Évangile et politique

1 Samuel 8:1-20 , Jean 18:33-38 , Romains 13:1-7

Culte du 2 avril 2017
Prédication de pasteur Marcel Manoël

Vidéo de la partie centrale du culte

film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot

Culte du dimanche 2 avril 2017
prédication pasteur Marcel Manoël

"Nous voulons un roi" ! Un peuple réclame un chef puissant… parce qu’il en a assez de la corruption, assez de la violation des droits, assez de ne pas être respecté parmi les nations… Un homme puissant ! Même s’il faudra payer pour cela ! Même si l’alliance de liberté conclue avec le Dieu du Sinaï en est brisée…

"Ma royauté n'est pas de ce monde…". Des siècles plus tard, Jésus constate un décalage… Aveu d’échec ? Constatation d'une incompatibilité entre la terre des humains et le ciel de Dieu ?... Voire, consécration anachronique d'une laïcité qui séparerait non seulement pouvoir civil et pouvoir religieux – ce que le protestantisme en général approuve - mais aussi Evangile et politique ?

Sur cette question, je voudrais vous proposer quelques éléments de réponse, en plusieurs temps.

***

Tout d'abord : Oui, l'Evangile est politique !

Jésus entame son ministère en annonçant : " Le Royaume de Dieu s'est approché…". Il inscrit ainsi la volonté de Dieu dans une proximité, qui indique à la fois une distance et un lien.

Une distance, parce que le Royaume de Dieu n'est pas là, pas encore… Ce qu'expriment aussi par exemple les paraboles du Royaume : celle du grain semé en terre, encore invisible mais qui deviendra un arbre, ou celle du bon grain et de l'ivraie qui souligne le danger à vouloir trier trop vite. Nous ne sommes pas dans le Royaume. Nous ne maîtrisons pas le Royaume, et chaque fois qu'on a voulu faire "comme si" en imposant un régime de chrétienté, on a abouti à l'enfer des dictatures religieuses !

Une distance, mais un lien : le Royaume de Dieu n'est pas loin, et il n'y a pas de séparation étanche entre le "ciel" et la "terre", ni entre le "privé" du chrétien et le "public" de la cité humaine. Dieu a une volonté pour notre monde, une volonté qui interpelle nos réalités humaines, une volonté qui a planté dans ce monde des graines du Royaume, ces graines que nos actes, nos décisions, nos politiques sont appelés à faire croître !

Depuis le Psalmiste qui proclamait… " Amour et vérité vont se rencontrer, Justice et Paix s'embrasser. La Vérité sort de la terre, et la Justice se penche des cieux. Le Seigneur lui-même donne le bonheur … "[1]… jusqu’au voyant de l’Apocalypse qui entraperçoit "le ciel nouveau et la terre nouvelle [2]….", "la demeure de Dieu parmi les humains", où " la mort ne sera plus, et il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur …!", les Ecritures témoignent du projet de Dieu pour le monde, ce projet que nous pouvons discerner en Christ, comme le proclame l'épître aux Ephésiens :

"Il nous a fait connaitre le mystère de sa volonté",
le projet bienveillant qu'il s'était proposé en lui,
pour le réaliser quand les temps seraient accomplis :
récapituler tout dans le Christ,
ce qui est dans les cieux comme ce qui est sur la terre. [3]

Si la foi est ce mouvement de vie qui nous fait regarder au Christ, elle nous fait discerner en lui, pour l'histoire de notre monde, un sens et une espérance !

Oui, l'Evangile est politique, fondamentalement et authentiquement politique !

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Mais il faut dire en même temps : Non, l'Evangile n'est pas un pouvoir politique, mais une Parole adressée à notre responsabilité, une parole critique, une parole de lucidité.

La Bible en général porte un regard assez cru sur les pouvoirs quels qu'ils soient. Vous l'avez entendu dans l'histoire du peuple qui réclame un roi. Et même ceux qu'elle présente comme les élus de Dieu, David ou Salomon, ne sont pas exempts d'infidélités… Il ne s'agit pas de tomber dans la démagogie du "tous pourris", mais il s'agit de prendre conscience du caractère humain, c'est-à-dire limité, faillible et parfois illusoire du pouvoir politique. Un des textes les plus critiques est sans doute, au chapitre 9 du livre des Juges, la fable de Yotam, le plus jeune des fils de Gédéon, qui dénonce la tentative de prise de pouvoir de son demi-frère Abimélek :

Les arbres s'en allèrent conférer l'onction à leur roi.
Ils dirent à l'olivier : Sois notre roi ! Mais l'olivier leur répondit : Renoncerais-je à mon huile, ce que les dieux et les humains apprécient chez moi, pour aller me balancer au-dessus des arbres ?

Alors les arbres s’adressent à ceux d'entre eux qui sont avec l'olivier les plus appréciés, le figuier, puis la vigne… qui font la même réponse !

Alors tous les arbres dirent au buisson d'épines : Viens, toi, sois notre roi ! Le buisson d'épines répondit aux arbres : Si c'est loyalement que vous voulez me conférer l'onction pour que je sois roi sur vous, venez, abritez-vous sous mon ombrage… [4] .

Ce qui est dénoncé ici, c'est bien sur la vanité du puissant, qui se trompe sur ses possibilités réelles et l'empêchera d'accomplir ses promesses : essayez donc de vous abriter à l'ombre d'un buisson d'épines ! Mais c'est aussi l'erreur du peuple qui se laisse berner ! Un épisode particulier, mais qui nous alerte sur un risque je crois général : l'aveuglement, notre aveuglement quand nous ne voyons que nos désirs, ou nos peurs, ce qui nous empêche d'être lucide sur les réalités !

L'aveuglement qui ouvre à la tentation de se tourner vers un "puissant" – quel qu'il soit – qui réalisera nos ambitions à notre place, un "puissant" efficace, "héros" et "saint" irréprochable, bref une sorte de "dieu" qu'il suffirait d'invoquer ?

C'est sans doute le refus d'être ce puissant-là qui explique l'attitude de Jésus devant Pilate : "mon Royaume n'est pas de ce monde". Il a refusé d'être le fournisseur de pain gratuit, le faiseur de miracles spectaculaires, le meneur d'une révolte… Lui a vu clair, peut-être d'abord dans ses propres désirs de puissance – c'est ce qui nous est raconté, me semble-t-il dans le récit de la tentation sur la montagne – et dans les attentes troubles de la foule qui le suivait… Alors non l'Evangile tel que le vit Jésus n'est pas une prise de pouvoir politique ; au contraire, il en dévoile les ambiguïtés, les jeux des désirs et des peurs, et il les dévoile publiquement : "si je suis venu dans le monde, c'est pour rendre témoignage à la vérité !".

Alors, faudrait-il séparer "Evangile" et "politique" et, en tant que chrétiens en tous cas, se cantonner à l’annonce de l’Evangile sans se mêler de la vie de la cité ?

***

Au contraire, et c'est ma troisième proposition : l'Evangile ouvre l'exercice de notre liberté et de notre responsabilité politique.

Fondamentalement, l'Evangile est une Parole incarnée, Jésus de Nazareth. Il n'est pas une utopie, mais un regard, pas une idéologie mais un service, pas une collection de normes transcendantes mais un compagnonnage. Si l’Evangile proclame haut et fort des valeurs : la paix, la justice, l’amour, il ne se contente pas d’une sorte d’incantation, mais exhorte à des engagements durables, patients, réalistes :

La paix, ce n'est pas un acquis, mais c'est le travail de la réconciliation, concret, modeste, persévérant, qui seul permet de la préserver ou de la reconstruire quand elle a été mise à mal,

La justice, ce n'est pas seulement un droit, mais une pratique de la solidarité dans le souci de l'autre, le dialogue, le partage,

L'amour, le bonheur, la sécurité,… ce ne sont pas seulement des valeurs à respecter, mais c'est ce qui se reçoit, ce qui se construit, qui se vit dans le service les uns des autres.

Ainsi, l'Evangile nous ouvre un espace d'action. Nous ne sommes pas enfermés dans les réalités existantes, avec parfois leur poids et leur cynisme. Pas non plus obligés par un idéal divin, une loi absolue qui nous culpabiliserait. Mais dans un espace ouvert, où nous avons à faire des choix, et où nous pouvons les faire en assumant notre dignité comme notre fragilité humaines : l'espace politique, un espace humain, avec ses limites, ses risques d'erreurs, parfois de dérapages, mais aussi l'espace des possibles pour l'exercice de notre liberté et de notre responsabilité.

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Mais allons encore un peu plus loin ! Et j'en viens à ce surprenant chapitre 13 de l'épitre aux Romains : " Soumettez-vous… les autorités ont été instituées par Dieu... ceux qui s'opposent recevront une condamnation… et payez vos impôts ! ...".

C'est d'abord un fameux contre-pied ! Car il semble bien que dans l'Eglise de Rome, il y avait des juifs qui avaient subi l'antisémitisme de l’empereur Claude avec ses violences et ses spoliations et qui, revenus dans la capitale, n'avaient pas grande envie de se soumettre et de payer l’impôt !

C'est aussi une parole qui provoque, car lorsque Paul qualifie les autorités romaines de serviteurs et fonctionnaires de Dieu, il est bien évident qu'il ne se réfère pas à leur qualité religieuse ou morale ! Leur façon de vivre comme de gouverner était bien loin des exhortations que Paul donne par ailleurs. Et les fameuses “affaires” actuelles ne sont que broutilles à côté des mœurs politiques de l’époque !

Si ces autorités sont ainsi reconnues, c’est au travers d’une lecture théologique de l’histoire. De la même façon que, en Christ, par la foi, les chrétiens sont vus dans leur vocation de créatures nouvelles, de la même façon, au regard de Dieu, les autorités politiques, même sans Dieu, sont appelées et reconnues comme autorités dans leur service du bien commun.

Cela signifie bien sûr que ces autorités ne sont que “serviteurs” et pas “Dieu” : elles ne détiennent pas la vérité ultime, ni le droit d’imposer un sens à la vie humaine ou à la destinée du monde. Chacun garde le droit et le devoir de critique, de révolte même, lorsque l’autorité sort de son rôle et qu’elle se sert elle-même, qu’elle se glorifie elle-même, ou qu’elle asservit les autres.

Mais cela signifie aussi que, dans ce cadre du service du bien commun, nous sommes appelés à reconnaître les autorités en place. Aujourd'hui peut-être à nouveau un contre-pied, dans une société où l’action politique est souvent paralysée par les intérêts personnels et catégoriels, parfois par la défense scandaleuse de privilèges. En tous cas, reconnaître une autorité ne peut pas se limiter à mettre un bulletin dans l'urne, et puis rentrer chez soi pour râler devant la télévision ! Reconnaître une autorité – surtout si on la reçoit comme serviteur de Dieu – c'est prendre sa part de responsabilité politique, de charges, parfois de renoncement et de sacrifice. A la suite du Christ, à l’image du Christ. Un contre-pied théologique, auquel nous chrétiens sommes appelés, pour redonner paradoxalement à la démocratie tout son sens ?

Alors, quand nous nous préparons à exercer nos responsabilités, peut-être faut-il d'abord nous poser la bonne question. Non pas : qui va défendre le mieux mes intérêts ? Mais : quel est celui ou celle que je pourrai peut-être regarder comme "diacre" de Dieu, serviteur des autres dans la situation actuelle ? A côté de moi, et au travers de ses qualités et de ses propositions, en sachant qu'il est humain comme moi, imparfait et limité comme moi, mais aussi, avec moi appelé à vivre la dignité de la liberté et de la responsabilité humaines !

Alors, en ce temps du choix politique, écoutons l’Evangile, méditons l’Evangile, laissons-nous libérer par l’Evangile, prions, votons et ne cessons pas d'exercer nos responsabilités ! Amen !

Notes

[1] Psaume 85, 11-13a, 14 Traduction Alphonse Maillot (Commentaire Labor et Fidès 1966)
[2] Apocalypse 21,1ss
[3] Ephésiens 1, 9-10
[4] Juges 9, 8-14

Lecture de la Bible

1 Samuel 8:1-20

1 Lorsque Samuel devint vieux, il établit ses fils juges sur Israël. 2 Son fils premier-né se nommait Joël, et le second Abija; ils étaient juges à Beer-Schéba. 3 Les fils de Samuel ne marchèrent point sur ses traces; ils se livraient à la cupidité, recevaient des présents, et violaient la justice.

4 Tous les anciens d’Israël s’assemblèrent, et vinrent auprès de Samuel à Rama. 5 Ils lui dirent: Voici, tu es vieux, et tes fils ne marchent point sur tes traces; maintenant, établis sur nous un roi pour nous juger, comme il y en a chez toutes les nations.

6 Samuel vit avec déplaisir qu’ils disaient: Donne-nous un roi pour nous juger. Et Samuel pria l’Eternel.

7 L’Eternel dit à Samuel: Ecoute la voix du peuple dans tout ce qu’il te dira; car ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi qu’ils rejettent, afin que je ne règne plus sur eux. 8 Ils agissent à ton égard comme ils ont toujours agi depuis que je les ai fait monter d’Egypte jusqu’à ce jour; ils m’ont abandonné, pour servir d’autres dieux. 9 Ecoute donc leur voix; mais donne-leur des avertissements, et fais-leur connaître le droit du roi qui régnera sur eux.

10 Samuel rapporta toutes les paroles de l’Eternel au peuple qui lui demandait un roi.

11 Il dit: Voici quel sera le droit du roi qui régnera sur vous. Il prendra vos fils, et il les mettra sur ses chars et parmi ses cavaliers, afin qu’ils courent devant son char; 12 il s’en fera des chefs de mille et des chefs de cinquante, et il les emploiera à labourer ses terres, à récolter ses moissons, à fabriquer ses armes de guerre et l’attirail de ses chars. 13 Il prendra vos filles, pour en faire des parfumeuses, des cuisinières et des boulangères. 14 Il prendra la meilleure partie de vos champs, de vos vignes et de vos oliviers, et la donnera à ses serviteurs. 15 Il prendra la dîme du produit de vos semences et de vos vignes, et la donnera à ses serviteurs. 16 Il prendra vos serviteurs et vos servantes, vos meilleurs boeufs et vos ânes, et s’en servira pour ses travaux. 17 Il prendra la dîme de vos troupeaux, et vous-mêmes serez ses esclaves. 18 Et alors vous crierez contre votre roi que vous vous serez choisi, mais l’Eternel ne vous exaucera point.

19 Le peuple refusa d’écouter la voix de Samuel. Non! dirent-ils, mais il y aura un roi sur nous, 20 et nous aussi nous serons comme toutes les nations; notre roi nous jurera il marchera à notre tête et conduira nos guerres.

Jean 18:33-38

33 Pilate rentra dans le prétoire, appela Jésus, et lui dit: Es-tu le roi des Juifs?

34 Jésus répondit: Est-ce de toi-même que tu dis cela, ou d’autres te l’ont-ils dit de moi?

35 Pilate répondit: Moi, suis-je Juif? Ta nation et les principaux sacrificateurs t’ont livré à moi: qu’as-tu fait?

36 Mon royaume n’est pas de ce monde, répondit Jésus. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin que je ne sois pas livré aux Juifs; mais maintenant mon royaume n’est point d’ici-bas.

37 Pilate lui dit: Tu es donc roi?

Jésus répondit: Tu le dis, je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.

38 Pilate lui dit: Qu’est-ce que la vérité? Après avoir dit cela, il sortit de nouveau pour aller vers les Juifs, et il leur dit: Je ne trouve aucun crime en lui.

Romains 13:1-7

1 Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. 2 C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes. 3 Ce n’est pas pour une bonne action, c’est pour une mauvaise, que les magistrats sont à redouter. Veux-tu ne pas craindre l’autorité? Fais-le bien, et tu auras son approbation. 4 Le magistrat est serviteur de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains; car ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait le mal. 5 Il est donc nécessaire d’être soumis, non seulement par crainte de la punition, mais encore par motif de conscience. 6 C’est aussi pour cela que vous payez les impôts. Car les magistrats sont des ministres de Dieu entièrement appliqués à cette fonction. 7 Rendez à tous ce qui leur est dû: l’impôt à qui vous devez l’impôt, le tribut à qui vous devez le tribut, la crainte à qui vous devez la crainte, l’honneur à qui vous devez l’honneur.

(Cf. Traduction NEG)

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