Dans l’abondance et dans le deuil

Ruth 1:1-22

Culte du 4 novembre 2012
Prédication de pasteur Marc Pernot

(Ruth 1:1-22)

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Culte du dimanche 4 novembre 2012 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot

Je vous propose de lire cette belle page de la Bible comme une méditation sur le deuil, deuil d’une situation d’abondance comme le dit Naomi (v. 21), deuil de leur santé, deuil de leurs proches, deuil de leur projet de vie et de liens d’affection. Ces pages nous proposent des pistes pour avancer dans nos situations difficiles.

Vers la fin de ce texte, nous voyons Naomi jouer sur le sens de son nom propre, ce qui nous donne une clef utile pour comprendre de quoi parle ce texte. Nous devrons donc faire un peu d’hébreu ce matin. Les noms propres servent à présenter, dans la 1ère partie de cette histoire, ce qu’est une vie bien placée. Nous avons, nous dit le texte, un couple de personnes qui ont pour nom Élimélek et Naomi qui habitent Bethléhem de Juda avec leurs deux enfants.

  • Élimélek signifie « mon Dieu est roi », ce qui est la confession de foi essentielle. Reconnaître que nous ne sommes pas dieu, ni individuellement ni collectivement, mais qu’il est juste et bon de respecter Dieu comme au-dessus de nous.
  • Le nom de Naomi signifie « ma douce, ma gracieuse ».

Ce couple évoque ainsi l’alliance d’une bonne relation à Dieu mais aussi d’un bon regard sur la vie en ce monde, un regard qui en reconnaît la beauté et qui l’aime.

À cette bonne vision de Dieu et de notre être dans ce monde, le texte ajoute une dimension plus dynamique en nous disant d’où ils sont nés :

  • Ils sont de Bethléhem ce qui veut dire « la maison (Beith) du pain (Lélem) »
  • Et cette boulangerie n’est pas n’importe où, elle est de Juda ce qui veut dire « L’Éternel (Yehou) soit loué (Yada) ».

La vie belle et bonne est donc dans un double geste qui consiste à nourrir son être et à chanter la louange de Dieu. À nourrir notre âme de reconnaissance, mais aussi à produire du pain pour nourrir les autres, en reconnaissance pour le pain spirituel dont Dieu nourrit notre être profond… Et c’est ainsi que nous pourrons être les gouverneurs, les juges dont parlent le début de ce livre, non pour opprimer mais pour que chacun ait du pain, selon la volonté de notre Roi.

En quatre noms propres, le livre de Ruth nous donne une figure de ce que c’est que la vie belle et bonne en ce monde. La vie parfaite… Bien entendu, chacune de ces quatre dimensions mérite d’être reconnue et élevée : le juste regard sur Dieu, le regard positif sur notre monde, la nourriture reçue et offerte, la louange à l’Éternel.

La vie parfaite ? Oui, mais la Bible sait que la vie en ce monde est vraiment plus compliquée et plus riche qu’une épure. Autour de ces quatre noms propres qui évoquent une vie bien placée, le texte nous présente des circonstances difficiles. Ce livre ne veut pas nous bercer d’illusions comme si une vie et une foi parfaites pourraient nous garantir une vie sans problèmes ? Oui et non. Oui : ça aide, mais non : ça n’est pas une garantie de vie sans catastrophes.

Mais la vie n’est pas toujours juste

Il survient une famine, nous dit le texte, frappant même cette humanité idéale. Que fait le bon Dieu ? Il n’est pas derrière la catastrophe, car nous savons en Christ que Dieu n’est que source de vie et de bénédiction pour chacun. Peut-être que cette famine vient de mauvaises décisions des hommes gouvernant le pays ? C’est possible, tant de mal arrivant par nos fautes, mais rien ne le dit dans le texte. Et déjà nous pouvons tirer de cette première phrase du livre de Ruth un enseignement. Il y a des malheurs qui nous arrivent et qui ne sont de la faute de personne : ni de nous-mêmes, ni de Dieu (bien sûr), ni du gouvernement, ni de personne. Il y a dans la nature une part de hasard qui fait que la maladie, la catastrophe et la mort frappent telle famille ou tel pays et épargne un autre de tout problème…

Il y a une deuxième difficulté injuste et inattendue dans cette vie idéale, elle est exprimée dans cette histoire également avec des noms propres, leurs fils s’appellent Machlon et Kiljon, littéralement « la maladie » et « la faiblesse », là encore c’est étonnant car le texte précise soigneusement que ces fils sont d’Ephrata (littéralement « la fécondité ») en Juda (littéralement la « louange à l’Éternel »). Là encore, le malheur défie la logique et la justice. Malgré l’Éternel nous connaissons les catastrophes, la maladie et la faiblesse.

Ce texte nous place ainsi devant la beauté et la difficulté de la vie en ce monde, devant la bénédiction de Dieu et parfois cette expérience de l’absurdité du malheur qui nous tombe dessus alors que la vie est faite pour être belle. Voici le décor planté, dans sa richesse. Le texte nous propose ensuite de bonnes pistes pour avancer, et quelques écueils à éviter.

Aimer la vie, faire preuve de mobilité et de liberté

Élimélek et Naomi, évoquant par leurs noms la foi et le regard positif, se serrent les coudes et cherchent une solution innovante. Ils rusent avec le mal et avec les codes. Normalement, leur place est dans cette terre qui leur a été donnée par Dieu, la terre de la promesse, normalement ruisselante de lait et de miel… Là Bible nous apprend à ne pas idolâtrer les « il faut » et les « il ne faut pas », mais à rester souple tout en les gardant en ligne de mire. C’est ainsi qu’en cas de famine ou de danger, Abraham mais aussi Jacob, ou encore Marie, Joseph et Jésus, se réfugient en Égypte pour un temps. Il est bon de s’investir ainsi dans la gestion des difficultés qui surviennent dans notre vie, avec liberté et mobilité…

Mais sans se perdre dans la gestion de la crise

Cette histoire attire notre attention sur un danger et même deux, particulièrement dans cette situation de fragilité qu’est un temps de gestion d’une problème dans notre vie. Ce danger est de s’y donner trop profondément.

Au lieu de « séjourner dans les champs de Moab » le temps de gérer le pic de la crise, comme ils en avaient l’intention, Élimélek et Naomi « y fixent leur demeure » nous dit la traduction, le texte dit même qu’ils y investissent leur être (leur cœur, leur vie, leur foi). Ils s’y fixent au point d’y épouser des femmes étrangères, ce qui dans la Bible signifie épouser des valeurs étrangères à la droiture et à la fidélité, cela signifie perdre cette relation au Dieu source de résurrection et de vie, pour adopter d’autres priorités possibles.

1er écueil : Élimélek se laisse submerger dans ce qui ne devrait être qu’un moyen de gérer la crise. Partant d’une juste activité, il se noie dans l’activisme. Élimélek veut dire normalement « mon Dieu est roi », mais ce nom d’Élimélek peut vouloir dire tout autant « à moi la royauté ». C’est le même homme, la même situation mais avec une visée, une foi différente. C’est la même vie avec sa gestion de nos difficultés mais avec un regard porté vers le haut ou un regard limité à notre moi dans ses difficultés. Ce texte nous invite à garder, au-dessus du combat parfois très dur dans lequel nous sommes engagé, à garder Dieu comme roi, ce Dieu de la grâce et de la louange qui nous autorise et nous rend un petit peu capable de voir notre Naomi, la beauté de la vie en ce monde. C’est alors vivre avec cette conscience que notre dignité n’est pas atteinte par notre manque d’argent, ni par l’exil, ni par le deuil ni par la maladie ou la faiblesse, ni par la faute… C’est garder notre sens des valeurs, et continuer à prendre le temps de nourrir notre être dans toutes ses dimensions, continuer à chercher à aider d’autres à se nourrir, et garder notre capacité de reconnaissance et de louange. Et si vacille notre espérance de vivre et de vivre bien, la demander à Dieu, revenir à cela, garder les yeux là dessus au cœur des plus durs combats, comme au cœur des moments de bonheur, d’ailleurs.

Le 2nd écueil : Orpa et Ruth épousent Machlon et Kiljon, « la maladie » et « la faiblesse ». Il est bon de reconnaître sa maladie et sa faiblesse, de les assumer mais pas de les épouser. Persister à ne pas aimer notre maladie et notre faiblesse. Il peut y avoir un charme à épouser, en quelque sorte, sa maladie, son deuil, sa faiblesse et ruminer ses problèmes. La fidélité ne nous demande pas de vivre dans la mélancolie. Ce n’est pas une bonne idée. Mais plutôt continuer à ruser pour contourner la famine et revenir ouvrir la boulangerie, garder uni le meilleur de nous-mêmes, notre Naomi et notre Dieu, et cette saine respiration qu’est la louange pour le passé et l’espérance dans son incroyable créativité.

La deuxième partie de la vie de cette famille nous montre ainsi deux dangers face aux difficultés : le premier c’est de perdre la foi et le deuxième est de devenir plus passionné par notre maladie que par notre beauté et notre talent.

Une remontée possible, par la liberté et la fidélité

Dans la dernière partie de ce texte, nous avons donc ces trois femmes frappées par le deuil, chacune suivra son propre chemin de liberté et de fidélité. Le récit nous propose ainsi trois pistes pour remonter, trois pistes pour nous donner le choix et pour éventuellement les combiner, ou en trouver d’autres.

Toutes trois, nous dit le texte, se lèvent et sortent du lieu où elles demeuraient. Plus facile à dire qu’à faire ? C’est ici l’œuvre de Dieu. C’est dans sa foi que Naomi reçoit cet élan de résurrection qui se communiquera aux deux autres. Pourtant sa foi est un peu malade, elle n’est plus dans la seule louange mais elle accuse encore  Dieu injustement du mal qui l’a frappée. Mais elle reçoit de sa foi d’abord la force de se lever, puis de bénir et de vouloir du bien aux personnes qu’elle aime, elle y puise la joie de leur dire sa reconnaissance et de les libérer, de les autoriser à exister et à choisir leur propre vie.

Naomi choisit son chemin, c’est de retourner au dernier point de son bonheur vécu. Elle sait bien qu’on ne peut jamais faire revenir le passé, partie comblée elle revient à vide, pense t-elle, alors qu’elle est bien plus forte qu’elle ne le pense encore. Elle est riche de sa foi, de son courage face à la honte de repartir de trois grains d’orge glanés dans les champs. Elle est forte de son intelligence éclairée. Elle est riche d’atouts qu’elle ignore encore, c’est seulement à la fin de l’histoire qu’elle découvrira que cette fille qui s’est attachée à elle n’est pas une charge mais qu’elle vaut pour elle « plus que sept fils » (4:15)

Orpa est entraînée par cet élan de résurrection que lui donne Naomi. C’est là aussi une force sur laquelle nous pouvons compter, la force de notre parole qui dit la bénédiction de Dieu sur nos proches, et la force de l’amitié qui nous permet de recevoir une force d’autres plus forts que nous. Orpa se lève, elle sort et se met en route. C’est déjà bien, ensuite, elle réfléchit, elle hésite entre deux attachements, c’est ce qui fait souvent la complexité de nos choix. Elle choisit de laisser partir les autres et d’être fidèle, mais à sa façon à elle. Parfois, notre bon choix n’est pas de tout changer mais de nous concentrer sur ce qui nous reste. Elle a perdu son mari et ceux qu’elle aime s’en vont, il lui reste sa mère, son pays, ses dieux, et aussi la connaissance nouvelle de l’Éternel qui bénit, et avec lui, l’espérance d’un nouvel avenir possible, une paix et une consolation inconnue encore.

Ruth, enfin, dans cette phrase qui est une des plus belles de la Bible, dit à Naomi : « Où tu iras, j’irai, où tu demeureras, je demeurerai ; ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu sera mon Dieu ; où tu mourras, je mourrai, et j’y serai enterrée. Que l’Éternel me crée et m’ajoute encore si autre chose que la mort vient à me séparer de toi ! »(1:16-17). Que nous dit cette fidélité et cet amour de Ruth ? Comment s’en inspirer ?

  • Bien sûr en mettant du cœur comme elle dans nos attachements !
  • Mais en même temps que cette force et cet enthousiasme de Ruth, nous pourrions relever aussi son humilité. Une saine humilité. Contrairement à ce que disent certaines traductions « que l’Éternel me punisse si je ne tiens pas parole »…  Ruth, au contraire, a une humilité qui compte sur Dieu, qui demande à Dieu de l’aider à évoluer si elle fléchit, et de lui ajouter, et d’ajouter encore ce qui lui manquerait alors pour tenir.
  • Et à quoi est fidèle Ruth pour se relever de son deuil ? En étant fidèle à la mère de celui qu’elle a perdu, elle lui est fidèle sans se perdre, en évitant les écueils relevés plus haut. Ruth est fidèle à la source plus qu’à l’objet de son amour perdu. C’est ce que l’on appelle en mathématique passer à la tangente. Chercher la source de ce qui nous a rendu vivant dans le passé, non pour espérer un lot de remplacement, le passé ne revient jamais et Ruth ne peut espérer un nouveau fils de Naomi pour  remplacer le premier. Ruth est fidèle à la source, elle cherche même à être fidèle à la source de la source de son bonheur perdu : elle s’attache non seulement à Naomi mais à ce qui fait l’inspiration de Naomi, son pays, son Dieu.

Chercher la source première, la source ultime de ce que l’on aime, c’est ce qui permet à la fois d’être fidèle à un passé que nous aimons, mais dans le bon sens du terme, tournés vers la vie, dans la louange.

Que Dieu nous crée et nous ajoute encore et encore, il nous gardera, et de Naomi, notre grâce ballottée par l’abondance et par les difficultés, descendra David dont descendra le Christ, le Sauveur.

Lecture de la Bible

Ruth 1

Du temps des juges, il y eut une famine dans le pays. Un homme de Bethléhem de Juda partit, avec sa femme et ses deux fils, pour faire un séjour dans le pays de Moab. 2 Le nom de cet homme était Elimélec, celui de sa femme Naomi, et ses deux fils s’appelaient Machlon et Kiljon; ils étaient Ephratiens, de Bethléhem de Juda. Arrivés au pays de Moab, ils y fixèrent leur demeure. 3 Elimélec, mari de Naomi, mourut, et elle resta avec ses deux fils. 4 Ils prirent des femmes moabites, dont l’une se nommait Orpa, et l’autre Ruth, et ils habitèrent là environ dix ans. 5 Machlon et Kiljon moururent aussi tous les deux.

La femme resta privée de ses deux fils et de son mari. 6 Alors elle se leva, elle et ses belles-filles, afin de quitter le pays de Moab, car elle apprit au pays de Moab que l’Eternel avait visité son peuple et lui avait donné du pain. 7 Elle sortit du lieu qu’elle habitait, accompagnée de ses deux belles-filles, et elle se mit en route pour retourner dans le pays de Juda.

8 Naomi dit alors à ses deux belles-filles: Allez, que chacune retourne à la maison de sa mère! Que l’Eternel use de bonté envers vous, comme vous l’avez fait envers ceux qui sont morts et envers moi! 9 Que l’Eternel fasse trouver à chacune du repos dans la maison d’un mari! Et elle les embrassa.

Elles élevèrent la voix, et pleurèrent; 10 et elles lui dirent: Non, nous irons avec toi vers ton peuple.

11 Naomi, dit: Retournez, mes filles! Pourquoi viendriez-vous avec moi? Ai-je encore dans mon sein des fils qui puissent devenir vos maris? 12 Retournez, mes filles, allez! Je suis trop vieille pour me remarier. Et quand je dirais: J’ai de l’espérance; quand cette nuit même je serais avec un mari, et que j’enfanterais des fils, 13 attendriez-vous pour cela qu’ils aient grandi, refuseriez-vous pour cela de vous marier? Non, mes filles! car à cause de vous je suis dans une grande affliction de ce que la main de l’Eternel s’est étendue contre moi.

14 Et elles élevèrent la voix, et pleurèrent encore. Orpa embrassa sa belle-mère, mais Ruth s’attacha à elle.

15 Naomi dit à Ruth: Voici, ta belle-soeur est retournée vers son peuple et vers ses dieux; retourne, comme ta belle-soeur.

16 Ruth répondit: Ne me presse pas de te laisser, de retourner loin de toi! Où tu iras, j’irai, où tu demeureras, je demeurerai; ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu sera mon Dieu; 17 où tu mourras, je mourrai, et j’y serai enterrée. Que l’Eternel me crée et m’ajoute encore si autre chose que la mort vient à me séparer de toi!

18 Naomi, la voyant décidée à aller avec elle, cessa d’insister auprès d’elle. 19 Elles firent ensemble le voyage jusqu’à leur arrivée à Bethléhem. Et lorsqu’elles entrèrent dans Bethléhem, toute la ville fut émue à cause d’elles, et les femmes disaient: Est-ce là Naomi? 20 Elle leur dit: Ne m’appelez pas Naomi; appelez-moi Mara, car le Puissant m’a remplie d’amertume. 21 J’étais dans l’abondance à mon départ, et l’Eternel me ramène les mains vides. Pourquoi m’appelleriez-vous Naomi, après que l’Eternel s’est prononcé contre moi, et que le Puissant m’a affligée?

22 Ainsi revinrent du pays de Moab Naomi et sa belle-fille, Ruth la Moabite. Elles arrivèrent à Bethléhem au commencement de la moisson des orges.

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