Bénir : l’éloge de la vie démultipliée

Deutéronome 30:15-20 , Cantique des cantiques 6:4-9

Culte du 27 avril 2014
Prédication de pasteur James Woody

Culte du dimanche 27 avril 2014 à l'Oratoire du Louvre
Prédication du pasteur James Woody
Bénir : l’éloge de la vie démultipliée

( Deutéronome 30:15-20 ; Cantique des cantiques 6:4-9 )
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Chers frères et sœurs, le texte du Deutéronome rassemble les Hébreux au seuil de la terre promise. Dans ces chapitres qui précèdent la mort de Moïse, il est question de préparer le peuple à entrer dans cette terre, c’est-à-dire à accéder à la vie authentique, la vie en plénitude. Ainsi en va-t-il de l’enfant qui est baptisé alors qu’il se trouve au seuil de sa propre vie. C’est le bon moment de l’équiper de ce qui lui sera nécessaire pour la suite. L’équipement consiste en une cartographie de l’existence qui aide les randonneurs de la vie à s’orienter. Ici, il est d’abord question d’identifier quelques menaces, trois menaces que je qualifierai avec le terme moderne d’angoisse : trois angoisses auxquelles chaque être humain est susceptible d’être confronté.

La mort

L’angoisse de la mort est un fait universel. Nous sommes toutes et tous, à un moment de notre vie, marqué par l’angoisse que provoque la finitude de l’homme. Devant nous, il n’y a pas que la vie, il y a aussi la mort, parfois comme une abstraction, sous la forme d’un destin inéluctable auquel nous savons ne pas pouvoir échapper ; la mort, nous en faisons parfois l’expérience : elle est là, terriblement présente, marquant la chair de notre histoire personnelle. Bouger, voir du monde, faire, gesticuler, donner le change, faire semblant, ne pas être soi (« not to be »), mais faire bonne figure… ce peut être autant de façons de tromper l’angoisse de la mort.

L’absurde

L’absurde, c’est l’angoisse qui grandit quand la vie n’a plus vraiment de sens, quand elle est comme une coquille vide. La lassitude, la grande fatigue sont les symptômes de cette angoisse ; c’est ce que le Deutéronome exprime par le verbe ‘avad (périr, s’évanouir). C’est lorsque des croyances s’effondrent et que nous n’avons plus de raisons de nous lever, de nous lancer dans une nouvelle journée.

Certains surmontent cette angoisse par un fanatisme dans des certitudes qu’ils s’interdiront de mettre en doute. Ils sauveront leur vie en sacrifiant leur liberté, cette liberté d’interroger, de remettre en cause, de critiquer. Le théologien Paul Tillich note que c’est cette angoisse de l’absurde, du vide, qui pousse le fanatique à persécuter les dissidents, parce que les dissidents sont une figure insupportable de l’altérité, une figure de cette possibilité qu’il puisse y avoir une autre manière d’envisager la vie que celle que je me suis forgée, si péniblement.

La condamnation

Le Deutéronome poursuit son exploration de l’angoisse en abordant la question de la condamnation. L’angoisse de la condamnation, c’est cette culpabilité qui nous taraude lorsque notre conscience met en évidence nos manquements. Lorsque nous nous attachons à des formes figées de la vie (les idoles), lorsque nous nous laissons aller irrésistiblement vers ce qui est morbide, un dialogue intérieur s’engage qui nous met face à l’absolu et interroge le mal que nous commettons, que parfois nous nous infligeons. C’est un dialogue qui peut faire mal. Certains mettent fin à ce dialogue intime en liquidant leur sens moral. La douleur s’atténue.

Angoisse de la mort, angoisse de l’absurde, angoisse de la condamnation, trois angoisses qui réduisent considérablement notre capacité d’être ; trois angoisses que nous tentons parfois de maîtriser par des bricolages qui, à défaut de régler la question en profondeur, rendent la vie supportable. Un peu de morphine, de temps en temps, permet de calmer nos douleurs internes.

La bénédiction pour surmonter les angoisses

Les textes bibliques nous orientent sur une autre voie pour surmonter ces angoisses. C’est la voie de la bénédiction. A côté de ces trois formes d’angoisse, ces trois malédictions, qelalah en hébreu (ce qui rend plus petit), l’Eternel place devant nous la bénédiction, la beraka, pour que nous y ayons recours.

Pourquoi la bénédiction ? Parce que la bénédiction est ce qui sauve l’humanité de l’homme. La bénédiction, une parole bonne, eulogia en grec, c’est-à-dire l’éloge, c’est ce qui exprime le bon de la personne à qui elle est adressée. La bénédiction, c’est cette parole positive qui révèle la beauté et la bonté d’un être et lui fait entendre pour qu’il en fasse quelque chose, pour qu’il en vive, pour qu’il se mette à vivre comme il n’avait encore jamais vécu jusque là. La bénédiction, c’est la mise en mots de ce regard favorable que l’Eternel pose sur l’être humain pour qu’il se sente autorisé à être.

Ces paroles qui bénissent, ce sont les paroles qui se réfèrent à l’ultime, ce que le Deutéronome appelle commandements, décrets, jugements de l’Eternel, et qui dessinent un horizon vers lequel nous pouvons tendre notre vie. Ce sont des paroles qui ajoutent de la vie à la vie, qui rendent notre vie féconde, qui nous font gagner en qualité de vie, qui démultiplie notre vie au point d’en faire une existence, c’est-à-dire une vie qui dépasse tous nos états transitoires. Pour reprendre la racine hébraïque du texte biblique, ces paroles, c’est ce qui nous offre du « rab » de vie. Pour certains, cette fécondité passera par la natalité, mais ce n’est pas le seul moyen d’ajouter de la vie à la vie. Ce peut être entreprendre un projet, ce peut être se passionner pour une activité, ce peut être s’engager dans une cause à défendre, ce peut être rendre service, ce peut être devenir l’artisan du bonheur de l’autre.

Bénir, ce n’est pas octroyer un diplôme ou un certificat. La bénédiction est l’histoire de la surabondance du bonheur que l’on peut susciter pour soi et autour de soi. La bénédiction est l’art de dire ces paroles qui ouvrent un avenir, qui aident à frayer un chemin à ce qui est juste, ces paroles qui rendent le monde un peu plus vivable. C’est la raison pour laquelle lorsque nous bénissons les couples au nom de l’Eternel, nous disons à ceux qui unissent leurs trajectoires qu’ils peuvent vivre leur histoire commune selon la dynamique de la grâce plutôt que selon une logique de l’équivalence ou du donnant-donnant. Car la bénédiction n’a pas pour vocation d’attester qu’une personne ou un couple est conforme à un modèle social ; la bénédiction a pour vocation de faire l’éloge de chacun en tant qu’être rendu capable de réaliser un monde où la grâce et la paix ne sont pas des vains mots, mais sa vérité profonde. Voilà pourquoi il me semble précieux de bénir les enfants, de même que les couples, que les partenaires aient ou non le même sexe, de même qu’il est précieux de bénir ceux qui prennent une responsabilité dans l’Eglise ou dans un autre lieu, ainsi que ceux qui ont du mal à envisager leur vie autrement que sous l’angle de la souffrance, qu’ils soient nos amis ou nos ennemis. La bénédiction, ce n’est pas un outil théologique pour se faire plaisir, pour cultiver un entre soi, ou pour valider l’entrée dans un club fermé. La bénédiction est une parole élogieuse pour démultiplier la vie, autrement dit pour faire entrer chacun dans une histoire plus grande que celle qu’il a vécu jusque là. C’est une parole pour surmonter les angoisses, une parole pour donner le courage d’être, selon l’expression de Paul Tillich. Une parole qui dit la vérité, parfois cachée, de chaque existence.

En ce sens, le passage du Cantique des cantiques est une authentique bénédiction, qui s’inscrit dans le droit fil des bénédictions des fils de Jacob, par exemple, qui sont autant d’éloges pour faire ressortir les points forts qui permettront à chacun d’avancer un peu plus loin dans la vie. Oui, tu es belle Rachel ; belle d’une beauté qui ne tient pas qu’à l’aspect physique. Cette beauté, c’est l’ardeur qui peut t’animer et te faire tenir debout, dans la position des ressuscités. Oui, tu es belle Rachel ; belle de cette humanité inconditionnelle que nous avons dit par le baptême que tu as reçu et qui te rendra désirable dans la mesure où tu laisseras cette humanité s’exprimer au grand jour. Belle aussi parce que tu es au bénéfice de ce oui à la vie prononcé ta famille. Si tu le laisses retentir, ce oui t’autorisera à aimer, à aimer de tout ton être, de toute cette vitalité dont le Cantique dit qu’elle t’anime entièrement. Ecoute, Rachel, ce que ta mère dit de toi, écoute ce que disent de toi toutes ces personnes qui t’entourent, qui t’aiment, qui te louent, et qui, de ce fait, te bénissent.

Le passage du Deutéronome nous as rendus attentifs à la nécessité de s’impliquer, de répondre de notre personne face aux défis qui se présentent à nous. La bénédiction ne vaut que si nous en faisons quelque chose, si nous en faisons notre pain quotidien. La bénédiction, en étant une porte ouverte sur une vie renouvelée, a besoin de notre réponse, de notre engagement. Pour le dire avec les mots de Raphaël Picon, « Bénir est une lutte. Un combat. C’est une lutte contre ce qui nous condamne à la malédiction. Le racisme, l’homophobie, la détestation de soi, l’exclusion sociale sont autant de malédictions mortifères. Bénir, c’est lutter contre la malédiction, par des réformes sociales et économiques, des prédications prophétiques et libératrices, des œuvres de la science et de la culture qui grandissent l’humain, par des exploits qui poussent toujours plus loin nos limites. » Si nous ne faisons rien des sourires, des caresses, des douceurs, des services, des paroles de reconnaissance, d’encouragement, de pardon… si nous restons indifférents aux bénédictions, nous laissons notre vie, le monde, en l’état. En revanche, faire confiance à ces paroles, être saisi par ce qu’elles nous disent (ce qui est la dynamique de la foi et que le Deutéronome dit par la formule « s’attacher à l’Eternel »), changer notre posture, adopter une posture conquérante, choisir la vie et ce qui fait vivre, dire oui à la bénédiction, entrer dans cette grande cohorte de ceux qui ne baissent pas les bras, qui relève la tête, qui espèrent contre toute espérance, qui deviennent les chantres de la vie, les poètes de la vie... c’est envisager une nouvelle page de l’histoire, une page qui parle de Pâques, qui parle de résurrection, de rédemption, d’ascension, qui parle de vie menée au grand jour. C’est l’histoire de la bénédiction.

Comment confisquer la bénédiction, comment brider la bénédiction alors que c’est ce que l’Eternel nous donne pour rendre le monde infiniment plus grand que ce que nous pouvons imaginer. Bénir, c’est faire entendre l’éloge de la vie démultipliée.

Amen

Lecture de la Bible

Deutéronome 30:15-20

Vois, je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bien, la mort et le mal. 16 Car je te prescris aujourd’hui d’aimer l’Eternel, ton Dieu, de marcher dans ses voies, et d’observer ses commandements, ses lois et ses ordonnances, afin que tu vives et que tu multiplies, et que l’Eternel, ton Dieu, te bénisse dans le pays dont tu vas entrer en possession. 17 Mais si ton coeur se détourne, si tu n’obéis point, et si tu te laisses entraîner à te prosterner devant d’autres dieux et à les servir, 18 je vous déclare aujourd’hui que vous périrez, que vous ne prolongerez point vos jours dans le pays dont vous allez prendre possession, après avoir passé le Jourdain.

19 J’en prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre: j’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité, 20 pour aimer l’Eternel, ton Dieu, pour obéir à sa voix, et pour t’attacher à lui: car de cela dépendent ta vie et la prolongation de tes jours, et c’est ainsi que tu pourras demeurer dans le pays que l’Eternel a juré de donner à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob.

Cantique 6:4-9

Tu es belle, mon amie, comme Thirtsa, Agréable comme Jérusalem, Mais terrible comme des troupes sous leurs bannières.
5 Détourne de moi tes yeux, car ils me troublent. Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres, Suspendues aux flancs de Galaad.
6 Tes dents sont comme un troupeau de brebis, Qui remontent de l’abreuvoir; Toutes portent des jumeaux, Aucune d’elles n’est stérile.
7 Ta joue est comme une moitié de grenade, Derrière ton voile...
8 Il y a soixante reines, quatre-vingts concubines, Et des jeunes filles sans nombre.
9 Une seule est ma colombe, ma parfaite; Elle est l’unique de sa mère, La préférée de celle qui lui donna le jour. Les jeunes filles la voient, et la disent heureuse; Les reines et les concubines aussi, et elles la louent.

Traduction NEG

Audio

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