De quel amour pouvons-nous aimer ?

Jean 15:1-17 , Matthieu 5:44-45

Culte du 26 décembre 2010
Prédication de pasteur Marc Pernot

( Évangiles selon Jean 15:1-17 et Matthieu 5:44-45 )

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Culte du dimanche 26 décembre 2010 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot

Comment l’Évangile peut-il nous commander d’aimer ? Comment se forcer à aimer son ennemi ?

Pour le comprendre il nous faut reprendre la distinction, que vous connaissez peut-être déjà, entre deux mots grecs différents utilisés dans les évangiles pour parler de l’amour.

  • Il y a l’agapè, comme dans ces commandements du Christ « aimez vos ennemis » (Matthieu 5 :44) ou « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé »(Jn 15:9).
  • Et il y a l’amitié, la philia, comme quand Jésus nous dit : « vous êtes mes amis »(Jn 15:14)

On peut lire un petit peu partout, dans les commentaires de la Bible et les prédications, que l’agapè est l’amour supérieur à tous les autres, que l’agapè est l’amour qui est la vie de Dieu en nous… Cela me semble un peu simple, cela me semble même déresponsabilisant.

Au contraire, il me semble que l’agapè est à notre portée, c’est pour cela que le Christ se permet de nous commander d’aimer de cet amour-là. Et il me semble que c’est la philia, l’amitié, qui est proprement divine, que c’est elle qui est de l’ordre de la grâce de Dieu, que c’est la philia qui est au-dessus de tout.

Regardons d’abord ce fameux agapè dont le Christ nous commande d’aimer notre prochain et même nos ennemis ! C’est finalement très simple, très concret. L’apôtre Paul explique : « si ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s’il a soif, donne-lui à boire »(Romains 12 :20). En général, c’est quand même faisable, non ? Aimer d’agapè, c’est ça. Sauf dans des cas extrêmes, faire un geste est à notre portée. Prenons par exemple un professeur, il peut y avoir des élèves qui lui sont peu sympathiques, que ce soit pour des raisons objectives, à cause de leur comportement, ou pour des raisons obscures et plus ou moins inconscientes. Le professeur doit néanmoins s’occuper au mieux de ces élèves, c’est son devoir, et la plupart des professeurs le fait très bien.

Ensuite, bien entendu, nous faisons ce que nous pouvons et nos forces sont limitées. C’est vrai que nous n’avons pas très envie de chercher à faire du bien à notre ennemi, mais c’est à notre portée de faire un geste, au moins essayer un peu de lui faire du bien. Sinon, nous pouvons au moins prier pour lui, comme nous le conseille Jésus dans son « sermon sur la montagne ». Prier pour la personne qui ne nous aime pas et qui nous a fait du mal, ce n’est quand même pas impossible à faire, si ? On s’isole un petit peu, on pense à Dieu, à ce qu’il est, à ce qu’il a fait, à ses qualités. On y pense quelques minutes, et puis hop, sans transition, on pense à celui qui est une pierre dans notre cœur. On y pense, en évitant si possible de lui vouloir du mal, on pense à lui, simplement. Jésus nous propose de prier « pour » celui qui nous fait du mal, « en faveur » de lui. Bon, ça nous demande un petit effort, mais c’est quand même faisable, ça ne l’améliorera peut-être pas mais au moins, nous, avons là une chance d’être un peu libéré. Et peut-être que nous pourrons ensuite tenter de lui faire du bien directement, au risque de prendre encore une fois un coup.

Cette façon d’aimer d’agapè, c’est ce que Jésus nous propose aussi dans cette allégorie de la vigne et du vigneron de Jean 15. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé », nous dit-il juste après nous avoir expliqué que sa vocation était d’être comme un pied de vigne pour les branches, c’est-à-dire de porter de la sève pour aider l’autre à pousser. Et Jésus insiste : je ne suis pas le vigneron, ce n’est pas à moi de tailler la vigne, mais à Dieu lui-même, et à Dieu seul. Ma vocation, nous dit-il, et donc la vôtre en vous aimant mutuellement d’agapè, c’est une mission plus simple : c’est simplement d’offrir un peu de sève pour que l’autre puisse se développer. C’est un petit geste, peut-être, une petite parole, voire seulement une petite prière. L’autre peut refuser le geste. Ce serait dommage de sa part mais c’est son problème, son choix ou sa maladie, peut-être. Jésus, nous propose d’aimer ainsi. D’aimer d’agapè.

C’est vrai qu’il y a aussi de mauvaises choses à enlever dans l’autre pour qu’il aille mieux et qu’il fasse moins de mal autour de lui. Mais ce n’est pas notre boulot. De nombreuses paroles de Jésus nous le rappellent (la paille et la poutre (Mt 7:3), la parabole de l’ivraie dans le bon champ (Mt 13:29)…). Chacun sa mission, et se prendre pour Dieu n’est pas tellement un bonne idée (pour notre santé mentale et pour notre entourage).

Jésus nous commande d’aimer d’agapè, en étant une offre de service pour l’autre. Il nous commande aussi de nous laisser aimer d’agapè et de saisir les occasions que nous offrent les autres de progresser nous-mêmes, et ainsi de « nous aimer mutuellement les uns les autres comme il nous a aimé ».

« aimer » d’agapè est ainsi un « commandement » de Jésus. C’est simple, c’est concret, c’est efficace. Et le pire, c’est que c’est à notre portée, sauf circonstances exceptionnelles. Nous sommes disciples de Jésus, et bien essayons ces gestes simples avec nos proches, avec ceux qui nous sont confiés pour que nous les aimions, avec ceux qui nous sont confiés parce qu’ils nous ont fait du mal. Et si nous avons failli dans la journée à ce commandement de l’agapè (cela nous arrive bien sûr à tous), que le soleil ne se couche pas sans que nous ayons prié pour notre ennemi du jour, et demandé à Dieu de nous aider à avancer. Cette petite prière de repentance, ce n’est quand même pas un exploit non plus, si ?

La loi que propose ici Jésus à ses disciples est donc finalement assez simple. C’est aimer d’agapè.

Mais ce texte va plus loin. Et les choses se compliquent. Jésus parle de l’amitié, de l’amour philia. Et ça, c’est autrement plus compliqué.

L’amour filia (philia)

Avoir de l’amitié, ça ne se contrôle pas. L’amitié, cela n’a plus rien à voir avec cette attitude du professeur qui va s’occuper de chacun des enfants même de celui dont la tête ne lui revient pas. Aimer d’amitié est une grâce, c’est se réjouir de faire une bonne surprise à l’autre, c’est avoir le cœur qui saigne quand l’ami manque de quelque chose. Et ça, oui, ça ne se commande pas. C’est formidable quand nous pouvons ressentir cela, se sentir aimé ainsi ou bien sentir que l’on aime ainsi, avec cette pureté de sentiments, avec cette gratuité, avec cette générosité de l’amitié. Là, oui, nous nous pouvons alors, sans nous forcer, aimer encore notre meilleur ami même quand il nous a blessé, continuer à l’aimer, continuer à le respecter et à lui vouloir du bien même quand il nous a blessé.

La bonne nouvelle de l’Évangile du Christ, c’est que Dieu nous aime d’amitié. Il nous aime de cet amour qui est au-delà du simple devoir, un amour enraciné dans le cœur et dans les tripes, pas seulement dans la tête. Un amour fondé sur la grâce et non sur le devoir.

C’est ce lien d’amitié qui permet à Dieu d’être notre vigneron et de pouvoir nous élaguer de ce qui nous fait souffrir et de ce qui est mauvais en nous. Car quand c’est un véritable ami qui nous ouvre les yeux sur nous-même, nous sentons bien que c’est par amour qu’il a parlé, qu’il fait cet effort de sincérité pour nous faire du bien, avec affection, avec tendresse, avec confiance. Et alors, même les reproches peuvent nous aider vraiment sans qu’ils nous atteignent dans le sentiment de notre dignité, de notre valeur.

Nous pouvons, nous devons aimer d’agapè notre prochain. Nous n’avons pas à culpabiliser si nous n’avons pas d’amitié pour telle ou telle personne. Personne ne peut nous demander ça, et Dieu ne nous le demande pas.

Dieu nous aime d’un amour agapè, certes, à un degré que nous ne pourrons bien évidemment jamais atteindre, comme un éducateur d’une compétence infinie s’occupe de chacun des enfants qu’il a la mission de former. Mais Dieu nous aime également d’un amour philia. Nous pouvons compter sur Dieu comme nous pourrions compter sur le meilleur des amis, le plus fidèle des amis. C’est cela que nous montre Jésus-Christ.

Il n’y a pas de plus grand amour que cet amour-là, nous dit-il. Cet amour peut aller jusqu’à donner sa propre vie pour son ami, et Jésus sait très bien de quoi il parle. Cet amour philia va jusqu’à dire les choses franchement, et c’est ainsi que Jésus annonce aux disciples qu’il leur a révélé tout ce qu’il savait de Dieu. On sent comme un scrupule dans cette remarque de Jésus, comme s’il avait pris des risques en le faisant. Et c’est vrai. En révélant que Dieu nous aime d’amour philia et non seulement d’amour agapè, Jésus se prive, en tant qu’éducateur, d’absolument tout moyen de pression, de toute menace, de toute punition possible. Dorénavant, nous n’aurons plus aucune raison d’avoir peur de Dieu. Un ami est un ami, et quand on a un véritable ami, on a confiance. On sait que même s’il arrivait qu’on le déçoive, l’amitié sera plus forte, on pourra compter sur lui, on sait même qu’il donnerait sa vie pour nous. « L’amour parfait rend impossible la crainte »(1Jo 4:18, Ro 8:15) nous disent les apôtres.

Jésus prend donc des risques en disant et en montrant que Dieu ne nous aime pas seulement de l’amour agapè mais qu’il nous aime comme un véritable ami. Quel éducateur prendrait ce risque de dire aux élèves : quoi que vous fassiez vous ne serez jamais ni chassé de l’établissement ni puni, vous serez toujours admis à poursuivre votre cursus, quoi qu’il se passe vous serez estimé, reconnu, choyé comme faisant partie de l’élite, car vous avez déjà été reçus, sélectionnés, diplômé. C’est pourtant ce que fait Jésus : « vous avez déjà été choisis », nous dit-il !

Alors oui, si nous suivons sa parole après son témoignage, ce ne sera plus comme un serviteur qui obéit à un ordre, en espérant une récompense et en craignant une sanction en cas de résultats insuffisants.

Maintenant donc, si nous suivons les paroles du Christ, ce sera parce que nous l’aimons, lui, le Christ, le sauveur que Dieu nous a envoyé pour nous montrer combien Dieu nous aime. En ami. Et cela change profondément la nature même de la façon dont nous obéirons à son commandement d’aimer, ce petit geste d’agapè que nous pourrons avoir pour notre prochain qui, lui, ne nous est pas forcément très sympathique et qui nous a peut-être blessé. La source de ce geste d’agapè sera alors le bénévolat, et cela se sent. Alors que si ce geste était basé sur la crainte de Dieu, notre geste d’agapè serait encore de l’égoïsme, et l’autre le sentira très bien.

Il me semble donc dangereux de surévaluer l’amour agapè et d’en faire quelque chose de divin, quelque chose qu’il faudrait que Dieu nous mette dans le cœur pour que nous en soyons capables. Car alors, devant telle personne pénible nous aurions beau jeu de penser (plus ou moins inconsciemment), je n’arrive pas à avoir un geste, je n’arrive même pas à prier pour lui, ce n’est pas ma faute, je ne le sens pas. Mauvaise excuse : il n’est pas question de savoir si ça nous amuse, mais de faire un geste positif pour l’autre. C’est à notre portée de le faire, le Christ nous dit que c’est une bonne idée de le faire, alors si nous aimons le Christ, si nous lui faisons confiance, faisons le geste que nous voulons, mais faisons un geste. Ce n’est pas de la soumission, c’est de la cohérence. C’est la règle du jeu. Si on n’aime pas l’idée de taper dans une balle avec une raquette, on ne joue pas au tennis. Et nous, nous avons choisi comme règle d’essayer l’agapè car nous aimons Jésus-Christ.

Par contre, oui, avoir un cœur qui aime d’une réelle amitié les personnes qui nous entourent, là, c’est autre chose. Pour progresser dans ce domaine, nous ne pouvons pas nous forcer, nous pouvons juste le recevoir de Dieu comme une dimension nouvelle. Il peut nous donner ce cœur de chair. Et pour notre prochain qui trop souvent, c’est vrai, n’est pas si sympathique que ça, cette amitié vraie nous donnera d’avoir un geste, une parole venant du cœur. Et ce sera parfois une vraie source de résurrection.

Amen.

Lecture de la Bible

Matthieu 5 :44-45

Jésus dit à ses disciples : « moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. »

Jean 15:1-17

Je suis le vrai cep, et mon Père est le vigneron.

2 Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranche; et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, afin qu’il porte encore plus de fruit.

3 Déjà vous êtes purs, à cause de la parole que je vous ai annoncée. 4 Demeurez en moi, et je demeurerai en vous. Comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s’il ne demeure attaché au cep, ainsi vous ne le pouvez pas non plus, si vous ne demeurez en moi.

5 Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire. 6 Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors, comme le sarment, et il sèche; puis on le ramasse, on le jette au feu, et il brûle.

7 Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé. 8 Si vous portez beaucoup de fruit, c’est ainsi que mon Père sera glorifié, et que vous serez mes disciples.

9 Comme le Père m’a aimé, je vous ai aussi aimés. Demeurez dans mon amour.

10 Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, de même que j’ai gardé les commandements de mon Père, et que je demeure dans son amour.

11 Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite.

12 C’est ici mon commandement: Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés.

13 Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. 14 Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. 15 Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père.

16 Ce n’est pas vous qui m’avez choisi; mais moi, je vous ai choisis, et je vous ai établis, afin que vous alliez, et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure, afin que ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne.

17 Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres.

 

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