Des brebis & des boucs, ou qu'est-ce qui est gardé en chacun ?

Matthieu 25:31-46

Culte du 11 novembre 2007
Prédication de pasteur Marc Pernot

Culte à l'Oratoire du Louvre, le 11 novembre 2007
par le pasteur Marc Pernot

Ce texte se prête à des théologies et à des usages bien éloignés de l'Évangile s'il est lu un peu superficiellement.

Ou plus exactement ce texte a été utilisé pour faire peur, donnant une image de Dieu assez terrible, triant entre les personnes comme un officier SS pour séparer les personnes destinées à l'extermination et celles pouvant être utile à quelque chose.

Cette lecture ne devrait pas être possible quand on a lu l'Évangile en entier, quand on y a vu l'attitude de Jésus envers les autres, même les méchants et les pécheurs, les trop religieux comme ceux qui ne le sont pas assez... On sait alors que Dieu est amour et qu'il aime chacun de ses enfants, même s'il est son ennemi (Mat 5:44). C'est ça l'Évangile. Alors, comme le dit l'apôtre Paul, en Christ nous ne sommes vraiment plus sous la crainte de Dieu, car l'amour parfait de Dieu chasse toute crainte (Rom. 8).

Mais si on lit cet enseignement de Jésus en faisant attention à ce qui est réellement dit, on voit qu'il n'est absolument pas question de jeter la moindre personne dans les poubelles de l'enfer, au contraire.

En effet qu'est-il réellement marqué dans ce texte ?

  • Jésus dit que celui qui a donné ne serait-ce qu'un verre d'eau à quelqu'un dans sa vie sera accueilli à sa grande surprise dans le Royaume de Dieu.
  • Et que celui qui a négligé une fois de donner un verre d'eau sera jeté dans le feu éternel.

Il est clair que toute personne est concernée à la fois par les deux cas de figures. La brebis et le bouc sont intimement mêlés en chacun de nous. La seule compréhension possible de ce texte est que le jugement de Dieu est une purification de chaque personne, gardant le meilleur de chacun et écartant le pire. Le jugement de Dieu, c'est un amour actif qui garde le meilleur et qui rend meilleur, ce n'est pas un jugement qui sélectionnerait telle personne et rejetterait telle autre.

C'est aussi une question de choix, puisque Dieu aime, il ne pourra jamais se résoudre à rejeter quelqu'un. C'est évident si l'on fait attention à la façon d'être de Jésus, confirmée, par exemple, par la célèbre parabole de la brebis perdue mais aussi par bien d'autres annonçant que Dieu garde chacun.

Le jugement de Dieu c'est donc l'amour. Évidemment. Dans ce texte, nous voyons que le bien, c'est de nourrir, visiter, libérer même le plus petit, le plus misérable. Dieu est le premier et sans doute le seul à vraiment agir comme cela puisque Dieu est le bien ultime. Par conséquent, même si quelqu'un était incapable de faire ne serait-ce qu'un seul minuscule acte de bonté durant toute sa vie, il serait le plus petit des petits dont parle ici Jésus, il serait étranger à Dieu et prisonnier du péché... Si une telle personne championne du monde dans la catégorie des boucs existait, Dieu ferait ce qui est dit ici, et il se précipiterait pour visiter ce plus petit et tenter de l'aider. Et même si cet homme persistait à ne pas accepter sa nourriture, sa libération et son accueil, jamais Dieu ne cesserait de visiter, de proposer, de pardonner, et d'ouvrir sa porte.

Enfin et surtout, Dieu a choisi de "nous garder" fidèlement, il le promet dans maintes bénédictions de la Bible. Il gardera donc chacun puisqu'il l'a décidé.

Le jugement de Dieu c'est donc l'amour. Et ce jugement est un service excellent à recevoir dès aujourd'hui : il nous offre d'être débarrassé de ce qui est bouc en nous, pour que le meilleur de nous-même, la brebis, puisse s'épanouir. C'est une belle promesse, et c'est même plus qu'une promesse, c'est un service dont nous pouvons faire l'expérience un peu plus chaque jour.

À chacun de se poser la question pour lui-même. Par quel bouc encombrant les profondeurs de notre être pourrions-nous être ainsi libéré par Dieu aujourd'hui ?

Mais il y a un autre écueil dans ce texte difficile :

2°) Le danger du moralisme.

C'est certainement une bonne idée de rendre service à ceux qui en ont besoin, notre cœur, notre intelligence et bien des philosophies s'accordent à nous le faire savoir. Mais on ne peut pas dire que la clé de la vie éternelle serait d'être serviable. Ce serait épouvantable de dire cela, car alors quel jugement serait porté sur un handicapé, sur un nourrisson, ou sur une personne en détresse ?

L'Évangile ne dit pas cela. Ce qu'il nous dit, c'est que notre dignité nous est offerte de plein droit par Dieu lui-même, qui nous considère a priori et nous considérera toujours comme son enfant bien aimé. Nous n'avons donc pas à mériter notre droit de vivre, ni en ce monde, ni dans l'autre monde. Quelqu'un qui ne serait pas très performant sur le plan du service des autres, ou de la théologie, ou même de la foi ne sera pas rejeté par Dieu pour autant.

Nous-mêmes avec notre amour limité sommes capables de cela. Cette semaine, sur un faire part de décès d'une personne handicapée mentale j'ai vu que son père avait marqué "toute vie est une lumière". Un père peut aimer ainsi chacun de ses enfants sans condition de performances, Dieu aussi le fait.

La question est alors de comprendre ce que Dieu recueille, quelle est cette brebis que Dieu garde, selon Jésus ?

Qu'est-ce, donc, qui est gardé ?

La clef, pour être compté parmi les brebis, nous dit ce texte c'est (Mat 25:34-36):

  • de donner à manger au Christ quand il a faim,
  • de lui donner à boire quand il a soif,
  • d'accueillir le Christ en nous quand il est étranger à notre vie,
  • c'est d'aller voir le Christ quand il est prisonnier de notre troupeau de boucs, ou malade.

Car c'est vraiment cela le critère donné ici par Jésus. Ce qui compte en chacun de nous, c'est cet élan pour accueillir, nourrir, visiter, soigner... le Christ.

Plusieurs questions se posent. Toujours cette question de savoir ce qui nous attend si nous ne faisons pas ou n'arrivons pas à faire ce qui est proposé. Mais d'abord nous pouvons nous demander qu'est-ce que cela veut dire de soigner ainsi le Christ, et comment nous le faisons aujourd'hui concrètement. C'est ce qu'explique Jésus : “ Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites. ” (v. 40)

C'est déjà plus facile que de soigner un Jésus qui n'est plus là, mais cela repousse le problème, qui sont ces “ plus petits d'entre les frères du Christ ” qu'il faudrait aider ? Jésus ne nous dit pas de nourrir, visiter, libérer notre prochain, ou nos frères et sœurs à nous, ce qui est évidemment une bonne idée, mais c'est une autre question. Ici Jésus ne nous dit pas d'aider nos frères, mais ses frères à lui. Or, nous savons ce que Jésus entend par "mes frères et sœurs" d'après un autre passage de ce même évangile selon Matthieu : c'est celui qui écoute la Parole de Dieu et qui fait sa volonté. (Mat. 12:49-50) Là encore, il est utile de noter que personne ne le fait à 100%. La question c'est donc de reconnaître en chacun ce qui est de l'ordre du Christ. La question, c'est de reconnaître et d'aider cette dimension parfois invisible de quelqu'un qui en fait une personne capable d'aimer, ou du moins appelée par Dieu à aimer.

En effet, Jésus est Christ avant même d'avoir accompli sa fonction de salut pour l'humanité. Être Christ, ce n'est pas un titre donné a posteriori comme une légion d'honneur, mais c'est un nom, une vocation donnée par Dieu comme à Jésus à son baptême "Celui-ci est mon fils bien aimé en qui je place toute mon affection".

Toute personne est pour Dieu un enfant qu'il aime et à qui il adresse une vocation, en chacun, il y a donc un petit, parfois tout tout petit frère ou sœur du Christ, au moins comme une espérance, comme une vocation, puisqu'il est aimé et a été appelé par Dieu à être d'une certaine façon un petit peu source de lumière et de vie.

Même le handicapé mental le plus profond, même le nourrisson le plus immature, même le fou le plus aliéné ont quelque chose du Christ en eux, quelque chose à garder éternellement. Quelque chose qui donne à chacun, par grâce, une dignité infinie, une vocation qui fait qu'en puissance, il est et demeurera toujours, aux yeux de ceux qui aiment, un petit frère ou une petite sœur du Christ.

Servir les petits d'entre les frères du Christ ce n'est donc pas donner seulement un coup de main aux chrétiens (ce n'est absolument pas le style de Jésus). Mais c'est faire comme Dieu lui-même le fait en Christ, c'est garder de toute façon, et chercher à réveiller le meilleur de chacun, à nourrir ce meilleur, à le visiter, le soigner, le libérer.

Ce qui nous est demandé est donc une tâche bien plus difficile encore que la sage petite morale que l'on est parfois tenté d'entendre en première lecture de cette parabole, du genre : l'essentiel, ce serait d'aider les autres. Alors que l'essentiel, c'est d'être, comme Christ (mais à notre mesure), source de résurrection.

La venue de la gloire de Dieu et de ses anges

Comment ferons-nous donc ce prodige de nourrir, libérer, ressusciter le Christ en l'homme ?

C'est ce que dit Jésus dans les premiers mots de sa prédication : “ Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il s’assiéra sur le trône de sa gloire. Toutes les nations seront assemblées devant lui. Il séparera les uns d’avec les autres, comme le berger sépare les brebis d’avec les boucs. ”

La “ gloire de Dieu ” désigne une chose claire pour les gens qui écoutent Jésus, c'est comme ça que la Bible parle de la présence de Dieu qui libère les hébreux de l'esclavage en Égypte, les guidant dans le désert, les nourrissant et leur donnant de l'eau afin de les amener jusqu'au lieu de la promesse. Cette "gloire" c'est donc la présence agissante de Dieu pour nous et en nous, on peut l'appeler le Saint-Esprit, si vous préférez, c'est bien de cela dont il est question ici.

Toute la question est donc de recevoir cette dynamique de vie qu'est Dieu, c'est lui qui fera le ménage en nous de ce qui reste de boucs, et qui nourrira nos brebis. C'est cette dynamique d'évolution qui fera naître et grandir notre capacité à aimer et à être à notre tour pour l'autre une présence qui aime, qui purifie, qui nourrit le meilleur, et qui l'appelle à se lever.

La clé, c'est donc d'attendre la venue du fils de l'homme en nous, la venue de quelque chose de vraiment humain en nous grâce à Dieu.

Cette attente n'est plus faite pour durer, puisqu'en Christ, les temps sont accomplis. D'ailleurs, ce n'est pas un futur qu'il y a dans le texte grec "Lorsque le Fils de l'homme viendra", mais un subjonctif, ce que l'on peut traduire par : "Chaque fois que le Fils de l'Homme vient dans sa gloire" : dans la mesure où le Dieu vous visite par sa présence aimante et créatrice pour nous donner la vie

Cette vie éternelle qui est promise, elle est pour aujourd'hui. Cette vie, c'est ce qui est de l'ordre du Fils de l'Homme en nous, ce fils ou fille d'Adam tout simple et tout ordinaire que nous sommes, mais aimé par Dieu et rendu vivant par cet extraordinaire dynamique qu'est la présence créatrice de Dieu dans le plus petit de ses enfants.

Ne sentez-vous pas que cela est en vous ?

Amen


P.S. Les chrétiens des tout premiers siècles du christianisme nous ont laissé, dans les catacombes de Rome, le dessin ci-dessous représentant le Christ en berger.

  • Il a à ses pieds une brebis et un bouc, ce qui ne peut en faire autre chose qu'une illustration de cette parabole du jugement des nations (Matthieu 25:32).
  • Mais en même temps, on remarque que le berger porte sur ses épaules un bouc. L'auteur de ce dessin associe donc à cette parabole du jugement des nations une autre parabole bien connue, celle du berger cherchant et sauvant la brebis perdue (Mattieu 18:12-15).

Cette association propose ainsi une lecture de la parabole de Matthieu 25 comme annonçant la grâce infinie de Dieu qui va même jusqu'à sauver celui qui apparaît à nos yeux tout à fait comme un bouc. Mais Dieu regarde au cœur, ou plutôt, dans son amour il regarde le bouc que nous sommes comme sa brebis bien aimée.

Lecture de la Bible

Matthieu 25:31-46

Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il s’assiéra sur le trône de sa gloire. 32 Toutes les nations seront assemblées devant lui. Il séparera les uns d’avec les autres, comme le berger sépare les brebis d’avec les boucs; 33 et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche.

34 Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, vous qui êtes bénis de mon Père; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde. 35 Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli; 36 j’étais nu, et vous m’avez vêtu; j’étais malade, et vous m’avez rendu visite; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi.

37 Les justes lui répondront: Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, et t’avons-nous donné à manger; ou avoir soif, et t’avons-nous donné à boire? 38 Quand t’avons-nous vu étranger, et t’avons-nous recueilli; ou nu, et t’avons-nous vêtu? 39 Quand t’avons-nous vu malade, ou en prison, et sommes-nous allés vers toi?

40 Et le roi leur répondra: Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites.

41 Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche: Retirez-vous de moi, maudits; allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. 42 Car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire; 43 j’étais étranger, et vous ne m’avez pas recueilli; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas rendu visite.

44 Ils répondront aussi: Seigneur, quand t’avons-nous vu ayant faim, ou ayant soif, ou étranger, ou nu, ou malade, ou en prison, et ne t’avons-nous pas assisté?

45 Et il leur répondra: Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous n’avez pas fait ces choses à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne les avez pas faites. 46 Et ceux-ci iront au châtiment éternel, mais les justes à la vie éternelle.