Eutychus a bien de la chance
Actes 20:7-12
Culte du 17 juin 2012
Prédication de pasteur Marc Pernot
(Actes 20:7-12)
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Culte du dimanche 17 juin 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot
Je pense que pour une histoire de miracle, et même de résurrection, Luc aurait pu mieux faire. Vous auriez facilement mieux fait, vous les catéchumènes, j’en suis certain, si l’on vous avait demandé de raconter une histoire d’apôtre de Jésus-Christ qui ressuscite quelqu’un.
Qu’est-ce que ce texte nous dit des actions de l’apôtre Paul ? Nous aurions mis des actes plus spectaculaires par exemple Paul mettant les mains sur le cœur, sur la tête ou sur les paupières closes du jeune homme, puis Paul priant Dieu en levant les yeux au ciel. C’est bien, ça, les yeux levés au ciel implorant Dieu, ça fait sérieux et ça met bien en valeur la foi de l’apôtre, il ne resterait plus qu’à décrire le jeune homme ouvrant les yeux, se levant en rendant gloire à Dieu. Mais dans notre texte de la Bible, il n’y a rien de tout cela. Ce récit est étrange.
- Il est bizarre que l’apôtre Paul descende voir le garçon tombé dans la cour, c’est la moindre des choses, mais qu’après l’avoir vu il remonte comme si de rien n’était dans leur salle de réunion au 3e étage, se mette à casser la croûte et à parler de plus belle à l’assemblée des autres personnes rassemblées !
- Il est bizarre que ce soit seulement à la fin, quand Paul est parti, que le texte de Luc nous dise que le jeune homme est ramené vivant comme si Paul n’y était pour rien, et même que c’était la présence de Paul qui l’empêchait de vivre ?
Mais, bien souvent, le texte biblique n’est pas bizarre pour rien. Les bizarreries sont des coups de trompette pour réveiller notre intelligence et l’empêcher de sombrer dans le sommeil, au lieu de l’endormir avec de pieuses légendes.
Partons de ces bizarreries. La résurrection n’arrive donc qu’au dernier quote de l’histoire (v. 12). Pour voir ce qui a été source de vie pour Eutychus, cherchons ce qui est raconté juste avant cette résurrection. Si l’on regarde de près on se rend compte que le texte n’est pas écrit n’importe comment. Ce qui est avant le quote 12 est un ensemble bien construit des quotes 7 à 11. Le quote 7 comprend des éléments qui se retrouvent exactement au quote 11. Nous avons au début des ténèbres les plus noires et à la fin nous avons le jour qui arrive. Nous avons au début Paul qui se met à discuter et à la fin Paul qui se tait, enfin. Nous avons au début et à la fin un solide casse-croûte. Nous avons au début le rassemblement en hauteur et l’annonce que Paul va partir, et à la fin, ils descendent et Paul s’en va effectivement.
Par conséquent, l’accent est mis ici :
- sur la lumière
- sur la parole, la discussion entre nous,
- sur le pain rompu et mangé
- sur le rassemblement
- sur l’élévation au 3e étage
Ces cinq points sont essentiels dans le texte, il sont une question de vie et de mort. Tout cela nous invite à nous approprier le texte d’une façon spirituelle. Ces éléments sont des éléments essentiels qui décrivent le salut de Dieu, selon une symbolique biblique très fréquente :
- Le don de la lumière nous permet d’avancer en voyant clair, librement, sans que personne n’ait à nous dire fait ceci, ne fait pas cela, parce qu’alors c’est par nous-mêmes que nous aurons de l’intelligence et du cœur,
- Le don de la Parole de Dieu qui nous crée et nous rend digne de créer à notre tour (Gen 1:26-28),
- Dieu nous donne le pain de vie éternelle (Jn 6),
- C’est Dieu qui nous rassemble en un corps où nous avons notre propre place, notre liberté et notre personnalité mais en même temps de souples liens avec les autres, une complémentarité et une solidarité (1 Cor 12-13),
- C’est Dieu qui nous élève, nous grandit, comme un arbre qui porte ses propres fruits à son rythme (Ps. 1, Mt. 13:31-32).
Et effectivement, c’est à cela qu’arrivent les personnes à la fin de cette histoire. En effet, au quote 12, non seulement Eutychus est amené bien vivant, mais tous sont « consolés au-delà de toute mesure » nous dit le texte. Cela semble bien banal, en réalité non, car dans la Bible ce verbe consoler est le verbe παρακαλέω, parakaleo qui est celui qui évoque l’effet de l’Esprit de Dieu en nous, le paraclet. Ce verbe consoler est celui qui a donné son nom à Noé, l’humanité sauvée par Dieu, ce verbe est celui du prophète Ésaïe envoyé pour annoncer le salut de Dieu…
Ce récit est donc bien le récit qui nous parle d’une nouvelle époque dans notre vie. Et c’est pour cela que ce récit s’ouvre en disant que ce récit se passe au premier jour de la semaine, dans la nuit qui commence ce premier jour d’une résurrection pour nous. Ou en tout cas d’une petite touche de résurrection, recevant des étincelles de ces dons de Dieu qui nous rendent plus véritablement vivant, plus nous-mêmes.
Mais alors à quoi sert cette pauvre lumière matérielle que sont les lampes dont parle ce texte, à quoi servent ces débats interminables qu’à endormir ce pauvre garçon ? A quoi ça sert de se rassembler pour rompre et manger un peu de pain, et est-ce qu’au 3e étage on serait plus proche du ciel qu’au rez-de-chaussée ?
Ces efforts humains, reflets des dons de Dieu, sont ce qu’apporte l’Église. Mais ce ne sont pas que des reflets des dons de Dieu, ils nous préparent, ils peuvent nous aider à les recevoir.
Ces éléments sont comme ces canards en bois que les chasseurs mettaient dans les étangs pour attirer les canards sauvages. Et finalement, l’Église, c’est cela, c’est comme un canard en bois, un truc fabriqué de nos petites mains, peint un peu maladroitement, bien moins beau que la vraie vie, mais utile pour nous ouvrir à la source de vie, pour attendre et saisir la vraie vie (cette image est imparfaite car nos actes religieux ne sont pas là pour attirer Dieu, mais pour nous ouvrir à Dieu).
Au début de ce texte, tout ne va pas si bien. Ils sont dans les ténèbres, au plus profond de la nuit.
Il y a du positif, bien entendu. Il y a l’espérance en Dieu et la solidarité humaine que montre le fait de s’être rassemblés. En fait le verbe grec n’est pas celui de se rassembler, mais sun-ago (comme dans synagogue), littéralement ils font là un bout de route ensemble. Il viendra ensuite le temps pour chacun, comme pour Paul, le temps de partir sur son propre chemin, quand il fera jour, dans la liberté mais aussi dans une vraie communion.
Ce rassemblement est une espérance, comme la nôtre ce matin, c’est une ouverture sur quelque chose qui est de l’ordre du plus grand que chacun de nous, et plus grand que nous tous ensemble, un miracle, celui d’une vie supérieure qui ne peut venir que d’en haut, de Dieu. Le but de ce rassemblement, nous dit le texte est de rompre et manger le pain. Cela évoque un solide casse-croûte qui donne de la force au corps, mais avant tout c’est une mémoire du Christ dont la vie a été rompue. C’est une méditation, une volonté de communion avec lui, une volonté de se nourrir de la façon d’être de Jésus.
Chacun est venu avec sa lampe, et c’est un peu comme une petite Pentecôte qui est racontée plus haut dans ce même livre. Leurs lampes sont peu de choses par rapport aux flammes de l’Esprit de Dieu qui éclaireraient chacun de l’intérieur. Les nombreuses lampes qui éclairent la pièce évoque la pluralité des points de vue dans cette assemblée, signe et espérance de la bénédiction de Dieu sur chacun.
Pour attendre la Parole de Dieu, il y a le dialogue avec la parole de l’apôtre Paul. En effet, le verbe utilisé ici n’est pas celui du seul discours de Paul mais de la parole de Paul dialoguant avec eux tous. Là encore, c’est un des rôles de l’Église que d’être ce lieu de la parole et du dialogue, du débat entre nous. Vous allez me dire : où est le dialogue au cours du culte ? Et bien il est dans ce que vous ferez de ce temps de culte. La règle du jeu est ici que chacun se sente vraiment libre d’avoir sa propre opinion, que chacun reparte avec encore plus de questions qu’avant et qu’il puisse y donner ses propres réponses. Il y a des lieux de débat dans l’église : les études bibliques, les conférences, la sortie du culte et le blog de l’Oratoire… Mais le débat en groupe est un exercice difficile où tous ne se sentent pas à l’aise. Et le dialogue essentiel est intérieur, entre les textes et la conscience de chacune et chacun. Une foi, un idéal, les promesses de Dieu, les témoignages de la Bible sont exprimés, c’est à chacun d’établir un dialogue avec sa propre vie, avec la propre sensibilité. Et dans ce dialogue intime, intérieur, la prédication est une plus une invitation à s’impliquer soi-même qu’une parole d’autorité.
Ces lumières, ces dialogues peuvent être excellents quand ils nous préparent à la lumière et la Parole de Dieu, c’est à dire une impulsion divine qui nous créera à chaque fois un peu plus, qui nourrira notre âme, élèvera notre conscience, libérera notre personnalité, autorisera notre propre regard.
Mais tout d’un coup si nous prenons notre lumière pour celle de Dieu, ou la lumière de l’église pour celle de Dieu… alors au lieu de nous préparer, nos lampes, nos paroles et nos pains nous endorment au lieu de nous réveiller.
Seul le charlatan ou le fou prend les paroles de sa bouche pour la Vérité du Christ, ou pour la Parole de Dieu. Non, nos bouches ne peuvent porter que des paroles humaines, mais ces paroles peuvent préparer les chemins de la Parole que Dieu adresse à chacun de nous en particulier dans le secret de notre propre réflexion et de notre prière intime. Nous semons, comme le dit Paul, nous arrosons, mais c’est Dieu seul qui fait grandir (1 Co 3:7).
Ces hommes et ces femmes se sont assemblés dans l’étage supérieur d’une maison de 3 étages, cela évoque dans la Bible les trois étages de l’arche de Noé (Gen. 6 :16). L’Église est comme une arche, elle nous élève juste un peu, au-dessus de la marée, juste le temps d’attendre et d’accueillir l’alliance avec Dieu. Après, comme Paul, l’Église doit s’effacer.
Mais Eutychus tombe de l’arche.
Eutychus est une part de chacun, c’est une part de notre église, une part de notre société. Une partie de nous-même espère, s’intéresse, cherche, va vers les autres, s’ouvre à la dynamique Dieu. Mais une partie de nous-mêmes est faible et s’endort, une partie de nous même meurt de se prendre pour Dieu et fait n’importe quoi. Une partie tombe et ne suit pas cet effort que nous voudrions faire pour avancer.
C’est normal. Et c’est même sain. Si notre chambre haute, si notre église, si notre foi et notre réflexion étaient sans fenêtre… notre chambre haute sentirait le terrier de marmotte à la fin de l’hiver.
Et c’est normal qu’une partie de notre être ne suive pas. Nous sommes un être en genèse, nous ne sommes pas Dieu, et c’est à ce point d’équilibre à la fenêtre que se trouve le front de construction de notre être. Parfois nous régressons un peu comme quand Eutychus chute. Parfois une personne que nous voyons va mal, vacille. Et cette communauté de la chambre haute de Paul n’est pas une communauté idéale, sinon elle aurait retenu Eutychus avant qu’il ne tombe.
Il n’y a pas un mot ici pour dire qu’Eutychus est nul, ni que c’est bien fait pour lui, ni pour menacer les autres « voilà ce qui vous arrivera si vous ne faites pas attention… ». Au contraire, comme Paul nous pouvons suspendre même ce qu’il y a de plus noble et de plus essentiel dans notre activité pour nous pencher, pour nous jeter auprès de cette part essentielle qui a chuté. Et celui qui aime sait voir alors, comme Paul ici, que même celui qui est tombé au plus bas, dans les ténèbres du dehors, même celui-là n’est pas mort ni n’est digne de mort. En lui, en nous, il y a une âme. C’est pourquoi notre culte comprend toujours une confession du péché qui n’est pas une façon de nous culpabiliser mais une façon d’espérer.
Mais pourquoi est-ce que Paul laisse Eutychus en plan, puis remonte pour casser la croûte et pour parler de plus belle jusqu’à l’aube ? Il est, bien entendu, hors de question de voir dans ce texte un encouragement à nous désintéresser du maillon faible pour monter dans notre tour d’ivoire. Tout l’évangile dit le contraire, à commencer par ce texte essentiel qu’est la parabole de Jésus sur le berger qui, au contraire, laisse tout pour chercher la brebis la plus perdue. C’est bien la preuve que ce récit de la mort et de la résurrection d’Eutychus est à prendre comme parlant d’un Eutychus qui est notre faiblesse à chacun et à tous.
Si nous sommes colérique, par exemple, ou envieux, ou étourdi, ou manquant de foi, ou aigri, ou broyant du noir… et que ces faiblesses sont notre Eutychus, peut-être après être descendu comme Paul, après avoir saisi, reconnu comme lui cette dimension de notre être, peut-être que le plus urgent est d’arrêter d’être trop concentré sur notre problème et de remonter, de reprendre un peu de hauteur pour travailler à ce que nous pouvons faire : un travail sur soi pour nous ouvrir à une croissance qui nous dépasse. Une croissance divine.
Il y a un temps pour travailler sur nos manques et nos défauts. Et il y a un temps pour élever le débat, Dans la prière et dans une réflexion biblique. C’est ce que fait Paul ici, il ne s’acharne pas dans les massages cardiaques pour réanimer le garçon, il reprend de plus belle cette espérance de Dieu, ce travail d’ouverture avec des moyens humains pour s’ouvrir à ce qui vient de Dieu.
Eutychus, en grec veut dire Monsieur « j’ai de la chance ». Oui, il a bien de la chance, et cette chance que nous avons, c’est Dieu. Et quelques vrais amis peut-être. Et la chance d’avoir ces textes passionnants de la Bible pour nous aider à recevoir le salut de Dieu.
Amen
Lecture de la Bible
Actes 20:7-12
Le premier jour de la semaine, nous étions réunis pour rompre le pain.
Paul, qui devait partir le lendemain, discutait avec eux, et il prolongea ce temps de parole jusqu’au milieu de la nuit.
8 Il y avait beaucoup de lampes dans la chambre haute où nous étions assemblés.
9 Or, un jeune homme nommé Eutychus, qui était assis sur la fenêtre, s’endormit profondément pendant le long discours de Paul; entraîné par le sommeil, il tomba du troisième étage en bas, et quand on le releva, il était mort.
10 Mais Paul, étant descendu, se pencha sur lui et le prit dans ses bras, en disant: Ne vous troublez pas, car son âme est en lui.
11 Quand il fut remonté, il rompit le pain et mangea, et il parla beaucoup encore jusqu’au jour. Après quoi il partit.
12 Ils amenèrent le garçon vivant, et ils furent consolés au delà de toute mesure.