Calvin s’efface…

Jean 1:19-28

Culte du 12 juillet 2009
Prédication de pasteur James Woody

( Jean 1:19-28 )

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Culte du 12 juillet 2009 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, ayons une pensée pour nos lointains successeurs, dans 500 ans… Car dans 500 ans, nos lointains successeurs devront choisir entre célébrer le millième anniversaire de la naissance du réformateur Jean Calvin et le cinquième centenaire de la mort du chanteur Mickaël Jackson !

Les esprits les plus taquins – ou les plus avisés – diront que plus personne ne pensera à l’un ni à l’autre ; ce qui est tout à fait possible. Et, dans une certaine mesure, ce sera une bonne manière d’être véritablement fidèle à la Réforme religieuse que Jean Calvin a entreprise en son temps : une réforme qui a cherché à remettre les choses à leur juste place, en remettant Dieu à l’honneur, selon la formule désormais célèbre « A Dieu seul la gloire ». A Dieu seul la gloire, et pas à Jean Calvin, notamment ! Car Jean Calvin n’est ni Dieu ni son messie !

Les siècles qui nous séparent du 10 juillet 1509, jour de sa naissance à Noyon, ont été suffisants pour qu’une image caricaturale se dessine et recouvre la personnalité de celui qu’on nomme le réformateur de Genève, puisque c’est dans cette ville qu’il a accompli le principal de son œuvre. A écouter ses détracteurs, Calvin fut un véritable tyran, préfigurant les despotes qui jalonneront le XXème siècle : un homme sec, sévère, condamnant toute forme de plaisir ; un homme triste, acariâtre, voulant tout contrôler, voulant tout régenter... un véritable épouvantail, en somme !

Si Mickaël Jackson n’aura eu de cesse de se transformer parce qu’il voulait être un autre lui-même, c’est l’histoire qui se sera chargée de changer Calvin, en en faisant un personnage austère et peu recommandable.

Jean le Baptiste, lui non plus, ne devait pas avoir bonne presse auprès de ses détracteurs. On peut imaginer que, juste couvert d’un vêtement en poil de chameau et se nourrissant de sauterelles et de miel sauvage, il devait faire peur à voir. Il devait en inquiéter plus d’un, comme le montre l’enquête qui est diligentée pour en savoir un peu plus sur lui et sur son positionnement dans la hiérarchie religieuse du moment.

Et, certainement, Jean le Baptiste nous aide à mieux comprendre Calvin et, peut-être, à mieux l’apprécier aussi. A la manière de Jean le Baptiste, Jean Calvin fut la voix d’un homme qui a crié dans le désert : « préparez un chemin droit pour le Seigneur ! ». A la manière de Jean le Baptiste, Jean Calvin s’est effacé derrière celui qu’il annonçait : le Dieu vivant et agissant. L’un et l’autre semblent avoir connu un véritable succès, attirant à eux les foules. Ils auraient pu profiter de ce succès pour devenir gourou de leur vivant. Mais ils avaient en commun le soucis de ne pas prendre la place de Dieu ; ils avaient le soucis de renvoyer, toujours, au seul qui soit digne de louanges : Dieu, et Dieu seulement. Jean le baptiste n’a pas fondé le baptisme et Jean Calvin, en dépit des apparences, n’a pas fondé le calvinisme ! ce sont les successeurs qui s’en sont chargés. Calvin ne souhaitait pas fonder une nouvelle religion (sa lettre au roi François Ier, qui ouvre son Institution de la religion chrétienne, souligne qu’il ne cherche rien d’autre que l’authenticité de l’Evangile et la fidélité de l’Eglise) et il n’a pas cherché à façonner des adeptes qui, plus tard, pourrait réciter Calvin dans le texte.

A la manière de Jean le Baptiste, Calvin s’est efforcé de ne pas capter l’attention sur lui, mais de la conduire à Dieu. Et il n’est pas du tout sûr que le réformateur aurait aimé toutes les manifestations qui sont organisées cette année, tous les livres qui sont écrits sur lui, les effigies qui se déploient… voilà qui est assez contraire à ce soucis d’effacement qui a caractérisé ces deux Jean. Et il ne s’agissait pas de fausse humilité, d’une sorte de coquetterie qui consiste à faire le modeste pour attirer les compliments. Calvin avait toutes les qualités intellectuelles pour devenir un juriste ou un universitaire tranquillement installé loin des polémiques, loin des tumultes de l’histoire. Il aurait été un notable brillant, riche, ce qui n’a pas été son cas parce qu’à ses yeux il y avait  plus important que son statut personnel, il y avait plus important que la tranquillité ou la gloire personnelle, il y a avait le sens du service.

Car l’effacement ne signifie pas l’inaction. Jean baptise et il prêche le royaume qui vient plutôt que de se croiser les bras ! l’autre Jean prêche, il ouvre une université, il suscite des écoles, il conseille, encourage, enseigne, il écrit abondamment. L’un et l’autre répondent à leur vocation en faisant valoir leurs talents respectifs pour la cause de Dieu. Pas d’oisiveté, pas d’attentisme. Ils ont la conscience vive de n’être rien au regard de Dieu, mais ce rien, parce qu’il est considéré par Dieu, devient une formidable puissance de travail, une formidable puissance au service des autres.

Jean Calvin ne se crée pas un monde sur mesure, il ne se bâtit pas un univers de rêve à usage personnel : pas de conte de fée façon Walt Disney car il ne se prend ni pour Bambi ni pour Blanche Neige ni pour l’apprenti sorcier. Cette humilité commune aux deux Jean qui confine à l’effacement, n’est pas un retrait dans un monde merveilleux ; ce n’est pas une manière de se cloîtrer pour se préserver des problèmes : c’est laisser de la place à Dieu dans notre existence pour que ses projets de bonheur puissent se concrétiser un peu à travers nous. Cette humilité, c’est enrichir notre existence de ce que Dieu nous propose d’expérimenter, de ce qu’il nous propose de mettre en musique. Et tout cela s’oriente vers le service des autres. Laisser de la place à Dieu dans notre vie nous ouvre, immanquablement, à de nouvelles relations, à de nouvelles interactions. Nous sommes comme cette foule à qui Jean révèle qu’il y a en son sein quelqu’un qui est méconnu et qui, pourtant, est bien plus grand que tous. S’ouvrir à Dieu, ne pas saturer son quotidien de ses seuls désirs, de ses seules envies, c’est s’ouvrir à plus grand que soi, à plus intéressant que soi, bien souvent et cette ouverture est active. Il ne s’agit pas seulement de tolérer la présence des autres à nos côtés mais de prendre conscience que nous avons une responsabilité à leur égard. Il ne s’agit pas seulement de prendre acte qu’il y d’autres personnes que moi sur terre, il s’agit, aussi, d’avoir le soucis de ces personnes qui, en quelque sorte, me sont confiées par Dieu. L’humilité qui fait de la place à Dieu nous conduit au service du prochain, selon nos compétences. Jean le Baptiste prêchait un monde meilleur où l’homme serait un peu moins un loup pour l’homme et dont le baptême signifiait un changement de comportement pour aller en ce sens. Jean Calvin a été essentiellement pasteur pour les autres, pour que la parole de Dieu ne reste pas lettre morte, en rappelant que tout métier, que toute activité professionnelle relevait de la vocation c’est-à-dire d’un appel de Dieu à faire de notre mieux avec nos savoir-faire. Agir selon ce que Dieu nous donne la force de faire, voilà qui vaut mieux que ne s’en tenir qu’à ses seules forces.

S’effacer pour laisser à Dieu la place qui lui revient. Agir selon ce que Dieu nous donne les moyens d’accomplir, voilà de quelle manière Calvin s’est inscrit dans le droit fil de cette manière de vivre que les texte bibliques nous proposent et dont Jean le baptiste est un témoin privilégié.

Alors, fêteront-ils le millénaire de Calvin, nos successeurs ? au moins seront-ils bien inspirés, comme nous le sommes en cette année 2009, de profiter de l’occasion pour rappeler que nous ne sommes pas seulement les enfants de notre époque. Pas plus que nous ne serions que les enfants de 1789, enfants de la contestation. Nous sommes aussi les enfants de 1536, date de parution de la première version de l’Institution de la religion chrétienne. Nous sommes les enfants de cet effort spirituel d’une foi qui s’exprime aussi clairement que possible et qui s’arrache aux brumes de la superstition pour devenir une adhésion libre à ce que Dieu propose à l’humanité. Mais Calvin nous renvoie à plus loin et à plus grand que lui en faisant de nous, aussi, les enfants de l’an 30, année supposée de la résurrection de Jésus qui fait de nous des enfants de l’espérance.

Célébrer les figures ou les événements du passé, c’est découvrir ou se rappeler des filiations qui nous dépassent largement, qui nous inscrivent dans un réseau d’événements et de personnes bien plus grand que notre famille biologique, bien plus grand que notre cercle amical, bien plus vaste que les réseaux sociaux que nous mettons en place.

Célébrer Calvin, c’est s’inscrire dans ce mouvement de Réforme et se rappeler que nous n’avons pas tout créé de nos propres mains, que d’autres, avant nous, ont creusé des sillons dans lesquels d’autres ont semé, que d’autres encore ont arrosé et qui nous permettent, aujourd’hui, de profiter des fruits de la récolte.

Célébrer Calvin c’est nécessairement aussi, célébrer les autres réformateurs, souvent moins connus du grand public français, mais par la faute des successeurs de Calvin qui ont parfois adulé le maître qui, lui, n’a eu de cesse d’échapper à l’idolâtrie de ses fanatiques, jusque dans la décision d’être inhumé de manière anonyme pour s’assurer qu’aucun culte post-mortem ne lui soit rendu un jour.

Célébrer la naissance de Calvin, c’est aussi devenir citoyen à la fois de Jérusalem, le ville qui symbolise les textes bibliques qu’il a remis à l’honneur, et d’Athènes, la ville qui symbolise la philosophie dont Calvin a fait d’abondantes citations tout au long de son œuvre.

Célébrer la naissance de Calvin c’est aussi, inévitablement, effacer un peu Calvin pour que ni lui ni aucun autre théologien ne prenne la place de Dieu et deviennent un maître à penser à notre place. Il faut effacer un peu Calvin de notre histoire pour laisser à Dieu la possibilité d’injecter dans notre propre histoire ce qui nous permettra, à notre tour, de faire histoire, non pas en répétant servilement ce qui a été bien fait et bien écrit il y a 500 ans, mais en étant réformateur pour notre époque, selon les questions et les défis qui se posent de nos jours.

Amen

 

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