Aimer son ennemi ?

Lévitique 19 :1-2 et 17-18 , Matthieu 5:38-48

Culte du 19 janvier 2017
Prédication de pasteur Florence Taubmann

Vidéo de la partie centrale du culte

film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot

Culte du dimanche 19 février 2017
prédication de la pasteur Florence Taubmann

Frères et sœurs c’est avec crainte et tremblement que l’on se saisit de tels textes.

Car il y est question de vengeance, de justice, d’amour et de haine. Ce sont donc des questions de vie et de mort, que ce soit au niveau de nos relations personnelles ou à plus grande échelle, dans la vie des peuples et des Etats.

  • Qu’en est-il de la loi du talion ?
  • Qu’en est-il de la non-violence ?
  • Qu’en est-il de l’amour de l’ennemi ?

Sommes-nous dans le cadre d’une éthique raisonnable, applicable sur le long terme ?

Sommes-nous dans une projection idéaliste, où nous rêverions une imitation de Jésus-Christ, partageant la sainteté ou la perfection de Dieu ?

Mais d’abord qu’a pu vouloir dire Jésus, dans cet enseignement du sermon sur la montagne ? Est-ce si évident ?

Je vous invite aujourd’hui à partager quelques questions.

Œil pour œil dent pour dent ?

Dans le langage commun, c’est ainsi qu’on caricature facilement l’esprit de vengeance. Et le soit - disant esprit archaïque de l’Ancien Testament.

Alors pour commencer quelques remarques sur la vengeance.

En réalité la vengeance ne s’est jamais contentée d’un œil pour un œil et d’une dent pour une dent. Ni d’une vie pour une vie.

L’esprit de vengeance est une idole qui s’empare du cœur de l’homme et le soumet à un culte sanglant. On connaît ces histoires de haines familiales ou tribales, trans-générationnelles, où la vendetta est la règle, et où le code d’honneur remplace l’éthique de l’amour. Et les meurtres s’enchaînent.

René Girard, dans La violence et le sacré, écrit en 1972, avait expliqué comment les sociétés dites primitives avaient réussi à se prémunir contre le cercle vicieux et mortel de la vengeance par le rite du bouc émissaire.

En prenant sur lui la colère des offensés, le bouc émisssaire permettait au groupe de retrouver sa cohésion et sa concorde. Tout le monde se mettait d’accord sur son dos, en le sacrifiant.

Mais ce processus (toujours à l’œuvre dans nos sociétés avancées) visait la paix mais pas la justice.
D’ailleurs la victime sacrifiée n’était pas le coupable du méfait qui avait menacé la concorde du groupe.

Tout autre est la Loi du talion :

La loi du talion vise l’arrêt de la violence, mais elle vise aussi la justice.

D’abord la Loi du talion oppose la mesure à la démesure de l’esprit de vengeance.

Pas plus d’un œil pour un œil pas plus d’une dent pour une dent, d’une vie pour une vie…

Elle introduit donc l’idée de punition ou de rétribution. On trouve déjà dans la Genèse cette sanction « celui qui verse le sang par l’homme son sang sera versé.»

La loi du talion introduit également le principe de responsabilité personnelle.

Le Prophète Ezéchiel développe ce principe au ch 20 : « C'est la personne coupable qui doit mourir. Les enfants n'auront pas à payer pour les fautes de leurs parents ni les parents pour les fautes de leurs enfants. L'homme de bien sera récompensé d'agir avec justice et le méchant sera puni pour le mal qu'il fait. »

Oui mais une telle justice ne s’apparente -t-elle pas, finalement, à une simple vengeance codifiée et légitimée par la loi ? A un châtiment stérile ?

Peut-elle en rester là ? Très tôt la tradition juive a proposé une idée de réparation ou de compensation.

Pour un œil la valeur d’un œil. Pour une dent la valeur d’une dent !

Dans la Mishna Baba Kama, chapitre 8 on découvre que :

Cinq obligations incombent à celui qui blesse son prochain, il doit réparer le dommage physique, la douleur, les soins médicaux, l’arrêt de travail, et le préjudice moral (honte ou humiliation)

La valeur exacte de ces dédommagements doit être jugée au cas par cas par un tribunal rabbinique et se traduit par une compensation financière.

Cela ne vaut pas pour les crimes capitaux car on considère que la vie humaine n’a pas de prix et ne peut donc être compensée financièrement. C’est donc une autre justice qui s’applique.

La valeur d’un œil pour un œil, la valeur d’une dent pour un dent !

On peut trouver là l’exemple d’une justice réparatrice, restaurative, qui tente de rendre moindres et supportables les effets du mal commis et donc de sauver la relation entre l’agresseur et l’offensé.

On peut trouver là un exemple de justice qui peut aider l’offensé à dépasser son désir ou son besoin de se venger.

Ce n’est pas parfait ! Il y a toujours de l’irréparable dans le mal subi, il y a même de l’impardonnable.

Il y a aussi, du côté du coupable des circonstances atténuantes. Il y a encore des erreurs judicaires.

La justice des hommes n’est pas la justice de Dieu. Mais tenter de réparer le mal et de limiter l’injustice relève de la responsabilité humaine. Et cela peut contenir l’esprit de vengeance.

Mais faut-il tendre la joue gauche quand on vous frappe la droite comme nous y invite Jésus ?

Les chrétiens sont-ils soit masochistes, soit hypocrites comme on l’entend parfois dire à propos de cette fameuse joue gauche ? Est-ce une image de non-violence radicale ? De quoi est-il question ?

Contrairement à la perte d’un œil ou d’une dent, le coût d’une gifle représente un dommage qui ne peut vraiment être évalué. Donc la réparation est plus difficile.

Il ne s’agit pas d’une mâchoire fracassée.

Il s’agit d’un geste violent de la main qui peut causer une vive douleur, mais sans causer de lésion.

En revanche le dommage le plus profond de la gifle relève de la honte et de l’humiliation, symbolisée par le sang qui monte à la joue. Ou qui s’en retire peut-être après coup, selon les réactions, donnant une pâleur mortelle.

Autrement dit, la gifle a quelque chose à voir avec le sang. Celui qui humilie par un coup porté au visage, a symboliquement quelque chose en commun avec un meurtrier.

Comme on parle parfois de regards, ou de mots, qui tuent.

Mais ceci n’est pas quantifiable.

Que l’on songe à l’effet destructeur des coups portés au visage des enfants : il peut être constaté mais pas quantifié tellement il est profond.

Alors comment réparer ? On tombe sur une aporie. Il faut donc trouver une autre solution. Il y en a deux au choix :

Rendre le coup pour le coup ?

Si l’on se souvient de nos auteurs du 19ème siècle, on a souvent rencontré dans leurs romans ces histoires de gifles ou de soufflets qui se réglaient par un duel au coin du bois et se terminaient parfois par la mort de l’un des deux duellistes.

La gifle a quelque chose à voir avec le meurtre. En effet les chances sont toujours grandes que le coup rendu pour le coup soit plus que le coup pour le coup.

Car nous tombons sous le joug de la colère. C’est la colère qui vient dicter sa loi.

Or qu’a dit Jésus de la colère ?

« Vous avez entendu qu'il a été dit à nos ancêtres : « Tu ne commettras pas de meurtre; tout homme qui en tue un autre mérite de comparaître devant le juge.»

Eh bien, moi je vous déclare : tout homme qui se met en colère contre son frère mérite de comparaître devant le juge ; celui qui dit à son frère : « Imbécile !» mérite d'être jugé par le Conseil supérieur ; celui qui lui dit : « Idiot !» mérite d'être jeté dans le feu de l'enfer. »

Celui qui, recevant un coup au visage, laisse exploser sa colère risque de devenir meurtrier. Ou tout du moins risque de se retrouver au tribunal.

Je ne raconte pas des histoires. Combien de fois n’avons-nous pas entendu, les uns ou les autres, des histoires d’inversion des rôles où la victime initiale devenait finalement la personne inculpée. Pour ma part cela m’est arrivé plusieurs fois de devoir soutenir de telles personnes qui, étouffées d’indignation par une offense ou une injustice, avaient réagi en se mettant dans leur tort et se trouvaient coincées dans des situations inextricables. Dans ces cas-là le meurtre, heureusement fantasmé et non réel, n’est pas loin.

Alors merci à Jésus de son conseil.

Mille fois oui ! Mieux vaut tendre l’autre joue. Mieux vaut même se gifler soi-même plutôt que d’aller s’empêtrer dans une histoire qui risque de très mal tourner. Ce n’est pas de la soumission passive mais de la sagesse et de la maîtrise de soi. Ce n’est pas facile mais hautement recommandé.

Mais Jésus ne s’arrête pas là. Comment comprendre ses demandes suivantes ?

Faut-il se laisser dépouiller de sa chemise et donner son manteau en surplus ?

Là encore il faut réfléchir.

Si quelqu’un est prêt à faire un procès dont l’enjeu est une chemise… il faut quand même s’interroger sur ses motivations ! UN PROCES POUR UNE CHEMISE ! On imagine un humoriste mimant la scène !

Si le demandeur est riche et puissant et qu’il veut absolument obtenir votre pauvre vieille chemise au point de vous faire un procès, il est atteint de déraison. Alors attention, car son désir ne s’arrêtera pas là. Il ira jusqu’à vouloir votre vie. Qu’on se souvienne du Roi Akhab qui devint fou du désir de posséder la vigne de Naboth.

Et si le demandeur est plus pauvre que vous, au point de vouloir affirmer ses droits sur votre chemise, alors mieux vaut pour tout le monde éviter les frais d’avocat. Et vis-à-vis de frère qui peut-être est nu, mieux vaut remplir le devoir préconisé par le Prophète Esaïe : le couvrir, l’assister, l’accueillir !

Donc dans les deux cas si on vous fait un procès pour avoir votre chemise, donnez votre manteau. Vous serez gagnants !

Frères et sœurs je crois que Jésus nous demande, non d’être sublimes, mais d’être simplement humains. Il nous demande d’exercer un peu de sagesse et beaucoup de générosité.

Et il développe ce sens de l’humanité et de la générosité dans les 3 dernières demandes : accompagner, donner, prêter.

« Tu veux que je t’accompagne un bout de chemin : c’est bon j’ai le temps d’aller même un peu plus loin. »

« Tu as besoin que je te donne cette chose. C’est bon prends je n’en ai pas vraiment besoin ! Et dis-moi si tu as besoin d’autre chose. »

« Tu voudrais un prêt. D’accord ! J’espère que tout va bien aller pour toi dans l’avenir ! »

Frères et sœurs, si on réfléchit bien, ces trois demandes sont celles que l’on adresse à Dieu !

A Dieu nous demandons qu’il nous accompagne, qu’il nous donne notre pain quotidien , qu’il nous fasse crédit et confiance pour l’avenir.

Et c’est ce qu’il fait en notre faveur !

Alors s’il s’agit de la perfection de Dieu, nous devons essayer d’être parfait comme notre Père est parfait !

Traduit en actions concrètes, cela paraît moins inaccessible, peut-être !

Mais ce n’est pas tout ! Jésus nous demande aussi d’aimer nos ennemis :

« Vous avez entendu qu'il a été dit : « Tu dois aimer ton prochain et haïr ton ennemi. »

Eh bien, moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. Ainsi vous deviendrez les fils de votre Père qui est dans les cieux. Car il fait lever son soleil aussi bien sur les méchants que sur les bons, il fait pleuvoir sur ceux qui lui sont fidèles comme sur ceux qui ne le sont pas. «

D’abord où est-il écrit qu’il faille haïr son ennemi ?

S’agit-il d’un devoir de haine vis-à-vis de l’ennemi que l’on doit combattre de toute sa force dans le cadre d’une guerre ? Mais alors le combattre suffit ; il n’y a pas besoin de le haïr.

S’agit-il de haïr ceux qui haïssent Dieu ?

Dans le psaume 139,21 on trouve : Eternel, n'aurais-je pas de la haine pour ceux qui te haïssent ?

S’il y a un devoir de haine, c’est celui de haïr la haine, de haïr les forces de haine. De rejeter les forces de haine de toutes ses forces d’amour.

Autrement la haine ne relève pas d’un devoir mais d’un fait, d’une souffrance qui semble insurmontable, d’une jalousie qui semble inguérissable, d’une impuissance à vivre.

Et la haine de l’ennemi réel -qui nous a fait tant souffrir, ou supposé – quand il est le fruit de nos fantasmes, devient finalement haine de soi.

Alors comment en sortir ?

Comment aimer cette figure ennemie qui est devant nous ou en nous-même ? Mais au fait que signifie aimer ?

Que signifie aimer, non dans l’idéal ou le rêve mystique de la paix universelle, mais ici et maintenant, dans la réalité ?

Frères et sœurs j’ai connu des personnes qui avaient eu dans leurs vies de terribles épreuves, avec toutes les bonnes raisons de considérer en ennemis ceux qui leur avaient infligé ces épreuves….

Et ces personnes me disaient ne pas vouloir ni pouvoir pardonner.

Mais elles me disaient aussi ne vouloir en aucun cas se venger. Ces personnes me disaient ne vouloir en aucun cas souhaiter du mal à leurs bourreaux. Elles avaient simplement besoin de justice et de vérité.

Frères et sœurs dans certains cas l’abstention de la haine m’est apparue comme une manifestation secrète, pudique et extrêmement profonde de l’amour.

A propos de haine et d’amour, je tiens à redire ma reconnaissance à mon collègue Jean-Michel Perraut, qui fut pasteur à l’Oratoire jusqu’en 2004. C’était le thème de la prédication qu’il donna lors d’un synode régional et son enseignement (de mémoire) m’a profondément marquée :

« Aimer, certes ! Nous en parlons beaucoup dans nos Eglises. Mais déjà ne pas haïr, ne pas se laisser aller à la haine, ne pas semer des germes, des paroles, des rumeurs de haine …. Ne pas participer à l’empoisonnement du monde par la haine. Alors nous pourrons parler d’amour ; nous pourrons apprendre à aimer. »

Jésus nous invite à autre chose vis-à-vis de l’ennemi : prier pour lui.

Dans la prière nous devons remettre à Dieu nos ennemis comme nos amis, ceux que nous aimons comme ceux que nous n’aimons pas. Car tous sont ses enfants. « Il fait lever son soleil aussi bien sur les méchants que sur les bons, il fait pleuvoir sur ceux qui lui sont fidèles comme sur ceux qui ne le sont pas. » Et Jésus lui-même a imploré le pardon pour ses persécuteurs : « Père, pardonne-leur ! Ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Mais il reste encore une chose incroyable à découvrir :

Agir en faveur de son ennemi permet de s’en rapprocher, de découvrir que ce n’est pas un monstre mais un être humain, comme nous.

Et c’est l’Ancien Testament qui nous y invite : «Si vous rencontrez le boeuf ou l'âne égaré de votre ennemi, ramenez-le-lui. Si vous apercevez son âne effondré sous la charge qu'il porte, ne passez pas outre ; aidez plutôt votre ennemi à remettre la bête sur ses pattes.» Exode 23,4-7

Merci au gros bœuf et au petit âne quand il se font artisans de la paix entre les hommes !

Et je désire évoquer un dernier souvenir : celui d’une religieuse catholique rwandaise rencontrée à Jérusalem. Elle était tutsie et des membres de sa famille avaient été assassinés lors du génocide.

Elle était très réservée et pudique sur la question du pardon. Mais elle témoignait de son expérience de visiteuse dans les prisons. En y rencontrant les ennemis, elle rencontrait des hommes. Elle rencontrait l’humanité. Et à partir du moment où vous rencontrez l’humain dans l’autre, à partir du moment où vous faites quelque chose pour cet humain … à partir du moment où vous le nourrissez, lui parlez, l’écoutez … peut-être est-il encore votre ennemi car vous ne pouvez oublier le mal qu’il fait, qu’il vous a fait. Mais vous ne pouvez plus le haïr. Vous ne pouvez plus que le remettre à Dieu, comme vous-même vous vous remettez à Dieu . Amen !

Amen

Lecture de la Bible

Lévitique 19, 1-2 et 17-18

Le Seigneur dit à Moïse de communiquer à toute la communauté d'Israël les prescriptions suivantes : « Soyez saints, car je suis saint, moi, le Seigneur votre Dieu ! « N'ayez aucune pensée de haine contre un frère, mais n'hésitez pas à le réprimander, afin de ne pas vous charger d'un péché à son égard. Ne vous vengez pas et ne gardez pas de rancune contre vos compatriotes. Chacun de vous doit aimer son prochain comme lui-même. Je suis le Seigneur.

Matthieu 5,38-48

« Vous avez entendu qu'il a été dit : « Oeil pour oeil et dent pour dent.»

Eh bien, moi je vous dis de ne pas vous venger de celui qui vous fait du mal. Si quelqu'un te gifle sur la joue droite, laisse-le te gifler aussi sur la joue gauche. Si quelqu'un veut te faire un procès pour te prendre ta chemise, laisse-le prendre aussi ton manteau. Si quelqu'un t'oblige à faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. Donne à celui qui te demande quelque chose ; ne refuse pas de prêter à celui qui veut t'emprunter. »

« Vous avez entendu qu'il a été dit : « Tu dois aimer ton prochain et haïr ton ennemi.»

Eh bien, moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. Ainsi vous deviendrez les fils de votre Père qui est dans les cieux. Car il fait lever son soleil aussi bien sur les méchants que sur les bons, il fait pleuvoir sur ceux qui lui sont fidèles comme sur ceux qui ne le sont pas. Si vous aimez seulement ceux qui vous aiment, pourquoi vous attendre à recevoir une récompense de Dieu ? Même les collecteurs d'impôts en font autant ! Si vous ne saluez que vos frères, faites-vous là quelque chose d'extraordinaire ? Même les païens en font autant ! Soyez donc parfaits, tout comme votre Père qui est au ciel est parfait l . »

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