Comprendre l’amour à quatre dimensions

Éphésiens 3:14-21

Culte du 22 avril 2011
Prédication de pasteur Marc Pernot

Éphésiens 3:14-21

Culte du Vendredi Saint, 22 avril 2011 à l'Oratoire du Louvre, prédication du pasteur Marc Pernot

À quoi sert la mort du Christ ? En quoi est-ce que ces larmes, ce sang, cette souffrance, cette croix nous apporte quoi que ce soit d’important pour vivre ?

Des théories fumeuses, voire totalement perverses, ont fleuri. La pire est sans doute la thèse popularisée par Anselme de Cantorbéry au XIe siècle, théorie encore soutenue aujourd'hui que par quelques extrémistes catholiques ou protestants. La thèse d'Anselme est appelée du doux nom de satisfaction vicaire. Selon cette théorie, Dieu ne pourrait pardonner une faute qu'à condition que quelqu'un paye. Selon cette théorie, comme nos péchés sont abominables et que nous sommes nombreux, la note est vraiment salée. Nous sommes surendettés de péchés. Déjà, cela me semble exagéré, mais la suite du raisonnement est abominable : le Christ, en étant innocent et en souffrant terriblement, aurait payé la note, nous achetant ainsi notre pardon pour satisfaire la terrible justice de Dieu.

Cette théorie est une incroyable régression par rapport à l'évangile du Christ, elle est même en régression par rapport à la théologie d'Abraham (soit une régression niant presque 4000 ans d'efforts de Dieu pour se faire connaître depuis qu'il empêche Abraham de sacrifier son fils).

Cette théorie est épouvantable dans l’idée de Dieu qu’elle projette : un Dieu qui pourrait d’une certaine façon se satisfaire de la peine d’un homme. Un Dieu qui aurait besoin de cette peine, de cette souffrance, et même de la peine de son enfant bien aimé ! Mais cette théorie est épouvantable aussi par l’idée de justice qu’elle offre à la conscience humaine. Non, il n’est pas juste qu’un innocent souffre à la place des coupables. Le projet de Dieu n’est même pas que le coupable souffre, mais qu’il change et vive enfin. Et puis, non, le pardon et l’amour ne se monnayent pas, ni en faisant du bien, mais encore moins par de la souffrance, et certainement pas par du sang ou de la mort.

Certes, cette théorie du rachat de nos péchés par le Christ peut trouver une justification biblique. Mais les pires idées peuvent être aussi justifiées par des textes bibliques si l’on s’applique vraiment, par exemple certaines personnes sont arrivées à justifier le racisme de l’apartheid à partir de l’histoire des fils de Noé. On peut tirer le meilleur comme le pire de la Bible. On peut tirer aussi le meilleur comme le pire du Coran. On peut tirer des textes définissant la « laïcité à la française » des idéaux de liberté et de respect, mais certains arrivent à en tirer une sorte de laïcisme plein de haine pour la foi des croyants, un athéisme intégriste.

Une autre compréhension de la croix du Christ est non seulement possible, mais soutenue quasi unanimement pas les 4 évangiles et par des textes majeurs de l’apôtre Paul. Le cœur même de l'Évangile c'est que le premier à aimer (même ses ennemis) : c'est Dieu. Il n’y a pas de « péché originel », c’est une invention du Ve siècle, par contre il y a un amour originel, celui de Dieu. Il n’y a donc rien à racheter. Et l’amour de Dieu, comme tout amour véritable, ne s'achète pas.

Cet amour originel, Jésus en témoigne quand il dit, selon le témoignage de Jean : Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque ait foi grâce à lui ne meure pas, mais qu'il ait la vie éternelle. (Jean 3:16)

L’amour de Dieu est premier, et le Christ manifeste cet amour qui est à l'origine de tout ce qui est vivant et bon en ce monde, il le manifeste pour que nous vivions par lui.

Mais c’est l’apôtre Paul qui développera bien cette notion d’amour originel de Dieu, manifesté en Christ. Par exemple dans sa lettre aux Romains, l’apôtre Paul nous dit que :

Alors que nous étions encore sans force, Christ,
au temps marqué, est mort pour des impies.
À peine mourrait-on pour un juste,
quelqu’un peut-être mourrait pour un homme de bien.
Mais Dieu prouve son amour envers nous, en ce que,
lorsque nous étions encore des pécheurs,
Christ est mort pour nous.
(Romains 5:6-8)

C’est clair. La croix est signe de l’amour de Dieu pour nous. Elle est signe du pardon de Dieu, elle n’achète pas ce pardon. Et comme Jésus dans le passage de l’Évangile selon Jean que je citais précédemment, Paul nous dit que cet amour manifesté sur la croix nous invite à aimer Dieu, à nous réconcilier avec lui.

Et Paul ajoute un peu plus loin que « Rien ne nous séparera de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature. » (Romains 8:38-39)

Parce que cet amour est donc sans chantage, nous ne sommes pas obligés d’aimer Dieu en retour. Nous l’aimerons si nous le voulons bien. Nous aimerons les autres si le cœur nous en dit. C’est la liberté et la joie de Dieu, si je puis dire, d’aimer l’humanité et d’aimer chaque être individuellement. C’est notre liberté de nous ouvrir ou non à cette dynamique, à cette qualité d’être, de cheminement et de vie qu’est Dieu. C’est notre liberté, et c’est vraiment aussi une joie.

Dans sa lettre aux Éphésiens 3:14-21, l'apôtre Paul explique qu’en méditant sur cet amour de Dieu, manifesté en Christ, nous nous ouvrons au meilleur, à la plénitude même de Dieu ! Dans cette méditation, nous dit-il nous pouvons saisir la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur de l’amour du Christ, et qu’ainsi nous pourrons, grâce à l’Esprit, être remplis de la plénitude de Dieu ! Rien de moins.

Explorons donc ces 4 dimensions de l’amour de Dieu, manifesté en Christ sur la croix.

1) La largeur de l'amour du Christ

La largeur de l'amour du Christ peut être rapprochée à la barre transversale de la croix, avec les bras du Christ qui sont ouverts comme pour accueillir toute l'humanité. Cette largeur évoque ainsi l'universalité de l'amour du Christ, et donc de l'amour de Dieu.

C'est une première chose utile à bien saisir. C'est même le point de départ de Paul ici : « Je m'incline devant le Père de qui toute famille dans les cieux et sur la terre tire son nom. » (3:15). Dieu donne un nom à toute famille, chacune est reconnue, aimée en tant que telle, prise en compte, valorisée, aimée.

L'amour du Père est pour toute famille dans les cieux, c'est-à-dire les générations passées.

L'amour du Père est pour toute famille de la terre, c'est-à-dire à tous les humains vivants actuellement.

Et grâce à la notion de famille, l'amour de Dieu est donné aux individus, bien sûr, mais il nous rassemble aussi en des familles qui engendrent et élèvent l’humanité de demain.

2) La longueur évoque la patience de Dieu

L'amour se réjouit de ce qui est bon dans la personne, c'est déjà très bien. Mais l'amour de Dieu dépasse même cela, il est aussi une espérance et une patience de Dieu qui nous aime pour ce que nous pourrions éventuellement devenir, si nous le voulions bien.

C'est comme cela que nous aimons un nourrisson. Le bébé n'est pas encore capable d'accomplir grand chose de bon par lui-même, et pourtant, il est regardé par les siens comme déjà une merveille, ils l’aiment déjà mais ils l’aiment aussi d’une espérance active qui patiente mais qui agit aussi. C’est ainsi que Dieu nous aime et s’occupe de nous, mais aussi que Dieu nous espère et nous attend. Il voit les choses de haut, en perspective.

Cet amour en longueur nous libère de toute crainte face à Dieu. Même si nous étions complètement nul, même si nous étions plus nuisible que créateur, cela n'empêcherait pas Dieu de nous compter comme son enfant grâce à sa largeur, et d'espérer en nous dans l’infinie longueur de son amour, d’espérer pour nous une élévation.

Reste ensuite à dépasser cette connaissance de l'amour du Christ pour connaître au sens profond du terme l'amour du Christ, le recevoir comme une façon d’être que nous incarnerons nous-mêmes au moins un peu, au moins de temps en temps. Nous pourrons ainsi un petit peu nous supporter nous-mêmes, supporter les autres, aimer et espérer en eux, aimer et espérer en nous-mêmes.

3) La profondeur

La profondeur évoque ce qui est caché et qui soutient le tout. C'est la partie de la croix qui est en terre et qui permet de la tenir en place.

Cette dimension de la profondeur c'est l'Amour avec un A majuscule qui est à la source de tout amour. Cette dimension de la profondeur : c'est Dieu lui-même. C’est là que la foi dépasse la philosophie ou la méditation, la foi nous ouvre à l’au-delà de la sagesse, elle nous ouvre à une sagesse, certes, mais à une sagesse qui a une chance enfin de pouvoir un petit peu s’incarner, comme par miracle. C'est ce dont témoigne Jésus quand il dit à ses disciples avant d’être arraché à eux : « Comme le Père m'a aimé, je vous ai aussi aimés. Demeurez dans mon amour. » (Jean 15:9). C'est parce qu'il est enraciné dans l'amour de Dieu que le Christ a l'idée et la force d'aimer et de servir.

Personne n'a jamais vu Dieu parce qu'il est cette dimension de la profondeur que nul ne peut voir, mais qui est bien réelle, qui précède même tout ce qui existe de vivant et de bon dans la réalité visible du monde, qui soutient la possibilité même d'exister et d'aimer. Le Christ rend visible sur la croix cette réalité profonde de Dieu. Il le manifeste par son existence, par ses paroles et par ses actes, en assumant jusqu’à la croix.

4) La hauteur

La hauteur est une invitation à reconnaître que l’amour de Dieu nous dépasse. Nous ne sommes pas Dieu. Nous ne sommes même pas Jésus-Christ. Il est la tête du corps dont nous faisons partie. Nous, l'humanité, sommes membres d'un même corps dont le Christ est la tête. Cela nous rappelle notre mission sur terre et cela nous rappelle l'indispensable communion entre nous et communion au Christ pour que ce corps puisse vivre.

C’est cela aussi, l’élévation que nous propose la hauteur, c’est voir les choses d’un peu plus haut qu’au ras des pâquerettes, un peu plus haut qu’au ras de notre désir, que notre seul nombril.

Il ne s'agit alors plus seulement d'adhésion au message du Christ, ni même de le reconnaître pour Roi, mais il s'agit de communion, d'une communion intime comme celle qui existe dans notre corps entre la tête et les différentes parties de notre corps. C'est à cela, à la communion avec le Christ que nous prépare la compréhension intellectuelle de l'amour du Christ. Connaître l'amour du Christ c'est être en communion avec lui comme la tête est en communion avec une main.

Paradoxalement, c'est en nous inclinant devant cette hauteur que nous pouvons être élevé. C'est en reconnaissant que la hauteur du Christ vaut mieux que la nôtre actuellement que nous entrons dans cette relation qui nous élève. Et qui nous fait dire non seulement à Dieu « mon père » mais « notre Père ! notre Père qui est aux cieux ».

Amen.

Lecture de la Bible

Éphésiens 3:14-21

« Je fléchis les genoux devant le Père, 15 de qui toute famille dans les cieux et sur la terre tire son nom,

16 afin qu’il vous donne, selon la richesse de sa gloire, d’être puissamment fortifiés par son Esprit dans l’homme intérieur,

17 en sorte que Christ habite dans vos cœurs par la foi; afin qu’étant enracinés et fondés dans l’amour,

18 vous puissiez comprendre avec tous les saints quelle est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur,

19 et connaître l’amour de Christ, qui surpasse toute connaissance, en sorte que vous soyez remplis jusqu’à toute la plénitude de Dieu.

20 Or, à celui qui peut faire,
par la puissance qui agit en nous,
infiniment au-delà de tout ce que nous demandons ou pensons,
21 à lui soit la gloire
dans l’Église et en Jésus-Christ,
 dans toutes les générations,
aux siècles des siècles!
 Amen! »

 

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