Bâtir un temple ou une maison ?

2 Samuel 7 :1-16

Culte du 15 novembre 2009
Prédication de pasteur James Woody

( 2 Samuel 7:1-16 )

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Culte du 1er novembre 2009 à l'Oratoire du Louvre
prédication du pasteur James Woody

Chers frères et sœurs, ce n’est qu’une fois qu’il est comblé de tout ce qu’il pouvait espérer, que le roi David se met à penser à Dieu. David habite désormais dans un palais alors que Dieu, lui, n’a pour demeure que la tente dont nous avons fait la connaissance au moment de la sortie d’Egypte, dans le désert du Sinaï. D’un côté un roi avec les fastes de la cour, et, de l’autre côté, le Dieu d’Israël qui est aussi mal logé que les « sans domicile fixe » qui trouvent parfois abri sous une tente de fortune qu’on leur a attribuée.

David, en pensant à Dieu, nourrit quelques scrupules… est-il normal que je sois aussi bien logé alors que Dieu, lui, n’a qu’une tente en guise d’abri ? Des questions que se posent bien des paroissiens qui peuvent se demander s’ils laisseraient leur logement aussi longtemps dans un état semblable à notre temple qui n’est pas seulement gris de saleté mais aussi souillé par les oiseaux à l’entrée, dont tant de chaises sont abîmées et qui semble comme laissé à l’abandon en bien des endroits. La présence de Dieu ne s’éprouve pas nécessairement plus dans un temple que chez soi, mais pas moins non plus et, pour jouer sur les stéréotypes, nous sommes en droit de nous interroger, à la manière de David : est-il normal que Dieu soit moins bien loti que nous ?

Le roi David réagit et appelle Nathan pour lui faire part de ses états d’âme et lui soumettre son point de vue. Le désir d’édifier une maison digne de Dieu peut se comprendre. D’abord, il s’agit d’honorer Dieu en lui bâtissant une demeure digne de lui plutôt que de le laisser dans un état misérable. Si les basiliques de Rome, si les cathédrales étaient autrefois somptueuses et richement décorées, c’était bien pour signifier la grandeur et la gloire de Dieu. Bien entendu, cela permettait d’asseoir la puissance de l’Eglise, mais, initialement, les artistes, les architectes, les bâtisseurs, les évêques, lançaient ces grands projets, pour la plus grande gloire de Dieu. Les intentions de beaucoup étaient aussi pures que celles de David : rendre à Dieu ce qui est à Dieu et le placer à la bonne hauteur dans l’échelle architecturale.

A l’intention d’honorer Dieu, nous pouvons ajouter que bâtir une maison de Dieu est une manière astucieuse d’organiser le culte qui lui est rendu. Si la plupart des civilisations ont opté pour l’urbanisme, la construction en dur, c’est d’abord dans un esprit pratique. Supprimons ce temple, décidons de ne plus faire que des réunions de quartier chez les uns et chez les autres et, déjà, nous perdons tous les gens de passage qui n’auront pas eu l’information. Dans une société en mouvement, dans un monde où les déplacements sont fréquents, quelques points fixes permettent de se repérer, de s’orienter et de trouver sa route. Toute personne qui passe par le 145 rue saint Honoré le dimanche à 10h30, sait qu’il trouvera une porte ouverte sur le Dieu auquel Jésus-Christ rend témoignage. Cela fait bientôt 200 ans que c’est comme cela et nous entendons bien continuer à être à l’image d’un phare qui aide les navires perdus dans l’obscurité ou pris dans la tempête à rejoindre le port. Il n’y a rien de plus démobilisateur que de devoir courir après l’information pour savoir où le culte aura lieu et à quelle heure. Edifier le temple de Jérusalem, c’était donner un rendez-vous fixe à tous les fidèles, donner un point de repère fixe : enfin quelque chose de stable dans un monde qui n’arrête pas de changer. Bâtir un temple, c’est parler, aussi, de la fidélité de Dieu qui reste proche des siens : Dieu reste là, présent, disponible, au milieu du peuple.

Si construire un temple est une manière d’honorer Dieu comme il se doit, si bâtir un temple est une manière de simplifier l’organisation de la vie cultuelle, c’est aussi une manière de rendre Dieu plus visible. Un temple est fait pour rassembler des personnes, il est fait, aussi, pour être vu de l’extérieur. Bien évidemment, en bâtissant un temple, on construit une image de Dieu, on présente une image de Dieu, de la religion et de la communauté qui va se rassembler en ce lieu. Un temple induit nécessairement une théologie. Songeons à ce que peuvent penser des personnes qui passent et repassent devant ce temple, continuellement fermé, sur lequel il est inscrit « Eglise réformée de France » : il y a de quoi penser que le bâtiment est fermé parce qu’il est réformé au sens de « hors d’usage » ! Songeons à ce que peuvent penser des personnes qui passent et repassent devant ce temple, continuellement fermé : cela leur parle-t-il d’un Dieu qui accueille ? cela leur parle-t-il d’un protestantisme d’ouverture ? Edifier un temple, c’est rendre visible une réalité invisible : la présence de Dieu au sein du monde. Un temple dit quelque chose à ce sujet. Et nous, que disons-nous de cette présence divine ?

Mais il peut y avoir aussi de mauvaises raisons de bâtir un temple, des raisons perverses. C’est lorsque nous imaginons qu’un temple est un lieu où Dieu est assigné à résidence. C’est lorsque nous imaginons, peut-être inconsciemment seulement, qu’en construisant une maison pour Dieu, nous l’y installerons, définitivement, et qu’il sera là, toujours disponible… que nous l’aurons toujours sous la main. Dans ce cas, une maison de Dieu devient une véritable maison d’arrêt où Dieu est coincé, une maison où l’homme peut avoir l’illusion de maîtriser le divin et même l’illusion de pouvoir de mettre Dieu sous clef. Et c’est la raison pour laquelle les réformateurs ont considéré qu’il valait mieux maintenir les temples fermés en dehors des heures de culte : pour éviter les superstitions qui consistent à croire que Dieu est présent dans un temple plus que dans l’intimité de notre chambre. C’était aussi pour éviter de faire de ces lieux une sorte de musée digne du musée Grévin où il serait possible d’admirer Dieu sous les traits d’une bien pâle copie.

Fort heureusement, pour lui, Dieu ne se laisse pas manipuler aussi facilement. A celui qui veut le séquestrer, Dieu révèle qu’il échappe toujours à la mainmise de l’homme. En rappelant qu’il est celui qui a fait monter le peuple hors du pays d’Egypte, l’Eternel rappelle non seulement qu’il est un Dieu du mouvement mais aussi un Dieu de la libération ; libération qui supporte mal les mises au cachot, fussent-elles dans des prisons dorées ! pourquoi lui bâtir une maison en dur, demande Dieu, alors qu’il s’est toujours satisfait d’une présence nomade auprès de son peuple. Là où l’homme imagine pouvoir fixer des rendez-vous à Dieu, Dieu rétorque que c’est lui qui prend l’initiative de la rencontre, de la proximité. Comme il le fait dire à David par l’intermédiaire du prophète Nathan, c’est Dieu qui a pris David au pâturage, derrière le troupeau, c’est lui qui s’est toujours rendu là où était le peuple, et non l’inverse. Et Dieu d’ajouter que c’est lui qui a fait une place pour son peuple et non l’inverse ! et, pour enfoncer le clou, Dieu affirme, au quote 11, que c’est lui qui bâtira une maison à David et non l’inverse, alors même que le chapitre a commencé par le récit de David habitant une maison.

Il faut comprendre, bien entendu, que Dieu va bâtir une maison qui ne sera pas une maison de pierre mais une maison de chair ! Dieu annonce à David que ce qu’il va faire pour lui est de lui donner une place dans l’histoire, ce qui vaut mieux qu’une place sur un cadastre.

Au projet d’une maison en dur, Dieu répond donc par le projet d’une maisonnée, d’une descendance, d’une famille. Le véritable patrimoine ne saurait être matériel ; la vie véritable ne saurait être cantonnée à un lieu ; l’existence ne saurait être assimilée à un capital immobilier. Le nomadisme reste de mise dans la perspective biblique. Ce qui compte, c’est d’aller de l’avant, c’est de se projeter en avant, c’est de s’orienter vers l’avenir, ce n’est pas de se ficher en terre et d’espérer durer en investissant dans la sécurité du sol, des murs et du toit. La vie dont Dieu est le promoteur reste un projet ; elle est donc toujours à bâtir, à faire sortir des entrailles de la terre, à faire sortir des entrailles humaines. Un édifice peut être utile, Dieu en convient qui annonce que le fils de David construira le temple ; mais un édifice n’est pas l’acte décisif par lequel le projet de Dieu avance dans l’histoire des hommes.

Dieu entend rester nomade ; il souhaite rester nomade pour accompagner l’humanité au rythme de ses pérégrinations. L’évangéliste Jean ne dira pas autre chose en annonçant que l’événement Jésus-Christ peut être compris comme l’acte de l’Eternel qui vient planter sa tente parmi les hommes (Jn 1/14).

Le prophète Nathan va donc être chargé de ramener le roi David à de meilleurs sentiments théologiques en évitant que ses rêves de gloire, de puissance et de domination s’exercent au travers du culte et donc du temple. Bien des siècles plus tard, dans la nuit de Bethléem, les mages rappelleront au roi Hérode qu’être enfermé dans un palais prestigieux n’offre pas un accès immédiat à la puissance de vie (Mt 2/1-12).

A la maison de pierre, de cèdre, Dieu substitue la maison de chair, seul lieu où il peut véritablement demeurer en restant fidèle à lui-même, ce Dieu proche de nous aux instants décisifs de notre vie et non pas seulement quand nous le désirons ou quand nous y pensons. Cela rejoint les instructions que l’Eternel avait d’ailleurs laissées à Moïse pour la fabrication de l’autel pour les sacrifices qui permettent une communion avec Dieu : c’est lorsque Dieu invoquera son nom qu’il sera présent (Ex 20/24) et pas lorsque le peuple ou le prêtre le désirera. La présence de Dieu ne dépend donc ni de nos bonnes dispositions, ni du temps que nous lui consacrons, ni du lieu que nous lui préparons. L’Eternel se rend présent et actif au sein de l’humanité, parce que c’est le Dieu qui vient, qu’il y ait ou non un lieu pour lui, que nous lui ayons ou non préparé une place.

Amen

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