Chérir l’humain plutôt que chérir la loi
Luc 14:1-6
Culte du 15 mars 2015
Prédication de pasteur James Woody
(Luc 14:1-6)
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Culte du dimanche 15 mars 2015 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody
Chers frères et sœurs, la Bible est décidément un compagnon de voyage formidable qui permet des découvertes inimaginables. Pensiez-vous, ce matin, que vous auriez l’occasion de faire la connaissance d’une personne hydropique ? L’hydropisie n’est pas une pathologie très connue. C’est d’ailleurs parce qu’il utilise régulièrement un vocabulaire médical, que nous sommes en droit de penser que le rédacteur de cet évangile était médecin. Dans ce passage, il s’autorise une réflexion sur la dimension médicale du Christ qui nous permet de penser l’acte médical d’un point de vue théologique.
Thérapie vs guérison
La première salve d’enseignement de ce passage se trouve justement dans le vocabulaire employé. Le premier point à relever, le plus décisif pour nous lorsque nous sommes malades, c’est la distinction qui est faite entre soigner et guérir. Trop souvent nos traductions écrasent la nuance faite par l’évangéliste qui fait demander à Jésus s’il est permis de soigner/thérapeuo pendant le sabbat, puis qui atteste que Jésus a guéri/iaomai la personne hydropique qui se tient face à lui. Soigner et guérir, voilà une distinction à faire pour éviter d’attendre d’un médecin ce qu’il n’est pas en mesure de nous offrir. Car s’il est toujours possible de soigner, de prendre soin, la guérison, elle, n’est jamais assurée. En demandant s’il est possible de soigner pendant le sabbat qui interdit de nombreuses activités, Jésus se place bien sur le plan des actes que l’on accomplit pour aider une personne malade. La guérison est une autre histoire qui semble ne pas appartenir au soignant.
Mais qu’est-ce que soigner, qu’est-ce qu’une démarche thérapeutique ? Sans faire un traité définitif, l’auteur de cet évangile l’évoque en trois points :
Contrairement aux idées reçues, nous ne pouvons pas dire que Jésus touche l’homme hydropique ni que c’est en le touchant que Jésus guérit le malade. Le verbe grec est lambano qui veut dire « prendre », avec le préfixe « epi » qui signifie « sur ». Le texte grec dit que Jésus a « sur-pris » l’homme. Cet élément qui passe souvent inaperçu nous met sur la piste d’une action thérapeutique qui recèle une part de surprise, d’inattendu. Le soignant n’est pas celui qui exécute froidement l’action qu’on attend de lui. Le soignant s’implique, il laisse s’exprimer son génie propre. De nos jours, nous pourrions dire que le soignant déplace la demande : il ne se contente pas de répondre à la demande qui lui est faite – j’ai mal à la tête – voici du paracétamol. Le soignant ne prend pas ce qui lui est dit ou présenté pour argent comptant. Il prend « epi », il prend de la hauteur, il va au-delà de la surface des mots, au-delà des symptômes et, ce faisant, il surprend le malade.
Guérir
Le deuxième verbe est « guérir ». Il est difficile de dire, ici, en quoi consiste la guérison de l’homme hydropique. L’idée la plus répandue est que la guérison est un retour à l’état initial, un retour à la situation avant la maladie. Mais le retour en arrière n’existe pas, même avec le Christ. Ici, la mention de la guérison s’accompagne de trop peu de détails pour que nous puissions dire exactement en quoi consiste la guérison. Portons notre regard sur la suite qui apporte un éclairage.
Délier au loin
Ce que nous pouvons noter, c’est que guérir n’est pas le dernier verbe de la démarche thérapeutique. Le dernier verbe est apoluo, que nous pouvons traduire par « délier au loin », autrement dit « libérer pour de bon ». La démarche thérapeutique a pour objectif de libérer. Le soignant délivre le patient, de son mal, mais aussi du soignant. Le malade n’est pas la chose du soignant, sa propriété. Le terme de la démarche thérapeutique est une libération : le patient n’a pas de dette envers le soignant de même que le soignant n’a aucun droit sur le patient. Le patient est délivré de toute emprise que le soignant pourrait avoir eu sur lui, réelle ou imaginaire, et le patient est désormais libre d’aller. La démarche thérapeutique cherche à libérer. Rétrospectivement, cela peut nous renseigner sur ce qu’est guérir, dont j’ai dit un peu rapidement que ce n’était pas un retour à un état initial. Entre surprise et déprise, l’acte de guérison apparaît comme le passage d’une situation subie à la liberté. La guérison peut être comprise comme délivrance du mal qui nous tient, qui nous possède, qui nous maintient dans l’état de malade. La guérison est délivrance de ce mal, sans qu’il soit précisé si la délivrance se fait par la mort du mal. Ici, le travail thérapeutique indique que le mal n’a plus d’emprise, que le malade est libéré, mais il n’est pas dit si le syndrome demeure. La guérison n’est pas un retour à l’état antérieur, c’est le passage à un nouvel état qui nous permet d’accéder à la liberté.
L’homme hydropique
La situation de l’homme hydropique et le parallèle avec l’être vivant tombé dans un puits est à ce titre exemplaire. Peut-être est-il temps de préciser que l’hydropisie est une accumulation de liquides dans les cavités naturelles (l’abdomen notamment). Une personne hydropique souffre d’œdèmes ; elle accumule des liquides à la manière d’une éponge. Cela revient à être gorgé d’eau comme le serait un être vivant tombé dans un puits qui mourrait d’absorber trop de liquide.
Autrement dit, l’homme qui se tient devant Jésus est véritablement semblable à un fils ou un bœuf (selon le vivant auquel vous êtes le plus sensible) qui, étant tombé dans un puits, risquerait de se noyer. Laisse-t-on quelqu’un se noyer sans lui porter secours ? Seul un barbare est capable de ne pas venir en aide à un être vivant qui se noie. Toute personne un tant soit peu humaine s’efforce de faire quelque chose. Qu’a fait Jésus exactement, nous n’en savons rien, sinon à travers les verbes surprendre, guérir, délier au loin. Métaphoriquement, il a sorti l’homme du puits dans lequel il était tombé ; sur le plan du processus, il lui a permis de ne plus être sous l’emprise du mal qui le noyait jusque là. Le mal a-t-il disparu, à vrai dire le texte ne le dit pas. Il est possible que Jésus ait fait découvrir à l’homme à vivre avec son mal, à le dominer, à le surpasser, en tout cas à ne plus en être l’esclave. Comme il est possible d’apprendre à vivre avec un handicap, la guérison peut consister dans l’apprentissage qu’une vie nouvelle est possible avec une maladie qui nous a rongé ou qui est encore présente. Il ne s’agit pas d’un retour en arrière, car le retour en arrière n’est pas possible, en particulier sur le plan théologique ; il s’agit d’une nouvelle histoire, une nouvelle naissance selon ce que Jésus expliquera à Nicodème (Jean 4).
L’amour supérieur à la loi
Tout ceci serait sans problème s’il n’y avait le contexte étroit dans lequel cet épisode se déroule : le sabbat qui proscrit le travail. La question est donc : y a-t-il quelque chose de supérieur à la loi qui nous permette de soigner quelqu’un lorsque la loi rend le soin impossible ? C’est la question à laquelle Antigone répond en disant qu’au dessus de la loi des hommes qui interdit d’enterrer son frère il y a la loi de Dieu qui lui demande de prendre soin de lui et donc de l’enterrer. Nous pourrions transposer la question en nous demandant s’il y a une loi possible au-dessus des lois de la République ?
En l’espèce, les spécialistes de la loi et les pharisiens ne trouvent rien à redire à Jésus qui affirme que l’amour du prochain l’emporte sur la législation, surtout lorsqu’on les met en situation d’avoir son fils ou son sa bête de somme en péril. Les professionnels du droit ne trouvent rien à redire à Jésus qui pose que la loi ne règle pas tout, qu’elle ne nous dit pas tout ce qu’il faut faire ou ne pas faire, car elle ne peut pas envisager toutes les situations. A nous, donc, de faire preuve d’initiative pour exercer notre sens des responsabilités et trouver les moyens de venir en aide aux personnes qui se tiennent là, face à nous. Avec la métaphore du puits en plein Sabbat, Jésus révèle qu’être humain, c’est aller chercher les personnes là où elles souffrent, aller traquer la douleur et la souffrance, là où elles se logent, les traquer aussi profondément qu’elles soient. C’est un impératif qui l’emporte sur toute autre considération légale. S’il nous est possible de soulager la douleur d’une personne, même avec des moyens surprenants, et qu’il est possible, ultimement, de la libérer de l’emprise du mal, c’est un bienfait à ne pas refuser. S’il nous est possible de soulager la souffrance d’une personne, en la sortant de l’isolement dans lequel elle est tombée, même si cela n’est pas écrit dans un protocole, c’est un bienfait à ne pas refuser.
Se soumettre à la loi, au règlement, c’est parfois s’empêcher de réduire la souffrance d’une personne. Considérons une salle de réanimation ; c’est un lieu particulièrement protégé sur le plan de l’hygiène. Les familles y ont faiblement accès pour éviter d’introduire des bactéries. Mais n’y a-t-il pas des occasions, en fin de vie, lorsque les fonctions vitales sont particulièrement déclinantes, de relativiser le risque d’infection au regard du bienfait qu’apportera la présence chaleureuse, aimante, d’un ami, de l’être aimé, d’un membre de la famille ? L’acharnement thérapeutique qui consistait à infliger des médicaments pour tout soigner dans les phases terminales de vie –soigner une bronchite quand on est en phase terminale de cancer- est en net recul. D’autres situations pourraient être l’objet d’une nouvelle réflexion sur les bienfaits pour le patient de la transgression de la loi, des protocoles, pour que les démarches thérapeutiques soient un soin qui délivre du mal au lieu d’être parfois la mainmise d’un soignant sur son patient.
Ce texte biblique met en évidence le souhait de certains de mettre une limite à l’action libératrice du Christ ; ce peut être encore le cas aujourd’hui. En déployant une démarche de soin auprès de l’homme hydropique, malgré le sabbat, Jésus met en évidence la dimension infinie de l’amour qui ne connaît aucune limite et certainement pas les limites que les hommes mettent en place, parfois au nom de Dieu, mais qui sont des limites que Dieu ne reconnaît pas. Le propre de la foi chrétienne est de nous replacer devant l’humain, plutôt que face à la loi car c’est la l’humain dont nous devons prendre soin et non de la loi. Notre vocation chrétienne n’est pas de chérir la loi, mais de chérir l’humain, sans limite, et sans condition.
Amen
Lecture de la Bible
Luc 14:1-6
Jésus étant entré, un jour de sabbat, dans la maison de l’un des chefs des pharisiens, pour prendre un repas, les pharisiens l’observaient.
2 Et voici, un homme hydropique était devant lui.
3 Jésus prit la parole, et dit aux docteurs de la loi et aux pharisiens: Est-il permis, ou non, de faire une guérison le jour du sabbat?
4 Ils gardèrent le silence. Alors Jésus avança la main sur cet homme, le guérit, et le renvoya.
5 Puis il leur dit: Lequel de vous, si son fils ou son boeuf tombe dans un puits, ne l’en retirera pas aussitôt, le jour du sabbat?
6 Et ils ne purent rien répondre à cela.
Traduction NEG
Audio
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