Exorcisme à la baie des cochons

Marc 5:1-20

Culte du 6 janvier 2013
Prédication de pasteur James Woody

(Marc 5:1-20)

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Culte du dimanche 6 janvier 2013 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, j’ai retenu ce récit d’exorcisme parce qu’il me semble que cette page d’évangile constitue une excellente feuille de route pour nous cette année.

Le premier point que je relève est la sensibilité de Jésus au réel. Le récit commence par la description d’un homme qui ne peut pas être lié et qui vit parmi les morts. Ce mort-vivant est réputé pour être indomptable et manifestement traversé par de fortes pulsions de morts qui le conduisent à se taillader jour et nuit, loin des vivants, mais Jésus porte un autre regard sur cet homme puisqu’en le voyant il dit « sors de cet homme, esprit impur ». Là où tout le monde ne voyait qu’un insoumis, Jésus repère un être particulièrement soumis et, de fait, quand il lui demandera son nom, l’esprit qui parle à la place de l’homme répondra « Légion est mon nom car nous sommes nombreux ».

Cet homme n’est pas aussi libre qu’il en a l’air et Jésus ne s’y trompe pas : il voit un homme captif d’une multitude de choses dont il va le débarrasser. Cette sensibilité au réel, nous avons toutes les peines du monde à en faire preuve nous-mêmes. Nous avons du mal à avoir un regard suffisamment affuté pour apprécier la vérité d’une situation, d’une personne. Nous sommes comme aveugles aux véritables enjeux de la vie, n’appréciant que la surface de la vie, l’écume de l’histoire. Dès le départ, ce récit peut nous sembler inaccessible, hors de notre portée, tant nos capacités d’analyse sont limitées. Mais ce serait erreur de notre part de considérer que nous sommes incapables d’un tel regard sur la vie. J’en veux pour preuve qu’il est au moins un homme, un homme de notre temps, capable d’un tel regard pénétrant. Je pense à Rowan Williams, qui était archevêque de Canterbury, primat de l’Eglise anglicane, jusqu’à ce premier janvier. Voilà un homme capable d’analyses économiques, morales, éducatives, théologiques, qui ne sont pas dictées par les éditorialistes qui nous disent ce qu’il faut penser de chaque événement. Le 104ème archevêque de Canterbury avait cette capacité à prendre le pouls de son époque, à repérer les véritables sujets, et à la traiter.

Certes, nous ne sommes pas l’archevêque de Canterbury, mais, ensemble, nous sommes bien plus que lui. Quel était son talent ? ne pas s’enfermer dans son bureau, mais aller à la rencontre de son Eglise dont il était le garant de la communion et faire connaissance, véritablement, de toutes les situations auxquelles les fidèles étaient affrontés. C’est donc un regard informé à un niveau international, à hauteur de l’universel, que l’archevêque de Canterbury porte sur la vie, et non un regard construit par sa petite lorgnette. C’est l’Eglise anglicane tout entière, par-delà les rives, qui trouve ainsi son expression. Quant à nous, nous ne sommes pas l’archevêque de Canterbury, mais nous sommes, ensemble, l’Eglise universelle, porteuse des préoccupations de Madagascar, du Cameroun, de Saint-Germain des Prés, du Val d’Oise, de Chine, du Proche et du Moyen-Orient, d’Australie, d’Allemagne à tel point qu’on peut se demander si le soleil se couche parfois sur l’Oratoire du Louvre. Plus que ces points géographiques qui sont nos racines ou les lieux où résident nos proches ou encore les lieux qu’habitent nos pensées, nous formons, ensemble, la plus belle compagnie d’expertise qu’on puisse imaginer pour porter un regard éclairé sur le monde : en prise directe avec les questions éducatives parce que nous sommes enseignants, inspecteurs ou lycéen. En prise avec les questions de justice parce que nous sommes victimes, avocat, magistrat ou délinquant. Toutes les dimensions de la vie sont là, réunies, parce que nous sommes confrontés à une fin de vie, au dédale administratif à moins que nous soyons nous-mêmes agents de la fonction publique. Nous sommes concernés par le mariage pour tous parce que nous sommes juristes, homosexuels, législateurs, fiancés ou éthicien. Nous sommes à la fois consommateurs de culture, producteurs de culture, promoteurs de culture. Nous sommes médecins ou malades, déçus des institutions, responsables, réfractaires, utilisateurs, parents, diplomates, isolés, revenus de tout, curieux de tout. Mais quand engageons-nous de profonds dialogues enrichis de nos expertises personnelles ?

Libérer notre être

Ensemble, nous avons une capacité d’analyse christique. Encore faut-il que nous la développions, que nous nous mettions en situation de nous parler, de mettre en commun nos observations, nos étonnements, nos questions. Encore faut-il que nous acceptions de rejeter ce qui ligote, invisiblement, notre parole, ce qui la tient captive dans des prisons invisibles. Il peut nous arriver de donner le sentiment, en protestantisme, d’être insoumis, indomptables. Il arrive bien souvent que nous soyons en réalité ligotés à des intérêts inavoués, des fidélités souterraines, des déterminismes dont nous n’avons pas forcément conscience, mais qui brident notre liberté de parole, de ton et donc de pensée. Sur le papier, nous sommes libres, on ne peut plus libre, mais quelle est notre réelle liberté de parole ? Pour une raison louable de ne pas blesser notre interlocuteur, nous censurons parfois nos convictions. Pour la raison moins louable de neutralité dans l’espace ecclésial ou de laïcité dans l’espace publique, nous gardons nos convictions dans notre poche ou pour nos proches, ceux qui nous écouteront sans nous juger ou, plus exactement, sans nous condamner.

Nous sommes loin d’être tout à fait libres de faire valoir nos expertises, nos craintes. Nous sommes souvent loin de nous jeter au pied du Christ dans l’espoir d’être libérés de nos peurs, de nos conventions, de nos systèmes de fidélités qui fonctionnent si souvent comme des systèmes de neutralisation : je ne dis rien sur ce sujet sensible pour toi et toi, tu ne dis rien sur ce sujet sensible pour moi.

Cesse donc de me tourmenter, crie la légion d’esprits impurs au Christ. Cesse donc de m’importuner et laisse-moi me nourrir tranquillement de cet esclave qui n’ose plus rien dire, qui n’ose plus protester et qui m’est donc entièrement soumis. Sans vouloir nous mortifier à outrance, il faut reconnaître que nous avons des modes de relations policés au point que nous ne nous parlons plus, ou seulement en petit comités. Mais l’échange de banalités comme mode de communication, n’est-ce pas nous précipiter tout droit dans la banalité et devenir des êtres banals ?

Le Christ nous sauve de la banalité en nous libérant de ces légions de freins qui nous empêchent d’être nous-mêmes. Et de ce point de vue, aussi, Rowan Williams me donne à rêver. Allez consulter des photos de lui et voyez sa coupe de cheveux… c’est déjà tout un programme de liberté d’être.

Ne pas passer d’une aliénation à une autre

J’ai toute confiance dans notre capacité à adhérer à cette dynamique de libération de la parole suscitée par le Christ. Mais soyons vigilants comme le texte nous y invite, car aussitôt libéré de ses démons, l’homme court vers Jésus pour rester avec lui et, c’est ce que je suppose, se lier à lui, ce qui risque de le ligoter à nouveau. En le renvoyant chez lui, Jésus coupe court à ce risque de remplacer une addiction par une autre. Jésus coupe court au risque de fanatisme religieux qui consiste à laisser la parole à une classe dirigeante, à une caste, à quelque dignitaire que ce soit. Nous ne sommes jamais libres une fois pour toutes, nous le constatons. Et le goût de la liberté n’est pas le mieux répandu qui soit. Nous le constatons avec ces personnes qui ne veulent pas que Jésus continue à exorciser les peurs, les tourments. En le sommant de quitter le territoire, les témoins de la scène veulent préserver leur vie tranquille, leurs petites combines, leurs petits arrangements avec leur croyances, leurs liens, leur névrose. Ils ne veulent pas de cette liberté qui a mis l’homme possédé dans le bon sens, sain d’esprit, plein de bon sens, capable de penser de manière débridée.

Pensons à cette devise que l’Eglise réformée est toujours à réformer pour ne jamais nous endormir sur nos lauriers, pour ne jamais nous en tenir à nos bonnes intentions ou à nos premiers pas. Il y a un risque réel de préférer les marmites pleines d’Egypte à l’aventure du désert qui précède la terre promise. Il y a un risque à préférer la marque du collier sur le cou du chien qui pourrait être la marque de la bête, à l’aspect parfois famélique du loup.

Il faut quitter la certitude de ce qu’on possède pour s’attacher à l’espérance de ce qui est à vivre selon l’Evangile. Préférer l’ultime au conditionné. Préférer l’aventure de la vie à la familiarité d’une vie parmi les tombeaux.

Amen

Lecture de la Bible

Marc 5:1-20

Ils arrivèrent sur l’autre bord de la mer, dans le pays des Gadaréniens. 2 Aussitôt que Jésus fut hors de la barque, il vint au-devant de lui un homme, sortant des sépulcres, et possédé d’un esprit impur.

3 Cet homme avait sa demeure dans les sépulcres, et personne ne pouvait plus le lier, même avec une chaîne. 4 Car souvent il avait eu les fers aux pieds et avait été lié de chaînes, mais il avait rompu les chaînes et brisé les fers, et personne n’avait la force de le dompter. 5 Il était sans cesse, nuit et jour, dans les sépulcres et sur les montagnes, criant, et se meurtrissant avec des pierres.

6 Ayant vu Jésus de loin, il accourut, se prosterna devant lui, 7 et s’écria d’une voix forte: Qu’y a-t-il entre moi et toi, Jésus, Fils du Dieu Très-Haut? Je t’en conjure au nom de Dieu, ne me tourmente pas.

8 Car Jésus lui disait: Sors de cet homme, esprit impur! 9 Et, il lui demanda: Quel est ton nom?

Légion est mon nom, lui répondit-il, car nous sommes plusieurs. 10 Et il le priait instamment de ne pas les envoyer hors du pays.

11 Il y avait là, vers la montagne, un grand troupeau de pourceaux qui paissaient. 12 Et les démons le prièrent, disant: Envoie-nous dans ces pourceaux, afin que nous entrions en eux. 13 Il le leur permit. Et les esprits impurs sortirent, entrèrent dans les pourceaux, et le troupeau se précipita des pentes escarpées dans la mer: il y en avait environ deux mille, et ils se noyèrent dans la mer.

14 Ceux qui les faisaient paître s’enfuirent, et répandirent la nouvelle dans la ville et dans les campagnes. Les gens allèrent voir ce qui était arrivé. 15 Ils vinrent auprès de Jésus, et ils virent le démoniaque, celui qui avait eu la légion, assis, vêtu, et dans son bon sens; et ils furent saisis de frayeur. 16 Ceux qui avaient vu ce qui s’était passé leur racontèrent ce qui était arrivé au démoniaque et aux pourceaux. 17 Alors ils se mirent à supplier Jésus de quitter leur territoire.

18 Comme il montait dans la barque, celui qui avait été démoniaque lui demanda la permission de rester avec lui. 19 Jésus ne le lui permit pas, mais il lui dit: Va dans ta maison, vers les tiens, et raconte-leur tout ce que le Seigneur t’a fait, et comment il a eu pitié de toi. 20 Il s’en alla, et se mit à publier dans la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui. Et tous furent dans l’étonnement.

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