Cherchez les choses d’en haut

Colossiens 2:16-3:4

Culte du 13 mai 2010
Prédication de pasteur Marc Pernot

( Lettre de Paul aux Colossiens 2:16-3:4 )

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Culte du jour de l'Ascension 2010 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur Marc Pernot

Ces notions de résurrection, d’ascension, de Christ à la droite de Dieu et de corps du Christ… tout cela est devenu, ou même a été transformé en concepts terriblement abstraits. Alors que dans les évangiles et les lettres de Paul, il s’agit de réalités très concrètes. Il s’agit d’une façon d’espérer et de vivre, il s’agit d’une façon d’être en relation à Dieu et au monde. Ces notions concernent ainsi tout à fait notre vie quotidienne.

Comment est-ce que ces paroles sont devenues ainsi, pour bien de nos contemporains, des notions abstraites, un peu sacrées et bien mystérieuses ? Par exemple « Christ est monté au ciel et il siège à la droite de Dieu », qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire pour les milliards de personnes de bonne volonté qui répètent cela dans toutes les langues du monde, chaque dimanche, parce qu’on leur a appris que c’était vital pour leur existence et leur salut éternel d’adhérer de tout leur être et de professer bien haut ces mots comme une vérité éternelle, comme un mot de passe, comme un code confidentiel pour ouvrir la porte de Dieu, de ses bénédictions, de son Royaume Éternel…

Que pitié, nous dit Paul. Pourquoi est que vous vous laissez imposer ces dogmes (c’est le mot qu’il emploie ici), pourquoi vous laisser imposer ces ordonnances, ces doctrines, ces dogmes, ces choses obligatoires et interdites, ces temps de fête obligatoires… tout cela, nous dit Paul a une apparence de sagesse, mais est sans valeur réelle.

Pourquoi a t-on imposé ces dogmes, ces temps de fêtes, ces obligations et ces interdits religieux alors que l’Évangile du Christ était animé d’un vrai souffle de liberté ? C’est probablement, je pense, j’espère, en pensant bien faire que ces obligations se sont progressivement imposées, ou ont été progressivement imposées. Et puisqu’elles ont été imposées, elles sont devenues moins réfléchies par les personnes, et donc moins comprises, elles sont devenues pour beaucoup des éléments mystérieux.

Paul reconnaît qu’il n’y a pas que de mauvaises choses dans ces éléments, qu’il y a même une certaine sagesse :

  • parce qu’il y a une dimension de « culte volontaire », la personne choisissant de suivre les règles fixées par des autorités de leur église
  • parce que cela exerce l’humilité
  • et que l’on y engage ses forces, son corps

Mais il y a un problème qui fait que ces dogmes, cette religion sont « sans valeur réelle », nous dit Paul. C’est qu’ils sont imposés par un autre, ou par des autres. Et il nous dit :

« Que personne ne décide à votre place » (v. 18)

Le tableau que Paul brosse en trois traits est vraiment génial, comme peuvent l’être ces caricatures que font sur scène les meilleurs humoristes : ces personnes qui osent vous juger et décider à votre place : elles font mine d’humilité, disant que leurs paroles ne viennent pas d’elles-mêmes mais de Dieu qui, par porteur spécial (des anges) leur a apporté ces dogmes & ces commandements. Alors que ce sont bien souvent leur propre paroles, leurs propres visions, un fruit de leur inconscient et de leur imagination, voire un simple gargouillement d’estomac qu’ils ont pris, ou fait passer, pour une Parole de Dieu, et qu’ils élèvent ainsi au rang de vérité éternelle qui s’imposerait à tous.

Paul propose tout autre chose. Une autre démarche, un autre culte volontaire, une autre humilité, un autre engagement de notre corps. Il nous propose de nous attacher, chacun individuellement, personnellement à la tête, au Christ, en ligne directe (v. 19).

L’objection, ou la crainte que l’on peut avoir dans ce système, c’est l’éparpillement de la communauté. Si l’on se prive de dogmes, de commandements de temps sacrés, de lieux saints et de pratiques obligatoires et donc communes à tous, est-ce que l’église ne va pas perdre toute cohésion, il risque de ne plus même y avoir d’église mais un nuage d’individus isolés, agités d’un mouvement brownien ?

Paul répond immédiatement à cette objection ou à cette crainte : la cohésion de ces personnes libres, c’est le Christ qui l’assure. La croissance de chacun et de l’ensemble, c’est Dieu lui-même, et Dieu seul qui peut la donner et c’est pourquoi il est indispensable que chacun soit en ligne directe avec le centre. C’est lui qui crée des liens, des ligaments et des articulations entre nous tous, assurant à la fois une souplesse et une solidarité qui permettent à l’ensemble de bien fonctionner. C’est pourquoi, nous dit Paul, « ne laisser personne décider à votre place » mais « recherchez les choses d’en haut », et cet « en haut », c’est le lieu où est le Christ, et ce lieu, nous dit Paul, c’est « la droite de Dieu ».

Ce n’est pas de la théologie abstraite, au contraire. La « droite » c’est la meilleure main de l’artisan, la « droite de Dieu », c’est sa dimension créatrice. La « droite », c’est la main par laquelle la maman tient son enfant pour l’accompagner et le rassurer, « la droite de Dieu », c’est donc sa fidélité, sa tendresse.

« Rechercher les choses d’en haut », « penser aux choses d’en haut » c’est espérer, c’est s’ouvrir à l’action créatrice de Dieu, à son amour, à sa fidélité. C’est lui faire confiance non seulement pour nous faire progresser, grandir nous-mêmes, individuellement, mais encore pour créer de vrais liens de solidarité avec les autres, dans la liberté, de compter sur Dieu pour créer et huiler les articulations entre chacun de nous, et qu’ainsi, le corps du Christ grandisse de façon harmonieuse.

Le mot « église » utilisé dans le christianisme pour désigner la communauté humaine est bien fidèle à cela. Le mot « église » signifie littéralement « appelé hors de chez soi », ce qui fait l’église ce n’est donc pas une barrière d’obligations ou une constitution, mais c’est un appel de Dieu adressé individuellement à chacun pour qu’il se mette en mouvement. C’est peut-être pour ça que le mot « synagogue » (littéralement « ceux qui marchent ensemble ») a été rapidement abandonné dans le christianisme au profit du mot « église ». C’est pour insister sur ce qu’est l’essentiel, ce qui fonde cette communauté. C’est que nous sommes unis par un même appel, celui de Dieu, et par une même recherche des choses d’en haut. Nous ne marchons donc pas ensemble au sens où nous serions tous au même endroit, sur une route unique, avançant au même rythme, au pas. Cela supposerait que nous serions tous des clônes. Mais nous avançons sur des routes individuelles convergentes, nous sommes libres d’avancer à notre rythme selon notre sensibilité, mais nous sommes reliés par des liens de solidarités, mais avec la souplesse que donne les articulations, mais dans une croissance du corps tout entier par le développement de chacun des membres.

L’Église, c’est fondamentalement l’appel de Dieu et la recherche de Dieu, un appel et une recherche individuelle.

Voilà pourquoi l’Ascension est une fête si importante. Christ est notre chef, il est la tête du corps, il est le lien et l’articulation entre les membres. Et bien, Christ est au ciel, il est bien assis, pour toujours à la droite de Dieu. Par conséquent, nul homme, nul groupe, nulle caste ne peut prétendre qu’il est le chef, qu’il faut lui obéir, qu’il est le juge des autres. Même si cet autoritarisme s’habille d’une apparence d’humilité disant que par ses visions ou ses extases c’est la Parole de Dieu lui-même pour nous qu’il a reçu et qu’il est heureux ne nous transmettre pour nous rendre service. La vérité, dans le christianisme, ce ne sont pas des formules ou des rites, la Vérité, pour nous, c’est une personne, c’est le Christ, et il n’est pas sur terre, il est au ciel. La voix de Paul ne prétend pas délivrer la vérité, elle st plutôt un appel à nous ouvrir directement à la Vérité : « recherchez les choses d’en haut ». Recherchez-les vous-mêmes, ouvrez-vous à l’action créatrice de Dieu, le ciel est ouvert.

Nous recherchons les choses d’en haut, mais sans oublier que nous sommes en bas, sur terre. Si notre espérance et notre pensée sont en haut, nos mains, comme la droite de Dieu sont tendues vers l’action créatrice, l’action dans la création, en articulation avec nos frères et sœurs ici bas. Et Paul refuse que l’on se prenne pour de purs esprits en s’abstenant de telle ou de telle nourriture. Bien entendu, nous dit-il il faut user de ces choses raisonnablement, mais sinon, tout est bon.

Bien sûr, il faut quand même de la nourriture pour nos corps, de l’organisation dans l’église, des pasteurs, des facultés de théologie, des conseils presbytéraux, payer la note de gaz, il faut des synodes rassemblant les délégués de chaque paroisse pour assurer la vie, la croissance, et la solidarité… mais il s’agit là de l’organisation des choses de ce monde et cela doit rester de l’ordre du nécessaire, mais pas de l’essentiel. C’est donc un beau symbole que le synode national des Églises Réformées de France soit chaque année précisément à l’Ascension, cela nous rappelle que le Christ est au ciel et justement pas au synode, cela nous rappelle que l’église en tant qu’institution n’est pas le Christ, que la parole des pasteurs n’est pas la voix du Christ. Ce serait plutôt, comme Paul ici, cette annonce : Christ est au ciel, recherchez les choses d’en hat, recherchez, attendez de Dieu lui-même, directement, la vie, le mouvement, la croissance, et l’être, espérez de lui la liberté pour chacun et la solidarité, l’articulation entre nous.

L’Église n’est pas médiatrice entre Dieu et l’homme, elle fait simplement écho à l’appel de Dieu pour chacun, appel à « chercher sa face » (Ps 27:8).

Jésus lui-même n’est pas médiateur entre nous et Dieu, Jésus aussi renvoie à Dieu, il nous appelle à prier Dieu, comme lui-même le fait.

Quand Paul parle ici de Christ assis à la droite de Dieu, ce n’est pas de l’homme Jésus de Nazareth qu’il verrait assis sur un trône de marbre là-haut. Christ, nous dit-il, c’est notre vie, vie qui s’est manifestée en Jésus de Nazareth, mais vie qui nous concerne également nous, c’est cette force que Dieu nous donne, la force de se lever et d’aider son frère à se lever, unis que nous sommes par des liens et des articulations. Ce verbe tout simple et tout concret de « se lever », « se mettre debout » étant traduit ici par « ressusciter ». Paul crée ici un verbe pour dire ce mouvement vers le haut : il appelle ça « être-levés-tous-ensemble » avec Christ. Et nous le sommes déjà, nous dit Paul, ou plutôt nous le sommes déjà en partie, nous sommes en train non pas de nous lever, mais d’être levés par Dieu en Christ, nous sommes déjà en partie libérés de la seule force de gravitation, nous sommes déjà en partie mort à ces forces d’en bas, à ces seules forces qui nous tirent vers le bas.

Dans la mesure où nous avons ainsi déjà « été levés ensemble avec Christ », dans la mesure où nous pouvons avoir une pensée, une espérance, une intention tournée vers le haut, nous sommes alors un petit peu debout, un peu plus libres, un peu plus en articulation les uns avec les autres. Nous sommes alors un petit peu plus à la droite de Dieu, un petit peu plus une force de création en ce monde, un petit peu plus une source de tendresse pour les autres, sans jugement, nous dit Paul, sans la prétention de détenir à soi tout seul la vérité ultime de Dieu ; ou une autre vérité que celle-ci, fondamentale : cherchons les choses d’en haut. « Soyons réconciliés avec Dieu! » (2 Corinthiens 5:20)

Alors nous pourrons choisir pour nous mêmes un culte, des convictions personnelles, des choses que nous choisissons de faire et d’autres dont nous choisissons de nous abstenir, mais dans la liberté et selon l’Esprit. N’éteignons pas l’Esprit, cherchons les choses d‘en haut.

Amen.

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