Devenir Théophile, l’ami de Dieu
Luc 1:1-4
Culte du 18 novembre 2012
Prédication de pasteur James Woody
(Luc 1:1-4)
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Culte du dimanche 18 novembre 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, qui est ce Théophile à qui s’adresse le rédacteur de cet évangile ? Probablement pas une personne en particulier, mais celui que l’évangéliste veut faire naître en écrivant pour lui. Théophile, c’est, en grec, celui qui aime Dieu. Théophile est l’ami de Dieu. Théophile, c’est donc toute personne qui veut revendiquer une intimité avec Dieu. Cet évangile a donc pour but de faire du lecteur un ami de Dieu, de faire naître un croyant en l’Eternel. Et ces premiers quotes forment le mode d’emploi pour mettre au monde un croyant, ce que nous allons observer attentivement. Le mode d’emploi met en évidence trois étapes qui sont trois déplacements.
La première étape est de découvrir qu’avant moi, il y a le texte. Là où nous pourrions penser que pour être croyant il suffit d’aller chercher au fond de soi la foi que Dieu a placée, l’évangéliste propose de nous référer à un texte, celui qui est en train de s’écrire sous nos yeux. Luc, comme l’ensemble des auteurs bibliques, ne sait pas qu’il est en train d’écrire la Bible. Ce n’est que bien des années plus tard, que des croyants se rassembleront pour convenir que certains textes ont une autorité particulière en matière de foi. Pour l’heure, l’évangéliste compose un texte qui va permettre à ses futurs lecteurs de se rapprocher de Dieu. Il écrit un texte pour porter à notre connaissance des éléments qui nous permettront de mieux faire connaissance du divin, considérant qu’en Jésus-Christ nous pouvons découvrir ce qu’est la vie en Dieu, mieux que par toute autre méthode. Selon Luc et les autres auteurs bibliques, il ne suffit de s’en remettre à son sentiment religieux. Un texte est nécessaire pour faire le tri dans nos idées religieuses, dans nos images de Dieu, dans notre conception de la vie vécue selon l’espérance de Dieu.
La première étape, c’est de distinguer Théophile d’Egophile, celui qui s’aime tellement qu’il pense qu’il n’a besoin de personne d’autre pour savoir qui est Dieu. Luc pose que la connaissance de Dieu ne peut pas se faire uniquement par une introspection, ni par l’étalage de ses idées personnelles. Il faut sortir de ses schémas personnels et se confronter à un texte, en l’occurrence le texte biblique, qui n’est pas notre propre production, pour avoir accès à Dieu. Cette première étape, qui nous invite à ne pas devenir Egophile, nous met sur la voie d’un apprentissage du monde qui a besoin de savoirs et de connaissances qui ne se résument pas à ce que je sais ou ce que j’imagine savoir. Tout apprentissage gagne à être informé par l’extérieur. Vous parlerez d’autant mieux le français que vous aurez lu de nombreuses pages écrites en cette langue. Vous en saurez bien plus sur l’univers en ayant consulté des articles écrits par des astrophysiciens. Vous en saurez bien plus sur la vie et donc, vous aimerez bien plus la vie, en ayant lu la Bible.
Pas de bibliophilie
Mais on ne peut pas vivre non plus le nez sur un livre, fût-ce la Bible. La vie véritable ne consiste pas à s’enfermer dans un livre. Et, d’ailleurs, l’évangéliste Luc nous met en garde contre un tel penchant en nous rappelant qu’il y a un au-delà du texte biblique. En effet, avant la Bible, il y a la chaîne de témoins qui rend le texte possible. Car la Bible ne tombe pas du ciel. Il y a des hommes, des femmes, aux prises avec la vie, qui témoignent de leurs questions, de leurs problèmes, des chemins qu’ils ont empruntés pour atteindre une vie plus heureuse, plus intéressante. D’ailleurs, il est intéressant de relever que Luc mentionne que le texte qu’il écrit est le résultat de la transmission faite par ceux qui ont été des témoins oculaires. Luc n’a pas vu Jésus. Il n’était pas là au moment des faits qu’il va raconter. L’évangile n’est donc pas un témoignage direct. La Bible n’est donc ni la parole de Dieu telle quelle, ni un récit contenant tous les détails de ce qui s’est passé. Il ne s’agit donc pas d’être Bibliophile, mais bien Théophile. Luc nous renvoie au-delà des quotes qui ne sont que des traces du divin croisant l’histoire de l’humanité.
Luc se met à écrire après avoir rassemblé divers témoignages, divers récits ou, pour suivre le texte grec, diverses diègésis. C’est un mot dont la racine donnera le terme exégèse qui signifie « conduire hors de ». Ici le préfixe n’est pas « ex », mais « dia », qui signifie à travers. Quand Luc parle de récits, il parle de texte qui « conduisent à travers »… à travers les événements, à travers les mots prononcés au moment des faits. Ce sont des récits qui se fraient un chemin à travers l’histoire. Ce sont des récits qui ne sont pas l’histoire telle quelle, mais un cheminement à travers cette histoire. Ce sont donc des récits qui ont fait des choix, qui retiennent certaines paroles et qui en laissent d’autres. Ce sont des récits qui retiennent certains épisodes et qui en laissent d’autres. Des choix sont faits, d’autres auraient pu tout aussi bien être faits. D’autres manières de raconter les faits existent, Luc le dit bien et, en écrivant, il ajoute un texte aux autres textes qui existent déjà, probablement l’évangile selon Marc, probablement l’évangile selon Thomas qui ne sera pas retenu dans la Bible, et d’autres textes encore.
La chaîne des témoins qui conduisent à la rédaction du texte de Luc est bien plus riche que le texte de Luc, car il n’est pas possible d’être l’intégralité d’une histoire, comme il n’est pas possible d’établir une carte topographique à l’échelle 1:1, comme il n’est pas possible de dire qui est vraiment quelqu’un sur une carte d’identité. Nous faisons des choix, nous gardons ce qui nous semble le plus important, ce qui va nous permettre de faire comprendre le plus clairement possible ce que l’on souhaite exprimer. Le texte biblique est une diègésis qui renvoie à plus que le texte ne peut contenir. Il renvoie à un univers de sens que le lecteur doit s’efforcer de rejoindre s’il veut devenir Théophile et ne pas rester Bibliophile. Cela vaut tout autant pour ceux qui veulent être médecin et qui ne doivent pas se contenter de lire un manuel de médecine. De même qu’il n’est pas suffisant de lire L’art de la guerre de Sun Tzupour devenir un stratège aguerri et que ce n’est pas en étudiant, seulement, un manuel tel que Comprendre la poésie par J. Evans Pritchard (auteur fictif dans Le cercle des poètes disparus) que l’on devient poète soi-même. En effet, on peut tout savoir sur la Bible et n’avoir rien à vivre, parce que le texte ne devient qu’un objet qui ne renvoie plus qu’à lui-même. Il cesse d’être le symbole qui nous renvoie à l’expérience de la vie qu’il pourrait nous faire découvrir en devenant un objet clos et donc muet. Etre fidèle à la Bible, telle que nous la voyons se constituer dans ces quotes, c’est consentir à ce qu’elle est : un témoignage de foi qui appelle à la foi et non une idole à adorer.
Pas d’ecclésiophilie
Après avoir dépassé notre ego, après avoir dépassé le texte, il nous faut à présent dépasser la communauté de ceux qui ont assuré la transmission, pour rejoindre ce qui est le cœur même de ce processus d’écriture : ces événements qui sont « à l’origine » et que Luc nomme, dans la langue qu’il utilise, des « pragmata » qui donne en français pragmatique. Rappeler qu’il y a un au-delà de la communauté des témoins, un au-delà de l’Eglise qui est constituée par ceux qui ont été interpelés par ces événements, c’est dire qu’il ne faut pas faire de l’Eglise le point final de notre quête. Il s’agit bien d’être Théophile et non Ecclésiophile. Aucun groupe ne peut prétendre s’assimiler au divin. Aucun groupe ne peut prétendre détenir l’intégralité de la vérité. Aucun groupe ne peut prétendre à l’universalité. Dans le geste lucanien d’ajouter un texte aux textes déjà existants, de reconfigurer la tradition reçue de ces groupes de personnes qui forment les débuts du christianisme, il y a la conviction que l’Evangile dépasse largement toute institution, même celle des témoins oculaires. Nous ne sommes pas Dieu, la Bible n’est pas Dieu, l’Eglise n’est pas Dieu. Dieu est au-delà, discernable dans les pragmata, dans les actes, dans les événements qui ont lieu parmi les hommes, « parmi nous ». Pour rejoindre Dieu, pour devenir l’ami de Dieu, il faut donc un triple exode, comme pour Abraham (Gn 12), dont l’épître de Jacques dit, justement, qu’il était l’ami de Dieu (Jc 2/23) : il faut quitter ses certitudes personnelles, son imaginaire, ses idées familières. Il faut quitter aussi ses certitudes bibliques qui tiennent lieu de patrie, de havre de paix, de bulle dans laquelle on s’enferme. Il faut, enfin, quitter son pays, abandonner la certitude du sol, la communauté douillette qui connaîtrait immanquablement l’alpha et l’oméga de toute chose. Il faut ce triple exode pour aller au-delà du désert de sa propre idéologie, pour aller au-delà de l’aridité d’un texte sacralisé au point d’en être devenu stérile, pour aller au-delà de la sécheresse d’une communauté qui se pense comme l’ultime de la vie. Il faut ce triple exode pour nous rendre vers cette terre inconnue, cette terre promise où la vie est féconde. Voilà l’invitation au voyage que nous propose l’évangéliste Luc et les autres auteurs bibliques avec lui.
Bonne lecture !
Lecture de la Bible
Luc 1:1-4
1 Plusieurs ayant entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, 2 suivant ce que nous ont transmis ceux qui ont été des témoins oculaires dès le commencement et sont devenus des ministres de la parole, 3 il m’a aussi semblé bon, après avoir fait des recherches exactes sur toutes ces choses depuis leur origine, de te les exposer par écrit d’une manière suivie, excellent Théophile, 4 afin que tu reconnaisses la certitude des enseignements que tu as reçus.