Aimer Dieu avec toute son intelligence

Marc 12:28-34 , Deutéronome 6:1-9

Culte du 16 septembre 2007
Prédication de pasteur Marc Pernot

( Marc 12:28-34 ; Deutéronome 4:1-6 ; Deutéronome 6:1-9 )

Culte à l'Oratoire du Louvre, le 16 septembre 2007
par le pasteur Marc Pernot

Quand un passage de la Bible cite un autre passage de la Bible, il est intéressant d'aller voir de plus près car il arrive souvent qu'il ne s'agisse pas d'une simple citation mais il y ait une transformation de l'idée du texte d'origine. C'est le cas ici, dans ce passage de l'Évangile que nous connaissons par cœur, passage essentiel puisque Jésus y résume, précisément, l'essentiel selon lui dans la Bible. Jésus cite alors un passage de la Torah, un passage que tous les juifs de tous les temps connaissent par cœur car il fait partie du Shema, ce texte si fondamental qu'il est récité deux fois par jour par un juif, texte qui est également calligraphié à la main et placé depuis toujours sur le montant des portes de toute maison juive.

Jésus n'est donc pas très original en citant ce passage “ Écoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, est l’unique Seigneur, tu aimeras le Seigneur ton Dieu... ” Sauf que Jésus transforme cette citation. Traditionnellement, le Shema invitait l'homme à aimer Dieu selon trois dimensions de son être : de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force. Jésus y ajoute une quatrième dimension, celle de l'intelligence. Il n'est absolument pas question de cela dans le texte original que cite Jésus.

  • Le cœur dans la Bible, ce n'est ni le lieu des sentiments ni celui de l'intelligence, c'est le lieu de nos décisions, le Shema nous propose de décider en fonction de Dieu et grâce à lui, que nos élans plus ou moins instinctifs soit unifiés par lui.
  • Et ce qui est parfois traduit par âme dans nos Bibles ce n'est pas comme dans d'autres traditions la dimension spirituelle de l'homme, mais c'est ce qui différentie un être vivant d'un objet, sa dynamique de vie, créée par Dieu. Aimer Dieu de toute son âme, c'est avancer grâce à lui, c'est agir avec lui avec nos forces, avec nos atouts personnels.

Dans le Shema Israël, il est ainsi question d'aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force, Jésus ajoute un 4e point, celui de l'intelligence. Cet ajout a très certainement fait un choc à ceux qui écoutaient Jésus, puisqu'ils connaissaient tous ce texte par cœur, qu'il était la base de la pensée de tous ceux qui l'écoutent.

Jésus ose ajouter un 4e point à cette pensée. Il ajoute l'intelligence comme une dimension fondamentale de notre relation à Dieu.

Pour Jésus, le devoir le plus essentiel de l'homme comprend donc le devoir d'utiliser son intelligence dans le domaine de la foi ! C'est même plus important que d'aimer son prochain, qui n'est ici que le second commandement, comme s'il était un fruit du premier. Jésus nous dit qu'aimer Dieu véritablement, c'est l'aimer en réfléchissant par soi-même. Ce n'est pas du tout une évidence. Bien des gens pensaient, et même pensent encore aujourd'hui, que pour bien aimer Dieu il faudrait renoncer à réfléchir par soi-même, qu'il faudrait sacrifier son intelligence au nom de la foi. Jésus dit ici le contraire.

L'intelligence, selon ces paroles de Jésus, est une des dimensions de la foi, une dimension essentielle, bien sûr, puisque l'intelligence est une des plus excellentes qualités que Dieu donne à l'homme. Certes, la foi est plus large que l'intelligence, car Dieu reste évidemment en grande partie inconnaissable (même nos plus proches parents le sont aussi pour nous...). Mais l'intelligence fait partie de la foi. L'intelligence vraie connaît d'ailleurs ses limites, et une intelligence aimante est respectueuse de la personne que l'on a en face de soi.

Que la réflexion personnelle soit essentielle pour aimer Dieu n'était effectivement pas quelque chose d'évident dans le livre du Deutéronome. Finalement, l'essentiel était l'adhésion et la pratique, plus que la réflexion personnelle et la théologie. L'homme était appelé à décider si oui ou non il choisissait de suivre la Loi telle qu'elle est décrite dans le livre. Pour le reste, l'Écriture tient lieu d'intelligence et de sagesse pour l'homme, comme le dit Moïse : “ Je vous ai enseigné des lois et des ordonnances comme l’Éternel, mon Dieu, me l’a commandé... vous les observerez et vous les mettrez en pratique car ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples. Ils en entendront parler et ils diront : Cette grande nation est un peuple absolument sage et intelligent ! ”

C'est par rapport à cette façon de voir que Jésus ajoute un nouveau terme, celui de l'intelligence à ce pilier de la religion qu'est le shema. Jésus fait ainsi de la réflexion personnelle un devoir de base, quotidien, pour toute personne, le devoir d'appliquer son intelligence dans toutes les dimensions de sa vie, à commencer dans sa recherche de Dieu, mais aussi dans sa religion, dans sa façon de faire de la théologie, dans sa façon d'aimer les autres et d'agir.

L'intelligence est donc selon Jésus une alliée de la foi, qui n'a rien à craindre de l'intelligence, au contraire. La foi n'a rien à craindre des sciences physiques ou humaines, ni de la recherche biblique, elle n'a rien à craindre des débats philosophiques ou théologiques. Au contraire.

Alors pourquoi a t-on pu rabaisser la raison malgré cette prise de position aussi fracassante de Jésus en faveur de l'intelligence ? Pourquoi a t-il falu attendre le XVIIIe siècle pour que péniblement l'intelligence retrouve sa place comme étant une des dimensions de la foi ? C'est à mon avis d'abord une question de pouvoir des puissants sur les petits. Jésus anéantit cette hiérarchie et rend à chacun la liberté de penser par lui-même.

Il y a aussi parfois une humilité mal placée qui peut faire renoncer à réfléchir par soi-même. La théologie et l'éthique touchent à des questions essentielles, ne vaut-il donc pas mieux que ce soient des spécialistes qui réfléchissent et disent aux autres ce qu'ils devraient faire et penser ? Est-ce que je ne risque pas de me perdre en pensant de travers, et être coupable ainsi aux yeux de Dieu ? Non, nous dit Jésus. Aujourd'hui même, dit-il à chacun, vous avez déjà assez d'intelligence pour la mettre au service de votre recherche de Dieu.

Et puis, aimer Dieu, c'est lui faire confiance. Jésus nous montre que Dieu est le premier à nous aimer, à nous pardonner, à nous rechercher quand nos routes se perdent. Par conséquent, même si nous nous trompons en réfléchissant de travers, son amour ne sera pas remis en cause pour autant. Et au moins, nous aurons réfléchi et nous nous serons ainsi ouverts à lui dans une relation sincère. Et puis, cela aura exercé notre intelligence, cela nous aura permis de nous poser des questions, de chercher vraiment à mieux connaître Dieu, acceptant de remettre un peu en cause ce que nous pensions hier pour l'approfondir.

Jésus, en montrant l'amour de Dieu, libère notre intelligence, parce qu'il nous libère de notre peur de Dieu, il nous libère des questions "qu'il ne faut pas poser", des préjugés qui nous viennent d'on ne sait où, et des dogmes "éternels".

Pourtant, Jésus ne nous appelle pas à faire table rase de ce qu'ont produit les générations passées, bien au contraire. La preuve, c'est que Jésus entre ici en débat avec la tradition, il discute avec les autres, il part de la Bible pour rechercher l'essentiel. La Bible est la base mais il faut y ajouter l'intelligence. Il le dit ici de façon radicale en plaçant la réflexion personnelle quotidienne comme une dimension essentielle pour aimer Dieu.

Nous avons souvent une idée simple, trop simple de ce qu'“ il faudrait croire ” pour être un bon chrétien. Il y a là un malentendu terrible entretenu par une faute de traduction très fréquente. Dans les Évangiles, il y a souvent marqué que l'essentiel est de “ croire ” : croire en Dieu, croire en Jésus-Christ, croire en son nom... Quand on entend une telle affirmation, on peut penser que cela veut dire que c'est une question de vie et de mort d'avoir telle ou telle croyance. Or, le verbe traduit alors par croire ne veut pas du tout dire ça. Le verbe pisteuo (en grec) ou aman (en hébreu) n'est pas du domaine de la croyance mais du domaine de la foi, de la relation à Dieu, d'une relation maintenue même si c'est pour s'opposer à lui (comme Abraham devant Sodome et Gomorrhe) ou douter de lui (comme David dans le Psaume 22)...

Une personne qui se dit “ en recherche ”, par exemple, peut douter de l'existence de Dieu mais si elle le cherche, cette personne est bien dans la foi puisqu'elle espère Dieu à travers cette recherche, et en espérant, elle aime déjà par avance. C'est ainsi que Jésus montre en exemple un centurion romain pour sa foi extraordinaire, alors que ce centurion était sûrement assez nul du point de vue des croyances et de la morale, adorant l'empereur de Rome comme un dieu, et certainement pas le dernier dans la violence pour avoir été nommé centurion. Mais cela ne l'empêchait pas d'espérer en Jésus d'une certaine façon. L'essentiel est donc d'aimer Dieu nous dit Jésus, de le chercher, de cheminer vers lui, de l'espérer. Et l'intelligence est une façon essentielle de l'aimer car quand on aime quelqu'un, on cherche à mieux le connaître. Les croyances se perfectionneront probablement au rythme de ce cheminement.

Sur la base du malentendu sur ce verbe croire on a longtemps répété aux gens qu'il fallait croire ceci pour être sauvé mais surtout ne pas croire cela parce qu'alors on serait perdu en dehors de la "vraie foi". Les gens ont donc souvent pris peur, évitant de penser et prenant pour sacrées telles ou telles croyances. La peur de penser des bêtises a donc poussé à ne pas trop réfléchir. La paresse aussi, car c'est bien plus fatigant de se poser des questions que de se reposer sur des certitudes que l'on vous présente comme une vérité éternelle.

Ce n'est pas ce que fait Jésus. Il invite chaque croyant à réfléchir par lui-même, dans la confiance que nous donne l'amour de Dieu pour nous. C'est une constante des paroles et de la façon d'être de Jésus : ses paraboles nous invitent à réfléchir, mais aussi : ses commandements impossibles du genre “ soyez parfaits comme Dieu lui-même est parfait ”, ses paroles provocantes, ses gestes, sa liberté vis-à-vis des commandements de la Loi, sa mort même... Tout nous invite à réfléchir par nous-mêmes, et à cheminer ainsi dans l'amour de Dieu. C'est alors que nous serons “ dans la vérité ” au sens de l'Évangile. Parce que la vérité, là non plus, ce n'est pas une question de croyance juste, mais une question de relation vraie. Quand on a réfléchi par soi-même à ce qui nous semble être juste aux yeux de Dieu, on est bien plus dans la vérité, au sens de l'Évangile que quand on nous force par la crainte à suivre une voie toute tracée.

Cet appel de Jésus à la réflexion personnelle pour chercher Dieu, le scribe l'entend avec une grande intelligence, effectivement. Qu'est-ce qu'il dit ? Il reprend les mots de Jésus, avec le triple commandement d'aimer Dieu tiré du Shema augmenté du 4e point de Jésus sur l'intelligence. Il a donc écouté, au sens propre. Il commence à appliquer sur le champ le conseil nouveau de Jésus : il choisit d'appeler Dieu par un simple pronom personnel plutôt que d'utiliser un des deux noms que lui donne Jésus : Dieu et Seigneur. Le scribe comprend qu'il ne peut simplement adopter ces noms usuels, mais qu'il est appelé à découvrir par lui-même cette personne appelée ainsi, la découvrir en l'aimant dans une réflexion personnelle, et non plus comme un simple article de catéchisme répété sans réfléchir.

Et Jésus donne alors un encouragement incroyable. En conclusion de ce passage, il est dit que “ Jésus, voyant qu’il avait répondu avec intelligence, lui dit : Tu n’es pas loin du royaume de Dieu ! ” Non seulement Jésus ajoute l'intelligence comme un 4e pilier essentiel de notre relation à Dieu, mais il dit ici que l'intelligence de cet homme est un signe qu'il est tout proche de la façon d'être de Dieu lui-même !

Dire que, par son intelligence, il n'est "pas loin du Royaume de Dieu" est un compliment immense, mais c'est en même temps une réserve. Son écoute et sa réflexion ne font pas de lui un dieu, mais elles l'on préparé à recevoir ce Royaume qui s'approche, cette nouveauté qui vient et qui est déjà là, en Christ, pour chacun de nous.