À quoi bon ? Juste prendre du bon temps.

Ecclésiaste 3 Psaume 23

Culte du 25 janvier 2015
Prédication de pasteur Marc Pernot

Ce texte incroyable est une véritable entreprise de démolition des intégrismes et moralismes, et autres philosophies simplistes.

Stop au moralisme :

Avec son « il y a un temps pour tout... » et ces paires choquantes de deux actions contraires, l’Ecclésiaste montre que la même attitude peut être bonne à un moment et mauvaise à un autre. Cela choque le moraliste qui va taxer cela de relativisme, cela scandalise l’intégriste qui va parler de blasphème. Mais l’ecclésiaste ne part pas comme eux d’une théorie du bien et du mal moral, théorie tirée droit sur de papier glacé avec une plume bien fine. L’ecclésiaste est un homme qui part de son expérience de la vie humaine et des dons de Dieu.

Et cette perspective empirique change tout.

Nous savons bien que dans la vie nous avons parfois à choisir non pas entre le bien et le mal mais entre le mal et le pire, et que cela demande à être fait en conscience pour que le mal commis ne soit pas un e trop grande source d’infection...

Ce tragique de l'existence humaine est assumé par ce texte de l’ecclésiaste. « Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux... » et les 14 paires d’actions proposées par cet homme d’expérience et de foi va même peut-être plus loin que nous ne serions prêts à le faire, puisque même des choses comme la mort, la destruction, la violence ou la haine peuvent avoir un temps opportun.

Le fait que l’acte juste dépende des circonstances est évident par exemple pour l’agriculteur, il y a un temps pour labourer, un temps pour semer, un temps pour arroser, un temps pour arracher les patates. Et celui qui labourerait chaque jour à nouveau son champ ne verrait rien pousser, celui qui arroserait trop non plus, ni celui qui planterait n’importe quoi dans n’importe quelle terrain, ou à n’importe quelle saison. Vous allez me dire que l’on pourrait faire un manuel d’agriculture avec la règle à appliquer selon une myriade de critères bien précis. Peut-être. Mais la vie humaine est encore bien plus complexe que l’agriculture. D’accord avec le moraliste pour dire que le divorce ou l’avortement ou le mensonge ne sont jamais de bonnes choses, mais dans la vie réelle c’est vrai qu’il existe des situations où c’est néanmoins la moins la meilleure des choses, et il est alors temps de faire cela malgré tout.

Ce texte de l’ecclésiaste est ainsi vraiment libérant des morales simplistes qui ont souvent pour effet de culpabiliser les personnes précisément à un temps où elles sont déjà dans une situation tragique et il où il serait juste de les aider à avancer. C’est encore pire quand ce moralisme est sacralisé par un « c’est écrit au quote v. du chapitre c. de tel livre de la Bible, comme si l’application de ce quote à la situation était certainement la volonté de Dieu. Non, cela dépend du temps, du moment. Et donc, hélas, nous dit l’ecclésiaste : « J’ai vu sous le soleil qu’au lieu établi pour la justice il y a de la méchanceté. » (3:16)

Non au relativisme : chercher ce qui construit

Bien entendu, il n’est pas question de développer un relativisme absolu en disant que l’on peut faire n’importe quoi... Non, ce passage ne conduit pas à cela, l’ecclésiaste torpille seulement le moralisme, celui des religieux et des athées, parce qu’il aime la justice et rejette la méchanceté.

Mais alors comment s’en sortir pour décider si telle chose est un bon choix à cet instant dans cette situation ?

L’apôtre Paul part de la même expérience que l’ecclésiaste en disant « tout est permis » et pour nous aider à choisir il propose « tout n’est pas utile, tout ne construit pas » (1 Corinthiens 10:23) Le sens de la vie, de notre vie, serait ainsi de faire preuve de créativité, de bâtir de l’humain, de la vie, de la qualité d’être, des relations, de belles et bonnes choses, utiles, constructives. C’est incroyable une religion qui dit que « tout est permis » à priori et qui nous laisse avec ce libre examen. Et qui le permet parce que Dieu aime, pardonne, encourage, garde chacun dans cette route improbable que nous essayons de tracer comme nous pouvons. Cette façon de réfléchir est souvent d’une grande aide pour nous aider à choisir. Mais c’est peut-être parfois encore un peu dangereux car cela peut ressembler à une morale utilitariste que l’on retrouve parfois dans l’église ou au nom (supposé) d’un intérêt supérieur dans n’importe quelle noble cause où on se permet en toute bonne conscience des choses qui sont plus méchantes que justes, pour reprendre les termes de l’ecclésiaste.

Notre conscience sur la terre, sous les cieux

Donc là aussi, il faut faire attention, bien sûr. Et c’est pourquoi l’ecclésiaste nous appelle à réfléchir, mais à le faire de façon modeste et à le faire « sous les cieux » (3:1). Et c’est pourquoi dans la liste des 28 actions proposées il n’y a ni la prière, ni la réflexion, ni le temps de suspension qu’est le jour du repos. Car ces activités sont d’un autre ordre que les autres, elles ne sont pas des activités en plus à caser dans un emploi du temps déjà surchargé, mais comme la respiration qui devient d’autant plus urgente que nous sommes plus pressé.

Et si l’ecclésiaste propose un catalogue de 28 activités, cela évoque la rencontre du 7 de la bénédiction de Dieu et le 4 de ce monde où nous sommes. C’est sous les cieux, donc que nous avons à discerner en quel temps nous sommes et quelle action nous choisirons. Nous en sommes capables, car nous recevons de Dieu une certaine intuition de l’avenir ouvert devant nous et une idée de ce que créer veut dire. Mais en même temps, nous en avons une idée si vague que c’en est une torture (nous dit littéralement l’ecclésiaste.

A la fois, nous ne sommes pas tellement différent de l’animal, pas tellement différent du lion qui instinctivement trouve juste de se réserver la part du lion. Nous ne sommes pas tellement différent de l’animal car, comme lui nous ne pouvons avoir aucune idée de ce que devient le souffle qui nous anime, alors que nous sommes aussi fait de la poussière du sol.

Mais en même temps ce que Dieu nous a donné nous ouvre à autre chose. Il nous a donné une conscience de l’éternité, il nous a impressionné par son œuvre même si nous ne pouvons pas saisir ni son principe ni dans sa finalité. (3:11) Nous saisissons que Dieu poursuit cette œuvre, et pourtant nous, avons l’impression que l’histoire tourne en rond(3:15).

Dans cet entre deux, Quel sens a notre vie ? Nous avons comme une intuition que ce sens existe, mais que nous ne pouvons pas le saisir(11). Comment déterminer alors le temps où nous sommes, quelle est l’action juste, quel commencement et quelle finalité ?

Cette conscience de l’ultime est un cadeau et une promesse. Mais l’ecclésiaste a raison de ne pas prendre cela comme sens à notre action et à notre vie. Peut-être que là est l’erreur du moraliste ou de l’intégriste. Ils ne veulent en général pas être méchants mais ils cherchent à se projeter trop tôt hors du temps dans un monde où tout ne serait que pur cristal, bien carré, éternel, parfait, hors de ce monde qui est en tension entre la poussière du sol et la finalité poursuivie par Dieu.

Dans bien des religions, l’objectif est de se projeter hors de ce temps pour faire son paradis, et là aussi il y a un décalage fou entre ce temps que Dieu crée pour nous et une éternité que nous ne pouvons que fantasmer puisque nous en avons l’illusion sans pouvoir en comprendre quoi que ce soit aujourd’hui. Le sens de notre vie n’est pas de poursuivre l’éternité, laissons cela à Dieu qui seul crée pour toujours, lui. Cela ne date pas d’aujourd’hui que les intégrismes utilisent notre conscience d’un avenir éternel pour imposer des croyances, des rites et des sacrifices à leurs adeptes en faisant un chantage à la vie éternelle. Cela n’est pas réservé aux intégrismes religieux. Cela a profondément modelé le sens de la vie de nos sociétés laïques. Par exemple nos élus qui ne veulent pas quitter leurs fonctions sans avoir bâti leur pyramide, leur stade de foot ou leur centre commercial. Comme si laisser une trace après notre mort donnait sens à notre vie. L’ecclésiaste rigole de cette illusion : « vous ne serez même pas là pour voir, puisque vous ne serez plus là » (22) Dans le même sens, on ne fait pas un enfant pour laisser une trace après soi, mais on fait un enfant si l’on en a la vocation et les moyens aujourd’hui, si c’est maintenant pour nous le temps de faire naître. Mais ce n’est pas obligé, c’est à chacun de le discerner « sous les cieux », c’est à dire devant Dieu et avec la conscience que nous ne sommes pas dans le ciel mais sur terre, dans un temps que Dieu fait pour nous, pour moi, aujourd’hui.

Ce retournement de perspective est lui aussi extrêmement fort, à mon avis. Il nous libère de tant de manipulations, d’illusions et de fantasmes.

Prendre du bon temps comme un don de Dieu

Mais après nous avoir ainsi libéré, que reste-t-il pour orienter nos actions, à quoi bon agir quand nous avons accepté de ne pas saisir ni le sens de notre vie ni notre éternité ? L’ecclésiaste nous invite à goûter ce qui est bon maintenant dans notre vie, le recevoir comme un don de Dieu :

J’ai reconnu qu’il n’y a de bon pour les humains
qu’à se réjouir et à créer du bon pendant leur vie;
Et donc, si un homme mange et boit
et voit du bon dans tout son travail,
c’est là un don de Dieu.(12-13)

A quoi bon faire un beau geste ? C’est le bonheur d’avoir fait quelque chose de bon, et cela est un don de Dieu, d’avoir été capable de le faire et de le goûter. Par ailleurs, quand on fait un bon geste, la vie nous apprend que : quand on aide quelqu’un, la personne que nous avons aidée est souvent un peu gênée. Parfois elle nous en veut de lui avoir rendu service, parfois elle offre quelque chose mais plus pour se libérer elle même de ce qu’elle ressent comme une dette. Et parfois un geste de vraie gratitude. Dieu, lui, ne nous aimera pas plus à cause d’un bon geste, son amour est déjà au maximum.

Quel avantage celui qui travaille
retire-t-il de tous ses efforts ?(9)...

Juste le bonheur d’avoir fait quelque chose de bien. Ou parfois le bonheur que quelque chose de bon nous ait nourri, abreuvé.

  • Le texte parle ici de quelque chose de « bon », avec ce mot qui sert dans la Genèse à qualifier l’œuvre de création de Dieu. Et effectivement, l’ecclésiaste nous dit que c’est un don de Dieu de voir que notre effort, ou notre geste a pu produire quelque chose de bon.
  • Un autre don de Dieu, c’est de manger ou boire, nous dit l’ecclésiaste. Il ne s’agit pas nécessairement d’un plaisir gastronomique, il peut effectivement s’agir d’un bon repas, d’un livre d’un geste, d’une émotion, d’un lever de soleil, d’une rencontre, d’une idée, d’une musique... que nous avons pu saisir et qui nous a nourri, abreuvé, qui nous a mis en meilleur forme au sens du « bon » de la Genèse. Et c’est pourquoi cela est appelé aussi un don de Dieu.

Car, nous dit l ‘ecclésiaste, ce que Dieu fait est bon, c’est là qu’est le cristal pur, et ce n’est plus seulement un fantasme mais une réalité impressionnante parce qu’elle nous dépasse, en qualité et en pérennité (14).

Et nous sentons alors dans notre bon fond qu’il y a une résonnance avec ce quelque chose de « bon » qui a touché notre être de poussière. C’est alors que nous sentons que nous sommes dans le juste temps avec l’action juste. Il nous faut apprendre à reconnaître ce tressaillement en nous de cet authentique « c’est bon » donné par Dieu. Et pour nous, c’est dans la prière, sous les cieux, que nous faisons ce joyeux travail.

Cette expérience du « bon » dans le présent est aussi ce que nous propose le Psaume 23. Après la formidable introduction avec la promenade dans le vert paradis aux rivières gouleyantes. Après l’épopée de la traversée des ravins d’ombres et de mort, puis l’entrée dans l’abondance de bénédiction. Après tout cela on attend pour le moins l’annonce d’une vie éternelle dans la gloire... et bien non, le chant du psalmiste semble retomber comme une crêpe en montrant qu’il parlait en réalité de la vie quotidienne, de chacune de ces journées qui me semblaient ordinaires. C’est de cela que parlait le psalmiste quand il chantait le paradis et la victoire sur la mort. La vie présente est là, et elle a une beauté, une bonté, une grâce à goûter, car ce n’est plus seulement une conscience de l’éternité, mais une expérience d’un don de Dieu, et ce don dure éternellement.

Finalement, aucun sens à la vie ne nous est accessible que ce signe qui nous est donné : un souffle de vie nous anime. Ce souffle, nous l’oublions presque tant il nous semble naturel, nous ne le voyons que quand il fait froid et qu’un peu de buée blanche apparaît une seconde devant notre visage. C’est cette buée que nos traductions rendent par ce « vanité des vanités » qui ponctue le livre de l’ecclésiaste : « L’homme et la bête ont tous un même souffle, tout est vanité », tout est cette légère buée que produit parfois notre souffle de vie.

Nous sommes en vie, et la beauté de la vie est dans la plus petite expression de ce souffle. C’est là « le bonheur et la grâce (littéralement le bon et le gratuit qui nous accompagnent tous les jours de notre existence ici-bas ». Après nous verrons, ce sera un autre temps, lui aussi qui sera un don gratuit de Dieu.

Il n’y a pas à chercher un autre sens à la vie aujourd’hui que celui-là, ni à vivre dans un autre temps. Voir ce « bon » et ce « gratuit » qu’est la vie et qui nous accompagne chaque jour. Ce bon et ce gratuit dont nous sommes capables, qui nous abreuve et qui nous nourrit, qui nous donne des instant de vrai bonheur. Le déguster tranquillement, en apprécier l’incroyable bonté et tressaillir à comme une promesse inouïe. Et parfois l’exprimer, en notre temps, comme un geste gratuit.

Angelus Silesius rend bien cette façon de voir la vie dans une de ses fameuses minuscules prédication d’une seule phrase : « La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu'elle fleurit, n'a souci d'elle-même, ne se demande pas si on la regarde. » (Le voyageur chérubinique 1:289)

Nous sommes aussi bouleversants que cette rose.

Lecture de la Bible

Ecclésiaste 3

1 Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux :

2 un temps pour naître,
et un temps pour mourir;

un temps pour planter,
et un temps pour arracher ce qui a été planté;

3 un temps pour tuer,
et un temps pour guérir;

un temps pour abattre,
et un temps pour bâtir;

4 un temps pour pleurer,
et un temps pour rire;

un temps pour se lamenter,
et un temps pour danser;

5 un temps pour lancer des pierres,
et un temps pour ramasser des pierres;

un temps pour embrasser,
et un temps pour s’éloigner des embrassements;

6 un temps pour chercher,
et un temps pour perdre;

un temps pour garder,
et un temps pour jeter;

7 un temps pour déchirer,
et un temps pour coudre;

un temps pour se taire,
et un temps pour parler;

8 un temps pour aimer,
et un temps pour haïr;

un temps pour la guerre,
et un temps pour la paix.

9 Quel avantage celui qui travaille retire-t-il de tous ses efforts ?

10 J’ai vu quelle torture Dieu donne aux fils de l’homme :

11 Il fait toute chose belle en son temps.
Il a même mis dans leur conscience la pensée de l’éternité,
et pourtant l’homme ne peut pas saisir l’œuvre que Dieu fait,
de son principe jusqu’à sa finalité.

12 J’ai reconnu qu’il n’y a de bon pour eux qu’à se réjouir et à créer du bon pendant leur vie;
13 Et donc, si un homme mange et boit et voit du bon dans tout son travail,
c’est là un don de Dieu.

14 J’ai reconnu que tout ce que Dieu fait durera toujours,
qu’il n’y a rien à y ajouter et rien à en retrancher,
et que Dieu a fait qu’ils sont impressionnés devant lui.

15 Ce qui est a déjà été, et ce qui sera a déjà été,
et Dieu demande que ça se poursuive.

16 J’ai encore vu sous le soleil qu’au lieu établi pour juger il y a de la méchanceté,
et qu’au lieu établi pour la justice il y a de la méchanceté.

17 J’ai dit en mon cœur: Dieu jugera le juste et le méchant;
car il y a là un temps pour tout plaisir et pour toute œuvre.

18 J’ai dit en mon cœur, au sujet des fils de l’homme,
que Dieu les éprouverait, et qu’eux-mêmes verraient qu’ils ne sont que des bêtes.
19 Car le sort des fils de l’homme et celui de la bête est pour eux un même sort;
comme meurt l’un, ainsi meurt l’autre, ils ont tous un même souffle, et la supériorité de l’homme sur la bête est nulle; car tout est vanité.

20 Tout va dans un même lieu; tout a été fait de la poussière, et tout retourne à la poussière.

21 Qui sait si le souffle des fils de l’homme monte,
et si le souffle de la bête descend dans la terre ?

22 Et j’ai vu qu’il n’y a rien de mieux pour l’homme que de se réjouir de ses œuvres:
c’est là sa part. Car qui le fera venir pour voir ce qui sera après lui ?

Psaumes 23

L’Eternel est mon berger: je ne manque de rien.

2 Il me fait reposer dans de verts pâturages, Il me dirige près des eaux paisibles.

3 Il restaure mon âme, Il me conduit dans les sentiers de la justice, A cause de son nom.

4 Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi: Ta houlette et ton bâton me rassurent.

5 Tu dresses devant moi une table, En face de mes adversaires;
Tu oins d’huile ma tête, Et ma coupe déborde.

6 Oui, le bonheur et la grâce m’accompagnent Tous les jours de ma vie,
Et je reviendrai, j’habiterai dans la maison de l’Eternel Jusqu’à la fin de mes jours.

(cf. Traduction NEG modifiée par Marc Pernot pour la rendre plus littérale)

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