Entre semailles et moisson
Matthieu 13:1-9 et 24-30
Culte du 28 mai 2017
Vidéo de la partie centrale du culte
film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot
Culte du dimanche 28 mai 2017
prédication de le Professeur Nicolas Cochand
Comment parler d’une parabole qu’on a tellement entendue qu’on ne l’écoute plus vraiment ?
Le semeur est sorti pour semer. La suite, on la connaît presque par cœur, elle ne nous étonne pas ou plus. En plus, on a plein de raisons de penser que tout ce qui est dit est logique et raisonnable. Une comparaison de la vie ordinaire.
Or il n’en est rien : l’histoire du semeur déraille dès la deuxième phrase.
Comment vous le faire percevoir ? Je vais essayer de le faire en entrant dans la peau d’un personnage anonyme, un quidam de la foule de ceux qui sont venus écouter Jésus. Un ouvrier agricole.
« Je parle du règne de Dieu parce que j’y crois, moi, au règne de Dieu. J’ai très bien compris que Jésus parlait d’autre chose, qu’il parlait de la parole de Dieu et du règne de Dieu, comme dans ses autres paraboles, parce que son histoire elle ne tient pas la route du point de vue de la culture du blé, mais alors pas du tout !
Le semeur dont il parle sème n’importe comment. Ce qu’il fait, c’est un énorme gaspillage, c’est la famine à coup sûr, parce qu’il en jette partout sauf où il faudrait. Sur le chemin, sur les cailloux, dans les ronces…
Je vais vous dire : un bon semeur, disons avec un sac de grain, il va récolter environ huit sacs.
- Un qu’il va garder pour les prochaines semailles.
- Un pour payer les journaliers.
- Deux pour se nourrir, lui et sa famille.
- Deux pour toutes les taxes qui pèsent sur lui.
- Avec cela, il lui en reste deux :
- Un pour vendre ou échanger au marché.
- Un dernier qu’il gardera pour le jour où il ira au Temple pour un sacrifice ; parce ça aussi, ça coûte.
Alors soyez sûrs que quand on sème, on fait attention. On ne jette pas le grain n’importe comment comme dans son histoire. On fait attention, parce que le grain est précieux. On est prudent, parce que comme on dit, le blé, ça eut payé, mais ça paie plus.
Ce qui le sauve, ce semeur, c’est que le peu qu’il a semé en bonne terre donne à fond, un rendement invraisemblable ; Un épi qui donne cent grains, ça n’existe pas, pas plus qu’un épi qui en donne soixante. Même un épi de trente grains, c’est du jamais vu.
Alors oui, cette parabole, elle a ouvert mes oreilles. J’ai compris que le règne de Dieu, cela ne se calcule pas. Cela se reçoit comme une pluie bienfaisante qui fait germer le blé et porter du fruit. Le royaume pleut sur nous, il tombe, sur la pierre de notre chemin, dans les épines qui tapissent notre cœur, dans l’impureté de nos sillons de vie. Il en pleut, de sa parole de vie ; il suffit d’un rien pour qu’elle explose en nous.
Alors oui, le règne de Dieu, j’y crois, parce j’ai compris qu’il était déjà là. J’ai peut-être les mains calleuses d’avoir travaillé la terre ; j’ai la nuque raide d’avoir trop porté de cailloux retirés du champ ; j’ai le cœur un peu endurci d’avoir été traité d’impur. J’étais fatigué et à vrai dire pas du tout à l’aise dans cette foule.
Mais mes oreilles ont entendu, je me suis redressé, j’ai regardé et j’ai vu !
J’ai vu le sourire sur les visages marqués, la joie dans les épaules redressées, la paix dans les yeux qui s’ouvraient.
J’ai vu des frères et des sœurs ; j’ai vu le règne de Dieu à l’œuvre au cœur de notre impureté. J’ai vu sa parole de vie germer dans notre terre ingrate, et j’ai compris que jamais je n’en manquerais.
Entende qui a des oreilles ! »
Comment parler d’une parabole qu’on a tellement entendue qu’on ne l’écoute plus vraiment ? C’est la question que je posais en introduction, je peux la reprendre pour cette nouvelle parabole.
Après la parabole du semeur, voici la parabole de l’ivraie et du bon grain.
Nous sommes dans le même chapitre de Matthieu, le chapitre 13. C’est le discours en paraboles. En effet, c’est une succession de paraboles, toutes plus connues les unes que les autres : après celle du semeur et celle de l’ivraie, il y a encore celle de la graine de moutarde, si petite et qui donne un grand arbre ; celle du levain, un petit peu qui fait lever toute la pâte ; puis plus loin celle du trésor trouvé dans un champ, ou encore celle de la perle de grande valeur pour laquelle on vend tous ses biens…
Toutefois il y a des moments différents dans le discours : une partie s’adresse à tous, une autre aux seuls disciples. Mais bien sûr, nous lecteurs, avons le tout, et pour nous ce chapitre constitue une suite cohérente.
Avec le risque, toutefois, que l’on n’écoute plus la parabole et qu’on s’intéresse seulement à l’explication qui en est donnée ; qui certes est en lien avec la parabole, mais qui la fait aussi évoluer vers une nouvelle parabole.
Que dire de l’ivraie ? Cette parabole, on ne la trouve que chez Matthieu. Elle résonne en somme comme un contrepoint à celle du semeur.
Le semeur mettait l’accent deux excès, excès de semailles, répandues en abondance, excès de résultat, de sorte que le peu qui a germé en bonne terre fait exploser tous les rendements. Le semeur nous disait l’excès de la grâce, qui produit ses fruits en nous en abondance, en dépit de tous les terrains défavorables qu’elle y rencontre. La grâce surabonde, comme dit l’apôtre Paul.
La parabole de l’ivraie, de son côté, nous rappelle l’ambiguïté de l’expérience humaine ; l’ambiguïté de l’expérience de la foi. En nous, individuellement, le fruit espéré de la foi coexiste avec la présence désagréable de fruits indésirables. Le désir de Dieu cohabite avec toutes sortes de mouvements incontrôlés en nous.
Collectivement, en communauté, en Église, les fruits de la grâce doivent souffrir de la présence d’expressions opposées.
Notre désir de paix, d’accueil inconditionnel se heurte parfois à l’expérience du contraire. Nous souhaitons former une communauté accueillante, nous mettons l’accent sur l’accueil de chacun, et voici que parfois nous y échouons ; une parole de paix se transforme en cri de colère. Pour moi le premier.
Notre expérience de la grâce, aussi bien personnellement que communautairement, nous engage à prendre conscience de tout ce qui, en nous et entre nous, demeure obscur, de tout ce qui reste à exposer, en nous et entre nous, à la grâce transformatrice.
L’expérience de la foi nous amène aussi à prendre conscience du fait que nos meilleures intentions se retournent parfois contre nous ou contre notre prochain que nous pensions accueillir.
Pour le plus jeune comme pour le plus âgé, pour le novice comme pour l’accompli, pour le paroissien discret comme pour le pasteur, le temps de la prière de confession du péché reste un moment essentiel du culte, un moment essentiel pour nous placer à nouveau sous la grâce. Parce que l’ivraie est là aussi, l’ivraie et toujours là.
Vous connaissez certainement l’expression « semer la zizanie » : elle vient de la parabole. Le mot que l’on traduit par ivraie, en grec, c’est zizania (c’est un pluriel) Apparemment cela viendrait du sumérien (zizan). La traduction latine, la Vulgate, a simplement transcrit en latin, zizania, et de là c’est entré dans la langue française.
Un aspect important de la parabole de l’ivraie est de nous situer dans le temps. Dans le champ, le blé a poussé, l’ivraie aussi. Ce n’est plus le temps des semailles, et ce n’est pas encore le temps des moissons. Nous nous trouvons, comme les serviteurs, devant le constat d’un champ où tout ce qui pousse n’est pas bon ; comme les serviteurs, nous nous tournons vers le maître pour comprendre, pour lui demander des explications. N’as-tu pas planté du bon grain ?
Seigneur, nous nous plaçons sous ta grâce, et voici que l’expérience est mitigée, elle s’avère parfois douloureuse, car malgré tous nos efforts, malgré notre bonne volonté, nous nous retrouvons parfois à grincer des dents alors que nous avons été appelés à la joie, à maugréer alors que nous désirions entendre et dire des paroles de paix.
Comment cela se fait-il ? Remarquons que la question de l’origine n’est pas le centre d’intérêt de la parabole. C’est un ennemi qui a fait ça. Quel ennemi, comment, quand ? Peu importe, finalement. Son identité n’est pas révélée. Cela se passe pendant que tout le monde dort.
Nous ne sommes pas au temps des semailles. Il y aurait une illusion, qui serait de croire que si nous prenons bien garde, que nous planifions bien notre action, que nous surveillons bien, que nous mettons en place des procédures de qualité, tout ira bien, nous éviterons l’apparition de l’ivraie. C’est une illusion, si l’on en croit la parabole.
Bien sûr que nous sommes invités à faire au mieux, à conduire notre vie et nos actions dans un esprit évangélique, qu’à cela ne tienne, la perfection n’est pas à notre mesure. Mais la grâce est toujours plus grande, plus forte, plus riche que nos errements.
Nous ne sommes pas au temps des semailles. Finalement, le maître de maison ne répond pas vraiment aux serviteurs. Il n’explique pas la présence de l’ivraie, il en prend acte, c’est tout.
Nous ne sommes pas au temps des semailles, mais nous n’en sommes pas non plus au temps de la moisson, et de plus nous ne sommes pas les moissonneurs.
Les serviteurs manifestent leur zèle et cherchent une solution au problème : il y a de l’ivraie, enlevons-la. Il y a un problème, évacuons le. Prenons garde, toutefois, aux solutions trop évidentes : elles ont pour risque d’arracher du bon grain avec de l’ivraie.
Qui n’a pas éprouvé le désir de se purifier, d’éliminer les impuretés en soi ; pourtant, le temps de la moisson n’est pas venu, et nous n’en avons pas la responsabilité.
Nous connaissons les multiples visages du mal. Nous connaissons ses chemins, nous savons ce que nous avons à faire et à ne pas faire, dans notre vie et dans nos relations, et pourtant il survient, il arrive, le champ de blé est parsemé d’ivraie. De plus, l’ivraie a ceci de particulier qu’elle ressemble au blé, sauf qu’elle n’est pas bonne.
Je ne voulais pas, a-t-on envie de dire. Défense et excuse puérile de toujours. Que c’est dur d’admettre l’imperfection, le raté, la maladresse.
Notre vie chrétienne est jalonnée de ces moments où la présence de l’ivraie se fait sentir. Mais nous sommes alors invités à nous retourner vers le semeur, à nous placer sous sa pluie de grâce, qui pleut sur nous en abondance et explose dans notre vie, et la fait porter du fruit, du bon, aussi.
Amen
Lecture de la Bible
Matthieu 13:1-9 et 24-30
Ce jour-là, Jésus sortit de la maison et s'assit au bord de la mer. 2Il se rassembla auprès de lui de si grandes foules qu'il monta dans un bateau et s'y assit. Toute la foule se tenait sur le rivage.
3 Il leur parla longuement en paraboles ; il disait : Le semeur sortit pour semer. 4Comme il semait, des grains tombèrent le long du chemin ; les oiseaux vinrent et les mangèrent. 5D'autres tombèrent dans les endroits pierreux, où ils n'avaient pas beaucoup de terre : ils levèrent aussitôt, parce que la terre n'était pas profonde ; 6mais quand le soleil se leva, ils furent brûlés et se desséchèrent, faute de racines. 7D'autres tombèrent parmi les épines : les épines montèrent et les étouffèrent. 8D'autres tombèrent dans la bonne terre : ils finirent par donner du fruit, l'un cent, l'autre soixante, l'autre trente. 9Que celui qui a des oreilles entende !
...
24 Il leur proposa cette autre parabole : Il en va du règne des cieux comme d'un homme qui avait semé de la bonne semence dans son champ. 25 Pendant que les gens dormaient, son ennemi vint, sema de la mauvaise herbe au milieu du blé et s'en alla. 26Lorsque l'herbe eut poussé et produit du fruit, la mauvaise herbe parut aussi. 27Les esclaves du maître de maison vinrent lui dire : Seigneur, n'as-tu pas semé de la bonne semence dans ton champ ? D'où vient donc qu'il y ait de la mauvaise herbe ? 28Il leur répondit : C'est un ennemi qui a fait cela. Les esclaves lui dirent : Veux-tu que nous allions l'arracher ? 29Non, dit-il, de peur qu'en arrachant la mauvaise herbe, vous ne déraciniez le blé en même temps. 30Laissez croître ensemble l'un et l'autre jusqu'à la moisson ; au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs : Arrachez d'abord la mauvaise herbe et liez-la en gerbes pour la brûler, puis recueillez le blé dans ma grange.
(Cf . Traduction NBS)
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