Chaque jour vaut mille ans !

Psaume 90 , Cantique des cantiques 3:1-4a

Culte du 31 janvier 2010
Prédication de pasteur James Woody

Vidéo de la partie centrale du culte

Culte du dimanche 31 janvier 2010 à l'Oratoire du Louvre

prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, Mille ans sont, dans les yeux de Dieu, comme le jour d’hier… ce quote est fort d’une puissance poétique qui évoque assez bien l’idée que la plupart des gens se font de Dieu et de sa grandeur. Mille ans de notre histoire ne seraient qu’un jour au regard de l’Eternité, au regard de l’Eternel. Oui, cette évocation correspond assez bien à cette idée selon laquelle Dieu est infiniment grand à côté de nous qui sommes ridiculement petits. Pour autant, cette vision théologique ne me semble pas conforme au message biblique ; elle ne me semble pas conforme à l’Evangile prêché par Jésus-Christ et je dirais même qu’elle s’oppose à l’humanité que Dieu s’efforce de susciter, selon les témoignages bibliques. Considérer que mille ans de notre histoire ne valent pas plus qu’un jour au regard de l’Eternel a même des effets désastreux, c’est ce que j’aimerais mettre en évidence dans un premier temps.

En minimisant à outrance la vie humaine, l’histoire des hommes, les tenants d’une telle théologie en viennent à rendre inutile toute action, toute entreprise. Les tenants d’une telle théologie ramènent toute vie, toute trajectoire, à n’être, en fin de compte, qu’un détail dans l’histoire de l’humanité. En minorant l’importance de la vie des hommes, en réduisant à presque rien les trajectoires biographiques, les tenants d’une telle théologie considèrent que ce que nous faisons aujourd’hui n’a qu’une signification infime ou, pire, que ce que nous faisons est tout simplement inutile.

J’en ai eu l’illustration à l’occasion d’une discussion théologique sur le récit de la femme adultère dans l’évangile selon Jean. La discussion avait débouché sur la notion de pardon : certains défendaient un pardon possible, le don d’une nouvelle vie ; d’autres affirmaient qu’il n’est pas possible d’être pardonné de notre vivant, que seul Dieu peut pardonner, dans un au-delà de la vie au sens biologique du terme. Pour ceux-là, l’homme était réduit à n’être qu’un objet en attente du jugement de Dieu, jugement reporté dans une vie après la mort physique. Pour ceux-là, aujourd’hui n’est rien.

Autre exemple, pris dans la vision bouddhiste notamment : la vie n’est qu’une forme d’illusion, un état qu’il faut supprimer, éteindre (selon le sens du mot Nirvana) et l’un des principes fondamentaux est que la vie est impersonnelle. Ce que nous vivons ne compte pas. Ce que nous sommes ne compte pas. Ce qu’il faut, c’est rejoindre le grand tout : le reste n’est que souffrance inutile. C’est cette vision des choses qui justifie le maintien des castes car ce n’est pas dans ce monde que la vie trouvera quelque forme d’accomplissement que ce soit. Aujourd’hui n’est rien, absolument rien, au regard de ce qui nous attend, alors il est inutile de se préoccuper de la justice sociale. Laissons tout comme cela, et Dieu reconnaîtra les siens.

Nous pouvons aussi prendre le cas de l’œcuménisme et observer ce scandale qui consiste dans le fait que les uns refusent de communier avec les autres. Une théologie peut conduire à se satisfaire de cet état de fait. Alors, pour montrer, quand même, une forme de bonne volonté, on se réfugie derrière un au-delà de l’histoire, et on renvoie à… un jour : un jour où nous verrons… un jour où les esprits seront bien disposés… un jour… à la manière de celle qui chante qu’un jour son prince viendra… ce qui justifierait qu’aujourd’hui on puisse se résigner, se croiser les bras et attendre. Mais attendre quoi, au juste ? faut-il attendre comme la femme du Cantique des cantiques, qui espère que son lit va soudainement se garnir de l’être aimé ? elle a beau soulever son drap, chercher sous l’oreille, il n’apparaît pas comme par enchantement ! Ce n’est qu’à la condition de se lever et de se mettre véritablement en quête qu’elle va le rejoindre. Et encore, ses premières démarches sont insuffisantes : elle doit faire preuve de ténacité, demander à droite et à gauche, aller de ci-de là pour finalement le trouver. Pas de passivité mais une démarche active. Il n’est pas question de se dire « bah, de toutes manières, ça ira mieux plus tard, ça arrivera bien un jour, et puis, cette vie ici-bas n’est rien au regard de l’Eternel, alors inutile de se faire du mauvais sang… un jour… »

Je trouve cette théologie extrêmement démobilisatrice et contradictoire avec ce que Dieu nous propose de vivre dès à présent. Et cela tient au fait que ce quote est compris à l’envers. La clef d’interprétation, je la trouve dans le psaume 84 qui, au quote 11, dit que « mieux vaut un jour dans tes parvis que mille [ailleurs] ». Un jour auprès de Dieu vaut plus que mille jours loin de Lui. Ce rapport de 1 à 1000 n’exprime pas la brièveté de notre vie qui est alors ridicule face à l’éternité de Dieu. Ce rapport exprime la qualité de ce qui est vécu ou, pour le dire avec un terme des sciences physiques, ce rapport exprime l’intensité de ce qui est vécu. Contre une théologie qui réduit l’homme à néant car la durée de sa vie serait insignifiante au regard de l’éternité, la Bible nous propose une théologie qui développe la qualité comme mesure première de l’existence.

C’est ce qu’exprime à sa manière le poète John Keats : « je rêve que nous sommes des papillons n’ayant à vivre que trois jours d’été. Avec vous, ces trois jours seraient plus plaisants que cinquante années d’une vie ordinaire ». Voilà ce que nous pouvons entendre dans ce psaume 90, au lieu d’entendre que nous ne serions que quantité négligeable : Dieu est celui qui intensifie notre vie de telle sorte que ce qui pourrait passer pour une journée fugace se trouve être investie de la valeur de mille ans !

Une théologie de l’intensification qui conduit à l’action

C’est ce que ce psaume exprime, contre une lecture trop superficielle qui s’en tient aux stéréotypes qui arrangent ceux qui veulent, pour des raisons obscures, que Dieu soit cruel. Ainsi, au quote 3, lorsque la traduction française propose « tu fais retourner l’homme à la poussière, et tu dis : fils d’Adam, retournez »… ce serait un contre-sens de penser que Dieu est celui qui fait retourner l’homme à la poussière, que ce soit en l’humiliant ou en l’éradiquant comme s’il n’était pas suffisant que nous ne soyons quasiment rien à côté de Dieu et qu’il fallait que Dieu nous réduise encore un peu plus. Nous pouvons lire, au contraire, que Dieu est celui qui s’efforce de retourner l’homme, oui, c’est bien le verbe « chouv » qui est employé et qui signifie le demi-tour et, dans un sens théologique, la conversion. Et si Dieu s’efforce de faire demi-tour à l’homme ce n’est pas pour en faire de la poussière : Dieu ne fait pas retourner l’homme vers la poussière ; Dieu est celui qui s’efforce de nous faire faire demi-tour lorsque nous empruntons un chemin mortel et qui s’y emploie, sans relâche tant qu’il peut, jusqu’au point de non-retour, lorsque nous ne sommes plus que poussière (‘ad dakka). Preuve en est que c’est par la parole que Dieu agit, nous dit ce psaume. Sauf à considérer que l’homme est à ce point stupide pour se faire Hara-kiri sur ordonnance, nous devons comprendre que Dieu est celui qui essaie de nous sauver d’une vie qui n’est que poussière, d’une vie qui est aussi inconsistante que l’herbe. L’Eternel s’adresse à l’homme pour lui faire faire demi-tour lorsqu’il s’obstine sur des chemins de perdition, sur des chemins qui ne valent pas grand chose car, aux yeux de Dieu, chaque jour de notre vie pourrait valoir mille ans d’une vie ordinaire !

Oui, Dieu est celui qui est capable d’intensifier notre quotidien, celui qui peut donner de l’épaisseur à notre vie, celui qui peut nous enseigner une nouvelle manière de compter nos jours en cessant d’additionner les jours, les années pour savoir ce que vaut notre vie, car c’est l’intensité de ce qui est vécu qui compte vraiment.

Cette théologie autorise bien des choses que la théologie de la peur et de la cruauté rendait caduque. Cette théologie de l’intensification de la vie nous autorise et, même, nous encourage à agir dans ce monde-ci, dans ce quotidien. Lorsqu’il proclame qu’il fait le rêve qu’un jour, sur les collines rousses de la Géorgie, les fils d'anciens esclaves et les fils d'anciens propriétaires d'esclaves pourront s'asseoir ensemble à la table de la fraternité, le pasteur Martin Luther King ne se tourne pas les pouces en se disant que, de toutes manières, c’est dans un hypothétique avenir que cela se réalisera. Non, il s’emploie à ce que cela advienne en agissant ! Lorsque nous décidons, à La Clairière - ce centre d’action sociale fondé par notre paroisse il y a bientôt 100 ans – qu’il faut refaire la maternité dans le village de Dembancané, au Sénégal, là où nous organisons des séjours pour des jeunes en errance totale parce que nous refusons qu’ils mordent la poussière des Halles, parce que nous considérons que l’alcool, la drogue, la mendicité n’est pas le lit dans lequel il trouveront une vie épanouie et qui, par ce séjour de découverte et de service, trouvent ainsi le moyen de se rendre enfin utile et de retrouver leur dignité perdue… lorsque nous décidons de refaire la maternité là où les dix femmes qui accouchent chaque jour font mieux de n’y rester qu’une heure trente parce qu’au-delà il est plus dangereux d’y rester que d’en sortir, cette maternité qui manque de tout et pour laquelle il nous faut fournir aussi bien le petit matériel médical (stéthoscope, pèse-bébé, speculum…), que du paracétamol ou même des portes pour éviter que les animaux n’y pénètrent, c’est au nom de ce Dieu qui s’efforce de nous éviter de mordre la poussière, qui veut que notre vie soit intense et qui ne peut se satisfaire que nous soyons passifs, démobilisés ou capables de renvoyer la solution… à jour, dans un au-delà.

Cette intensité de vie à laquelle Dieu nous appelle, c’est ce qui nous autorise à mener plusieurs projets à la fois, parce que Dieu nous en rend capable. Cette intensité de vie, c’est ce qui nous autorise à aller explorer les étoiles et à y consacrer de l’argent alors même que tous les problèmes ne sont pas encore résolus sur terre parce que cette intensité que Dieu crée en nous est telle qu’elle nous rend, dans les faits, capables d’aller dans l’espace tout en réglant les problèmes de nutrition, de faim, de mortalité infantile, d’éducation. Que certains préfèrent avoir une vie digne d’une peau de chagrin, que d’autres préfèrent ne s’occuper que du nombre de leurs années, que d’autres bottent en touche et renvoient la possibilité d’un monde meilleur à l’au-delà, n’est pas à imputer à Dieu mais à l’homme qui est pleinement responsable de cela.

La puissance de Dieu

Avec le combat de Jacob (Genèse 32), nous avions vu que Dieu intervient dans notre histoire pour créer une tension féconde, une tension génératrice de vie, de recommencement. Aujourd’hui, nous voyons que Dieu intervient aussi pour intensifier notre quotidien, pour lui donner une intensité exceptionnelle. Les physiciens savent que lorsque la tension et l’intensité sont conjuguées nous obtenons alors la puissance. La puissance d’un courant électrique est le produit de la tension et de l’intensité dudit courant.

Précisément, Dieu est cette puissance que les croyants éprouvent au plus profond d’eux-mêmes et qui leur permet de mettre leur vie en lumière. Dieu est cette puissance que les psalmistes ont éprouvée et dont ils ont laissé l’empreinte dans ces prières qui, au fil des siècles, ont pu rendre aux personnes en difficulté de l’intensité dans leur faiblesse, de la dignité dans leur humiliation.

Dieu est cette puissance qui pousse les héros du Cantique des cantiques, ce poème biblique de l’amour, à partir en quête de l’être aimé au lieu de se résigner à le perdre. Dieu est cette puissance qui anime les amoureux de la vie à poursuivre leur route, à remuer ciel et terre plutôt qu’à se morfondre et se désoler.

Dieu est cette puissance qui agit en nous pour que nous qui, parfois, pensons n’être qu’un détail dans l’histoire de l’humanité, nous puissions nous rendre compte que nous vivons trop souvent en sous-régime. Grâce à Dieu, nous pouvons retrouver de l’allant, cette capacité à agir plutôt qu’à subir, cette capacité à créer les conditions d’une vie bonne plutôt que d’attendre passivement que ça aille mieux, un jour, comme si le temps était un être qui agit… de ce point de vue, la mythologie grecque a raison, le temps est comme Chronos : il ne fait rien d’autre qu’engloutir ce qui lui passe sous la dent.

Ceux qui se fient à l’Eternel sont de ceux qui refusent de dépérir tranquillement et de mordre la poussière ; ce sont ceux qui résistent à l’outrage du temps et qui s’engagent de tout leur être dans cette vie renouvelée par Dieu, une vie où chaque jour vaut mille ans !

Amen.

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