Comme attendre la vague et jouer avec elle

Hébreux 10:39-11:10

Culte du 29 novembre 2015
Prédication de pasteur Marc Pernot

Le temps de l’Avent nous encourage à plus et mieux attendre quelque chose dans notre existence en attendant la venue du Christ.

Ce n’est pas facile de bien attendre. Il y a plusieurs raisons à cela :

  1. Il peut d’abord arriver plein de choses que nous n’avions pas prévues et nous craignons être déçu. Par exemple, il arrive que des parents soient tout à fait désarçonnés par l’enfant qu’ils ont rêvé d’avoir ou qu’ils ont adoptés, au point de regretter qu’il n’existe pas de service après vente où l’on pourrait rendre l’enfant s’il ne nous plait finalement pas... C’est la même chose pour bien de nos attentes.
  2. Nous craignons d’être comme la girouette, et de ne plus désirer demain ce que nous espérons aujourd’hui de toute notre âme. C’est la crainte de bien des fiancés, ils sont souvent ensemble depuis 5 ou 10 ans quand ils pensent à se marier, j’ai l’impression que ce qu’ils redoutent le plus, ce n’est pas tant de ne plus être aimé ou qu’il arrive un accident, mais c’est qu’il arrive un jour où eux-mêmes n’aimeraient plus cette personne avec qui ils s’engagent aujourd’hui.
  3. Enfin, nous avons souvent un peu honte de ce que nous désirons en réalité. Qu’est-ce que j’attendais en réalité pour me mettre en colère de telle situation ? Qu’est-ce que j’attends en réalité quand j’espère tellement trouver un conjoint ? Pourquoi est-ce que j’ai envie d’acheter cela, qu’est-ce que j’attends en réalité de cet investissement ? Est-ce que j’ai vraiment envie d’un enfant, pourquoi, et qu’est-ce que j’attends de cette nouvelle situation ???

Il est donc difficile d’attendre quelque chose de la vie et de bien attendre. Nos pires souffrances sont peut-être celles auxquelles on s’attend, celles que l’on craint :

  • Manque d’avoir ce qui est indispensable, ou ce qui nous semble indispensable pour vivre.
  • Manque d’être, manque de nous sentir être une personne digne, intéressante, utile, aimée
  • Manque de pérennité de notre être, avec cette volonté de laisser sa trace...

Face à ces soifs profondes et ces peurs de manquer, notre attente peut être souffrante, et cela se manifeste par de la fièvre comme la violence, ou se manifeste par cette sorte d’évanouissement qu’est le désespoir.

Qu’attendre et comment attendre ?

C’est à ce vrai travail que nous invite cette période d’attente de Noël qu’est l’Avent. Se regarder en vérité dans le miroir de l’Évangile, avec l’aide de Dieu, et travailler sur ce que l’on attend vraiment.

Au moins, attendre quelque chose. Et puis choisir un petit peu plus ce que j’attends, purifier cette attente. Mais encore la rendre moins passive, en cherchant modestement à incliner le cours des choses pour ce qui dépend de nous, et sinon améliorer notre réception de ce qui arrivera malgré nous.

Pour cela, peut-être pourrait-on choisir d’abord pour soi-même de prendre un temps chaque jour pour se tourner à l’intérieur de nous mêmes pour y être à l’écoute de nos attentes profondes, réelles, et des attentes de ceux qui nous sont proches, et des attentes de Dieu. Dans la réflexion et la prière.

Ce passage de la lettre aux hébreux met en effet en lien la foi d’Abraham et son attente. C’est une bonne piste. Au moins, pour attendre, il faut avoir foi en quelque chose. Ce texte témoigne :

Nous, nous ne sommes pas de ceux
qui appartiennent à la fuite et perdent l’âme,
mais nous sommes de ceux
qui appartiennent à la foi pour sauver l’âme.

Ici comme dans toute la Bible, l’âme n’est pas seulement la partie spirituelle de la personne humaine, mais c’est son être entier, vivant.

Avoir foi en quelque chose, c’est faire face au tourbillon de la vie, c’est avoir une attente, une direction. Sans cela, nous dit l’auteur de cette lettre aux hébreux, nous sommes dans une fuite qui nous disperse, nous sommes emportés, ballottés par les événements comme une feuille morte dans les tourbillons de vent. Mais si nous avons comme une attente, une visée, une foi, bien que secoué par les éléments, notre évolution personnelle est orientée.

Une qualité d’attente

La foi d’Abraham, nous dit ce texte est une attente, « l’attente de la cité qui a de solides fondations, celle dont Dieu est l'architecte et le constructeur. »

Une personne qui « croit en quelque chose », par exemple dans un idéal, cette personne est déjà dans l’attente d’une cité dont très précieux. Mais ici, ce que le texte appelle Dieu est plus qu’un architecte, il est aussi le constructeur, cela suppose une puissance active. Et c’est la différence entre la foi chrétienne et une philosophie humaniste même si celle-ci est vécue comme une foi animant son sujet. La différence est double :

  1. La foi chrétienne a une part de philosophie humaniste, c’est vrai, Jésus ne s’en prive pas et Paul encore moins. Mais nous voyons ici que c’est Dieu qui est ici l’architecte de la cité attendue, pas seulement l’intelligence ou le cœur humains. Cela ne dispense pas de penser, puisque l’auteur est précisément en train de le faire, mais cela invite à une philosophie humble, préparée à de l’inattendu, un inattendu qui n’est pas simplement du chaos.
    Cette humilité du croyant est saine car elle nous apprend que vivre ressemble plus à du surf qu’à de la marche sur un trottoir en granit : nous sommes en mouvement sur une réalité vivante et mobile comme une vague.
  2. La foi chrétienne décrite ici n’est pas simplement humble, elle est «également en attente de l’action de Dieu, une action extérieur, transcendante. Elle agit hors de nous, au-delà de l’intelligible, et elle agit en nous. Et c’est cela qui permet de surfer sur la vague de l’existence et des événements, c’est cette impulsion que donne le Christ et qui permet au paralysé de se lever et de gambader, à l’aveugle de voir le chemin qu’il veut emprunter, c’est cette voix qui ressuscite Lazare et le permet de sortir de la tombe.

C’est à cette qualité d’attente que nous invite ce texte, une attente à la fois humble et ouverte sur une transcendance, une attente ferme et en même temps dynamique, souple, vivante, personnelle.

Qu’est-ce que la personne humaine peut attendre ainsi ?

L’avoir et l’être

Le premier exemple que donne cette lettre reprend l’éternelle question de l’avoir ou de l’être. Notre attente est-elle comme celle de Caïn dont le nom signifie possession et qui incarne ainsi notre attente d’avoir ? Ou est-ce que nous sacrifions plutôt à une attendre d’être vraiment quelqu’un, cette attente étant incarnée par son frère Abel « le souffle » ?

Caïn et Abel, tous les deux comptent sur Dieu car tous les deux reconnaissent en lui la source de ce qu’ils ont de bon dans leur vie, et tous les deux lui présentent leur attente pour le futur. Alors, est-ce que nous serions invités à nous dépouiller de toute attente de possession, d’arrêter de conjuguer le verbe avoir non seulement pour ce qui est d’espérer avoir du pain, un toit, une situation, mais même cesser d’espérer avoir des connaissances ou des amis... de sacrifier ainsi notre soif d’avoir afin de mieux nous concentrer sur le verbe être dans notre attente, dans notre espérance ? C’est plus compliqué et plus fin que cela dans la Bible. Le texte ne dit pas que l’attente de Caïn serait mauvaise mais que l’attente d’Abel est meilleure. C’est évidemment une mauvaise idée de tuer notre âme dans une attente pathologique de possession. On le sait, mais c’est si facile de tomber dans le panneau qu’il n’est pas inutile de méditer là-dessus de temps en temps.

Mais ce n’est pas une invitation au dépouillement. Nous sommes ainsi fait que nous ne pouvons être sans avoir, nous sommes donc évidemment à la fois Caïn et Abel. D’ailleurs Jésus ne dit pas « heureux les pauvres », mais il dit « heureux les pauvres en Esprit »(Matthieu 5) : heureux ceux qui ont cette attente-là, attente de l’Esprit de Dieu, attente de ce Dieu créateur agissant en eux. Alors oui, comme l’attend Abraham nous sommes dans cette cité que Dieu rêve et construit. Il transformera notre façon d’attendre ce qui est nécessaire à notre vie en ce monde.

Et si Jésus déclare ensuite « Ne dites pas : Que mangerons-nous ? que boirons-nous ? de quoi serons-nous vêtus ? Car toutes ces choses, ce sont les païens qui les recherchent. Votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu, et toutes ces choses vous seront données en plus ». (Matthieu 6:31-33) Quand Jésus dit cela, ce n’est manifestement pas pour nous inviter au dépouillement mais pour prioriser nos attentes, pour nous concentrer sur l’attente de l’Esprit, ou du Royaume de Dieu pour aujourd’hui, ce qui est la même chose.

La suite de la lettre est intéressante car après avoir évoqué le drame de Caïn tuant Abel, elle dit que néanmoins la foi d’Abel parle encore, montrant qu’il n’est jamais trop tard, qu’aucune personne ne s’est jamais perdue au point de tuer radicalement sa foi ni son être au plus profond de lui. Même quand la frénétique avidité de l’avoir nous saisit, nous sommes encore quelqu’un, la voix de notre personnalité profonde parle encore, elle est alors plus endormie et paralysée que morte. Même en ayant laissé triompher l’avidité des choses matérielles, ou celle du savoir, ou la celle de la morale et du dogme, ou celle de la situation et du pouvoir... par l’amour dont Dieu aime notre âme, sa voix parle et parlera encore.

Mais il n’y a pas qu’Abel qui parle encore, il y a aussi Hénoc qui est un descendant de Caïn. Hénoc vit lui aussi par la foi, et vit éternellement, recueilli par Dieu, nous dit le texte, laissant entendre que rien n’est jamais perdu pour Dieu, pas même cette attente de possession qu’il est bon de domestiquer mais pas de mépriser.

La construction

L’exemple suivant dans cette lettre aux hébreux évoque une autre attente, avec Noé. C’est celle de construire quelque chose pour sauver notre peau. Cette action conjugue l’avoir et l’être, car il faut évidemment avoir les deux pour construire quelque chose. Mais ici, l’avoir est un moyen, ce n’est pas une attente, ce n’est pas une avidité de possession qui écrabouille l’être comme dans l’histoire précédente.

Cette soif d’agir aussi peut devenir une avidité qui dilapide l’avoir et écrabouille l’être. Et cela mérite de se demander ce que l’on cherche vraiment quand on entreprend un chantier ? En vérité ?

Ce texte nous suggère de le faire par la foi, comme Noé. C’est par la foi qu’il reçoit de Dieu comme une information spéciale dont il ne pouvait avoir l’intelligence seul. C’est comme une de ces alertes « priorité au direct » qui surgissent parfois sur nos écrans. Il avait connaissance d’un monde et d’un comportement à tenir pour vivre. Cela se trouve être périmé. Noé va mobiliser son avoir et son être dans une attente nouvelle, une envie d’agir pour sauver les siens. Il prend des troncs d’arbres, il prend ses forces et son temps, il mobilise son énergie, son savoir-faire et ses proches... tout ce qu’il a.

Cette attente de Noé par la foi, c’est un retournement : non pas une attente d’avoir plus mais une attente de dépenser ce que l’on a au service de ce qui est juste, et d’y impliquer son être.

Et là encore, cette foi qu’a Noé le met au bénéfice du Dieu architecte et constructeur. Mais pas sans Noé, plutôt avec Noé, le rendant souple, s’adaptant, anticipant la vague qui va venir, et surfant dessus, et sauvant les siens, et son monde. Et devant tant de douce puissance divine, Noé est impressionné, humble et reconnaissant.

La vocation

Noé nous invitait à revisiter par la foi notre attente en ce qui concerne notre avoir. Abraham nous invite à revisiter notre attente dans le domaine de l’être. Dieu lui adresse, il nous adresse une vocation. L’entendre nous met en route vers un lieu que nous ne pouvons pas connaître puisqu’il appartient au futur, un lieu qui n’existe donc même pas encore mais qui vient. Mais ce lieu, cette façon d’être est assortie d’une promesse.

Pa définition, ce lieu est donc étranger à tout ce qui nous a précédé, est étranger à notre passé et à notre présent. Ce lieu, c’est une nouvelle façon d’être, en mouvement. La lettre aux Hébreux insiste bien là-dessus avec une jolie pirouette. Il nous dit en effet que :

Abraham, par la foi,
vint s'établir dans la terre promise
comme en un pays étranger,
habitant sous des tentes.

Normalement, on attendait qu’Abraham habite comme chez lui dans cette terre étrangère qui lui est donnée par Dieu, qu’il s’y installe en possesseur de cette terre. Mais c’est l’inverse, elle est à lui et il l’habite en étranger, en nomade, en voyageur sous une tente faite pour être démontée demain matin pour aller ailleurs. C’est ce que j’essayais d’exprimer avec cette image du surf sur la mer. Habiter notre être, habiter ce que nous avons : notre monde, nos dons, nos valeurs et notre théologie, notre religion et notre culture... avec souplesse et mobilité, avec fluidité, en étranger, en nomade. Pas en maître. Pas en patron. Mais comme un invité, comme un étranger qui découvre une culture qu’il ne connaît pas et une météo imprévisible.

Avec Abraham, nous apprenons à attendre que notre être s’anime en une bénédiction profonde, vivante, pleine de nouveautés. Réellement.

Je n’ai jamais fait de surf, mais d’autres sports de glisse. Quand on se lance la première fois, il y a un temps de vertige car ce n’est plus une prise qui nous assure, mais c’est le mouvement qui nous porte, ce sont des forces puissantes qui ne sont pas les nôtres : la vague pour le surfeur, la neige poudreuse pour le skieur, les ascendances pour le parapente, la terre de la piste pour le motard... Au début, c’est un peu comme pour le croyant qui commence à interroger son dogme, c’est comme le philosophe athée qui commence à découvrir la prière. Alors se fait sentir un temps de vertige, l’eau est profonde, le vent est fort, la vague se creuse, puissante, et nous soulève, et nous donne la liberté d’une belle trajectoire. La foi, c’est attendre comme cette vague et jouer en équipe avec elle.

Lecture de la Bible

Hébreux 10:39-11:10

Nous, nous ne sommes pas de ceux qui appartiennent à la fuite et perdent l’âme, mais nous sommes de ceux qui appartiennent à la foi pour sauver l’âme.

1 Or la foi, c'est la garantie des choses qu'on espère, la démonstration de celles qu'on ne voit pas. 2 C'est en effet ce que l’on reçoit du témoignage de foi des anciens. 3 C'est par la foi que nous comprenons que le monde a été formé par la parole de Dieu, de sorte que ce qu'on voit ne provient pas de ce qui est visible.

4 C'est par la foi qu'Abel offrit à Dieu un sacrifice de plus grande valeur que celui de Caïn ; par elle, il fut déclaré juste, Dieu lui-même rendant témoignage à ses offrandes ; et par elles, quoique mort, il parle encore.

5 C'est par la foi qu'Hénoc fut enlevé, de sorte qu'il ne vit pas la mort ; et on ne le trouva plus, parce que Dieu l'avait enlevé. Car avant son enlèvement, il a reçu le témoignage qu'il plaisait à Dieu. 6 Or, sans la foi, il est impossible de lui plaire ; celui qui s'approche de Dieu doit croire qu'il existe et qu'il récompense ceux qui le cherchent.

7 C'est par la foi que Noé, divinement averti de ce qu'on ne voyait pas encore et saisi d'une pieuse crainte, construisit une arche pour sauver sa famille ; c'est par elle qu'il condamna le monde et devint héritier de la justice qui s'obtient par la foi.

8 C'est par la foi qu'Abraham, obéit à l'appel (de Dieu) en sortant vers un lieu qu'il devait recevoir en héritage ; et il partit sans savoir où il allait. 9 C'est par la foi qu'il vint s'établir dans la terre promise comme en un pays étranger, habitant sous des tentes, ainsi qu'Isaac et Jacob, héritiers avec lui de la même promesse. 10 Car il attendait la cité qui a de solides fondations, celle dont Dieu est l'architecte et le constructeur.

(Cf. Trad. Colombe)

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