Comme un pommier parmi les arbres de la forêt, tel est mon bien-aimé…

Cantique des cantiques 2:3-7

Culte du 16 janvier 2011
Prédication de pasteur Marc Pernot

( Cantique des cantiques 2:3-7 )

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Culte du dimanche 16 janvier 2011 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot

Il arrive souvent qu’un couple choisisse un texte du Cantique des cantiques pour sa cérémonie de mariage. Il est curieux de noter que ce sont soit les couples très éloignés de la foi qui choisissent un tel texte, soit au contraire des couples qui connaissent très bien la Bible. Les premiers sont contents de trouver dans ce texte un joli poème d’amour qui ne parle pas de Dieu. Et les autres, au contraire, sont ravis de trouver là une façon de dire l’amour de Dieu qu’ils ont senti dans leur prière et leur vie.

Cela fait des millénaires que ce paradoxe dure, en réalité. Pour certains théologiens, ce livre n’a rien à faire dans la Bible car il ne parlerait pas de Dieu. Pourtant, la Synagogue et l’Église chrétienne l’ont retenu le « Cantique des cantiques », c’est-à-dire comme le plus excellent de tous les psaumes, car chantant le plus essentiel des messages : Dieu est amoureux de nous d’un amour fou. Comme Roméo pour la Juliette que nous sommes, il a une amour qui pardonne tout, qui espère tout, qui supporte tout. Vraiment le Cantique des cantiques a des accents d’Évangile du Christ.

Ce poème semble décousu, il part d’une histoire d’arbres, passe ensuite à une histoire de bar à vin, puis de drapeau et de gâteaux aux raisins… lisons le tranquillement, pas à pas, simplement avec bon sens pour y chercher quelle théologie et quelle éthique, quelle espérance et quel amour nous y sont proposés.

Comme un pommier parmi les arbres de la forêt,
Tel est mon bien-aimé parmi tous.

Il y a une différence entre le pommier et les arbres des forêts. Le pommier donne des fruits qui sont délicieux et qui sont nourrissants. Un chêne ou un cèdre ne donnent rien de tellement mangeable, mais ils donnent des matériaux de construction utiles. Il ne faut pas se tromper. Dieu est comme un bon arbre fruitier, c’est de lui que nous pouvons nourrir notre être, et nous pouvons ensuite agir dans le monde en plantant et défrichant la forêt, en coupant des arbres pour construire des maisons et des meubles. Il ne serait pas sage de faire l’inverse : croire nourrir notre être de notre activité en ce monde, c’est aussi nourrissant que de manger des planches de sapin. Et si l’on débite en planche toute idée de Dieu en nous ce ne sera pas très facile de manger ensuite ses pommes.

Dieu est pour nous une réalité à part. Notre être et notre vie sont comme une forêt aux arbres innombrables : notre corps, ses faiblesses et ses besoins, ses joies et sa force ; notre travail, nos proches, nos attachements petits et grands… Dieu, pour celui qui l’aime, est au milieu de tout cela comme un pommier parmi les arbres de la forêt. Il est la source de vie, le reste est le champ de la vie.

Salomon ne dit pas que nous devrions ne garder que le pommier. Mais il nous dit seulement de ne pas confondre le pommier et les sapins. Salomon, comme d’ailleurs l’Évangile, nous dit qu’il vaut mieux que nulle préoccupation autre que Dieu engage notre être comme le fait une relation d'amour, comme Juliette aime Roméo. Dieu seul mérite d'avoir cette place dans notre vie.

Cela ne veut pas dire que notre famille ou nos amis, ni même nos activités devraient prendre moins de place dans notre cœur. Mais cela veut dire, précisément, que nous comptons sur Dieu pour nourrir et faire vivre ces lieux de vie essentiels pour nous. Nous comptons avant tout sur les fruits que Dieu nous offre pour nourrir notre amour pour ceux qui nous sont confiés, et qu’ainsi notre amour pour eux puisse être source de vie, à l’image de Dieu qui est source de vie, avec un peu moins de maladresse et plus d’élévation.

Comme un pommier parmi les arbres de la forêt,
Tel est mon bien-aimé parmi tous.
Dans son ombre, selon mon désir, je me suis assise,
Et son fruit est doux à mon palais.

Les deux bienfaits de Dieu sont ici : le fruit, mais aussi l'ombre. Nous savons ce que peut représenter l'ombre dans un pays brûlé par le soleil comme Israël. L'ombre évoque la vie sauvée et agréable, douce, fraîche, paisible. Prendre un temps avec Dieu est pour nous comme s’asseoir à l'ombre d'un arbre après une dure journée par 45°. Et nous sentons, comme le dit Salomon, que nous sommes chez-nous avec Dieu, qu’en le trouvant nous découvrons qu’il était ce que notre cœur désirait, ce dont notre être avait besoin. C'est ce dont témoigne le Christ quand il nous dit : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. » (Matthieu 11:28)

Dieu nous donne l'ombre, il nous donne ensuite le fruit qui nourrit, qui désaltère et qui nous permettra de nous lever pour aller en forêt. Le pommier offre son ombre et ses fruits au passant, sans lui demander de se laver la bouche des mauvaises paroles dites, ni de se laver des mauvaises choses faites et des mauvais chemins empruntés, des mauvaises choses aimées.

Le pommier est ainsi vraiment bien à l'image de la grâce de Dieu, l’ombre est là pour tous, puisque Dieu est comme un arbre immense dont les branches s'étendraient sur l'univers. Le pommier offre également son fruit par grâce, mais il y a quand même une condition, il est nécessaire pour en bénéficier de prendre la pomme et de la manger. Jésus nous apprend à demander ainsi à Dieu chaque jour de nous donner son pain, ce pain de vie que Dieu nous offre en Christ. (Mt 6:11, Jn 6:35)

Il y a dans cette histoire de pommier une théologie, une conception de Dieu. C’est également une éthique, une façon d’être qui nous est proposée. C’est la force de ce langage poétique. Le pommier est une figure de Dieu, c’est aussi une figure du fidèle. Nous sommes appelés à être comme ce pommier. Le pommier ne juge pas celui qui passe à ses pieds. Il est source d’ombre et de paix pour le juste et le méchant, qui, pour une fois, ne se sent pas rejeté, ni méprisé, ni critiqué, mais accueilli, comme dans un havre de paix, comme par un ami devant une table prête. Ce texte, mais aussi tout l’Évangile nous appelle à être pour l’autre cette ombre et ce fruit offert, sans discrimination, pour celui qui en a besoin, pour celui ou celle qui nous est confié et même pour celui qui passe, selon ce que nous avons comme fruit à offrir.

Nous en parlions avec quelques-uns cette semaine. Nous ne sommes pas jugés au nombre de pommes que nous pouvons offrir, ni à leur qualité. On fait ce que l’on peut, chaque arbre a son fruit en son temps, comme le dit le Psaume 1er. Telle personne déploie une activité formidable et est comme un pommier au mille pommes, à l’œuvre dans l’église, dans les associations, dans son travail et en famille. Merci et bravo. Telle autre personne ne donnera qu’une petite reinette une fois de temps en temps. Merci et bravo. Parfois un simple petit geste, un petit mot donné change la vie d’une personne, et donc change la face du monde. Et quand bien même nous n’aurions pas la force de donner même une seule pomme, pour Dieu nous sommes et nous resterons sa Juliette, irremplaçable, comprise, et aimée.

C’est elle qui continue ainsi :

Mon bien-aimé m'a fait entrer dans la maison du vin ;
Et la bannière qu'il déploie sur moi, c'est l'amour.

Le vin, dans la Bible, c’est souvent l’image de la vie éternelle qui nous est donnée à vivre par l’Esprit de Dieu, qui transforme notre vie ordinaire en une qualité de vie extraordinaire, un peu à l’image de cette fermentation qui transforme le jus de raisin, fruit de la terre et de notre travail béni par Dieu, en quelque chose de vraiment spécial. Par amour, Dieu nous invite à recevoir cette transformation de nos qualités, quelles reçoivent cette force et cette joie, ce pétillant, même. C’est une étape supplémentaire après l’ombre et la nourriture que nous donne Dieu pour nous rendre vivant.

Mon bien-aimé, m'a fait entrer dans la maison du vin ;
et la bannière qu'il déploie sur moi, c'est l'amour.

Avec le pommier, sa protection et sa nourriture, puis avec la fermentation nous touchons donc à la vie éternelle. Avec cette histoire de bannière, nous sommes prêts pour la bataille, pour sortir dans le monde. La bannière de Dieu, c'est l'amour. C'est l'amour que Dieu a pour chacun de nous, c'est cela qui nous rassemble et nous donne envie de suivre Dieu dans son combat pour la justice, l'amour et la vie. Paul exprime bien, dans le 12e chapitre de la lettre aux Corinthiens combien cet amour de Dieu en Christ nous rassemble en un corps, ou chacun prend conscience de sa vocation personnelle, et où une juste compassion entre les membres permet aux plus forts (en quoi que ce soit) de venir en aide à plus faibles que soi.

Sa bannière c’est l’amour, Dieu ne nous mène pas à coup de trique, nous dit Salomon. Pas de violence en Dieu, pas de sanction ni de peine pour éprouver quiconque. Évidemment. L’allégorie utilisée par Salomon rend impossible d’imaginer une seconde que Dieu ferait cela, bien sûr, la Juliette de Roméo n’a pas besoin de s’inscrire à SOS femme battue.

Dieu est Amour, et il déploie la bannière de son amour au-dessus de toute chose, nous dit ce texte, même au-dessus de la maison du vin. C'est-à-dire que l'amour de Dieu est plus élevé, plus important même que sa présence en nous par son Esprit. Nous retrouvons encore l’idée de l’ombre offerte à tous, même à ceux qui ne tendent pas la main pour prendre le fruit, même à ceux qui ne boivent pas le vin de la Cène, bien entendu, même à ceux qui ne s’ouvriraient pas à l’Esprit de Dieu. Dieu aime et attend. Il est parfois comme un amoureux transi, mais il attend, le bouquet qu’il a préparé pour nous accueillir se fanant un peu dans ses mains, mais il attend.

Soutenez-moi avec des gâteaux,
Fortifiez-moi avec des pommes...

Cette bannière qu’est l’amour de Dieu nous rassemble, nous pouvons alors découvrir la force de la solidarité humaine. Salomon nous propose d’être cette fiancée qui demande à ses copines un peu de leurs propres fruits. Et parfois nous sentons quand quelqu’un aurait besoin qu’on soit pour lui comme un arbre aux fruits offerts…

Fortifiez-moi car je suis malade d'amour.

Nous avons bien besoin d'être soutenu par l’amour de Dieu. Mais, dans un premier temps, ou en complément, ou à défaut de recevoir de Dieu directement les fruits de son amour, nous avons vraiment besoin de l’aide des autres, d’être soutenu, nous dit Salomon, par une sorte de « gâteaux de feu » et d’être comme allongé, soigné en nous nourrissant de bonnes pommes. Oui, nous avons besoin des autres et les autres ont besoin de nous. Ce n’est pas facile d’aider quelqu’un à se purifier de ce qui ne va pas en lui. Cela ne marche que si, comme ici, la personne le demande, et même alors, il ne faut pas donner tel quel ce feu purificateur sans l’enrober dans un gâteau, avec beaucoup de crème et de miel pour l’adoucir. Ce qu’il lui faut, ce qu’il nous faut, c’est un peu de feu bien enrobé, préparé avec amour, et accompagné de quelques bonnes pommes qui sont les fruits de l’amour de Dieu en nous.

La vocation de l’église est d’être, pour ceux qui le désirent, un lieu où l’on va pour recevoir et pour donner à d’autres volontaires un peu de gâteau de feu et un peu de pommes. Mais ce n’est que pour un instant, un temps de préparation, un temps d’ouverture et d’espérance pour recevoir infiniment plus, directement de la part de Dieu :

La main gauche de mon bien-aimé est sous ma tête,
Et sa droite me tient enlacée !

Au commencement de tout il y a cette ombre et cette nourriture que Dieu donne à chacun, même s’il ne le sent pas toujours, il y a l’appel de son amour, appel à entrer pour recevoir son Esprit, appel à compter un peu les uns sur les autres. Alors enfin, il y a les mains de la tendresse si créatrice de Dieu. Par ses mains, Dieu nous crée comme son enfant. D’une main, il soutient notre tête, notre capacité à réfléchir, il développe notre lucidité et notre intelligence. De l’autre main, il nous soutient, il nous met debout, il nous ressuscite, il nous accompagne pour aller dans la forêt de notre vie en ce monde.

La tendresse de Dieu a deux mains, une pour notre tête et une pour nous enlacer. Notre foi a également ces deux dimensions : l'une est un choix raisonnable qui nous fait dire oui à Dieu, l'autre est le sentiment que Dieu nous donne d’être plus vivant que jamais.

Amen.

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