez, c’est pour que nous, ses auditeurs aujourd’hui et ses disciples qui plus est, nous le redisions avec lui à tous, tous ceux qui s’approchent de nous, qui attendent quelque chose de nous.

Il y a différentes manières, vous le savez, de mettre les gens dehors. Il suffit parfois de laisser sa porte close, bien fermée, comme fermées sont nos oreilles à celui qui y frappe. On peut aussi entendre, mais sans écouter ; cela se nomme l’indifférence. Ah oui ! on peut aussi répondre, promettre ceci ou cela, promettre, promettre... et ne jamais tenir, laisser démuni. Je dois dire que les chrétiens, il arrive, laissent leur porte fermée : c’est quand ils sont trop heureux d’être ensemble à l’abri dans leurs églises – vous autres réformés dites des temples – qui deviennent des tombeaux, où certes ils prient et avec ferveur mais en ne pensant qu’à ce qui les intéresse et en bouclant sur eux le cercle ; c’est la tentation de l’intégrisme. Il leur arrive encore d’entendre sans écouter : c’est quand ils reconnaissent qu’assurément tout ne va pas pour le mieux autour d’eux, mais qu’ils se disent qu’ils n’ont ni les forces, ni les capacités requises pour satisfaire tous les besoins, alors que chacun se débrouille ; c’est la tentation du congrégationalisme. Il leur arrive enfin de promettre, et même de se dépenser, de mettre sur pied tant et tant d’entreprises, qu’ils s’y perdent ne sachant plus ou donner de la tête ; c’est la tentation de l’activisme.

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Ni à l’intégrisme, ni au congrégationalisme, ni à l’activisme. Non, non ! À rien de cela nous pousse le Christ, qui depuis Pâques vit en nous. Non, non ! À rien de cela, mais à l’engagement. Un engagement fondé sur l’Esprit Saint qui en est le garant et le moteur. Ce n’est pas par hasard, cela étant dit, si Martin Bucer – puisque j’en suis à parler de lui – a été le promoteur dans nos Églises protestantes de la confirmation telle que nous la connaissons et la pratiquons. Celle-ci, c’est vrai, est d’abord une parole de Dieu, Dieu qui confirme l’alliance conclue avec lui, à l’adolescent baptisé alors qu’il n’était qu’un enfant, qui vient maintenant d’achever son temps de catéchisme et qui donc a appris à reconnaître dans sa vie 1’œuvre de Dieu, la grâce de Dieu, et qui confesse de bouche et de cœur la foi chrétienne. Mais la confirmation est aussi la ratification par le catéchumène des vœux de son baptême, d’être un disciple fidèle de Jésus-Christ qui conjugue la foi et la charité, les deux foyers de l’Évangile comme il a été dit il y a un instant. Il s’agit là, dans la confirmation ainsi comprise, en quelque sorte d’un double engagement, à savoir l’engagement du Seigneur qui, se révélant comme le Dieu de l’alliance, confirme notre élection et nous sanctifie, fait de nous des saints, et notre propre engagement qui y répond, de nous préoccuper à cause du Christ et avec lui de notre prochain comme nous le faisons pour nous-mêmes.

Je suis de plus en plus convaincu, voyez-vous, que le monde a besoin de l’Église, ou pour parler un langage peut-être moins grandiloquent, que la société des hommes au milieu desquels chaque jour nous vivons a besoin, pour casser sa carapace d’égoïsme, de recevoir le témoignage de notre foi à l’œuvre. Je pense sans devoir y insister, à la belle prédication que sont les lieux d’accueil et d’écoute de celui qui ne sait où aller, ni à qui demander conseil et assistance, de l’Armée du salut à la Cimade en passant par le Secours catholique. Je pense aussi à la parole que nous devons savoir risquer dans tous les grands débats actuels que l’on qualifie volontiers d’éthiques et qui touchent à la définition et au respect de la vie, laquelle vie pour nous chrétiens n’est pas seulement le muscle cardiaque en fonction et qui ne cesse pas avec un électro-encéphalogramme plat, mais qui est communion, ouverture spirituelle, anticipation ici et aujourd’hui du Royaume où nous, demain encore, ensemble toujours vivrons.

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Participant avec lui aux colloques réunis dans les années 1540-1541 afin de tenter de réconcilier les points de vues catholiques et protestants, Jean Calvin – ah ! encore un autre réformateur et même le Réformateur de l’année – dit un jour : « Bucer brûle littéralement du zèle de la concorde ». Puissions-nous, nous tous, brûler de ce zèle-là, le zèle de la concorde ! Faudrait-il pour cela nous convertir...
Ne vous étonnez pas si ma prédication pour cette fête de la Réformation apparaît en définitive être un appel à cette concorde là, un appel à l’unité, à commencer par la prise au sérieux, pour être banalement concret, de l’union que sont en train de préparer en France nos Églises, l’Église réformée de France et l’Église évangélique luthérienne de France. J’ai bien conscience qu’à la dimension de l’Église universelle, ce processus d’union que nos synodes ont mis en route n’est qu’un incident. Que nous prenions ensemble, vous réformés et nous luthériens, la peine pourtant de rechercher une union de synodes confessionnels, plutôt que de faire avec une certaine brutalité tabula rasa de nos différences, qui sont aussi nos requêtes et nos aspirations, me paraît être la preuve que ce que nous voulons à la grâce de Dieu, c’est, en un respect mutuel, ne point écarter ce qui fait la richesse d’une diversité réconciliée. Je ne pense pas que nos docteurs, voyez-vous et pour en revenir à eux, aient en quoi que ce soit voulu être des pommes de discorde et de mécompréhension. Ce n’est que notre endurcissement à tous qui n’a pas permis à l’unique vérité de l’Évangile, de partout s’imposer, et partout, c’est d’abord en nous, unique vérité que saint Augustin disait vouloir saisir dans ces nuances, des nuances qui à cause de leur pluralité, de leur diversité, nous empêche de nous imaginer être seuls détenteurs de la vérité, notre vérité nécessairement opposée à l’erreur des autres. Répétons chacun par conséquent avec l’apôtre Paul, en en étant persuadé de toute l’ardeur de notre propre foi, que « ce n’est plus moi qui vis, c’est Christ qui vit en moi ». Nous laisserons alors l’Esprit rendre témoignage à la vérité du Christ qui nous rassemble. Nous vivrons tout simplement aujourd’hui notre confirmation d’hier en vue de demain – tenez, et si cette fête de la Réformation était occasion pour nous, pour toi et pour moi, de repenser à notre confirmation ? Nous-mêmes serons alors témoins, témoins du Christ crucifié à Golgotha vendredi saint, qui est le même que le Christ vivant devant le tombeau ouvert du matin de Pâques. C’est aussi la signification des ornements rouges, le rouge du feu du Saint-Esprit qui nous entraîne tout excités par cette Bonne Nouvelle et la voilà l’excitation, la mise en route, une utile excitation et non point une stérile outrance, la signification des ornements rouges qui ce matin dans les églises luthériennes du monde entier ornent la chaire et l’autel.

Tenez encore, si je ne craignais pas que l’on me mécomprît, je vous inviterais volontiers aujourd’hui, pour notre fête de la Réformation, à voir rouge ! Voir rouge, être en colère, en colère contre toute rupture de l’unité entre nous, en colère contre toute rupture de l’unité avec le prochain, en colère contre toute rupture de l’unité avec Dieu. Voir rouge, le bon rouge !

Ainsi soit-il !

Lecture de la Bible

Galates 2:16-20a

Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. 2 C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes. 3 Ce n’est pas pour une bonne action, c’est pour une mauvaise, que les magistrats sont à redouter. Veux-tu ne pas craindre l’autorité? Fais-le bien, et tu auras son approbation. 4 Le magistrat est serviteur de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains; car ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait le mal. 5 Il est donc nécessaire d’être soumis, non seulement par crainte de la punition, mais encore par motif de conscience. 6 C’est aussi pour cela que vous payez les impôts. Car les magistrats sont des ministres de Dieu entièrement appliqués à cette fonction. 7 Rendez à tous ce qui leur est dû: l’impôt à qui vous devez l’impôt, le tribut à qui vous devez le tribut, la crainte à qui vous devez la crainte, l’honneur à qui vous devez l’honneur.

Matthieu 5:38-42

Vous avez appris qu’il a été dit: oeil pour oeil, et dent pour dent. 39 Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre. 40 Si quelqu’un veut plaider contre toi, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. 41 Si quelqu’un te force à faire un mille, fais-en deux avec lui. 42 Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi.”

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