En marche vers l’arbre de vie
Genèse 2:25 - 4:2
Culte du 22 mai 2011
Prédication de pasteur Gill Daudé
( Genèse 2:25 - 4:2 )
(écouter l'enregistrement) (voir la vidéo)
Culte du dimanche 22 mai 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Gill Daudé
pasteur à l'Eglise Réformée de l'Annonciation
(notes de prédication)
Entrer dans le récit de la genèse pose un certain nombre de difficultés dès que l’on ne veut pas s’en tenir aux caricatures habituelles qui disent en substance que tout le mal de l’humanité viendrait du péché de Genèse 3.
Le livre de la Genèse a lui-même de multiples facettes et le texte que nous avons ici, synthétise diverses traditions orales qui ne datent pas forcément de la même époque ni du même milieu.
Les rédacteurs ont même laissé ce qu’on pourrait appeler « des incohérences » qui nous alertent et nous questionnent.
Exemple : l’interdit posé par Dieu de ne pas manger de l’arbre de la connaissance du mauvais ou du bon (= de la bonne ou mauvaise connaissance ?) est donné à l’homme avant que la femme ne soit créée (2,15+17). La femme n’a donc jamais entendu l’interdit bien qu’elle le répète au serpent (3,2).
A l’inverse, les rédacteurs ont mis en évidence un fil rouge étonnant et très parlant, celui de la nudité :
- La création de la femme est conclue sur le thème de la nudité : ils étaient tous deux nus (2,25) ;
- Dès qu’ils ont mangé du fruit de l’arbre défendu, ils se découvrent nus et se fabriquent des pagnes de feuilles de figuiers (symbole de fertilité dans le Moyen-Orient antique, comme le serpent semble-t-il) ;
- Lorsque Dieu vient les voir dans le jardin, ils n’ont pas peur d’avoir désobéi à l’interdit mais ils ont peur car… ils sont nus (3,10) et ils le disent ! … alors même qu’ils se sont pourtant fabriqué des pagnes !
- Et au terme de notre histoire (3,21), Dieu s’occupe encore de leur nudité en leur faisant des vêtements de peau… juste après qu’Adam ait appelé sa femme… « la vivante » (Eve) !
« La vivante », voilà une autre étrangeté ! Dieu n’avait-il pas dit « mourir, tu mourras ! » (2,17) ? Pourtant, l’histoire se conclut (3,20) lorsque l’homme appelle sa femme « La vivante ».
Il le fait au moment même où Dieu préserve l’homme de l’arbre sur lequel il n’y avait pourtant pas d’interdit (et auquel il n’a visiblement pas touché !) : l’arbre de vie (3,22).
Bref, Dieu leur interdit l’arbre de la vie, Adam appelle sa femme « Eve-la Vivante » !
Par contre, paradoxalement, Dieu ne leur enlève pas la connaissance bonne et mauvaise qui leur avait été interdite au commencement !
Etrange donc : il les préserve de l’arbre de vie (cet arbre est commun à toutes les mythologies antiques, semble-t-il ; il représente le monde des dieux et de l’immortalité) mais, par contre, leur laisse la connaissance bonne et mauvaise, il leur fabrique des peaux (et fait couler le sang pour la première fois) et c’est là qu’Adam appelle sa femme : La vivante !
Enfin, que se passe-t-il après tout cela ? Le texte nous annonce comme une sorte de conclusion « flamboyante » : Adam connut Eve (voilà donc la connaissance dont il était question à propos de l’arbre de la « connaissance » ) ! Elle devint enceinte, enfanta Caïn et dit « J’ai procréé un homme avec le Seigneur » (4,4) : il n’y a donc pas de rupture avec le Seigneur, l’être humain est toujours vivant et de plus, il procrée la vie !
Voilà donc la connaissance que retient la conclusion de notre histoire : non pas au sens du savoir hellénistique ni du jugement moral. Plutôt une connaissance intime, c’est faire UN avec la personne, comme l’avait dit Adam au chapitre précédent « os de mes os, chair de ma chair » (2,28) : cette connaissance, cette ne unité si intime devient créatrice de vie à son tour !
Mais alors… que sont donc la vie et la mort si effectivement l’annonce de la mort d’Adam se conclut par le nom de sa femme : « La vivante !» ?
On a l’impression, en comparant le début et la fin du récit (et si l’on s’abstient d’y projeter les dogmatismes qui nous formatent sur le mode « faute/punition »), que cette histoire si souvent appelée « la chute » est en réalité la conclusion du récit de la création de l’homme et de la femme, le moment où l’homme connaît sa femme et où sa femme devient « la vivante », créatrice de vie !
C’est comme l’aboutissement de la création, c'est-à-dire du réel que nous expérimentons chaque jour depuis la nuit des temps. Quel est-il ? C’est que l’homme est effectivement mortel ; c’est que l’homme travaille et que c’est pénible ; c’est que la terre n’est pas facile à gérer ; c’est que la femme accouche effectivement dans la douleur ; c’est qu’effectivement les rapports hommes/femmes sont des rapports de pouvoir et de domination (… toute allusion à l’actualité est tout à fait fortuite) ; c’est que l’humain a cette capacité à la connaissance (il nomme/il s’unit) mais que celle-ci est inscrite dans une ambivalence bon/mauvais.
Mais c’est aussi que la sexualité, c’est la vie, et qu’elle est même le fruit d’une maturation vers l’âge adulte où l’inconscience de leur nudité (ils ne voyaient pas qu’ils étaient nus – 2,25) laisse la place au jeu du dévoilement, de la connaissance et de l’amour (voir le Cantique des cantiques), au jeu de l’unité et de la différence, au jeu du présent, d’une histoire et d’un à venir (projet)…
Car au fond, ces textes ne sont pas des reportages historiques sur une origine datée perdue dans la nuit des temps. Ils sont plutôt une manière narrative de rendre compte du réel que nous expérimentons chaque jour.
C’est que les hébreux, dit-on, ne conceptualisent pas à notre manière (nous sommes sur ce plan hérités des grecs). Leur intelligence est pratique. Le concept générique/abstrait de « péché » n’existe pas, on emploie plutôt divers mots pour désigner des situations concrètes qui nous empêchent de vivre notre humanité réelle, ce pour quoi nous sommes faits, comme créature, qui n’échappe pas à sa situation de créature.
Ce texte fondateur est donc là pour aider l’Israélite confronté aux religions antiques qui l’entourent, à se situer en tant que croyant du Dieu unique et en tant qu’humain, avec sa vocation particulière, au milieu des cultes païens idolâtres où le serpent et le figuier sont les symboles de puissance, de connaissance et de fertilité (religions dans lesquelles la sexualité était imbriquées et instrumentalisée pour séduire la divinité et capter sa puissance).
Cette confession dit que l’homme n’est pas tout-puissant et qu’il n’a pas accès à l’immortalité (même s’il est acteur, créateur de vie, et c’est cela l’essentiel : l’histoire conclut là-dessus !). Mais l’humain tente toujours de repousser cette limite.
Pourtant l’homme ne sera jamais un dieu ! Y prétendre même, suscite un dérèglement dans tous les domaines (les relations humaines, le socioprofessionnel, l’intergénérationnel, la sexualité, le couple…) : l’humain n’est plus à sa place, il n’est plus « dans son lieu ».
Alors qu’Adam et Eve viennent de céder aux cultes idolâtres de leur temps (représentés par le serpent et le figuier), Dieu leur pose la question « où es-tu ? ». Ce n’est pas que Dieu aurait oublié ses lunettes ! C’est que, voulant se faire dieu, l’homme s’est perdu, il n’est plus dans son lieu, il ne sait plus où il en est, et par conséquent, qui il est.
Vu ainsi, le salut de l’humain est dans la limite. Et Dieu, qui est le Dieu sauveur, pose la limite.
Quand leurs yeux s’ouvrent (3,7), c’est qu’une limite est posée : ils découvrent que l’autre n’est pas soi.
Quand il y a « hostilité » entre le serpent et la femme, c’est qu’il y a une limite : entre le monde animal et le monde des humains (le texte casse ici toutes les mythologies animales païennes).
La douleur et la peine au travail peuvent être lus comme des limites : le travail n’est pas illimité (ce qui se traduira par l’injonction du sabbat) et la différence entre les générations est marquée par la douleur (l’enfant ne sera pas moi-même).
Mais surtout, la limite est posée à l’immortalité en plaçant l’humain hors du champ de l’Arbre de vie. Non pas tant pour le punir mais pour correspondre à ce qu’il est, pour le replacer dans son lieu, pour qu’il soit réellement humain. C’est donc un acte de… salut : l’humain est ainsi replacé dans sa vocation qui est de connaître dans la complémentarité des différences et être ainsi créateur de vie… pour un autre.
Ainsi, la boucle est bouclée. L’humain est arrivé à maturité et même… à la vie, mais une vie qui lui correspond : libre dans ses limites d’humain, et alors créateur de vie.
Mais ce qui est formidable, c’est que Dieu ne se contente pas de replacer l’homme ainsi dans des limites salutaires. Il l’entoure de toute son attention. « Mourir, tu mourras » ? Non ! Dieu ne réalise pas sa menace.
Au contraire, Il vient sans cesse rejoindre l’humain dans sa limite !
- Dans le jardin d’abord : c’est Lui qui entame le dialogue (ce qu’il ne fait pas avec le Serpent par ex) ;
- c’est encore lui qui leur fait des habits en sacrifiant ses créatures animales pour eux ;
- c’est même lui qui se mêle (si je puis dire) à la création des deux premiers enfants d’ « Eve-la vivante » qui déclare dans une formule on ne peut plus ambigüe : « j’ai procréé un humain avec le Seigneur » !
Ainsi, Dieu poursuit son œuvre à la fois créatrice et salutaire en rejoignant sans cesse l’humain « dans son lieu » pour dialoguer avec lui. La vie, c‘est Dieu qui vient à nous, et non nous qui atteignons Dieu.
Les chrétiens verront en Jésus justement, l’acte suprême de Dieu qui vient à nous pour nous apprendre à être humains.
Et de même qu’Eve deviendra la vivante, la résurrection du Christ nous dira que la vie est bien là, en assumant la limite humaine et dans cette limite, en nous laissant rejoindre par Dieu pour être à notre tour créateur… pour d’autres.
La vie est là et non dans les cultes païens de puissance et de fertilité qui ont pris aujourd’hui d’autres formes mais sont toujours très présents dans nos sociétés (instrumentalisant toujours la sexualité, ou la déréglant).
L’enjeu de ce texte pour les rédacteurs du temps de l’exil et après (VIe siècle ?), est de choisir chaque jour dans la réalité douloureuse que nous vivons, entre d’un côté les idoles de puissance (reflet de nos désirs de toute-puissance) et une illusion de connaissance parfaite, et de l’autre le Dieu unique d’Israël, Dieu de Jésus Christ, qui nous apprend à vivre en humains véritables dans ce qui est notre réel, et être créateur de vie pour d’autres.
Ce temps de Pâques où nous méditons sur Jésus Christ ressuscité, nous invite à discerner en nous ce qui relève du serpent et ses illusions, et ce qui relève du Dieu qui donne la Vie.
Lecture de la Bible
Genèse 2:25-4:2
L’homme et sa femme étaient tous deux nus, et ils n’en avaient point honte.
1 Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs, que l’Eternel Dieu avait faits. Il dit à la femme: Dieu a-t-il réellement dit: Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin?
2 La femme répondit au serpent: Nous mangeons du fruit des arbres du jardin.
3 Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n’en mangerez point et vous n’y toucherez point, de peur que vous ne mouriez.
4 Alors le serpent dit à la femme: Vous ne mourrez point; 5 mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et que vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal.
6 La femme vit que l’arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu’il était précieux pour ouvrir l’intelligence; elle prit de son fruit, et en mangea; elle en donna aussi à son mari, qui était auprès d’elle, et il en mangea.
7 Les yeux de l’un et de l’autre s’ouvrirent, ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures.
8 Alors ils entendirent la voix de l’Eternel Dieu, qui parcourait le jardin vers le soir, et l’homme et sa femme se cachèrent loin de la face de l’Eternel Dieu, au milieu des arbres du jardin.
9 Mais l’Eternel Dieu appela l’homme, et lui dit: Où es-tu?
10 Il répondit: J’ai entendu ta voix dans le jardin, et j’ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché.
11 Et l’Eternel Dieu dit: Qui t’a appris que tu es nu? Est-ce que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger?
12 L’homme répondit: La femme que tu as mise auprès de moi m’a donné de l’arbre, et j’en ai mangé.
13 Et l’Eternel Dieu dit à la femme: Pourquoi as-tu fait cela? La femme répondit: Le serpent m’a séduite, et j’en ai mangé.
14 L’Eternel Dieu dit au serpent: Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs, tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie.
15 Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité: celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon.
16 Il dit à la femme: J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi.
17 Il dit à l’homme: Puisque tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé de l’arbre au sujet duquel je t’avais donné cet ordre: Tu n’en mangeras point! le sol sera maudit à cause de toi. C’est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie, 18 il te produira des épines et des ronces, et tu mangeras de l’herbe des champs.
19 C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière.
20 Adam donna à sa femme le nom d’Eve: car elle a été la mère de tous les vivants.
21 L’Eternel Dieu fit à Adam et à sa femme des habits de peau, et il les en revêtit.
22 L’Eternel Dieu dit: Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Empêchons-le maintenant d’avancer sa main, de prendre de l’arbre de vie, d’en manger, et de vivre éternellement.
23 Et l’Eternel Dieu le chassa du jardin d’Eden, pour qu’il cultive la terre, d’où il avait été pris.
24 C’est ainsi qu’il chassa Adam; et il mit à l’orient du jardin d’Eden les chérubins qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l’arbre de vie.
1 Adam connut Eve, sa femme; elle conçut, et enfanta Caïn et elle dit: J’ai acquis un homme de par l’Eternel.
2 Elle enfanta encore son frère Abel. Abel fut berger, et Caïn fut laboureur.